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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 11 septembre 2012, n° 12/01549

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association UNION NATIONALE DES ADMR, NOUVELLE SOCIETE DE SERVICES INFORMATIQUES ADMR (SAS)

Défendeur :

FEDERATION DEPARTEMENTALE DES ASSOCIATIONS ADMR DE Haute Loire

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BOURQUARD

Conseillers :

Mme TAILLANDIER-THOMAS, Mme MAUNAND

Avocats :

Me TEYTAUD, Me BODIN CASALIS, SELARL FOURMANN & PEUCHOT

TGI Paris, du 10 janv. 2012

10 janvier 2012

L'ADMR est un réseau d'associations de service à domicile qui dispose d'une représentation sur le territoire national. Au niveau des communes, il y a des associations locales qui gèrent sur leur territoire le service d'aide à domicile. Au niveau départemental, il existe des fédérations qui ont pour but de fédérer les associations ADMR locales, d'apporter un soutien technique à celles-ci, d'effectuer pour leur compte des travaux administratifs et comptables et de veiller au bon respect des statuts, du règlement intérieur et des engagements de l'union nationale. Au niveau national, l'Union Nationale donne une impulsion d'ensemble.

La société NOUVELLE SOCIETE DE SERVICES INFORMATIQUES (NSI) a été créée par l'Union Nationale ADMR pour prendre en charge la totalité de la fonction informatique.

A compter du mois de décembre 2005, la fédération ADMR de Haute Loire a souscrit une licence d'utilisation du logiciel Colibri concédée par NSI en sa qualité de distributeur de la solution applicative, l'Union nationale étant titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel.

La Fédération a souhaité s'équiper d'une solution de gestion de planning dénommée Call Map éditée par la société MEDIAROM différente de celle proposée par NSI appelée PHILIA.

Elle a sollicité de NSI la possibilité d'interfacer les deux applications Colibri et Call Map par lettre du 22 mars 2011 réitérée par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 mai 2011. Elle demandait en outre les codes d'accès à la base de données Colibri et le modèle conceptuel de données Colibri.

La société NSI a refusé de communiquer le code source du logiciel.

Une nouvelle lettre a été adressée le 6 juin 2011 au titulaire des droits de propriété intellectuelle sur Colibri.

En l'absence de réponse, la Fédération ADMR de Haute Loire a fait assigner l'Union Nationale ADMR et NSI au visa des articles L122-6 IV et L 331-5 alinéa 4 du code de la propriété intellectuelle aux fins d'obtenir la communication de ces éléments sous astreinte ainsi que les numéros de porte réseau devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance du 10 janvier 2012 , a ordonné une mesure d'instruction avec mission de se faire remettre les documents afin de permettre la communication des informations permettant l'interopérabilité du logiciel colibri à savoir le modèle conceptuel et les codes d'accès à la base de données et les numéros de porte réseau, rejeté la demande de dommages intérêts pour procédure abusive présentée par les défenderesses et condamné celles-ci à payer à la demanderesse la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'Union Nationale ADMR et la société NSI, appelantes, par conclusions du 12 juin 2012 , demandent à la cour de réformer la décision, de dire qu'elle se heurte au respect des droits de propriété intellectuelle de l'UNADMR, de constater l'existence d'une contestation sérieuse. A titre subsidiaire, elles souhaitent voir dire la demande infondée et inutile et que la réalisation d'une interface répond à l'objectif d'interopérabilité souhaité par la fédération et que cette interface repose sur la coopération des deux éditeurs qui répond à une procédure particulière. Elles sollicitent la condamnation de leur adversaire à leur payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et celle de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée, par conclusions du 8 juin 2012 , sollicite la confirmation de l'ordonnance et maintient ses demandes de première instance. Elle ajoute une demande de condamnation de chacune des appelantes à lui verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

