CE, 8 juillet 2021, n° 454030
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Par une requête, enregistrée le 28 juin 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision n° 22 du 1er juin 2021 de la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle adoptant un barème différencié pour les mémoires et disques durs intégrés aux téléphones multimédias reconditionnés et aux tablettes tactiles multimédias reconditionnées dans le cadre de la rémunération pour copie privée ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision litigieuse, qui assujettit les téléphones mobiles et tablettes reconditionnés à la rémunération pour copie privée, d'une part, porte atteinte aux intérêts des consommateurs de ces objets, d'autre part, porte atteinte à l'intérêt public au regard de la place importante de ces objets dans la réduction de l'impact écologique de la filière numérique ainsi que de la fracture numérique et, enfin, entraîne des conséquences irréversibles, faute pour les consommateurs de pouvoir obtenir le remboursement des sommes versées en cas d'annulation, et durables en détournant les consommateurs du marché des appareils reconditionnés, alors que les sommes en cause sont très importantes et que les principes posés par le droit de l'Union européenne sont notamment méconnus ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la décision litigieuse est entachée d'incompétence en ce qu'elle comporte une définition des produits reconditionnés qui, en vertu de l'article L. 122-21-1 du code de commerce, aurait dû être fixée par décret ;
- la commission a commis une erreur de droit en soumettant à la rémunération pour copie privée des appareils reconditionnés qui ont déjà fait l'objet d'une telle rémunération lors de leur première vente, en méconnaissance des articles L. 311-1 et L. 311-4 du code de la propriété intellectuelle et de l'article 5 2. b) de la directive 2001/29/CE du Parlement et du Conseil du 22 mai 2001 ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- le barème retenu est manifestement excessif et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la propriété intellectuelle ;
- le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit
:
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
2. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.
3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle : " Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisée à partir d'une source licite dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3. / Cette rémunération est également due aux auteurs et aux éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée à partir d'une source licite, dans les conditions prévues au 2° de l'article L. 122-5, sur un support d'enregistrement numérique ". Aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l'Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa de l'article L. 311-4 et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs. / (...) Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel de la République française ".
4. Par sa décision n° 22 du 1er juin 2021, la commission prévue à l'article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle a modifié ses précédentes décisions fixant le barème de la rémunération pour copie privée pour les mémoires et disques durs intégrés aux téléphones multimédias et aux tablettes tactiles multimédias afin de distinguer, pour ces familles de support, entre appareils neufs et appareils reconditionnés. A cet effet, elle a, à l'article 2 de sa décision, défini ce qui devait être regardé comme un téléphone mobile reconditionné pour son application et, en ses articles 3 et 4, adopté des barèmes différenciés selon que les appareils concernés par la rémunération sont neufs ou reconditionnés. L'association Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir) demande la suspension de l'exécution de cette décision en ce qu'elle s'applique aux appareils reconditionnés.
5. Pour justifier de la condition d'urgence, l'association requérante invoque l'importance des sommes en jeu, qui s'élèverait à plusieurs millions d'euros sur sept mois, et leur caractère irrécupérable en cas d'annulation. Toutefois, il ressort des termes mêmes de la décision attaquée qu'à supposer que le montant de la rémunération à verser soit immédiatement et intégralement répercuté sur le consommateur, le tarif applicable varierait, selon la capacité nominale d'enregistrement de l'appareil acheté, entre 0,30 euros et 8,40 euros pour l'achat d'un appareil mobile reconditionné et entre 5,20 euros et 9,10 euros pour l'achat d'une tablette reconditionnée, soit un montant inférieur, respectivement, de 40% et 35% par rapport à l'achat d'appareils neufs. Dans ces conditions, les tarifs contestés ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des consommateurs que défend l'association requérante.
6. Par ailleurs, si l'association requérante fait valoir, de façon générale, les répercussions négatives sur le marché des appareils reconditionnés et les atteintes susceptibles d'en résulter pour l'intérêt public au regard de la place importante de ces objets dans la réduction de l'impact écologique de la filière numérique ainsi que de la fracture numérique, elle n'apporte pas d'élément justifiant d'une atteinte suffisamment immédiate.
7. Enfin, l'invocation d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, à la supposer établie, n'est pas constitutive d'une situation d'urgence justifiant, par elle-même, la suspension de la décision contestée.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, que la condition d'urgence ne peut être regardée comme remplie. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de cette décision, sur le fondement de l'article L. 522-3 du code de justice administrative.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.