ADLC, 25 mai 2023, n° 23-DCC-99
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Assistance aéronautique et aérospatiale par le groupe Daher
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 17 avril 2023, relatif à la prise de contrôle exclusif de la société Assistance aéronautique et aérospatiale, filiale du groupe éponyme, par la société Compagnie Daher, filiale du groupe Daher, formalisée par un contrat de cession du 16 décembre 2022 et son avenant du 21 janvier 2023 ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l’instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Le groupe Daher (ci-après, « Daher »), dont la société-mère est la société Coredaher, est un groupe français actif notamment dans le secteur de la construction d’avions légers et dans les services à l’industrie principalement dans le secteur aéronautique. Le groupe exerce notamment des activités dans les secteurs de la fabrication de pièces, des prestations de services techniques aéronautiques et de la logistique. Daher exploite des sites en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Canada, en Chine, en Espagne, aux États-Unis, en France, au Maroc, au Mexique, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
2. Le groupe Assistance Aéronautique et Aérospatiale (ci-après, « AAA ») est actif dans le secteur aéronautique à travers notamment la prestation de services techniques aéronautiques, l’ingénierie industrielle et la fourniture de services de maintenance. AAA est actuellement détenu par des membres de la famille [confidentiel] ainsi que Messieurs [confidentiel] et [confidentiel].
3. L’opération est matérialisée par un contrat de cession du 16 décembre 2022 et son avenant du 21 janvier 2023. À l’issue de l’opération, Daher détiendra la totalité du capital et des droits de vote d’AAA.
4. En ce qu'elle se traduit par l'acquisition du contrôle exclusif de AAA par Daher, l'opération notifiée est une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.
5. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d’affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros (Daher : [≥ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 ; AAA : [≤ 150 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021). Chacune de ces entreprises réalise en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Daher : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021 ; AAA : [≥ 50 millions] d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2021). Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. Les parties sont simultanément actives sur les marchés (i) de la fourniture de pièces pour avions, (ii) des prestations de services techniques aéronautiques, (iii) des pièces détachées et des services de maintenance (« MRO »). AAA est présent sur le marché (iv) de l’ingénierie et des études techniques et Daher sur le marché (v) des services logistiques à destination du secteur aéronautique1.
A. MARCHES DE LA FOURNITURE DE PIECES POUR AÉRONEFS
1. MARCHES DE PRODUITS
7. La Commission européenne (ci-après « la Commission ») ainsi que l’Autorité de la concurrence2 ont envisagé alternativement, en fonction du cas d’espèce, (i) une approche globale, définissant un marché de la fourniture de l’ensemble des pièces impliquées dans la fabrication d’un avion3 ou (ii) une approche par composant telles que les ailes, le fuselage, les pylônes ou les nacelles, selon laquelle chacune de ces pièces relève d’un marché spécifique4.
8. La pratique décisionnelle européenne et nationale5 a ainsi identifié ou envisagé différents marchés pour chaque composant ou sous-composant d’aérostructures. Ainsi, elle a notamment analysé les marchés de la fourniture des composants ou sous-composants cités ci-dessous :
- pour les ailes : les dispositifs mobiles de bord d’attaque fixe (leurs sous-composants, les becs et les rails des bords d’attaques), les dispositifs mobiles de bord de fuite (et leurs sous-composants, les rails de bord de fuite), les bords d’attaque, les bords de fuite, les structures secondaires d’ailes et les différents composants structurels de l’aile6 ;
- pour les nacelles : les inverseurs de poussée (et leurs sous-composants : grilles d’inverseur de poussée, déflecteurs d’inverseur de poussée, tuyaux métalliques flexibles et assemblages de conduits à haute température), les capots d’entrée d’air, les cônes ou buses d’échappement, les capots de soufflante et les attaches de réacteur ;
- pour le fuselage : les fuselages de cockpit, les fuselages avant, les fuselages centraux, les fuselages arrière et les fuselages de queue ainsi que les composants structurels des parties de fuselage7.
9. La partie notifiante considère que par analogie avec la pratique décisionnelle, il est possible d’identifier des marchés distincts, respectivement pour les carénages ventraux, les portes de train d’atterrissage et les éléments d’aménagement intérieur de la cabine, ainsi que pour chacun des éléments d’aménagement intérieur de la cabine (les systèmes d’isolation thermophoniques, les systèmes de distribution d’air, les revêtements de sols et les filets de retenue de bagage).
10. Par ailleurs, la pratique décisionnelle nationale8 a distingué, au sein du marché des aéronefs, les hélicoptères, les avions commerciaux, les avions dit « d’aviation générale »9 et les avions militaires10. Au sein des avions à usage commercial, elle a envisagé une segmentation entre les avions commerciaux de grande capacité (supérieure à 100 passagers), les avions régionaux (entre 30 et 100 passagers) et les avions d’affaires11. Elle a appliqué ces segmentations au secteur de la fourniture de pièces pour aéronef.
11. La question de la délimitation précise du marché peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangée, quelle que soit l’hypothèse retenue. En l’espèce, Daher fournit des pièces pour avions militaires, hélicoptères et avions commerciaux (grande capacité, avions régionaux et avions d’affaires). AAA fournit des pièces pour avions militaires et avions commerciaux (grande capacité et avions d’affaires). L’analyse sera donc menée à la fois sur le marché global ainsi que sur chaque marché de composants.
2. MARCHES GEOGRAPHIQUES
12. La Commission considère de manière constante que les marchés de pièces pour aéronefs sont de dimension mondiale12.
13. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de remettre en cause la délimitation géographique de ces marchés.
B. MARCHES DES PRESTATIONS DE SERVICES TECHNIQUES AERONAUTIQUES
1. MARCHES DE PRODUITS
14. Ni l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité »), ni la Commission n’ont à ce stade analysé d’opérations concernant les prestations de services techniques aéronautiques. Ces activités, également désignées par la partie notifiante sous le terme de « services industriels », consistent à assurer, pour le compte d’un constructeur d’aéronefs, un certain nombre d’étapes de production en sous-traitance, le plus souvent dans les locaux du constructeur, sur ses chaînes d’assemblage d’aéronefs. Les constructeurs font généralement appel à ces prestataires de services pour des raisons organisationnelles, des raisons de coûts ou pour gérer les fluctuations des volumes de production.
15. Si la main d’œuvre réalisant ces prestations est celle du prestataire de services, en revanche, les méthodes, le processus de production et les autres moyens mis en œuvre sont ceux du constructeur.
16. Pour ces activités, les équipes du prestataire sont assignées à la réalisation de certaines opérations, comme peuvent l’être les équipes du constructeur lui-même. Sur un même appareil, les étapes de production successives peuvent ainsi être réalisées par les équipes de différents sous-traitants et par les équipes du constructeur lui-même.
