Cass. 2e civ., 3 février 2022, n° 20-20.355
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Jollec
Avocats :
SCP Célice, Texidor, Périer, Me Le Prado
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 23 juillet 2020), sur le fondement d'un jugement du 11 décembre 2014, le Crédit foncier de France (la banque) a fait délivrer à M. [Z] et Mme [L], le 3 août 2015, un commandement de payer valant saisie immobilière sur un bien immobilier leur appartenant. Ce commandement a été publié le 22 septembre 2015.
2. Le 12 octobre 2015, un notaire a adressé à la banque une lettre indiquant que M. [Z] et Mme [L] envisageaient de vendre l'immeuble saisi et a sollicité de la banque qu'elle l'informe du montant de sa créance. Le 2 novembre 2015, M. [Z] s'est personnellement adressé à la banque pour connaître le montant actualisé de sa créance et obtenir son accord en vue de procéder à la vente amiable du bien saisi.
3. La banque a indiqué, par lettre du 6 novembre 2015, ne pas s'opposer sur le principe à la vente amiable du bien.
4. Le 20 novembre 2015, la banque a assigné M. [Z] et Mme [L] à une audience d'orientation.
5. Par un jugement du 26 juillet 2016, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à une certaine somme et autorisé M. [Z] et Mme [L] à vendre amiablement leur bien.
6. Le 15 mai 2017, le juge de l'exécution a constaté l'absence de réalisation de la vente au prix déterminé par la juridiction et a fixé la date de la vente forcée au 14 novembre 2017.
7. Reprochant à la banque d'avoir compromis la réalisation d'une vente amiable d'un prix supérieur au prix d'adjudication, M. [Z] et Mme [L] ont assigné la banque en réparation de leur préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le Crédit foncier de France fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [Z] et à Mme [L] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que tout créancier poursuivant est libre de déterminer les modalités de recouvrement de sa créance et d'exercer les droits dont il dispose dans le cadre de la procédure de saisie immobilière selon ce qu'il estime être le plus conforme à ses intérêts ; que le créancier ayant initié une procédure de saisie ne saurait par conséquent voir sa responsabilité engagée à l'égard de son propre débiteur pour avoir refusé de consentir à la vente amiable du bien saisi ou pour ne pas avoir accédé suffisamment tôt à la demande du débiteur tendant à être autorisé à procéder à cette vente, motif pris qu'il en allait de son intérêt ou de l'intérêt de son débiteur ; qu'en jugeant cependant que le Crédit Foncier de France avait commis une « faute de négligence » en ne répondant pas avec suffisamment de célérité aux courriers par lesquels le notaire des époux [Z] avait sollicité son accord afin qu'il soit procédé à la vente amiable du bien dont il avait entrepris la saisie, au motif qu'un tel retard était de nature à dissuader l'acquéreur avec lequel les époux [Z] étaient en négociation, la cour d'appel a violé l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, ensemble les articles L. 111-1 et L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 111-1, L. 111-7 et L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution :
9. Selon les deux premiers de ces textes, tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard. Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance. L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.
10. Aux termes de l'article L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution, l'acte de saisie rend l'immeuble indisponible.
11. Selon les articles R. 322-15, R. 322-17 et R. 322-20 du code des procédures civiles d'exécution, le débiteur saisi peut demander au juge de l'exécution l'autorisation de vendre amiablement le bien, y compris avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation.
12. Il en résulte que, après avoir délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, le créancier poursuivant ne peut, sauf abus de saisie, voir sa responsabilité engagée à raison de ce qu'il aurait tardé à répondre, avant le jugement d'orientation autorisant la vente amiable, à une sollicitation du débiteur saisi tendant à l'autoriser à vendre amiablement le bien saisi.
13. Pour condamner la banque à payer à M. [Z] et Mme [L] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient, d'une part, que la banque prétendant ne pas avoir reçu le courrier du 21 septembre 2015, le délai pris pour y répondre n'est pas admissible, le retard pris étant de nature à décourager l'acheteur, d'autre part, que même si le prix n'était pas mentionné dans les lettres du notaire, la banque pouvait subordonner son accord à la mise en vente au prix qu'il lui appartenait de fixer et qu'enfin, le fait qu'elle était en droit de refuser la vente amiable et qu'une procédure de saisie rendait le bien indisponible n'expliquent pas sa négligence.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe 12 que la banque n'a pas commis de faute en répondant tardivement à la proposition de vente amiable des débiteurs saisis. Le jugement du 23 mai 2018 doit donc être confirmé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 23 mai 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris.