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Décisions

CA Rouen, 2e ch., 25 mars 2010, n° 09/00057

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

PRO-POSE (SARL)

Défendeur :

SOCIÉTÉ SORECOP (SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE), Me BEREL

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. LARMANJAT

Conseillers :

M. LOTTIN, Mme VINOT

Avoués :

SCP GREFF PEUGNIEZ, SCP LEJEUNE MARCHAND GRAY SCOLAN, Me COUPPEY

Avocats :

Me CHATEL, Me CAULIER

TC ELBEUF, du 19 déc. 2008

19 décembre 2008

La société Sorecop (Société pour la rémunération de la copie privée sonore) a déclaré sa créance le 27 janvier 2005 pour la somme de 46 160,75 euros à titre privilégié.

Elle s'est vue notifier par le liquidateur, selon lettre du 30 avril 2008, l'intention de proposer le rejet intégral de sa créance en raison de la contestation émise par Madame Beker, ancienne dirigeante de droit de la société Pro-pose.

Par lettre du 5 juin 2008, la société Sorecop a maintenu sa déclaration de créance.

Par ordonnance rendue le 19 décembre 2008, le juge-commissaire désigné pour la procédure de liquidation judiciaire de la société Pro-Pose a :

- déclaré la société Sorecop recevable à agir dans sa demande d'admission de créance,

- admis la créance de la société Sorecop au passif de la liquidation judiciaire de la Sarl Pro-pose pour la somme de 46 160,76 euros TTC à titre privilégié,

- débouté la société Pro-pose de ses demandes,

- passé les dépens en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

La société Pro-pose a interjeté appel de cette décision.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 février 2010 .

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions signifiées le 8 janvier 2010 par la société Pro-pose, le 28 janvier 2010 par la société Sorecop et le 9 octobre 2009 par M. Marc Berel en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pro-pose.

Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

La société Pro-pose, qui demande à la cour de déclarer son appel recevable, sollicite l'infirmation de l'ordonnance entreprise et conclut à l'irrecevabilité et subsidiairement au débouté des demandes de la société Sorecop.

M. Marc Berel en qualité de liquidateur judiciaire de la société Pro-pose conclut à l'irrecevabilité de l'appel de la société Pro-pose.

La société Sorecop soulève à titre principal l'irrecevabilité de l'appel interjeté par la société Pro-pose et demande à titre subsidiaire à la cour de dire l'appelante mal fondée en ses prétentions et de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise.

Elle sollicite en outre la condamnation de la société Pro-pose à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le ministère public auquel le dossier de la procédure a été communiqué s'en rapporte à justice.

Sur ce, la Cour,

Sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société Pro-pose

L'appel a été interjeté le 6 janvier 2009 par 'la Sarl Pro-pose prise en la personne de ses représentants légaux'.

M. Marc Berel es-qualités, ainsi que la société Sorecop qui adopte le moyen développé par ce dernier, soulignent que du fait de la dissolution de la société Pro-pose consécutive à sa mise en liquidation judiciaire et de l'application des dispositions de l'article 1844-7 7° du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises qui l'a abrogé, le gérant, privé de ses pouvoirs à compter du 17 décembre 2004, était irrecevable à interjeter appel au nom de la société.

Toutefois, en application de l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil.

En l'espèce, il est nécessaire que la société en liquidation judiciaire, qui se voit accorder néanmoins des droits propres dont celui de contester les créances déclarées au passif, puisse les exercer par son ou ses anciens dirigeants.

L'appel de la société Pro-pose sera en conséquence déclaré recevable.

Sur la recevabilité des demandes de la société Sorecop

La société Pro-pose soutient que les demandes de la société Sorecop sont irrecevables sur le fondement de l'article 32 du code de procédure civile dès lors que la société Sorecop ne justifie pas de sa qualité à agir puisqu'elle ne produit pas l'arrêté du ministre de la Culture en date du 20 janvier 1986 qui l'aurait reconnue seule apte à représenter les intérêts du droit à rémunération concernant la copie privée sonore.

Elle reproche au premier juge d'avoir violé le principe du contradictoire en faisant état de cet arrêté qui n'avait été invoqué par aucune des parties et qui n'avait pas été produit aux débats, ce sans avoir ordonné préalablement la réouverture des débats.

Toutefois, la société Pro-pose ne tire aucune conséquence de la violation invoquée du principe du contradictoire et ne sollicite pas la nullité du jugement entrepris.