17. Les prestataires qui offrent ces services se distinguent des entreprises d’intérim dans la mesure où les contrats conclus portent sur la réalisation de tâches précises et ne se limitent pas à la mise à disposition de personnel.
a) Segmentations selon le type de service
18. La partie notifiante indique que différentes étapes de production d’un aéronef peuvent être sous- traitées. Elle distingue en particulier les prestations énumérées ci-dessous.
Le montage d’éléments d’aérostructures et de systèmes de l’avion
19. Il s’agit des prestations de montage d’éléments tels que les ailes, le fuselage, l’empennage ou le carénage ventral13 intervenant lors des phases de pré-assemblage (« pré-FAL » pour « Pre- Final Assembly Line ») ou d’assemblage final (« FAL » pour « Final Assembly Line ») de l’avion.
L’aménagement commercial
20. Il s’agit des prestations de montage incluant l’installation de la cabine et des équipements associés tels que les sièges, les moquettes, les panneaux d’habillage et les matelas d’isolation sous les « couleurs » de la compagnie aérienne cliente du constructeur14.
Le montage des moteurs et des équipements majeurs
21. Il s’agit des prestations de montage des moteurs et des équipements majeurs tels que les trains d’atterrissage et l’intégration des systèmes mécaniques et électriques de l’avion.
Les travaux de piste
22. Ces travaux de piste interviennent postérieurement à l’assemblage final de l’avion. Il s’agit de préparer l’aéronef aux vols d’essai (remplissage de carburant, alimentation électrique, nettoyage, tractage, etc.), puis à sa livraison au client.
Les travaux de parachèvement (« OSW »)
23. Tout au long du processus de production de l’avion, les activités de parachèvement (ou « outstanding work », ci-après « OSW ») consistent en des prestations de finition ou de correction du montage (défaut du montage, pièce manquante, etc.) qui sont réalisées en dehors de la chaîne de montage par une équipe distincte de celle de la chaîne de montage, afin de ne pas ralentir la production15.
24. La partie notifiante considère qu’il n’est pas nécessaire de distinguer les différentes activités précitées au sein du marché des prestations de services techniques aéronautiques, dans la mesure où selon elle, les équipes présentes sur un service donné peuvent être aisément redéployées sur un autre service. La partie notifiante précise toutefois qu’une telle réaffectation n’est possible qu’à la condition « de passer en interne les qualifications Airbus requises ».
25. L’Autorité a mené un test de marché auprès des principaux clients et concurrents des parties. Il en ressort tout d’abord, pour désigner ces prestations qui consistent en la sous-traitance d’étapes de production, plusieurs termes semblent pouvoir être utilisés, en plus du terme de « services industriels » retenu par la partie notifiante. Les termes de « sous-traitance de prestations techniques », « prestations de services techniques et aéronautiques » et dans une moindre mesure celui « d’assistance technique », désignent également les mêmes prestations. Le terme de « prestations de services techniques aéronautiques » sera retenu pour les besoins de la présente de décision.
26. S’agissant en deuxième lieu du périmètre des prestations contenues dans ce marché, le test de marché confirme que les services présentés aux paragraphes 18 à 23 de la présente décision relèvent du marché des prestations de services techniques aéronautiques.
27. Toutefois, deux répondants considèrent que l’activité consistant à reconditionner ou à convertir des aéronefs devrait également être intégrée au sein de ce marché. Cette activité consiste à remettre l'appareil aux couleurs d'une nouvelle compagnie aérienne. Ces chantiers peuvent être sollicités par les constructeurs, contraints de réaliser la reconversion d’un aéronef avant même l’achèvement de sa construction, dans l’hypothèse d’une annulation tardive de commande et de la vente de l’appareil à un autre client. Dans cette hypothèse, les services de reconversion peuvent être confiés à des prestataires de services techniques aéronautiques comme Daher ou AAA. La partie notifiante précise néanmoins que de manière générale, les chantiers de reconversion sont organisés par les compagnies aériennes après l'acquisition d'un avion auprès d’une autre compagnie aérienne. Dans ce cas, la prestation est généralement réalisée par une entreprise spécialisée dans le secteur de la maintenance. Pour la présente opération, l’Autorité tiendra compte de l’activité de reconversions dans l’analyse des prestations de services techniques aéronautiques, activité qui sera également examinée individuellement.
28. S’agissant en troisième lieu de la segmentation entre les différentes prestations au sein du marché des prestations de services techniques aéronautiques, la majorité des répondants au test de marché a considéré, contrairement à la partie notifiante, que la segmentation entre chacun des services précités est pertinente. En effet, il convient de relever que les contrats afférents à ces différents services industriels sont conclus dans le cadre d’appels d’offre distincts. À ce titre, l’un des constructeurs répondants au test de marché considère qu’il est nécessaire de distinguer ces différentes prestations dans la mesure où les prestataires doivent être qualifiés et approuvés pour chacun d’elles. Ce constructeur précise qu’il s’agit d’une exigence des autorités de certification (EASA), qui considèrent ces prestations comme « des produits en matière de qualification et de référentiel qualité ». Le constructeur précise encore que la plupart des sociétés ne couvrent qu’une partie de ces services. Selon lui, très peu de sociétés sont en mesure de répondre à l’ensemble des exigences et de proposer l’ensemble des services.
29. Un autre constructeur considère que ces services correspondent à des expertises différentes et qu’ils méritent d’être distingués. Le même répondant précise également que la prestation de montage des moteurs et d’équipements majeurs devrait être divisée en distinguant le montage des moteurs du montage des autres équipements.
30. Dans le cadre de la présente opération, l’analyse sera donc menée dans le secteur des prestations de services techniques aéronautiques dans son ensemble ainsi que pour chacune des prestations suivantes :
- montage d’éléments d’aérostructures en pré-FAL16 ;
- montage d’éléments d’aérostructures en FAL ;
- montage des moteurs ;
- montage des équipements majeurs (trains d'atterrissage, intégration des systèmes mécaniques et électriques de l’avion) ;
- aménagement commercial ;
- activités de parachèvement (OSW) ;
- travaux de piste ; et
- chantiers de reconversion.
