Cass. com., 6 septembre 2023, n° 20-23.582
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Deutsche Banh AG (Sté)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Economie, des Finances et de la Relance, Brachem France Holding (SAS), Solvadis Deutschland GmbH (Sté), Solvadis Distribution GmbH (Sté), Brenntag (SA), Brenntag France Holding (Sasu), Brenntag Beteiligungs GmbH (Sté), Brenntag Foreign Holding GmbH (Sté), Brenntag Holding GmbH (Sté), Gaches chimie (SAS), GEA Group (Sté), DB Mobility Logistics AG (Sté), Solvadis France (Sarlu), Selarl Athena (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
M. Blanc
Avocat général :
Mme Texier
Avocats :
SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Piwnica et Molinié, la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SARL Delvolvé et Trichet, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-23.582 et n° 20-23.715 sont joints.
Désistement partiel
2. Il est donné acte aux sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH et Brenntag Holding GmbH (les sociétés Brenntag) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le procureur général près la cour d'appel de Paris, la société GEA Group, la société DB Mobility Logistics AG et les sociétés Solvadis GmbH, devenue Solvadis Distribution GmbH, et Solvadis Holding SARL, aux droits de laquelle est venue la société Solvadis Deutschland GmbH (les sociétés Solvadis).
Faits et procédure
3. Selon les arrêts attaqués (Paris, 2 février 2017, 18 avril 2019 et 3 décembre 2020), quatre distributeurs, opérant sur le territoire français, ont porté à la connaissance du Conseil de la concurrence des coordinations horizontales intervenues sur des commodités chimiques et ont demandé, successivement, le bénéfice de la procédure de clémence sur le fondement de l'article L. 464-2, IV, du code de commerce.
4. Après s'être saisi d'office des pratiques ainsi dénoncées, le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), par une décision n° 13-D-12 du 28 mai 2013, a dit établies deux infractions aux dispositions de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de l'article L. 420-1 du code de commerce impliquant notamment, en tant qu'auteurs des pratiques, les sociétés Brenntag SA et Solvadis France, pour la première, et la société Brenntag SA, pour la seconde, ainsi qu'en leur qualité de sociétés mères, la société DB Logistics AG, aux droits de laquelle est venue la société Deutsche Bahn AG, les sociétés Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS et les sociétés Solvadis GmbH et Solvadis Holding SARL, a exonéré la société Solvadis France et ses sociétés mères de sanction pécuniaire au titre de la première infraction et la société Brenntag SA au titre de la seconde, en application de l'article L. 464-2, IV, du code de commerce et a prononcé diverses sanctions pécuniaires à l'encontre des sociétés poursuivies.
5. Les sociétés Brenntag et la société Deutsche Bahn AG ont formé des recours en annulation et en réformation de cette décision et les sociétés Solvadis sont intervenues volontairement à l'instance.
6. Par un arrêt partiellement avant dire droit du 2 février 2017, la cour d'appel a constaté une atteinte portée aux droits de la défense des sociétés Brenntag, annulé le rapport établi par les rapporteurs de l'Autorité et la décision n° 13-D-12 de celle-ci en ses dispositions relatives aux sociétés Brenntag et rejeté les demandes d'annulation de l'auto-saisine de l'Autorité, de l'avis de clémence accordée à la société Solvadis France et de la notification de griefs. Le pourvoi formé contre cet arrêt par les sociétés Brenntag a été déclaré irrecevable par un arrêt du 10 juillet 2018 (Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 17-13.973).
7. Par un second arrêt partiellement avant dire droit du 18 avril 2019, la cour d'appel a déclaré irrecevables les demandes des sociétés Brenntag tendant à ce que soient écartées des débats certaines pièces contenant, selon elles, des propos attentatoires à la vie privée, injurieux ou diffamatoires et joint à l'examen au fond du dossier l'incident relatif à l'origine illicite de certaines autres pièces.
8. Enfin, par un arrêt du 3 décembre 2020, la cour d'appel a statué sur les griefs notifiés aux sociétés en cause.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et quatrième branches, du pourvoi n° 20-23.582 formé par la société Deutsche Bahn AG
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, du pourvoi n° 20-23.582 formé par la société Deutsche Bahn AG
Enoncé du moyen
10. La société Deutsche Bahn AG fait grief à l'arrêt du 3 décembre 2020 de dire que la société Brenntag SA, en tant qu'auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, en leur qualité de sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce ainsi que celles de l'article 101 du TFUE en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle unique et complexe visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires, de dire les sociétés Brenntag SA en tant qu'auteur des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de sociétés mères, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix, et de condamner en conséquence la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, à payer, au titre de la première entente, solidairement avec la société Brenntag SA une amende de 47 043 774 euros, et seule une sanction de 5 224 995 euros, et, au titre de la seconde entente, une sanction de 50 916 euros après lui avoir refusé le bénéfice des réductions ou exonération d'amende dont la société Brenntag a profité en application des règles sur la clémence, alors « qu'une société mère doit pouvoir renverser la présomption d'influence déterminante de sa filiale par un faisceau d'indices démontrant qu'en l'absence de liens économiques, juridiques et organisationnels, l'auteur des pratiques anticoncurrentielles a agi en toute autonomie sans influence de sa société mère ; que, dès lors, en affirmant que l'absence de mandataire commun, l'autonomie alléguée de la société Brenntag SA dans la détermination de sa politique commerciale, la nature de société "holding" de la société Stinnes AG, l'absence de mise en œuvre du système d'information spécifique par la société Brenntag SA au profit de sa mère, la société Stinnes AG, ne sont pas des éléments qui, considérés dans leur ensemble, permettent de renverser la présomption d'influence déterminante de la société Stinnes AG, devenue DBML sur sa filiale Brenntag, la cour d'appel qui a rendu la présomption irréfragable, a violé les articles 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, 48 de la charte de l'Union européenne, 101 du TFUE, L. 420-1 et L. 464-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
11. Après avoir retenu que si la détention par la société Stinnes AG, devenue DB Mobility Logistics AG, de 100 % du capital de la société Brenntag SA, par l'intermédiaire de la société Stinnes SA, pendant la période infractionnelle fait présumer que la société Stinnes AG a formé, au cours de cette période, une entreprise unique avec la société Brenntag SA et qu'elle a exercé une influence déterminante sur cette dernière, l'arrêt en déduit qu'il appartient à la société DB Mobility Logistics AG, pour renverser cette présomption réfragable, d'établir, que la société Brenntag SA se comportait, au cours de cette même période, de manière autonome sur le marché sans aucun contrôle de sa part.
12. L'arrêt retient, ensuite, que la société DB Mobility Logistics AG ne verse aucun élément de nature à établir une organisation du groupe induisant que la société Stinnes AG, bien qu'ayant vocation, en tant que société holding regroupant des participations dans les diverses sociétés du groupe, à en assurer l'unité de direction, n'exerçait pas ce rôle, ni n'assurait aucun contrôle de la société Brenntag SA.
13. L'arrêt retient encore que la circonstance que la société Stinnes AG n'ait eu, pendant la période infractionnelle, aucun mandataire commun avec la société Brenntag SA n'est pas déterminante dans un contexte de détention de la totalité du capital social de la société Brenntag SA, fût-ce indirectement par l'intermédiaire de la société Stinnes SA. Il ajoute, par les motifs vainement critiqués par la deuxième branche, que la société DB Mobility Logistics AG présente la société Brenntag AG comme ayant été la véritable société mère opérationnelle de la société Brenntag SA pendant cette période et que ces deux sociétés ont eu, au cours de cette période, près de huit mandataires communs, cependant que les sociétés Stinnes AG et Brenntag AG ont eu, dans le même temps, un mandataire commun, dont le mandat au conseil de surveillance de la société Brenntag AG entraînait une responsabilité légale pour l'ensemble des activités de la société, en ce inclus son comportement sur le marché.
14. L'arrêt retient, enfin, par les motifs vainement critiqués par les troisième et quatrième branches, que la société DB Mobility Logistics AG ne verse aucun élément de nature à établir que la société Stinnes AG ne disposait d'aucun moyen de contrôler l'activité de sa filiale, notamment au regard des éléments fournis par cette dernière pour l'élaboration des comptes consolidés.
15. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que l'absence de mandataire commun, l'autonomie alléguée de la société Brenntag SA dans la détermination de sa politique commerciale, la nature de société holding de la société Stinnes AG, l'absence de mise en oeuvre du système d'information spécifique par la société Brenntag SA au profit de cette dernière, ne sont pas des éléments qui, fussent-ils considérés dans leur ensemble, permettent de renverser la présomption d'influence déterminante de la société Stinnes AG sur sa filiale, la société Brenntag SA, et partant, de considérer qu'elles ne formaient pas une entreprise unique au sens du droit de la concurrence.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen du pourvoi n° 20-23.582 formé par la société Deutsche Bahn AG
17. La société Deutsche Bahn AG fait grief à l'arrêt du 3 décembre 2020 de rejeter ses demandes tendant à bénéficier de l'exonération totale ou partielle accordée à la société Brenntag SA à l'occasion de la procédure de clémence et de la condamner, en conséquence, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, seule au paiement d'une amende de 5 224 995 euros au titre du grief n° 1 et de 50 916 euros au titre du grief n° 2, alors « que si la responsabilité des sociétés mères est entièrement dérivée de celle d'une filiale qui leur a successivement appartenu, le montant total des condamnations qui peuvent être prononcées contre les sociétés mères ne peut pas excéder le montant auquel est condamné cette filiale ; qu'en condamnant l'ancienne société mère à des amendes supérieures à celle de sa filiale, après lui avoir refusé le bénéfice des exonérations totales ou partielles dont sa filiale auteur des pratiques avait profité, la cour d'appel a violé les articles 101 du TFUE, L. 420-1 et L. 464-2, IV, du code de commerce. »
Réponse de la Cour
18. La condamnation d'une société mère, au titre de l'influence déterminante qu'elle exerce sur sa filiale, n'est pas une simple garantie de paiement lorsque la société mère participe, à raison de son influence déterminante, à la pratique anticoncurrentielle mise en oeuvre. Il s'ensuit que la sanction prononcée contre la société mère peut être d'un montant supérieur à celui de sa filiale dès lors que, contrairement à cette dernière, la société mère ne bénéficie pas de la procédure de clémence.
19. Ayant retenu que la société Deutsche Bahn AG n'était pas fondée à invoquer à son profit l'extension du bénéfice de la clémence accordée à son ancienne filiale, la société Brenntag SA, c'est sans encourir le grief du moyen que, bien que la responsabilité de la première résultât de l'influence déterminante qu'elle exerçait sur la seconde au cours de la période infractionnelle, la cour d'appel a prononcé à l'encontre de la société Deutsche Bahn AG des sanctions pécuniaires d'un montant supérieur à celui des sanctions prononcées à l'encontre de la société Brenntag SA.
20. Le moyen n'est donc pas fondé.
21. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 101 du TFUE, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles proposées par la société Deutsche Bahn AG.
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° 20-23.715 formé par les sociétés Brenntag
Enoncé du moyen
22. Les sociétés Brenntag font grief à l'arrêt du 3 décembre 2020 de prononcer une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros contre la société Brenntag SA, solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, alors « qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 463-2, L. 463-3 et L. 464-5 du code de commerce dans leur rédaction applicable en la cause que la possibilité, pour les personnes poursuivies devant le Conseil de la concurrence, devenu l'Autorité, de voir établi par les rapporteurs, eux-mêmes tenus d'instruire à charge et à décharge, un rapport, fruit de la confrontation de la notification des griefs avec les observations en défense, enrichi d'éventuelles mesures d'instruction complémentaires et de données chiffrées permettant de mieux appréhender la sanction pécuniaire susceptible d'être prononcée, constituait une garantie des droits de la défense à laquelle il ne pouvait être dérogé au détriment des personnes poursuivies qu'en compensation d'une limitation de la sanction pécuniaire encourue à un plafond de 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées ; que la cour d'appel de Paris, lorsqu'elle annule une décision de l'Autorité de la concurrence et se prononce sur les griefs notifiés en vertu de l'effet dévolutif, statue avec les mêmes pouvoirs que ceux de l'Autorité et selon les mêmes limitations quant aux sanctions maximales susceptibles d'être infligées ; qu'en l'espèce, après avoir, dans son arrêt du 2 février 2017 annulé dans sa totalité le rapport des rapporteurs ainsi que la décision subséquente du collège de l'Autorité, cette dernière en tant qu'elle concernait les sociétés Brenntag et DB Mobility Logistics, et décidé de faire jouer l'effet dévolutif, privant par-là les sociétés Brenntag de la garantie que constituait l'établissement d'un rapport par les services de l'instruction de l'Autorité, la cour d'appel a, par son arrêt du 3 décembre 2020, infligé une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à la société Brenntag SA, solidairement avec la société Deutsche Bahn AG ; qu'en ne limitant pas le montant de cette sanction pécuniaire à hauteur de 750 000 euros, alors que ce plafond légal constituait le corollaire nécessaire d'une procédure répressive menée à son terme sans la garantie que constituait l'établissement d'un rapport, la cour d'appel a violé les articles L. 463-2, L. 463-3 et L. 464-5 du code de commerce dans leur version applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
23. Vu les articles L. 463-2, L. 463-3, L. 464-5 et R. 463-11 du code de commerce, le deuxième dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 et le troisième dans sa rédaction abrogée par cette loi :
24. Il résulte de la combinaison des articles L. 464-8 du code de commerce et 561 et 562 du code de procédure civile que, lorsque l'irrégularité ayant motivé l'annulation d'une décision de l'Autorité de la concurrence n'est pas de nature à affecter la validité de la notification des griefs et de sa propre saisine, il appartient à la cour d'appel, en vertu de l'effet dévolutif du recours, de se prononcer sur ces griefs.