Par ailleurs et en application de l'article L 311-7 du code de la propriété intellectuelle, la rémunération pour copie privée est perçue pour le compte des ayant droit par un ou plusieurs organismes mentionnés au titre II du livre 3 de la première partie du code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire (article L 321-1) des sociétés de perception et de répartition des droits d'auteur et des droits des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, constituées sous forme de sociétés civiles, qui ont qualité pour ester en justice pour la défense des droits dont elles ont statutairement la charge.

Selon les dispositions de l'article L 331-1 du même code, les sociétés de perception et de répartition de droits d'auteur sont constituées sous la forme de sociétés civiles et ont qualité, dès lors qu'elles sont régulièrement constituées, pour ester en justice pour la protection des droits dont elles ont statutairement la charge.

Les projets de statuts et de règlements généraux de ces sociétés sont adressés au ministère chargé de la culture (L 321-3) , lequel peut dans les deux mois de la réception saisir le tribunal de grande instance en cas d'opposition à la constitution d'une de ces sociétés.

En l'espèce, la société Sorecop produit ses statuts qui sont conformes à ces dispositions et justifie les avoir soumis au ministre de la Culture qui l'a déclarée par courrier du 29 décembre 1986 fondée à demander aux redevables de la copie privée sonore le versement des sommes dues à ce titre.

Il s'ensuit que la société Sorecop, qui justifie de sa qualité à agir, est recevable en ses demandes.

Sur les contestations au fond de la créance de la société Sorecop

La société Pro-pose reproche à la société Sorecop de ne pas rapporter la preuve de l'existence de sa créance ni du montant de celle-ci.

Elle fait valoir que les supports CD et DVD qu'elle a utilisés étaient destinés non à copier des oeuvres d'artistes mais à sauvegarder la documentation de ses clients, uniquement dans le cadre strictement professionnel de son activité de micro-informatique.

L'appelante souligne à cet égard que l'article L 311-6 du code de la propriété intellectuelle prévoit la rémunération litigieuse 'à raison des reproductions privées dont chaque oeuvre fait l'objet' et que le fondement de cette rémunération constitué par la reproduction privée n'existe donc pas en l'espèce.

La société Pro-pose invoque par ailleurs un arrêt rendu le 11 juillet 2008 par le Conseil d'état qui a annulé la décision du 20 juillet 2006 émanant de la commission prévue par l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle, arrêt qui remet en cause selon elle le fondement de la rémunération.

Enfin, elle s'appuie sur un article du professeur Decocq pour soutenir que la rémunération pour copie privée constitue un abus de position dominante contraire au droit européen.

Toutefois il résulte des articles L 311-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle que les auteurs et artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes , ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction des dites oeuvres, et que cette rémunération est également due aux auteurs et éditeurs des oeuvres fixées sur tout autre support, au titre de leur reproduction réalisée sur un support d'enregistrement numérique.

La rémunération pour copie privée est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires 'de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres'(L311-4), lors de la mise en circulation en France de ces supports.

Il s'ensuit que l'utilisation effective de ces supports est sans incidence, l'élément déterminant étant la possibilité technique d'utiliser ces supports pour reproduire des oeuvres.

Le montant de la créance résulte d'une part de la facture adressée par la société Pro-pose à la société MMI (Maintenance Micro-Informatique) le 11 décembre 2003 concernant notamment la vente de 120000 'MAX CD-R 80 mn,700 MB' au prix unitaire de 0,19 euro HT et d'autre part du tarif de 50,43 euros pour 100000 Mo fixé par décision du 9 décembre 2001 de la commission prévue à l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

L'arrêt du Conseil d'état en date du 11 juillet 2008 est sans incidence sur le présent litige puisqu'il a annulé une décision du 20 juillet 2006 de la commission prévue à l'article L 311-5 du code de la propriété intellectuelle qui n'avait pas lieu à s'appliquer à des opérations de l'année 2003, étant observé que cet arrêt, s'il a annulé la décision pour des raisons précises, n'a nullement remis en cause le principe de la rémunération ni celui de la compétence de ladite commission.

S'agissant enfin du droit communautaire, la société appelante ne tire aucune conséquence de son affirmation selon laquelle la rémunération pour copie privée constituerait un abus de position dominante, laquelle n'est nullement étayée par une argumentation juridique.

Aucune des critiques faites à l'encontre de l'ordonnance entreprise ne justifie sa réformation et ladite ordonnance sera confirmée en toutes ses dispositions.

La société Pro-pose sera en outre condamnée à payer à la société Sorecop la somme mentionnée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société Pro-pose à payer à la société Sorecop une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront pris en frais privilégiés de liquidation judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.