31. En l’espèce, Daher fournit des services de montage d’éléments d’aérostructures en pré-FAL et en FAL, d’aménagement commercial et de travaux de parachèvement. AAA fournit des services de montage d’éléments d’aérostructures en pré-FAL et en FAL, de moteurs, d’équipements majeurs, de travaux de parachèvement, de travaux de piste ainsi que de chantiers de reconversion.
b) Segmentations selon le type, le programme ou le modèle d’aéronefs
32. Par ailleurs, plusieurs des marchés liés à la production aéronautique (fourniture de pièces ou maintenance) ont été segmentés par les autorités de concurrence par type d’aéronefs (hélicoptères, avions commerciaux – avions de grande capacité, avions régionaux et avions d’affaires – et avions militaires) ou, plus finement encore, par plateforme (c’est-à-dire par modèle d’avions, par exemple A320, ou encore A350).
33. S’agissant des activités de prestations de services techniques aéronautiques, la partie notifiante considère qu’il n’est pas pertinent de segmenter le marché par type d’aéronefs dans la mesure où, d’une part, les prestataires de services emploient tous la main d'œuvre requise pour fournir l'ensemble des services industriels sur les différents types d’aéronefs, et où, d’autre part, les compétences techniques mobilisées sont les mêmes quel que soit le type d'aéronef considéré.
34. Cependant, certains éléments recueillis dans le cadre de l’instruction et du test de marché, peuvent conduire à envisager une distinction par catégorie d’aéronefs. En effet, l’un des constructeurs souligne que les donneurs d’ordre sont différents pour les différentes catégories d’aéronefs qu’il produit. De plus l’un des concurrents des parties identifie clairement la nécessité de distinguer entre les aéronefs civils, les aéronefs militaires et les hélicoptères au sein des différentes prestations de services techniques aéronautiques. Il convient également de souligner que les appels d’offres selon le type d’aéronefs sont clairement distincts.
35. Par ailleurs, si l’un des concurrents des parties souligne que la qualification des intervenants est spécifique à chaque programme (A320, A330, A350, ATR) et qu’ainsi, la position concurrentielle des opérateurs devrait également s’apprécier en fonction du programme, les autres répondants au test de marché considèrent au contraire qu’il n’est pas nécessaire de segmenter le marché par programme.
36. Compte tenu de ces éléments, chacune des prestations de services techniques aéronautiques sera, dans le cadre de la présente opération, distinguée par type d’aéronefs. Les catégories suivantes seront donc retenues :
- avions militaires ;
- hélicoptères militaires ;
- hélicoptères civils ;
- avions d’affaires ;
- avions régionaux (de 30 à 100 passagers) ;
- avions commerciaux de grande capacité (supérieure à 100 passagers).
37. En l’espèce, Daher fournit différentes prestations de services pour des avions commerciaux de grande capacité. AAA fournit des services techniques aéronautiques pour des avions militaires, des hélicoptères civils et militaires, des avions d’affaires et des avions commerciaux de grande capacité.
38. En tout état de cause, la question de la délimitation précise du marché de prestations de services techniques aéronautiques peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue.
2. MARCHES GEOGRAPHIQUES
39. Contrairement aux prestations de services intellectuels, les prestations de services techniques aéronautiques fournies par les parties nécessitent une présence constante des techniciens sur les chaînes d’assemblage de leur client. Cette nécessité d’être présent localement milite, en général, pour retenir une approche locale des conditions de concurrence.
40. La partie notifiante considère qu’il n’est pas pertinent d’appréhender le marché à un niveau infranational, dans la mesure où les prestataires de services sont tous en mesure de mettre à disposition des constructeurs le personnel nécessaire sur chacun de leurs sites industriels.
41. À l’occasion du test de marché, les acteurs du secteur ont été interrogés sur cette question, sans toutefois qu’un consensus se dégage. Les constructeurs sont eux-mêmes divisés sur ce point. Certains estiment que la concurrence s’exerce au niveau national, voire au niveau mondial pour les activités de parachèvement pour un constructeur, alors que d’autres considèrent qu’il s’agit de marché locaux, pouvant néanmoins regrouper plusieurs sites de production. L’un des constructeurs précise en particulier que les activités de service liées à l’assemblage de ses aéronefs sont réalisées majoritairement à l’intérieur même de ses usines et de ses lignes d’assemblage. Les sociétés de service sont donc implantées à proximité immédiate des sites d’assemblage.
42. S’agissant des concurrents des parties, certains estiment que le marché est de dimension nationale ou mondiale, alors que d’autres considèrent au contraire qu’ils sont de dimension locale (50 km autour des sites clients ou niveau départemental). Un concurrent précise cependant que la dimension locale peut être étendue à une dimension nationale voire européenne suivant la prise en charge par le client de frais de déplacement pour les personnels concernés.
43. En l’espèce, la question de la dimension géographique du marché précise des prestations de services techniques aéronautiques peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit l’hypothèse retenue.
44. Les activités de prestations de services techniques aéronautiques seront, dans le cadre de la présente opération, analysées au niveau national ainsi qu’au niveau local, dans les différentes zones de production des constructeurs d’aéronefs sur le territoire national. Ces zones locales sont les suivantes :
- Argenteuil (95) ;
- Biarritz (64) ;
- Nantes/Saint Nazaire (44) ;
- Marignane (13) ;
- Mérignac (33) ;
- Toulouse (31).
C. MARCHÉS DES PIÈCES DÉTACHÉES ET DES SERVICES DE MAINTENANCE (« MRO »)17
1. MARCHES DE PRODUITS ET SERVICES
45. La pratique décisionnelle européenne a envisagé une segmentation entre le marché de la fourniture de pièces détachées utilisées dans le cadre des opérations de maintenance et le marché de la fourniture de services de maintenance18.
46. Au sein des services de maintenance, la Commission a distingué19 :
- les services de maintenance dite « en ligne », qui visent à s’assurer que l’avion est apte à voler, et ont lieu dans un aéroport situé sur le trajet de l’avion. Dans le cadre de la maintenance en ligne, l’avion n’est pas retiré de la circulation. La pratique décisionnelle a envisagé une segmentation de ces services de maintenance, qui sont obligatoires, entre (i) les vérifications dites « A-check » qui ont lieu toutes les 800 heures de vol et qui nécessitent 200 à 300 heures-homme de travail et (ii) les vérifications « B-check » qui ont lieu tous les quatre à six mois et durent généralement trois jours ;
- les services de maintenance dite « lourde », qui impliquent le retrait de l’avion de la circulation et l’inspection détaillée de l’ensemble de l’avion. De façon similaire aux services de maintenance en ligne, la pratique décisionnelle de la Commission a envisagé une segmentation entre (i) les opérations de maintenance lourde dites « C- check » qui ont lieu à une échéance donnée (fixée par le constructeur en mois ou en heures de vol) et (ii) les opérations de maintenance lourde dites « D-check » qui impliquent le démontage de l’avion, la révision et l’inspection de l’ensemble des éléments ;
- les services de maintenance des moteurs, éventuellement segmentés en fonction du type de moteur ;
- la maintenance des composants, qui consiste essentiellement à remplacer des composants dont la défaillance a été détectée (par les systèmes de l’avion ou dans le cadre des opérations de maintenance lourde ou en ligne). La maintenance des composants implique aussi des révisions périodiques de certains composants ayant trait à la sécurité.
