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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 28 mai 2013

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

NIERLE MEDIA GMBH &CO. KG (Sté)

Défendeur :

SOCIÉTÉ POUR LA PERCEPTION DE LA RÉMUNÉRATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BOURQUARD

Conseillers :

Mme TAILLANDIER-THOMAS, Mme MAUNAND

TGI PARIS, du 19 oct. 2012

19 octobre 2012

La société de droit allemand NIERLE MEDIA GmbH & Co. KG (NIERLE) exploite un site internet à l'adresse www.nierle.com sur lequel sont proposés à la vente des supports d'enregistrement vierges éligibles à la rémunération pour copie privée. Ce site s'adresse notamment à des consommateurs français.

La société POUR LA PERCEPTION DE LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE dite COPIE FRANCE a fait assigner la société NIERLE aux fins de lui voir ordonner de communiquer sous astreinte l'ensemble des déclarations mensuelles de sorties de stocks comportant les quantités vendues chaque mois à des clients résidant en France depuis le début de son activité pour chacune des catégories de supports vierges d'enregistrement assujettis à la rémunération pour copie privée devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris qui, par ordonnance du 19 octobre 2012 a fait droit à la demande imposant la communication dans un délai de deux mois au delà duquel une astreinte de 1.000 euros par jour de retard courrait, s'est réservé la liquidation de l'astreinte et a condamné la société NIERLE à payer à COPIE FRANCE la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société NIERLE, appelante, par conclusions du 16 avril 2013 , demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise dès lors que l'action de COPIE FRANCE est irrecevable, à titre subsidiaire, est non fondée, à titre plus subsidiaire en ce qu'elle n'a pas reconnu son impossibilité à faire face à la demande, à titre infiniment subsidiaire, la confirmer en ce qu'elle a reconnu la non-rétroactivité de l'arrêt OPUS SUPPLIES du 16 juin 2011 et ne pas la condamner pour la période antérieure à cette date. Elle sollicite la condamnation de l'intimée à lui régler la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société COPIE FRANCE, par conclusions du 15 avril 2013 , souhaite voir la cour confirmer l'ordonnance en précisant la liste telle qu'indiquée dans le dispositif de ses conclusions et en disant que la période concernée est celle à compter du 16 juin 2011 jusqu'au prononcé de l'arrêt. Elle réclame la condamnation de l'appelante à lui régler la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

SUR CE, LA COUR

Considérant que la société NIERLE estime que l'action engagée par son adversaire est irrecevable dès lors qu'elle n'entre pas dans le champ des personnes énumérées à l'article L 311-4 du code de la propriété intellectuelle ; qu'elle ajoute que la Cour de cassation a indiqué que les sociétés de vente à distance domiciliées dans un autre Etat membre de l'Union Européenne ne revêtent pas l'une des qualités visées dans le texte précité et ne sont donc pas redevables de la rémunération pour copie privée ; qu'elle considère que l'arrêt de la CJUE du 16 juin 2011 ne met pas directement à la charge des vendeurs professionnels d'équipements, d'appareils ou de supports de reproduction établis dans un autre Etat membre que celui dans laquelle résident les acheteurs une quelconque obligation de paiement de la rémunération dite de copie privée ; qu'elle ajoute que ce n'est qu'en cas d'impossibilité d'assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs que la CJUE a enjoint aux juridictions des Etats membres d'interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès du débiteur agissant en qualité de commerçant ; qu'elle estime qu'il n'est pas établi que COPIE FRANCE soit dans l'impossibilité d'assurer la perception de la compensation auprès des acheteurs et qu'elle ne l'a pas perçue auprès des acheteurs ; qu'elle ajoute que les juridictions néerlandaises n'ont pas statué de la même façon ;

Considérant qu'elle soutient que la COPIE FRANCE ne dispose pas d'un intérêt légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que la société NIERLE n'a pas les qualités nécessaires pour être mise en cause dans le cadre d'une affaire principale ; qu'au surplus, la demande de COPIE ne s'inscrit pas dans la préparation d'un procès futur dès lors que la demande vise à la contraindre à se soumettre aux prescriptions de l'article 6 de la décision du 30 juin 1986 de la Commission instituée par l'article L 331-5 du code de la propriété intellectuelle et que les demandes de COPIE FRANCE auraient donc du être appréciées au regard de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Considérant qu'elle ajoute que la mesure sollicitée n'entre pas dans le champ des mesures de l'article 145 du code de procédure civile ; que la demande ne porte pas sur une mesure d'instruction ;

Considérant qu'au surplus, elle indique ne pas être en mesure de communiquer les documents relatant les ventes effectuées ;

Considérant enfin qu'elle soutient que la demande ne peut porter que sur la période postérieure à l'arrêt de la CJUE du 16 juin 2011 qui a modifié sa situation juridique ;

Considérant que la société COPIE PRIVEE se fonde sur l'arrêt de la CJUE du 16 juin 2011 pour solliciter les informations, objets de la procédure rappelant que la rémunération privée pour la copie privée revêt un caractère alimentaire pour ses ayants droit ; qu'elle rappelle que l'objet de la procédure n'est pas de dire si la société NIERLE est effectivement redevable de la rémunération pour copie privée mais d'obtenir la communication de pièces nécessaires dans le cadre du litige ultérieur ; qu'elle ajoute que la seule circonstance que le vendeur professionnel soit établi dans un autre Etat membre est indifférent au regard de l'obligation de résultat relative à la compensation équitable que doivent recevoir les ayants droit, que les autorités juridictionnelles doivent rechercher la perception de cette compensation auprès du vendeur qui a contribué aux importations des supports en les mettant à la disposition des utilisateurs finaux ;

Considérant qu'elle estime disposer d'un motif légitime de solliciter les pièces réclamées rappelant qu'elle ne dispose d'aucune prérogative exorbitante du droit commun pour obtenir de telles informations ;

Considérant que la demande de communication de pièces présentée par la société COPIE FRANCE est fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile ;

Considérant qu'aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ;

Que lorsqu'il statue en référé sur le fondement de ce texte, le juge n'est pas soumis aux conditions imposées par l'article 808 du code de procédure civile, qu'il n'a notamment pas à rechercher s'il y a urgence, que l'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre de la mesure sollicitée, l'application de cet article n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé ;

Que l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui ;

Considérant que l'action de la société COPIE FRANCE ne doit donc pas être manifestement vouée à l'échec ; qu'en l'espèce, la société NIERLE conteste sa recevabilité à agir sur le fondement de l'article L311-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que ce texte dispose que la rémunération pour copie privée est versée par le fabricant, l'importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intracommunautaires au sens du 3° de l'article 256 bis du code général des impôts, de supports d'enregistrement utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports ;

Considérant que la société NIERLE estime qu'elle n'est pas importatrice, cette qualité revenant au consommateur final ;

Considérant toutefois que la Cour de Justice de l'Union Européenne, dans un arrêt du 16 juin 2011, a dit que :

- en cas de contrat négocié à distance entre un acheteur et un vendeur professionnel d'équipements, d'appareils ou de supports de reproduction qui sont établis dans des Etats membres différents, la directive 2001/29 impose une interprétation du droit national permettant la perception de la compensation équitable auprès d'un débiteur agissant en qualité de commerçant ;

- l'article 5 paragraphe 5 de la directive 2001/29 qui énonce les conditions cumulatives d'application, notamment, de l'exception de copie privée, ne comporte comme tel pas d'indication spécifique de nature à permettre une interprétation particulière en ce qui concerne la personne à considérer comme le débiteur de la compensation équitable due aux auteurs au titre de l'exception de copie privée dans le cadre d'un contrat à distance ;

- que le neuvième considérant de la directive 2001/29 démontre que le législateur a souhaité un haut niveau de protection du droit d'auteur et des droits voisins car ceux-ci sont essentiels à la création intellectuelle ; que leur protection contribue au maintien et au développement de la créativité dans l'intérêt des auteurs, des interprètes ou exécutants, des producteurs, des consommateurs, de la culture, des entreprises et du public en général ; que, selon le dixième considérant, les auteurs, interprètes ou exécutants, pour pouvoir poursuivre leur travail créatif et artistique doivent obtenir une rémunération appropriée pour l'utilisation de leurs oeuvres ;

- qu'il ressort de l'article 5 paragraphe 2 sous b) ainsi que du trente cinquième considérant que, dans les ETATS membres ayant introduit l'exception de copie privée, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l'utilisation de leurs oeuvres faite sans consentement ;

- que de telles dispositions imposent alors à l'Etat membre une obligation de résultat et celui-ci est tenu d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la perception effective de la compensation équitable ;

- qu'il incombe aux utilisateurs finaux qui réalisent pour leur usage privé, la reproduction d'une oeuvre protégée sans solliciter l'autorisation préalable du titulaire des droits, et donc qui lui cause un préjudice, de le réparer, que ce préjudice est présumé être né sur le territoire de l'Etat membre dans lequel résident les utilisateurs finaux ;

- que, toutefois, il s'avère en pratique impossible de percevoir une telle compensation auprès des utilisateurs finaux ;

- que dès lors, au vu de l'article 5 paragraphe 2 sous b) et 5, il y a lieu d'interpréter la directive en ce sens qu'il incombe à l'Etat membre qui a institué un système de redevance pour copie privée à la charge du fabricant ou de l'importateur de supports de reproduction d'oeuvres protégées et sur le territoire duquel se produit le préjudice causé aux auteurs par l'utilisation à des fins privées de leurs oeuvres par les acheteurs qui y résident, de garantir que ces auteurs reçoivent effectivement la compensation équitable destinée à les indemniser de ce préjudice ;que le fait que le vendeur professionnel d'équipements, d'appareils ou de supports de reproduction soit établi dans un Etat membre autre que celui dans lequel résident les acheteurs demeure sans incidence sur cette obligation de résultat ; qu'il appartient à la juridiction nationale en cas d'impossibilité d'assurer la perception de la compensation équitable auprès des acheteurs, d'interpréter le droit national afin de permettre la perception de cette compensation auprès d'un débiteur agissant en qualité de commerçant ;

Considérant qu'il se déduit de cette décision que la mise en cause de la société NIERLE, commerçant professionnel diffusant ses produits auprès d'acheteurs résidant sur le territoire français soit dans un autre Etat membre ayant introduit l'exception de copie privée et tenu de ce chef d'une obligation de résultat afin d'assurer la perception effective de la compensation équitable n'est pas manifestement vouée à l'échec à raison d'un défaut de qualité ou d'intérêt de la société NIERLE dans le cadre de la procédure susceptible d'être engagée par la société COPIE FRANCE en vue de la perception de cette compensation ; qu'il s'ensuit que la demande de cette dernière à l'encontre de la société NIERLE ne saurait être déclarée irrecevable ;

Considérant qu'au surplus, la société COPIE FRANCE établit par la production d'un procès-verbal de constat en date du 4 octobre 2011 que la société NIERLE propose à la vente par le biais de son site internet des produits susceptibles d'être éligibles à la rémunération pour copie privée, que les pages de ce site sont proposées automatiquement en langue française et qu'il est possible d'acquérir un produit qui est livré en France ;

Considérant qu'il appartiendra donc postérieurement aux juges du fond de déterminer si la société NIERLE est effectivement la débitrice de cette compensation équitable compte tenu de l'impossibilité éventuelle de déterminer les consommateurs finaux et de connaître les perceptions déjà réalisées ;

Considérant que la société COPIE FRANCE réclame la communication de l'ensemble des déclarations mensuelles de sorties de stocks comportant les quantités vendues chaque mois à des clients résidant en France pour chacune des catégories de supports vierges d'enregistrement assujettis à la rémunération pour copie privée ;

Considérant qu'il convient de relever que, si la société COPIE FRANCE formait cette demande en première instance à compter du début de l'activité de la société NIERLE, elle a, en cause d'appel, indiqué ne présenter cette demande qu'à compter du 16 juin 2011, date de l'arrêt de la CJUE précité ; qu'il convient de relever, au demeurant, que le premier juge avait limité la communication autorisée à la période postérieure au 16 juin 2011 ;

Considérant que la société COPIE FRANCE peut intenter son action sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et n'était pas tenue d'agir sur celui de l'article 809 alinéa 2 comme le prétend la société NIERLE qui considère que la demande au vu de l'article 331-5 du code de la propriété intellectuelle constitue une obligation de faire, au demeurant sérieusement contestable, qui ne pouvait relever que de ce dernier texte ; que d'une part, la partie demanderesse a le choix de la procédure qu'elle engage sous réserve que sa demande remplisse les conditions du texte et que l'article 809 du code de procédure civile n'exclut pas la possibilité d'agir sur le fondement de l'article 145 du même code ; que d'autre part, l'existence d'une contestation sérieuse ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que son application n'implique aucun préjugé sur la responsabilité des personnes appelées ultérieurement à la procédure ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ensuite engagé ;

Considérant, par ailleurs, que contrairement à ce que soutient la société NIERLE, les mesures susceptibles d'être ordonnées par le juge des référés en application de l'article 145 du code de procédure civile ne se limitent pas à celles visées aux articles 232 à 284-1 du même code ;

Considérant qu'en effet, le motif légitime requis par le texte n'est pas seulement celui destiné à permettre la conservation de preuves mais aussi celui de nature à permettre d'obtenir des pièces en vue du procès futur ; qu'il s'ensuit que la demande de production de pièces présentée par la société COPIE FRANCE qui a pour but de lui permettre dans le cadre de la demande en paiement de la compensation équitable qu'elle est tenue de collecter et dont le bien fondé sera apprécié par les juges du fond, d'obtenir les éléments lui permettant de quantifier sa créance éventuelle, constitue une mesure in futurum autorisée par le texte ;

Considérant en conséquence, que la société COPIE FRANCE qui est tenue d'une obligation de résultat relativement à la compensation équitable due aux auteurs, a un motif légitime d'obtenir de la société NIERLE un état des sorties des stocks des produits éligibles à la rémunération pour copie privée ;

Considérant que la société NIERLE déclare ne pas avoir la possibilité de fournir cet état eu égard à un piratage informatique dont elle a été victime ;

Considérant qu'elle produit la plainte déposée le 11 janvier 2012 faisant état d'un sabotage et d'attaques contre son serveur ; qu'elle fournit deux attestations de salariés qui ne répondent pas aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile dès lors qu'elles sont dactylographiées et qu'au surplus, elles sont rédigées de manière rigoureusement identiques ; qu'elles ne peuvent donc être admises par la cour ;

Considérant qu'il ne résulte pas du seul dépôt de plainte produit que les fichiers aient été atteints et que l'impossibilité de fournir les éléments d'information sollicités soit avérée ; que ce moyen est donc écarté ;

Considérant dès lors qu'il convient de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise sauf à dire que la période concernée postérieure au 16 juin 2011 court jusqu'au prononcé de l'arrêt et sauf à préciser les supports visés par la demande conformément à la liste fournie par l'intimée ;

Considérant que l'équité commande de faire droit à la demande de la société COPIE FRANCE présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer la somme visée au dispositif de la présente décision au paiement de laquelle la société NIERLE est condamnée ;

Considérant que la société NIERLE, succombant, ne saurait prétendre à l'allocation d'une somme au titre des frais irrépétibles et doit supporter les entiers dépens de l'instance ;

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

Dit que l'injonction vise la période postérieure au 16 juin 2011 jusqu'au présent arrêt ;

Dit que les supports concernés sont les cassettes audio, les cassettes vidéo, les minidiscs, les disquettes trois pouce et demi, les CD R et RW data, les DVD Ram, DVD R et DVD RW Data, les baladeurs Mp3 et Mp4, les décodeurs enregistreurs ou box, les clés USB non dédiées, les cartes mémoire non dédiées, les disques durs externes standard, les disques durs externes dit multimédias, les téléphones mobiles multimédias, les disques durs intégrés à des systèmes de navigation ou à des autoradios destinés à des véhicules, des tablettes tactiles multimédias

Condamne la société NIERLE MEDIA GmbH & Co au paiement de la somme de 6.000 euros à la société COPIE FRANCE ;

Rejette la demande de la société NIERLE MEDIA GmbH & Co présentée au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la société NIERLE MEDIA GmbH & Co aux entiers dépens.