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Décisions

CA Aix-en-Provence, 1re et 8e ch. réunies, 12 janvier 2022, n° 18/15173

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Coulange

Conseillers :

Mme Robin-Karrer, M. Patriarche

TI Aix-en-Provence, du 24 août 2018, n° …

24 août 2018

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE

A compter du 1er janvier 1996, il a été constitué entre différents praticiens une société civile de moyens dénommée 'Association Médicale de Bouc-Bel-Air' destinée à permettre à ses membres d'exercer leur activité professionnelle au sein d'une maison médicale.

Trois de ces praticiens, les docteurs Eric M., Yves T. et Sandrine V.-M., se sont ensuite regroupés pour embaucher en commun une secrétaire-réceptionniste Madame Anna V., suivant contrat de travail conclu le 1er avril 2008, la charge des salaires et des cotisations sociales étant répartie à concurrence d'un tiers chacun.

Un protocole de rupture conventionnelle a été signé le 12 juin 2015 avec la salariée, prévoyant la cessation définitive du contrat de travail le lendemain du jour de son homologation par l'autorité administrative.

Cependant Madame V. a exercé son droit de rétractation et le contrat s'est poursuivi jusqu'au 5 février 2016, date à laquelle elle a démissionné.

Dans le même temps, le docteur T. a notifié le 10 juillet 2015 à ses confrères son intention de se retirer du groupement avec effet au 1er août suivant, date à laquelle il a cessé de participer à la dépense commune.

Par acte d'huissier délivré le 2 juin 2016, Eric M. a fait assigner Yves T. à comparaître devant le tribunal d'instance d'Aix-en-Provence afin de l'entendre condamner à lui payer la somme de 2.849,67 euros au titre de sa participation aux salaires et charges patronales versés du 1er août 2015 au 5 février 2016, et celle de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et non respect d'un délai de préavis suffisant.

Sandrine V. l'a assigné aux mêmes fins par acte du 13 septembre 2016.

Les deux instances ayant été jointes, le tribunal a rendu le 24 août 2018 un jugement déboutant les demandeurs de l'ensemble de leurs prétentions.

Le premier juge a considéré que, si le groupement constituait bien une société en participation obligeant chacun des associés en son nom personnel en vertu de l'article 1872-1 du code civil , la preuve du paiement des salaires et des charges effectués au cours de la période considérée n'était pas suffisamment rapportée.

Il a également retenu qu'il n'existait pas de contrat entre les trois praticiens, de sorte que le docteur T. n'était pas tenu d'observer un délai de préavis pour se retirer du groupement.

Madame V. a relevé appel de cette décision par déclaration adressée le 24 septembre 2018 au greffe de la cour, sans toutefois intimer Monsieur M..

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions du 21 décembre 2018, Madame Sandrine V. fait valoir :

- que le groupement constitué entre les trois praticiens constituait une société de fait , immatriculée comme telle à l'URSSAF,

- que toute convention à durée indéterminée ne peut être résiliée qu'en respectant un délai de préavis d'usage qui, en l'absence de toute stipulation expresse, ne saurait être inférieur à douze mois au cas présent,

- que le docteur T. doit donc être réputé co-employeur de Madame V. jusqu'à la fin du contrat de travail de cette dernière,

- et que l'attestation de l'expert-comptable, déjà produite en première instance, constitue une preuve suffisante du montant des salaires et cotisations patronales versés entre le 1er août 2015 et le 5 février 2016, dont l'intimé reste redevable à concurrence du tiers.

Elle demande en conséquence à la Cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

- de condamner M. Yves T. à lui payer la somme de 2.849,67 euros au titre de sa participation à la dépense commune,

- de le condamner en outre au paiement d'une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture sans préavis du 'contrat d'association' (sic) et rupture abusive,

- et de condamner l'intimé aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 19 mars 2019, Monsieur Yves T. soutient pour sa part :

- que le groupement d'exploitation en commun est une entité créée spécifiquement par l'URSSAF dans le but d'attribuer un numéro unique d'employeur à plusieurs professionnels, sans qu'il en résulte un contrat d'association ou une société de fait ,

- que le docteur V. avait pris l'engagement dès 2010 de prendre à sa charge les deux tiers de la dépense car elle avait le projet de s'installer ailleurs en gardant la secrétaire à son service, celle-ci n'intervenant quasiment plus dans le fonctionnement de son propre cabinet,

- que cet engagement n'ayant pas été tenu, il a décidé de quitter le groupement afin de pouvoir recruter sa propre assistante dentaire,

- et qu'aucun texte ne lui imposait de respecter un délai de préavis pour ce faire.

Il demande en conséquence à la Cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de condamner l'appelante aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

DISCUSSION

L'article 1832 du code civil définit le contrat de société comme une convention conclue entre deux ou plusieurs personnes dans le but d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie , en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter.

En vertu des articles 1871 et suivants du même code , les associés peuvent convenir que la société ne sera pas immatriculée ; elle est dite alors 'société en participation' et dépourvue de personnalité morale, et son existence peut être prouvée par tous moyens. Les mêmes dispositions sont applicables aux sociétés créées de fait .

En l'espèce, il est constant que les docteurs M., T. et V.-M. s'étaient regroupés pour embaucher en commun une secrétaire-réceptionniste Madame Anna V..

La charge des salaires et cotisations sociales était effectivement répartie entre eux à concurrence d'un tiers chacun.

Ce groupement avait été immatriculé au répertoire national des entreprises dans la catégorie 'société créée de fait entre personnes physiques' et s'était vu attribuer un numéro de compte employeur par l'URSSAF.

Le docteur T. considérait d'ailleurs lui-même qu'il était membre d'une société de fait , ainsi qu'il l'indiquait dans un courrier adressé le 26 juin 2015 à l'ordre des chirurgiens-dentistes.

Le premier juge ne pouvait sans se contredire considérer que le groupement constituait une société en participation mais qu'il n'existait pas de contrat entre les trois praticiens.

Il existait bien une convention conclue dans le but de recruter une salariée en commun en vue de profiter de l'économie qui en résulterait pour chacun, caractérisant une société de fait .

Or, suivant l'article 1872-2 du code civil , lorsque la société de fait est à durée indéterminée, sa dissolution peut résulter à tout moment d'une notification adressée par l'un d'eux à tous les autres associés, pourvu que celle-ci soit faite de bonne foi et non à contretemps, c'est à dire à un moment où elle entraînerait des conséquences particulièrement inopportunes pour la société ou pour un autre associé.

En l'espèce le docteur T. a notifié son retrait peu de temps après la conclusion du protocole de rupture conventionnelle avec leur secrétaire, prévoyant le versement d'une indemnité de 2.420 euros que le docteur V. s'était engagée à prendre intégralement à sa charge.

Il ressort des pièces produites aux débats que la décision de se séparer de Madame V. émanait à l'origine du docteur V., et non des autres associés, le docteur T. l'ayant pour sa part acceptée dans le but d'embaucher sa propre assistante.

Il apparaît ainsi que sa décision de rompre le contrat de société a été prise de bonne foi et non à contretemps, l'exercice par Madame V. de son droit de rétraction n'ayant pas pour conséquence de rendre le retrait fautif.

Il en résulte que le docteur T. n'était plus co-employeur de Madame V. à compter du 1er août 2015.

Le jugement entrepris doit être en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté l'appelante de l'intégralité de ses prétentions, par substitution de motifs.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame Sandrine V. de l'ensemble de ses prétentions et l'a condamnée aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne Madame Sandrine V. aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 euros au profit de l'intimé en application de l'article 700 du code de procédure civile.