47. La pratique décisionnelle a considéré qu’une distinction supplémentaire en fonction du type d’avion était pertinente (avions commerciaux de grande capacité, avions d’affaires et avions militaires)20. Elle a également pu retenir une segmentation en fonction de la plateforme, c’est-à-dire du modèle d’avion (par exemple, Boeing 737 ou Airbus A340)21.
48. La question de la délimitation des marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue. En l’espèce, Daher fournit des services de maintenance « en ligne » et de maintenance dite « lourde » « A-check » et « B-check » pour des avions légers. AAA fournit également des services de maintenance structurelle dite « D-check » pour avions commerciaux de grande capacité.
2. MARCHES GEOGRAPHIQUES
49. La pratique décisionnelle considère que les marchés des pièces détachées pour aéronefs sont au moins de dimension européenne22.
50. Pour les marchés des services de maintenance d’aéronefs, elle a envisagé23 :
- une dimension mondiale pour les marchés de la maintenance pour composants ;
- une dimension au moins européenne pour le marché de la maintenance lourde (« C-Check » et « D-Check ») et de la maintenance des moteurs24 ;
- une dimension locale (ou à tout le moins infra-européenne) pour le marché de la maintenance en ligne (« A-Check » et « B-Check »), dans la mesure où cette dernière a lieu sur la route de l’avion concernée.
51. Il n’y a pas lieu, en l’espèce, de remettre en cause la délimitation géographique de ces marchés.
D. MARCHÉS DE L’INGENIERIE ET DES ÉTUDES TECHNIQUES
1. MARCHES DE PRODUITS
52. Les services en ingénierie et études techniques correspondent à l’ensemble des prestations fournies au cours du cycle de vie d’un produit (R&D, développement, ingénierie et process, réalisation, exploitation et maintenance)25. Ces services concernent de nombreux secteurs économiques tels que l’industrie, l’énergie, le transport, l’environnement, le BTP et les services publics.
53. Les autorités de concurrence, tant française26 qu’européenne27, ont envisagé plusieurs segmentations de ce marché sans trancher définitivement la question.
54. Elles ont ainsi envisagé de définir un marché du conseil en technologies28, un marché de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, distincts des autres services en ingénierie et études techniques. Elles ont également segmenté le marché des services d’ingénierie en fonction des secteurs d’intervention, en distinguant les secteurs de l’aéronautique, de la défense, des télécommunications, de l’énergie, du ferroviaire, du transport, de l’industrie, de la banque et de l’assurance29. Pour certains de ces secteurs, comme l’aérospatial, la Commission30 a envisagé une sous-segmentation entre les études techniques générales et les études techniques spécialisées.
55. En l’espèce, AAA est actif sur le marché des services d’ingénierie et des études techniques dans le secteur aéronautique notamment à travers l’élaboration de fiches d’instruction à destination des ouvriers, le support technique en cours de production consistant à faire l’intermédiaire entre les bureaux d’études et les ouvriers ainsi que le contrôle qualité31. La partie notifiante considère qu’il n’y a pas lieu de segmenter le marché entre l’activité d’élaboration de fiches d’instruction et de support technique, ces deux activités correspondant au même référencement (« ME3S ») pour l’avionneur Airbus. Cependant, la majorité des répondants au test de marché considère que ces deux types de service doivent être distingués. Par ailleurs, la majorité des répondants au test de marché a considéré que le contrôle qualité constituait un marché distinct des deux autres services mentionnés. Il convient de noter en ce sens que les prestations de contrôle qualité des avions font l’objet d’appel d’offres distinct par les avionneurs.
56. La question de la délimitation exacte des marchés de l’ingénierie et des études techniques peut toutefois être laissée ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées, quelle que soit l’hypothèse retenue. En l’espèce, l’analyse sur menée sur les marché suivants : (i) l’élaboration de fiches d’instruction, (ii) le support technique en cours de production et (iii) le contrôle qualité.
2. MARCHES GEOGRAPHIQUES
57. La pratique décisionnelle a généralement considéré que les marchés de l’ingénierie et des études techniques étaient de dimension nationale32. Elle a néanmoins aussi envisagé que ces marchés puissent être de dimension infranationale33 selon le type de clientèle et les missions concernées. S’agissant des marchés de l’ingénierie et des études techniques dans le secteur aéronautique, la partie notifiante considère que la dimension géographique pertinente est nationale.
58. En l’espèce, la dimension géographique précise des marchés de l’ingénierie et des études techniques peut être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurant inchangée, quelle que soit l’hypothèse retenue. L’analyse sera menée au niveau national ainsi que localement, dans les zones de production des constructeurs mentionnées au paragraphe 44 de la présente décision.
E. MARCHES DES SERVICES LOGISTIQUES
1. MARCHES DE PRODUITS
59. Selon la pratique décisionnelle des autorités de concurrence34, les services de logistique associent les différents maillons d’une chaîne d’approvisionnement de marchandises entre un point d’origine et un point d’arrivée, et ce afin de gérer de manière optimale le flux et le stockage desdites marchandises. Cette activité peut s’assimiler à une offre globale, dans la mesure où elle combine un ensemble de services tels que, notamment, le stockage, l’inventaire des stocks, la prise de commande et le transport de marchandises en un temps et un lieu définis par le client.
60. Les autorités de concurrence européenne et nationale ont envisagé l’existence de marchés distincts de la logistique pour certains secteurs d’activité qui, en raison des caractéristiques de leurs chaînes de production, peuvent requérir des prestations logistiques spécifiques35. Compte tenu des spécificités du secteur de l’aviation, notamment du volume des pièces à acheminer, un marché distinct pour ce secteur pourrait être envisagé. La partie notifiante considère qu’il n’est pas pertinent de procéder à une telle segmentation dans la mesure où ces services ne présentent pas de spécificités particulières par rapport aux services logistiques rendus dans d’autres secteurs, notamment ferroviaire, aérospatial ou industriel.
61. Par ailleurs, la Commission a envisagé de distinguer les services de logistique selon (i) leur caractère domestique ou transfrontalier, (ii) le type de produits. Une distinction entre la logistique 3PL36 et 4PL37 a également été envisagée. Ces questions ont été laissées ouvertes38. La partie notifiante considère que la segmentation entre la logistique 3PL39 et 4PL n’est pas pertinente car la plupart des prestataires de service logistique 4PL fourniraient également des services 3PL.
