CE, juge des référés, 19 octobre 2007, n° 310067
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Annulation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Daël
Rapporteur :
M. Daël
Vu la requête, enregistrée le 16 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Michel C, demeurant ..., à La Seyne-sur-Mer (83500) ; M. C demande au juge des référés du Conseil d'Etat : 1° d'annuler l'ordonnance du 1er octobre 2007, par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au préfet du Var de prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution du jugement d'expulsion rendu par le tribunal d'instance de Toulon le 30 novembre 2006 et a assorti son injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard ; 2° de rejeter la demande de Mme D devant le juge du référé du tribunal administratif de Nice ; il soutient qu'il n'a pu organiser sa défense en première instance, en raison de la réception tardive de la convocation à l'audience de référé ; que Mme B n'avait pas qualité pour se joindre à la requête de Mme D, étant seulement désignée tutrice ad hoc pour présenter un projet de vente de la maison de cette dernière ; que son père l'a informé le 13 octobre 2007 qu'il ne peut plus l'héberger en raison de son état de santé qui s'est aggravé ; qu'il n'existe pas de menace pour Mme D d'être renvoyée de l'établissement dans lequel elle est placée, dès lors qu'elle a des débiteurs d'aliments pouvant couvrir les frais excédant ses revenus ; qu'il est atteint de schizophrénie paranoïde et qu'après avoir été hospitalisé deux années en hôpital psychiatrique, il n'a cessé d'habiter chez l'un ou l'autre de ses parents ; qu'il risque en cas d'expulsion de devoir retourner à l'hôpital psychiatrique ; qu'il ne peut lui être opposé le non-paiement de loyers à sa mère, qui l'héberge, dès lors qu'il est handicapé ; Vu l'ordonnance attaquée ; Vu le mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2007, présenté pour Mme Irma D, représentée par Mme A, sa tutrice, et Mme B, administrateur ad hoc ; Mme D conclut au rejet de la requête, et demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre au préfet du Var de prendre toutes mesures nécessaires pour assurer l'exécution du jugement rendu par le tribunal d'instance de Toulon le 30 novembre 2006, dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard ; elle demande également au juge des référés de condamner M. C à lui verser, d'une part, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour sa défense et, d'autre part, la somme de 2 000 euros pour procédure abusive et dilatoire, ainsi que de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ; elle soutient que la requête est irrecevable, dès lors que M. C n'est pas partie dans la procédure en cours ; que la décision du préfet du Var porte atteinte à son droit de propriété et au droit de disposer de son bien ; qu'il y a urgence à faire cesser cette atteinte qui met en danger sa vie, dès lors qu'elle n'a plus de ressources pour payer les factures de l'établissement où elle se trouve et risque le renvoi d'un jour à l'autre ; que l'expulsion sans délai de M. C, permettant la mise en vente de sa maison, a été ordonnée par jugement du tribunal d' instance de Toulon le 30 novembre 2006, et sera dans quelques semaines impossible en raison de la période hivernale ; que la décision du préfet du Var a donc de graves conséquences sur sa situation ; que cette décision est manifestement illégale, dès lors que l'expulsion en cause n'entraîne aucun trouble à l'ordre public ; qu'en effet, M. C a la possibilité d'être relogé chez son père, ce dernier ayant confirmé par écrit le 17 octobre qu'il accepte le retour de son fils à son domicile ; que l'attestation que ce dernier a produite indiquant qu'il ne pouvait être reçu chez son père a été obtenue de façon mensongère et abusive ; que M C peut encore être relogé sans délai soit dans un studio de sa soeur, soit chez son oncle ; qu'il est célibataire, sans enfant, et entouré par sa famille ; qu'il ne dispose d'aucun meuble personnel à déménager ; qu'il n'est pas sous tutelle, est parfaitement équilibré par son traitement et vit seul sans difficulté ; que le jugement d'expulsion du tribunal d'instance de Toulon est définitif ; que le moyen selon lequel il lui appartient de poursuivre M. C en vue d'obtenir la fixation et le paiement d'une indemnité d'occupation est inopérant, dès lors que ce dernier est totalement insolvable ; que, comme l'a jugé le tribunal de grande instance de Marseille le 11 juillet 2006, le préfet du Var ne saurait demander à Mme A de participer à son entretien, dès lors que son capital lui permet de subvenir à ses besoins ; qu'aucun des rapports allégués par le préfet à l'appui de sa décision n'a été produit aux débats ; que, dès lors, le préfet a excédé ses pouvoirs en se substituant à la décision judiciaire d'expulsion ; Vu les observations, enregistrées le 18 octobre 2007, présentées par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales, qui soutient que la requête est irrecevable, dès lors que M. C n'était pas partie à la première instance mais sur le fond s'en remet à la sagesse du juge du référé du Conseil d'Etat ; que M. C ne démontre pas que l'administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; qu'en particulier, le droit au logement