CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 12 janvier 2011, n° 10/06869
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société de droit suédois SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB
Défendeur :
Société civile SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE - SORECOP
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. FOULON
Conseillers :
M. BLANQUART, Mme GRAFF-DAUDRET
Avoués :
SCP BAUFUME-GALLAND-VIGNES, SCP ARNAUDY - BAECHLIN
Avocats :
Me SOUBELET-CAROIT, Me CHATEL
L'article L. 311-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) a instauré, en faveur des auteurs, artistes interprètes et producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes, la rémunération pour copie privée.
La Société pour la rémunération de la copie privée sonore (SORECOP), société civile, a pour objet de percevoir et de répartir, conformément à l'article L. 311-6 du CPI, la rémunération pour la copie privée sonore.
Les redevables de la rémunération due au titre de la copie privée sont le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires, de supports d'enregistrements utilisables pour la reproduction, à usage privé, d'oeuvresfixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, lors de la mise en circulation en France, de ces supports.
Le montant de la rémunération due au titre de la copie privée sur supports analogiques, ainsi que les modalités de paiement, ont été fixés par la décision rendue le 30 juin 1986, par la commission instituée par l'article L. 311-5 du CPI (Commission de l'article L. 311-5).
Par la suite, et afin de prendre en compte l'évolution des technologies et matériels, des usages de consommation, des pratiques d'enregistrement et de copie privée, la Commission de l'article L. 311-5 a fixé la rémunération applicable à de nouveaux supports d'enregistrement, tels les cartes mémoires non dédiées et les téléphones mobiles multimédias, qui ont fait l'objet de la décision n°11 du 17 décembre 2008 de la Commission de l'article L. 311-5. Cette décision a été publiée au Journal Officiel du 21 décembre 2008, et s'est appliquée à compter du 1er janvier 2009.
Cette décision fait suite à un arrêt du 11 juillet 2008, par lequel le Conseil d'Etat, saisi par le Syndicat de Matériels Audiovisuels Electroniques (SIMAVELEC), a annulé la décision n°7 du 20 juillet 2006 de la Commission de l'article L. 311-5, au motif, notamment, que cette décision 'vise à compenser la perte de droits du fait de copies illicites, alors que la rémunération pour copie privée ne peut légalement compenser que la perte de revenus liée à l'usage licite de la copie privée'.
La décision n°11précitée a, ainsi, fixé de nouveaux barèmes, de fait, identiques aux barèmes antérieurs, prenant en compte, selon ses propres 'considérants', d'une part, 'une baisse des taux de copiage correspondant à l'exclusion des copies de source illicite', d'autre part, 'une augmentation des coefficients de conversion horaire des capacités nominales correspondant aux pratiques de compression reconnues'.
Divers fabricants, dont la société SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATION AB, société de droit suédois (SONY), ainsi que des syndicats, associations professionnelles représentatifs des industriels, estimant, pour l'essentiel, que les nouveaux barèmes auraient dû être 'sensiblement inférieurs aux barèmes des décisions antérieures', ont introduit un recours devant la Haute Juridiction administrative, aux fins de contester la légalité de la décision n°11.
SONY a également assigné la SORECOP, au fond, devant le tribunal de grande instance de Nanterre, aux fins de voir constater que la créance de rémunération alléguée par cette dernière au titre des factures émises ou à émettre en application de la décision n°11 précitée, violait les dispositions de l'article L. 311-1 du CPI et était illégale, de sorte qu'aucune des factures litigieuses n'était due par elle.
Par acte du 17 juillet 2009, invoquant l'absence de règlement par SONY de la rémunération pour copie privée, la SORECOP a assigné cette dernière devant le juge des référés.
Par ordonnance contradictoire entreprise du 4 mars 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- condamné SONY à verser à la SORECOP la somme provisionnelle de 557 139, 09 euros à valoir sur le paiement de la rémunération pour copie privée afférente aux supports d'enregistrement vierges numériques sortis des stocks de la société SONY au cours des mois de janvier à octobre 2009,
- rejeté les demandes de SONY de séquestre judiciaire et de constitution de garantie,
- condamné SONY à payer à la SORECOP la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- condamné SONY aux dépens.