62. En l’espèce, seul Daher est actif sur les marchés de la logistique à destination de l’aéronautique. La question de la délimitation exacte des marchés de la logistique peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l’analyse concurrentielle restant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.
2. MARCHES GEOGRAPHIQUES
63. Selon la pratique décisionnelle nationale40, les marchés des services logistiques sont de dimension nationale.
64. Il n’a pas lieu de revenir sur cette délimitation à l’occasion de la présente instruction.
III. Analyse concurrentielle
65. Compte tenu des activités des parties, les effets horizontaux de l’opération seront analysés sur les marchés (i) de la fourniture de pièces pour aéronefs, (ii) des prestations de services techniques aéronautiques et (iii) de la fourniture de pièces détachées et de services de maintenance41.
66. Les effets congloméraux de l’opération seront également analysés entre (i) les différentes activités des parties sur les marchés des prestations de services techniques aéronautiques ainsi qu’entre (ii) les différents marchés sur lesquels les parties sont présentes et sur lesquels leurs clients sont les avionneurs : la fourniture de pièces pour aéronefs, les prestations de services techniques aéronautiques, les services d’ingénierie et d’études techniques et les services logistiques.
A. ANALYSE DES EFFETS HORIZONTAUX
1. LES MARCHES DE LA FOURNITURE DE PIECES POUR AERONEFS
67. Sur les marchés de la fourniture de pièces pour aéronefs, les activités des parties se chevauchent sur les marchés de la fourniture de pièces toutes pièces confondues, pour avions militaires, avions de grande capacité et avions d’affaires. L’opération entraîne également des chevauchements sur les segmentations suivantes : fuselage pour les avions de grande capacité ; ailes, fuselage, portes et trappes de trains d’atterrissages pour les avions d’affaires ; et fuselage pour les avions militaires.
68. Toutefois, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 10 % avec un incrément systématiquement inférieur à deux points, quelle que soit la segmentation envisagée. Dès lors, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés de la fourniture de pièces pour aéronefs.
2. LES MARCHES DES PRESTATIONS DE SERVICES TECHNIQUES AERONAUTIQUES
69. Les parties sont toutes deux actives sur le marché global des prestations de services techniques aéronautiques. Leurs activités se chevauchent concernant les avions commerciaux de grande capacité42, et uniquement pour les activités suivantes :
- le montage d’éléments d’aérostructures (en pré-FAL et en FAL) ;
- les activités de parachèvement (OSW).
70. Les parties exercent ces activités sur les différents sites de production de leurs clients mais ne sont simultanément présentes que sur les sites de Nantes/Saint Nazaire et de Toulouse.
a) Position sur le marché national
71. Au niveau national, pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, la part de marché cumulée des parties s’établit à [40-50] % sur un marché global des prestations de services techniques aéronautiques.
72. S’agissant des différents services considérés isolement, les parties sont simultanément présentes sur les activités de montage en pré-FAL et en FAL ainsi que sur les activités de parachèvement (OSW). Pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, la part de marché cumulée des parties atteint 40 % à 50 % pour les activités de montage en pré-FAL ainsi que pour les activités de montage en FAL. S’agissant des activités de parachèvement, la part de marché cumulée des parties atteint 30 % à 40 %.
b) Position sur les marchés locaux
73. Daher exerce son activité sur les sites de Nantes/Saint Nazaire (44) et de Toulouse (31). AAA est présente sur les sites d’Argenteuil (95), de Biarritz (64), de Nantes/Saint-Nazaire (44), de Marignane (13), de Mérignac (33) et de Toulouse (31). Les chevauchements d’activités entre les parties n’apparaissent ainsi que dans les zones de Nantes/Saint Nazaire (44) et de Toulouse (31).
Zone de Nantes/Saint Nazaire (44)
74. Dans la zone de Nantes/Saint Nazaire, pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, toutes prestations de services techniques aéronautiques confondues, la part de marché cumulée des parties atteint [40-50] % à [50-60] %.
75. S’agissant des différents services, toujours pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, les parties sont simultanément actives sur le montage en pré-FAL et sur les activités parachèvement. La part de marché cumulée des parties atteint 40 % à 50 % pour les activités de montage en pré-FAL et s’établit à [50-60] % pour les activités de parachèvement.
Zone de Toulouse (31)
76. Dans la zone de Toulouse, pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, toutes prestations de services techniques aéronautiques confondues, la part de marché cumulée des parties atteint 30 % à 40 %.
77. S’agissant des différents services, toujours pour la catégorie des avions commerciaux de grande capacité, les parties sont simultanément actives sur le segment du montage en FAL comme sur les activités parachèvement. La part de marché cumulée des parties atteint 40 % à 50 % pour les activités de montage en FAL et s’établit à [30-40] % pour les activités de parachèvement.
c) Analyse
78. les parts de marchés des parties excèdent ainsi le seuil de 25 %43 sur plusieurs marchés :
- au niveau national, sur les avions commerciaux de grande capacité, toutes activités confondues ;
- au niveau national, sur les avions commerciaux de grande capacité, sur les activités de montage en pré-FAL et FAL, ainsi que sur les activités de parachèvement ;
- dans la zone de Nantes/Saint Nazaire (44), sur les avions commerciaux de grande capacité commerciaux, sur le marché global des services techniques aéronautiques, mais également sur les activités de montage en pré-FAL ainsi que sur les activités de parachèvement ;
- dans la zone de Toulouse (31), sur les avions commerciaux de grande capacité, sur le marché global des services techniques aéronautiques, mais également sur les activités de montage en FAL ainsi que sur les activités de parachèvement.
79. Ces parts de marché indiquent que les parties sont des prestataires importants pour les industriels de l’aéronautique et tout particulièrement pour le client Airbus, sur ses sites de production de Nantes/Saint Nazaire et de Toulouse, sur les avions commerciaux de grande capacité.
80. Cependant, le niveau élevé des parts de marché des parties ne révèlent pas nécessairement un pouvoir de marché important. En effet, le pouvoir de marché d’une entreprise peut notamment être efficacement limité par le pouvoir de négociation des acheteurs sous réserve que subsiste des alternatives44.
81. Il convient notamment de relever à ce titre que la demande sur le marché des prestations de services techniques aéronautiques est particulièrement concentrée. En effet, les clients sur ces marchés, sur le territoire français, sont Airbus, ATR et Dassault. L’importance du contre- pouvoir de ces industriels est d’ailleurs confirmée par le test de marché. En effet, la majorité des concurrents des parties a considéré que les avionneurs disposaient d’un fort pouvoir de négociation de façon générale. Plus particulièrement s’agissant des différents marchés de prestations de services techniques aéronautiques, pour les avions commerciaux de grande capacité, sur lesquels les activités des parties se chevauchent, [confidentiel]. Airbus dispose ainsi d’une position centrale lui conférant un très important contre-pouvoir d’acheteur.
82. En premier lieu, Airbus est le premier et principal client de chacune des parties en matière d’achat de services industriels, mais également toutes activités confondues. Ainsi en 2021, AAA a réalisé [confidentiel] % de son chiffre d’affaires total auprès d’Airbus, dont près de [confidentiel] % pour les seules activités de prestations de services techniques aéronautiques. Si la part du chiffre d’affaires réalisée par Daher auprès d’Airbus en matière de prestations de services techniques aéronautiques n’est que de [confidentiel] %, Airbus demeure un client très important de Daher pour ses autres activités. Ainsi, Airbus a représenté [confidentiel] % du chiffre d’affaires total de Daher en 2021.
83. En deuxième lieu, bien que Daher et AAA soient des fournisseurs importants d’Airbus en matière de prestations de services techniques aéronautiques, Airbus peut exercer une pression concurrentielle importante sur les parties même en cours de contrat. En effet, Airbus est tout d’abord capable d’exercer une pression tarifaire sur ses prestataires. [Confidentiel].
84. Par ailleurs, Airbus est également en capacité de cesser de recourir à un de ces co-contractants en cours de contrat. À titre d’exemple, [confidentiel]45.
85. Airbus sera bien en mesure d’exercer cette pression concurrentielle car les parties font face à plusieurs concurrents (Derichebourg Aeronautics Services, Simra Segula, Laroche Industries, Latécoère ou encore Safran) actifs eux aussi sur une large gamme de prestations de services techniques aéronautiques. Ainsi, au gré du renouvellement de ses appels d’offres46 mais aussi en cours de contrats, Airbus est en mesure de maintenir un certain équilibre dans ses approvisionnements entre différents prestataires. Dans ce cadre, il convient également de relever que la majorité des répondants au test de marché a affirmé que pour un service donné, les avionneurs avaient recours à plusieurs prestataires, pour des raisons de volumétrie, mais également pour maintenir les compétences nécessaires chez les différents prestataires de services et entretenir ainsi un niveau élevé de concurrence entre ces prestataires lors des appels d’offres.
86. En troisième lieu, Airbus, qui réalise pour son propre compte certaines de ces activités, est toujours en mesure de ré-internaliser certaines d’entre-elles si les relations commerciales deviennent plus difficiles avec ses prestataires. Cette capacité d’Airbus a ré-internaliser des activités actuellement sous-traitées a été largement évoquée par les répondants au test de marché.
87. Ainsi, compte tenu du contre-pouvoir de la demande et des alternatives existantes sur les marchés des prestations de services techniques aéronautiques, sur les avions commerciaux de grande capacité, sur lesquels les parties sont simultanément actives, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux tant au niveau national que local sur ce marché.
3. LES MARCHES DE LA FOURNITURE DE PIECES DETACHEES ET DES SERVICES DE
MRO
88. Les activités des parties se chevauchent uniquement sur le marché global de la fourniture de pièces détachées et des services de MRO comprenant tous les types de maintenance et tous les types d’avions. Sur ce marché, les parts de marché cumulées des parties sont inférieures à 1 % au niveau européen et au niveau mondial.
89. Dès lors, l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur les marchés de la fourniture de pièces détachées et des services de MRO.
B. ANALYSE DES EFFETS CONGLOMERAUX
90. Une concentration est susceptible d’emporter des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur des marchés présentant des liens de connexité avec d’autres marchés que ceux sur lesquels elle détient un pouvoir de marché. Certaines concentrations conglomérales peuvent en effet produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu’elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes des produits de la nouvelle entité de façon à verrouiller le marché et à évincer les concurrents. Toutefois, il est peu probable qu’une concentration entraîne un risque d’effet congloméral si la nouvelle entité ne bénéficie pas d’une forte position sur un marché à partir duquel elle pourra faire jouer un effet de levier.
91. La pratique décisionnelle considère en principe qu’un risque d’effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de marché de l’entreprise issue de l’opération sur un marché concerné ne dépasse pas 30 %47.
92. Conformément à la pratique décisionnelle, la probabilité que l’opération fausse le jeu de la concurrence par des effets congloméraux s’apprécie à l’aune (i) de la capacité à mettre en œuvre effectivement une stratégie de verrouillage, (ii) de son incitation à mettre en œuvre une telle stratégie et (iii) des effets de cette stratégie sur les marchés en cause.
93. En l’espèce, l’opération permettra à Daher de proposer une plus large gamme, d’une part, de prestations de services techniques aéronautiques, et, d’autre part, d’autres services dans le secteur aéronautique.
1. ENTRE LES DIFFERENTES PRESTATIONS DE SERVICES TECHNIQUES AERONAUTIQUES
94. Sur le marché des prestations de services techniques aéronautiques, les parts de marchés cumulées des parties sont supérieures à 30 % sur les marchés :
- comprenant toutes les prestations de services techniques aéronautiques pour les avions commerciaux de grande capacité, d’une part, et tous aéronefs confondus, d’autre part, au niveau national (respectivement [40-50] % et [30-40] %) ainsi que pour les zones de Nantes/Saint-Nazaire ([40-50] %) et Toulouse (30-40 %) ;
- de montage d’éléments d’aérostructures en pré-FAL pour les avions commerciaux de grande capacité, d’une part, et tous aéronefs confondus, d’autre part, au niveau national (respectivement 40-50 % et 30-40 %) ainsi que pour la zone de Nantes/Saint-Nazaire (40-50 %) ;
- de montage d’éléments d’aérostructures en FAL pour les avions commerciaux de grande capacité, d’une part, et tous aéronefs confondus, d’autre part, au niveau national (respectivement 40-50 % et 30-40 %) ainsi que pour la zone de Toulouse (40-50 %) ; et
- des travaux de parachèvement (« OSW ») pour les avions commerciaux de grande capacité, d’une part, et tous aéronefs confondus, d’autre part, au niveau national (respectivement [40-50] % et 30-40 %) ainsi que pour les zones de Nantes/Saint- Nazaire ([50-60] %) et Toulouse ([30-40] %).
95. Par ailleurs, Daher et AAA disposent respectivement d’une part de marché de [30-40] % sur les marchés des prestations d’aménagement commercial pour les avions commerciaux de grande capacité au niveau national ainsi que dans la zone de Toulouse. Il ressort également du test de marché que les parties disposeront d’une gamme de services plus large que la majorité de leurs concurrents à l’issue de l’opération.
96. Cependant, les parties n’auront pas la capacité à mettre en œuvre une stratégie de couplage entre les différentes prestations de services techniques aéronautiques qu’elles proposent. En effet, comme évoqué au paragraphe 28 de la présente décision, les appels d’offres pour les différentes prestations de services techniques aéronautiques fournis par les parties font chacun l’objet d’appels d’offres distincts par les avionneurs. De plus, il ressort des réponses au test de marché que les appels d’offres menés par les avionneurs ne portent généralement que sur un seul de leurs sites. Ainsi, les parties n’auront pas techniquement la capacité de proposer des offres groupées.
97. De plus, comme développé aux points 80 et suivants de la présente décision, le pouvoir de marché des parties à l’issue de l’opération sera grandement limité par le contre-pouvoir dont jouissent les avionneurs sur l’ensemble de ces marchés. Il convient de noter à ce titre que les avionneurs répondants au test de marché considèrent qu’il ne sera pas possible pour les parties de leur imposer des ventes liées à l’issue de l’opération.
98. Ainsi, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre les différents marchés des prestations de services techniques aéronautiques, les parties ne disposant pas de la capacité à mettre en œuvre des stratégies de couplage entre leurs différentes activités.
2. ENTRE LES DIFFERENTES ACTIVITES DES PARTIES
99. Les parties fournissent chacune un ensemble de produits et de services autres que des prestations de services techniques aéronautiques à destination des avionneurs présents sur le territoire. Daher et AAA fournissent toutes deux des pièces à destination d’aéronef. AAA fournit des services d’ingénierie et d’études techniques et enfin Daher fournit des services de logistique48.
100. Si les parts de marché individuelles ou cumulées des parties sont toujours inférieures au seuil de 30 % sur ces autres activités (fourniture de pièces à destination d’aéronef, services d’ingénierie et d’études techniques ou services de logistique), elles peuvent être supérieures à ce seuil sur certains segments de marché des prestations de services techniques aéronautiques, (voir points 94 et suivants). Il existe ainsi un risque que les parties cherchent à tirer parti de leur position relativement forte sur le marché des prestations de services techniques aéronautiques, en imposant à leurs clients des conditions qui leurs permettraient d’améliorer leur position sur d’autres marchés, sur lesquels leurs positions sont moins favorables. Des ventes couplées, consistant à commercialiser ensemble ces deux catégories de prestations, peuvent en particulier limiter le jeu de la concurrence sur les marchés sur lesquels les parties ont une position moins favorable.
101. Cependant, les parties n’auront pas la capacité à mettre en œuvre une stratégie de couplage entre les prestations de services techniques aéronautiques et les autres services qu’elles proposent. Tout d’abord, comme évoqué au paragraphe 28, les prestations de services techniques aéronautiques font l’objet d’appels d’offres distincts de tout autre service par les avionneurs. La majorité des répondants au test de marché ont indiqué que les appels d’offres relatifs à la fourniture de pièces sont entièrement distincts de ceux portant sur les différentes prestations de services techniques aéronautiques 49. Par ailleurs, un des avionneurs a souligné que les appels d’offres et contrats portant sur les prestations de services techniques aéronautiques et sur d’autres services ne relèvent pas des mêmes donneurs d’ordre dans le cadre de l’organisation interne. Ainsi, les parties n’auront pas techniquement la capacité de proposer des offres groupées.
102. En outre, comme évoqué au paragraphe 97, la capacité des parties de lier différents produits ou services sera limitée par le contre-pouvoir dont dispose les avionneurs sur ces marchés. Les avionneurs répondants dans le cadre du test de marché considèrent que les parties n’auront pas la capacité à leur imposer des ventes liées.
103. Ainsi, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets congloméraux entre les différents marchés des prestations de services techniques aéronautiques et les autres marchés de services aux avionneurs, les parties ne disposant pas de la capacité à mettre en œuvre des stratégies de couplage.
DÉCISION
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 23-014 est autorisée.
NOTES
1 Le groupe Daher est également actif sur le marché de la construction d’avions d’affaires. Toutefois, si Daher fabrique deux types d’avions légers (Kodiak aux États-Unis et TBM à Tarbes), tout risque d’effet vertical entre cette activité et l’activité de fourniture de pièces d’AAA peut être écarté compte tenu de la part de marché d’AAA quelle que soit la segmentation retenue sur les marchés la fourniture de pièces (inférieure à 2 %). Tout risque d’effet vertical entre l’activité de construction d’avions et l’activité de parachèvement d’avions d’AAA (prestations de finition ou de correction du montage) peut également être écarté. En effet, les parts de marché respectives des parties sur ces activités au niveau national sont inférieures à 30 %. Daher fournit également plus marginalement des services à l’industrie dans les secteurs de l’énergie, de la défense et des transports. Ces activités ne présentant pas de liens avec celles d’AAA ne seront pas détaillées dans le cadre de la présente décision.
2 Voir la décision n° 20-DCC-62 du 13 mai 2020 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Short Brothers plc et Bombardier Aerospace North Africa SAS ainsi que de certains actifs de la société Bombardier par la société Spirit Aerosystems Inc. et les décisions de la Commission M. 1601 Allied Signal / Honeywell du 1er décembre 1999, M. 8425 Safran / Zodiac Aerospace du 21 décembre 2017 et M. 8985 Boeing / KLX du 1er octobre 2018.
3 Voir les décisions de la Commission européenne M. 1438 British Aerospace / GEC Marconi du 25 juin 1999 et
M. 4561 GE / Smiths Aerospace du 23 avril 2007.
4 Voir les décisions de la Commission européenne M. 2168 Snecma / Hurel-Dubois du 14 novembre 2000 ; M. 6410 UTC / Goodrich du 26 juillet 2012 et M. 8948 Spirit / Asco du 20 mars 2019 ainsi que la décision M. 8425 précitée.
5 Voir la décision n° 20-DCC-62 précitée.
6 Les composants structurels des ailes incluent notamment les fixations du train d’atterrissage, les strakelets, les sangles, les portiques et fenêtres arrières du cockpit, les attaches des ailes, les poutres de spoiler, les nervures, les cadres de caisson, les pièces usinées, les longerons et les profils.
7 Les composants structurels de fuselage incluent notamment les différents types de cadres, les poutres et les plaques d’adaptation.
8 Voir la décision n° 20-DCC-62 précitée.
9 Les avions dit d’aviation générale sont des avions qui peuvent contenir d’un à six passagers et qui sont généralement utilisés pour des voyages personnels, pour le tourisme aérien, pour les vols de loisirs et pour les sports aériens.