n'est pas considéré comme une telle liberté ; que seules des considérations d'ordre public pouvant être prises en considération par l'administration, l'expulsion de M. C ne pouvait être conditionnée aux seules capacités d'hébergement de ce dernier ; que le préfet du Var était dès lors tenu de prêter son concours à l'expulsion ; que toutefois la condamnation de l'administration au paiement d'une astreinte est excessive, dans la mesure où le préfet avait décidé de surseoir à l'exécution de la décision judiciaire d'expulsion en raison de l'état de santé de M. C ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir convoqué à une audience publique, d'un part, M. C et d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales et Mmes A et B ; Vu le procès verbal de l'audience publique du vendredi 19 octobre 2007 à 12 heures au cours de laquelle ont été entendus : - Me Barthélémy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du requérant ; - Me Coutard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mmes A et B ; - le représentant du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales ;
Sur la recevabilité de l'appel de M. Michel C : Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Michel C pour l'expulsion duquel Mme D demandait au juge des référés du tribunal administratif de Nice d'enjoindre au préfet du Var d'accorder le concours de la force publique a été mis en cause par le tribunal ; qu'ainsi M. C ayant eu la qualité de partie en première instance est recevable à faire appel ; Sur la régularité en la forme de l'ordonnance attaquée : Considérant que M. Michel C soutient qu'il n'a reçu la convocation à l'audience que postérieurement à celle-ci ; qu'il subsiste en l'espèce un doute sur la réception complète de la convocation par télécopie adressée au requérant ; qu'il y a lieu, dès lors, d'annuler l'ordonnance attaquée et de statuer immédiatement sur la demande de Mme D ; Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte de Mme D : Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » ; que le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien et que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion d'un immeuble porte atteinte à cette liberté fondamentale ; Considérant que par un jugement du 30 novembre 2006 le tribunal d'instance de Toulon à ordonné l'expulsion de M. Michel C du logement dont sa mère, Mme D, majeure protégée régulièrement représentée devant le Conseil d'Etat par Mme A, en qualité de tuteur, et Mme B en qualité d'administrateur « ad hoc », est propriétaire et dont la vente a été autorisée par décision judiciaire afin de permettre la poursuite de la couverture de ses frais d'hébergement en établissement médicalisé ; qu'il s'est écoulé plus de dix mois depuis le jugement d'expulsion ; qu'il ressort des pièces du dossier que Mme D, âgée de 85 ans ne dispose plus des revenus suffisants pour payer en totalité les frais de son séjour dans l'établissement qui l'accueille ; que si M. Michel C , âgé de 52 ans et disposant de faibles ressources est lui même malade, son père est disposé à lui procurer un hébergement ainsi qu'il résulte d'une attestation signée de celui-ci le 17 octobre 2007 ; qu'il ressort enfin des pièces du dossier et des débats oraux qu'aucun trouble à l'ordre public n'est à craindre ; que dans ces conditions le refus du préfet de prêter le concours de la force publique pour l'exécution du jugement du 30 novembre 2006 apparaît en l'état de l'instruction entaché d'une illégalité manifeste et constitutif d'une situation d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ; Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions d'enjoindre au préfet du Var de maintenir le concours de la force publique qu'il n'a accordé qu'en exécution de l'ordonnance annulée du juge du référé du tribunal administratif ; qu'en revanche il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ; Sur les conclusions indemnitaires de Mme D : Considérant que Mme D n'est pas fondée à demander la condamnation de son fils M. Michel C à lui verser une indemnité pour procédure abusive ; Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761- du code de justice administrative : Considérant que dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme D tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Sur les demandes d'aide juridictionnelle : Considérant qu'il a été transmis au Conseil d'Etat deux demandes d'aide juridictionnelle, l'une au nom de M. Michel C et l'autre au nom de Mme A ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de les admettre provisoirement au bénéfice de cet aide, par application des dispositions de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
O R D O N N E : ------------------ Article 1er : L'ordonnance du 1er octobre 2007 du juge du référé du tribunal administratif de Nice est annulée. Article 2 : Il est enjoint au préfet du Var de prêter le concours de la force publique pour l'exécution du jugement du 30 novembre 2006 du tribunal d'instance de Toulon dans le délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté. Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Michel C, à Mme Nicole A et Mme B en leur qualité de représentantes de Mme D, au préfet du Var ainsi qu'au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités locales.