SONY a interjeté appel de cette décision le 18 mars 2010.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2010.
PRETENTIONS ET MOYENS DE SONY :
Par dernières conclusions du 17 novembre 2010, auxquelles il convient de se reporter, SONY fait valoir :
- sur 'les contours de la contestation sérieuse',
- 'que l'absence de contestation sérieuse, c'est l'évidence du fond du droit',
- que le premier juge ne pouvait donner droit à la demande de provision qu'à la condition :
. soit d'exclure tout doute possible quant à la légalité de la décision n°11, ce qui apparaît particulièrement difficile,
. soit de considérer qu'une possible illégalité de la décision n°11 serait sans aucune incidence sur la licéité de la créance litigieuse, ce qui apparaît impossible,
- que le premier juge ne pouvait donc allouer la provision que s'il avait la certitude que la décision n°11 était légale ou absolument indifférente à la licéité de la créance, sauf à prendre le risque de donner force exécutoire à une créance civile illicite,
- que l'exclusion de l'illicite dans la décision n°11 n'est qu'apparente, ou purement déclarative,
- que le premier juge ne pouvait fonder son appréciation d'une éventuelle illégalité sur les seuls termes d'une décision qui se trouvent être contestés,
- qu'il convient de rechercher 'ailleurs' les éléments tendant à confirmer ou non la légalité contestée,
- qu'il y a doute sérieux quant à la légalité de la décision n°11 du fait :
. du constat d'une identité de barèmes éminemment douteuse,
. d'une identité de barèmes injustifiée et injustifiable,
. d'une identité de barèmes opportuniste et illégale,
- que la stricte identité de barèmes, même par l'adoption d'un critère alternatif censé compenser l'illicéité, exclut toute mise à l'écart effective des copies illicites par la décision n°11,
- que les redevables de la rémunération pour copie privée se sont formellement opposés
au vote de ce 'nouveau' barème, imposé par le collège des ayants-droit de la Commission de l'article L. 311-5,
- qu'elle a soumis à l'appréciation du juge administratif d'autres griefs tenant à la violation du cadre légal de la rémunération pour copie privée,
- sur les conséquence, pour le juge des référés, de l'exception d'illégalité de la décision n°11,
- que le juge judiciaire (du fond ou des référés) ne peut apprécier la légalité de la décision administrative, de sorte que le premier juge a, ce faisant, commis un excès de pouvoir,
- que l'exception d'illégalité peut constituer une contestation sérieuse au sens de l'article 809, alinéa 2, du CPC, et faisait, en l'espèce, obstacle à l'office du juge des référés,
- que l'incidence sur la créance litigieuse d'une éventuelle illégalité de la décision n°11 est également de nature à exclure l'office du juge des référés,
- que la créance litigieuse est illicite tant au regard des principes généraux du droit civil (objet illicite) qu'au regard des dispositions du CPI (selon lesquelles une 'licence légale' ou exception légale ne peut emporter rémunération de l'illégal),
- que la créance litigieuse viole le critère de légalité de la rémunération pour copie privée réaffirmée par l'arrêt SIMAVELEC du 11 juillet 2008,
- que, sauf à violer l'autorité absolue de la chose jugée (par le Conseil d'Etat), l'ordonnance entreprise ne pouvait autoriser la SORECOP à recouvrer à son encontre une créance emportant rémunération de copies illicites,
- que la créance litigieuse est insusceptible d'être recouvrée en ce que son illicéité exclut toute qualification de rémunération légale de copie privée et la rend incertaine,
- que les griefs formés à l'encontre de la décision n°11 exposent celle-ci à un risque d'annulation, laquelle est, par principe, rétroactive,
- que la licéité, la certitude et la qualification de la créance litigieuse étant sérieusement contestées, il revenait au juge des référés de se déclarer 'incompétent',
- qu'il n'y a pas de fondement à la provision sollicitée,
- que ne constituent un tel fondement, ni l'absence de saisine du juge des référés administratif, justifiée par l'absence d'urgence, ni le caractère exécutoire de la décision n°11, qui n'exclut pas la contestation judiciaire des effets d'une décision administrative,
- que, sur le prétendu 'enrichissement sans cause' de sa part, le fait qu'elle ait ou non répercuté auprès de ses partenaires commerciaux la rémunération non payée à la SORECOP est sans incidence sur l'appréciation de l'existence d'une créance de rémunération pour cette dernière,
- que 'l'enrichissement' invoqué n'est nullement avéré et est insusceptible de fonder le droit de créance de la SORECOP,
- qu'elle est fondée à mettre en doute les facultés de restitution de la SORECOP compte tenu des sommes en jeu.
Elle demande à la Cour :
- de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- de constater que la demande de la SORECOP se heurte à de 'nombreuses et très sérieuses contestations',
- de constater qu'elle a versé à la SORECOP la somme de 544 058, 70 euros en exécution de l'ordonnance contestée sur les 1 101 197, 77 euros sollicités à titre reconventionnel par l'intimée,
A titre principal,
- d'infirmer l'ordonnance rendue par 'le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés',
- de débouter la SORECOP de sa demande de provision et de toutes autres demandes,
- d'ordonner à la SORECOP de restituer les sommes versées par elle en exécution de l'ordonnance entreprise,
A titre subsidiaire,
- de désigner tout tiers de son choix en qualité de séquestre judiciaire entre les mains duquel la SORECOP devra restituer les sommes versées par elle en exécution de l'ordonnance entreprise, ledit tiers devant conserver cette somme dans l'attente de la décision du juge du fond à intervenir,
A titre infiniment subsidiaire,
- d'ordonner à la SORECOP de constituer une garantie réelle ou personnelle portant sur le même montant que la créance litigieuse et en justifier auprès d'elle dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir,
En toute hypothèse,
- de condamner la SORECOP à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- de condamner la SORECOP aux dépens de première instance et d'appel,
- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.
PRETENTIONS ET MOYENS DE LA SORECOP :
Par dernières conclusions du 24 novembre 2010, auxquelles il convient de se reporter, la SORECOP fait valoir :
- que sa créance est non sérieusement contestable, tant en son principe qu'en son montant,
- que cette créance s'inscrit dans le cadre d'une licence légale instituée par la loi du 3 juillet 1985, désormais codifiée au CPI,
- que la créance repose sur la décision n°11, qui est exécutoire,
- que cette décision, conformément à l'arrêt du Conseil d'Etat du 11 juillet 2008, ne prend pas en compte les copies de sources illicites,
- que le montant de sa créance est établi conformément aux rémunérations fixées par la décision n°11, à partir des propres déclarations de sorties de stocks effectuées par SONY,
- que le montant de sa créance s'élève, à ce jour, sauf à parfaire, à 1 305 797, 43 euros TTC,
- que le délai dans lequel les redevables doivent s'acquitter de la rémunération est impératif ou préfixe,
- que les redevances dont il est demandé le paiement par provision, revêtent, par nature, un caractère alimentaire, et sont assimilables à un salaire différé,
- que les précédentes instances concernaient le paiement de la rémunération pour copie privée calculée sur le fondement des décisions de la Commission de l'article L. 311-5 n°8, 9 et 10, non concernées par la présente procédure,
- que tous les juges des référés de Paris , Nanterre, Evry, saisis dans un contexte identique, ont estimé que l'identité des tarifs ne suffisait pas à démontrer la persistance du mode de calcul ancien,
- que le recours exercé devant le Conseil d'Etat est sans incidence sur le présent débat, l'appréciation de la légalité de la décision n°11 ne relevant pas de la compétence du juge des référés mais du juge administratif,
- qu'à défaut d'annulation prononcée par le Conseil d'Etat ou de suspension d'exécution ordonnée par le juge des référés administratif, la décision n°11 est pleinement exécutoire,
- à titre informatif, que la décision n°11 est régulière,
. que la Commission de l'article L. 311-5 est un organisme administratif indépendant sous contrôle de l'Etat,
.que les taux de rémunération pour copie privée ont été fixés par ladite Commission dans sa décision n°11, en ne prenant en compte que les seules pratiques de copie de sources licites,
. que ces taux de rémunération ont été fixés dans ladite décision après études et négociations,
- que le refus de SONY de payer une rémunération qu'elle a pourtant répercutée auprès de ses partenaires commerciaux depuis près de deux ans, serait source d'un enrichissement sans cause s'il n'y était mis fin,
- que les demandes de mise en place d'un séquestre judiciaire ou de 'constitution préalable de garantie' ne se justifient nullement, alors que l'importance des flux économiques dont elle assure la gestion lui permet incontestablement de restituer la somme en cause.
Elle demande à la Cour :
- de déclarer la société SONY irrecevable et, en tout cas, mal fondée en son appel,
- de confirmer l'ordonnance entreprise, sauf à actualiser le montant de sa créance,
- de condamner SONY à lui payer, par provision, la somme de 1 305 797, 43 euros TTC, sauf à parfaire, en deniers ou quittances, pour la période allant du mois de janvier 2009 au mois d'août 2010,
- de condamner SONY à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
- de débouter SONY de toutes demandes contraires,
- de condamner SONY aux entiers dépens,
- de lui accorder le bénéfice des dispositions de l'article 699 du CPC.
Il n'a pas été demandé de note en délibéré aux parties.
SUR QUOI, LA COUR
Considérant qu'en vertu de l'article 809, alinéa 2, du CPC, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés - présentement saisi et qui n'est pas le 'président statuant en la forme des référés - peut accorder une provision au créancier ;
Considérant que la SORECOP fonde la créance litigieuse sur la décision n°11 de la Commission de l'article L. 311-5, fixant les barèmes de la rémunération pour copie privée due pour les supports en cause ;
Considérant que l'exception d'illégalité invoquée à l'encontre d'une décision administrative peut constituer une contestation sérieuse, faisant obstacle aux pouvoirs du juge des référés, s'il existe un doute sérieux sur la légalité de ladite décision ;
Considérant que l'engagement, par SONY, d'un recours en annulation de cette décision n°11 devant la juridiction administrative n'est pas suffisant pour créer le doute sérieux sur la légalité de celle-ci ;
Considérant que la régularité formelle de ladite décision n'est pas contestée ;
Considérant que la similitude des barèmes fixés par cette décision avec les barèmes antérieurs, censurés par le Conseil d'Etat dans son arrêt du 11 juillet 2008, ne permet pas, à elle seule, de créer un doute sérieux sur la légalité de la décision ;
Que, s'agissant des autres griefs formulés par SONY tenant à la prétendue violation, par cette même décision n°11, du cadre légal de la rémunération pour copie privée, l'appelante se borne à exposer, de façon sommaire, devant la Cour, les moyens d'illégalité exprimés dans son recours devant le Conseil d'Etat, sans mettre en exergue le doute sérieux qui pourrait en résulter quant à la légalité de la décision ;
Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise, sauf à l'actualiser sur le montant de la provision -les sommes réclamées à ce titre par la SORECOP n'étant, par ailleurs, pas contestées-, y compris en ce qu'elle a rejeté, par des motifs pertinents que la Cour adopte, les demandes de séquestre judiciaire et constitution de garantie, formées par SONY ;
Considérant qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SORECOP les frais irrépétibles que celle-ci a exposés pour la présente instance ;
Considérant que SONY, qui succombe, devra supporter les dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme l'ordonnance entreprise, sauf à l'actualiser sur le montant de la provision,
Condamne la société SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB, société de droit suédois, à payer, en deniers ou quittances, à la SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE - SORECOP- , société civile, la somme provisionnelle de 1 305 797, 43 euros, au titre de la période allant du mois de janvier 2009 au mois d'août 2010,
Y ajoutant,
Condamne la société SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB, société de droit suédois, à payer à la SOCIÉTÉ POUR LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVÉE SONORE - SORECOP- , société civile, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
Condamne la société SONY ERICSSON MOBILE COMMUNICATIONS AB, société de droit suédois, aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.