SUR CE, LA COUR

Considérant que l'Union nationale considère que la fédération sollicite la communication d'éléments protégés par le droit d'auteur pour lesquels elle ne dispose pas du droit d'auteur ; que les appelantes déclarent s'opposer à la demande dès lors qu'elles estiment que ces éléments ne sont pas nécessaires à la réalisation d'une interface permettant l'intégration des logiciels ; qu'elles estiment que la demande excède ce qui est prévu par l'article L 122-6 alinéa IV du code de la propriété intellectuelle ; qu'elles objectent du caractère non nécessaire des éléments demandés ; qu'en outre, elles craignent pour la sécurité du système d'information ; qu'elles soulignent que le document donné en cours d'expertise aurait permis de réaliser l'interface et que la procédure aurait été évitée ce qui justifie leur demande de dommages intérêts pour procédure abusive ;

Considérant que la fédération intimée rappelle avoir fait une démarche amiable auprès de ses adversaires ; qu'elle soutient avoir le droit à ces informations en vertu du texte précité qu'elle est légitime en sa demande d'interopérabilité ; qu'elle ajoute que les parties adverses l'ont admis en cours d'expertise et que la mesure d'expertise est justifiée alors même que seul l'expert peut déterminer les données nécessaires à l'interopérabilité ; qu'elle considère que le refus des appelantes est sans fondement et abusif ;

Considérant que la fédération de Haute Loire entend agir sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile qui prévoit que le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s 'agit d'une obligation de faire ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'Union Nationale ADMR dispose des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel Colibri et que la fédération ADMR de Haute Loire souhaite utiliser un autre logiciel que PHILIA dont se sert l'Union nationale pour gérer les plannings des interventions ; qu'elle entend recourir à un logiciel proposé par MEDIAROM et que, pour ce faire, il est nécessaire de disposer de données du logiciel de Colibri pour permettre l'interopérabilité ;

Considérant que l'article L 122-6-1 IV du code de la propriété intellectuelle dispose que ' la reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1° ou du 2° de l'article L 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :

1° ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;

2° les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1° ;

3° et ces actes sont limités aux parties du logiciel nécessaires à cette interopérabilité' ;

Considérant que le V de ce même article précise que l'article ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel et de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes d' l'auteur ;

Considérant que les appelantes craignent pour la sécurité du réseau ;

Considérant toutefois que les appelantes produisent un procès-verbal d'huissier en date du 11 juin 2012 qui ferait état de l'existence d'un accès internet distinct de la part de la fédération de Haute Loire qui ne passerait pas par le filtre firewall de la société NSI ; que cet élément unique et non contradictoire est insuffisant à établir que l'interopérabilité du logiciel Colibri avec le logiciel Call Map entraînerait nécessairement un risque pour la sécurité du réseau de l'Union nationale alors que la fédération de Haute Loire qui en fait aussi partie a un intérêt identique à sauvegarder la sécurité du réseau et que manifestement si l'on prend en compte le procès-verbal susvisé, le problème de sécurité existe déjà et qu'il n'est pas démontré que cette possibilité d'un accès internet distinct en dehors du firewall de la société NSI ne soit pas généralisée à d'autres fédérations et soit le seul fait de la fédération de haute Loire ;

Considérant que la fédération de Haute Loire a le droit d'utiliser le logiciel Colibri, le droit de ne pas trouver satisfaisant le logiciel Philia destiné à la gestion des plannings et souhaiter recourir à un autre logiciel, Call Map qui n'est pas soupçonné de porter une atteinte à Colibri ; que, pour ce faire, elle a besoin des informations nécessaires à l'interopérabilité ;

Considérant que l'interopérabilité est, selon la définition de la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, désormais codifiée par la directive 2009/24/CE du parlement et du Conseil du 23 avril 2009, la capacité d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement les informations échangées ;

Considérant que pour ce faire, il ne peut être sollicité que les actes nécessaires pour l'utilisation du programme et notamment la décompilation du programme (retour du code 'objet' au code source) à des fins d'interopérabilité c'est-à-dire afin de permettre le fonctionnement du programme avec d'autres ; que cette opération ne peut intervenir que si les sources n'ont pas été spontanément fournies par le titulaire des droits d'auteur, l'acte de décompilation doit être limité aux parties du programme nécessaire à l'interopérabilité et les informations ainsi obtenues ne doivent pas être réutilisées sous leur forme initiale ;