10 La pratique décisionnelle a par ailleurs envisagé un marché spécifique pour les avions militaires en raison du nombre limité d’avions produits et de la forte implication dans leur production des autorités nationales.
11 Voir notamment les décisions M. 1601 et M. 8425 précitées.
12 Voir les décisions M. 2168, M. 6410, M. 8425 et M. 8948 précitées.
13 Élément de structure fixe enveloppant la jonction entre les ailes et le fuselage.
14 Les compagnies aériennes ne sont pas clientes sur les marchés des prestations de services techniques aéronautiques. En effet, même lorsque l’aménagement commercial se fait aux couleurs d’une compagnie aérienne, le client du sous-traitant reste le constructeur.
15 Il est parfois également fait référence, comme par exemple sur le site internet de AAA, à des services « OLW » (« out located works ») qui sont assimilables aux services OSW, à la différence qu’ils sont fournis ex-situ (c’est- à-dire en dehors de lignes d’assemblage final de l’avionneur).
16 Le montage d’éléments d’aérostructures en pré-FAL, d’une part, et, en FAL, d’autre part, sont distingués dans la mesure où ces prestations ne sont en l’espèce pas réalisées sur les mêmes sites des avionneurs.
17 Maintenance, Repair and Overhaul.
18 Voir la décision n° 20-DCC-62 précitée et les décisions de la Commission M. 8858 Boeing / Safran / JV (Auxiliary power units) du 27 septembre 2018, M. 6410 et M. 8425 précitées.
19 Voir les décisions de la Commission M. 3280 Air France / KLM du 11 février 2004, M. 3374 SR Technics / FLS Aerospace du 14 avril 2004, M. 4241 Boeing /Aviall du 18 août 2006, M. 6554 EADS/ STA/ Elbe Flugzeugwerke JV du 13 septembre 2012 et M. 6844 GE / Avio du 1er juillet 2013 ainsi que M. 6410, M. 8425 et M. 8858 précitées.
20 Voir les décisions de la Commission européenne JV. 19 KLM / Alitalia du 11 août 1999 ainsi que M. 3280, M. 3374, M. 6844 et M. 8425 précitées.
21 Voir les décisions M. 3280 et M. 3374 précitées.
22 Voir les décisions M. 6410, M. 8425 et M. 8858 précitées.
23 Voir les décisions M. 3280, M. 3374, M. 6410, M. 6554, M. 6844 et M. 8858 précitées.
24 Sauf éventuellement pour les moteurs d’avions militaires.
25 Voir notamment les lettres du ministre de l’économie du 29 avril 2003 au conseil de la société Assystem relative à une concentration dans le secteur de l’ingénierie et du 27 novembre 2003 aux conseils de la société Brime Technologies, relative à une concentration dans le secteur du conseil et de l’ingénierie ainsi que les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-71 du 8 décembre 2009 relative à la fusion du groupe Coteba et du groupe Sogreah, n° 10-DCC-164 du 18 novembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de IOSIS Holding par EGIS SA, n° 11-DCC-20 du 7 février 2011 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe APTUS par le groupe AUSY, n° 15-DCC-100 du 22 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Matis par la société Akka Technologies et n° 16-DCC-183 du 25 novembre 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Latécoère Services par le groupe ADF.
26 Voir les lettres du ministre de l’économie du 29 avril 2003 et du 27 novembre 2003 précitées ainsi que du 10 septembre 2003 aux conseils de la société Pininfarina, relative à une concentration dans les secteurs du design et de l’ingénierie automobile et du 19 octobre 2007 au conseil de la société Akka Technologies.
27 Décision de la Commission européenne n° M.2645 Saab / WM-Data AB / Saab Caran / JV du 6 décembre 2001.
28 Voir la lettre du ministre de l’économie du 19 octobre 2007 précitée.
29 Voir notamment la lettre du ministre de l’économie du 27 novembre 2003 et les décisions n°11-DCC-131 et n° 14-DCC-08 précitées.
30 Décision M. 2645 précitée.
35 Voir par exemple la décision n° 11-DCC-79 du 16 mai 2011 relative à la prise de contrôle conjoint de Transcosatal Finances par les sociétés Satar, Chabas et STEF-TFE Transport ainsi que la décision M. 3553 de la Commission européenne du 4 octobre 2004.
36 Un prestataire de logistique 3PL prend en charge une partie ou toute la chaîne logistique d’un client.
37 Un prestataire logistique 4PL est en charge de l’optimisation de chaînes d’approvisionnement.
38 Voir par exemple la décision de la Commission européenne M. 6059 Norbert Dentressangle / Laxey Logistics du 21 mars 2011.
39 Un prestataire de logistique 3PL prend en charge une partie ou toute la chaîne logistique d’un client.
40 Voir par exemple les décisions n° 19-DCC-268 et n° 13-DCC-87 précitées.
41 AAA fournit également des prestations de services techniques dans le secteur nautique. Cependant, Daher a uniquement fourni des services dans ce secteur pour [confidentiel] euros en 2021, de sorte que l’opération n’aura en tout état de cause qu’un impact très faible sur ce secteur. Par ailleurs, Daher et AAA fournissent également des emballages sensibles (conteneurs) dans le secteur de la défense. La part de marché de AAA est néanmoins marginale et inférieure à 1 %, de sorte que l’opération n’aura également en tout état de cause qu’un impact très faible sur cette activité.
42 Daher n’étant présente que sur le marché des prestations de services techniques aéronautiques à destination des avions commerciaux de grande capacité, les parts de marché présentées ici seront limitées à ce seul segment. Bien que l’activité des parties se chevauche également sur la catégorie plus vaste, rassemblant l’ensemble des aéronefs, les parts de marché cumulées seront nécessairement inférieures à celles relatives au seul segment des avions commerciaux de grande capacité.
43 Au terme de l’annexe 4-3 de la partie réglementaire du code de commerce, lorsque deux ou plusieurs entreprises concernées ou groupes auxquels elles appartiennent exercent des activités sur un marché et que leurs parts de marché cumulées atteignent 25 % ou plus, le marché est alors réputé « affecté » par l’opération.
44 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relative au contrôle des concentrations, para.661.
47 Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relative au contrôle des concentrations, para. 678 et 720.
48 Les marchés de la fourniture de pièces détachées et des services de MRO ne sont pas étudiés au titre des effets congloméraux dans la mesure où les clients des parties sur ces marchés ne sont pas les avionneurs.
49 Il convient cependant de relever que certains contrats de fourniture portant sur certaines pièces tels que les carénages ventraux peuvent inclure leur montage.