Considérant que la fédération de Haute Loire a sollicité la communication du numéro porte réseau permettant un accès au VPN correspondant, les codes d'accès à la base de données Colibri et le modèle conceptuel de données Colibri ;

Considérant qu'elle a mis en demeure le 10 mai 2011 la société NSI et n'a pas obtenu gain de cause ;

Considérant dès lors que les deux premières conditions de l'article L 122-6-1 IV sont réunies ;

Considérant que devant la cour, l'Union nationale et la société NSI déclarent ne pas s'opposer au principe de l'interopérabilité mais seulement à la communication des éléments qui leur sont demandés, ces éléments n'étant pas nécessaires selon elles à la réalisation d'une interface permettant l'intégration des logiciels ;

Considérant toutefois que l'obligation de fournir les éléments nécessaires à permettre l'interopérabilité n'est pas sérieusement contestable ;

Considérant que le premier juge a ordonné une mesure d'instruction confiée à un expert avec la mission de se faire remettre les documents nécessaires à sa mission qui est de permettre la communication par l'Union Nationale à la fédération ADMR de Haute Loire des informations permettant l'interopérabilité à savoir le modèle conceptuel, et les codes d'accès à la base de données et par la société NSI des numéros de prote réseau VPN ;

Considérant qu'une telle mesure est de nature à garantir les droits de chacune des parties en respectant les prescriptions du texte ; que la mesure doit être confirmée ; que toutefois l'étendue de la mission peut être modifiée au vu des éléments versés aux débats ;

Considérant en effet qu'il convient d'ajouter dans le corps de la mission, le fait pour l'expert de dire si les données réclamées sont nécessaires à la mise en place de l'interopérabilité et uniquement celles utiles de façon à limiter la reproduction des données du logiciel ;

Considérant dès lors que l'expert dira si la réclamation portant sur le code d'accès à la base des données et la communication des numéros de port réseau VPN sont indispensables et précisera si la communication du modèle conceptuel tel que demandée est nécessaire au vu du document établi par MEDIAROM éditeur du logiciel Call Map le 11 mai 2012 et si la liste des données et protocoles décrits dans ce document suffit pour satisfaire à la mise en oeuvre de l'interopérabilité ;

Considérant qu'il conviendra d'ajouter à la mission de l'expert après avoir eu communication des éléments techniques nécessaires à la mission et à la réalisation de l'interface, de proposer les mesures propres à assurer la sécurité du réseau lors de la mise en place de l'interopérabilité et de donner son avis sur la proposition de Web service faite par la société MEDIAROM ;

Considérant que sauf à compléter la mission comme indiquée ci-dessus, l'ordonnance entreprise est confirmée ;

Considérant que les appelantes ne peuvent prétendre de ce fait à l'allocation de dommages intérêts pour procédure abusive de la part de leur adversaire ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande de l'une quelconque des parties sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Considérant que les circonstances du litige justifient que chacune des parties conserve la charge de ses dépens ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise ;

Y ajoutant,

Complète la mission de l'expert comme suit :

Dire si les données réclamées sont nécessaires à la mise en place de l'interopérabilité et uniquement celles utiles de façon à limiter la reproduction des données du logiciel ;

Préciser notamment si la réclamation portant sur le code d'accès à la base des données et la communication des numéros de port réseau VPN sont indispensables et si, au vu du document établi par MEDIAROM éditeur du logiciel Call Maple 11 mai 2012 , la liste des données et protocoles décrits dans ce document suffit pour satisfaire à la mise en oeuvre de l'interopérabilité ;

Indiquer, après avoir eu communication des éléments techniques nécessaires à la mission et à la réalisation de l'interface, les mesures propres à assurer la sécurité du réseau lors de la mise en place de l'interopérabilité et de donner son avis sur la proposition de Web service faite par la société MEDIAROM ;

Rejette toute autre demande des parties ;

Rejette toute demande des parties présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisse à chacune des parties, la charge de ses dépens.