25. Il résulte par ailleurs de la combinaison des articles L. 463-2 et R. 463-11 du code de commerce qu'après la notification des griefs, les parties peuvent présenter des observations pendant un délai de deux mois et qu'un rapport, qui soumet à la décision de l'Autorité de la concurrence une analyse des faits et de l'ensemble des griefs, leur est ensuite notifié, accompagné, le cas échéant, de ces observations et des documents sur lesquels se fonde le rapporteur. Les parties ont alors un délai de deux mois pour présenter un mémoire en réponse.
26. Enfin, selon l'article L. 463-3 de ce code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 décembre 2020, le rapporteur général peut, lors de la notification des griefs, décider que l'affaire sera examinée par l'Autorité de la concurrence sans établissement préalable du rapport prévu par les articles précités. Il résulte de l'article L. 464-5 de ce code, dans sa rédaction abrogée par cette même loi du 3 décembre 2020, que lorsque l'Autorité statue selon cette procédure simplifiée, elle ne peut prononcer une sanction pécuniaire d'un montant supérieur à 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées.
27. Lorsque la cour d'appel, saisie d'un recours contre une décision de l'Autorité de la concurrence, annule le rapport établi en application des articles L. 463-2 et R. 463-11 du code de commerce, elle n'en demeure pas moins tenue de se prononcer sur ces griefs, dès lors que cette annulation est sans incidence sur la validité de la notification des griefs et de sa propre saisine.
28. Cependant, dans l'hypothèse où la notification des griefs est intervenue antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2020, cette annulation prive les parties de la possibilité de se référer, pour l'approuver ou la critiquer, à l'analyse des griefs et des déterminants de la sanction présentée, au cours d'une phase contradictoire de la procédure, par un rapporteur qui, s'il ne peut être considéré comme impartial à l'égard des parties, en tant qu'autorité de poursuite, est toutefois tenu d'instruire à charge et à décharge. Les mémoires déposés devant la cour d'appel par le président de l'Autorité de la concurrence, en tant que partie à l'instance relative au recours contre la décision de l'Autorité, ne peuvent se substituer à une telle présentation.
29. En conséquence, dans une telle hypothèse, afin de préserver les droits garantis aux parties en application des articles L. 463-2, L. 463-3, L. 464-5 et R. 463-11 du code de commerce, le deuxième dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 3 décembre 2020 et le troisième dans sa rédaction abrogée par cette loi, la cour d'appel doit renvoyer l'affaire à l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport ou, si elle décide de statuer en l'absence de rapport, ne pas prononcer de sanctions pécuniaires excédant le plafond de 750 000 euros prévu au troisième de ces textes.
30. L'arrêt du 3 décembre 2020, après avoir retenu que la société Brenntag SA avait participé à une entente complexe et continue de dimension multirégionale sur les commodités chimiques, dont l'objet anticoncurrentiel unique a consisté en une répartition de clientèle et une coordination tarifaire, prononce à son encontre une sanction pécuniaire d'un montant de 47 043 774 euros.
31. En statuant ainsi, alors qu'ayant annulé le rapport établi en application des articles L. 463-2 et R. 463-11 du code de commerce, elle devait renvoyer l'affaire à l'Autorité pour rédaction d'un nouveau rapport ou prononcer une sanction pécuniaire d'un montant qui ne pouvait être supérieur à 750 000 euros, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
32. La société Deutsche Bahn AG n'ayant été condamnée, solidairement avec la société Brenntag SA, au paiement de la sanction pécuniaire prononcée à l'encontre de cette dernière qu'en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, ancienne société mère de la société Brenntag SA pendant une partie de la période infractionnelle, la cassation prononcée sur le premier moyen du chef de dispositif prononçant à l'encontre de la société Brenntag SA une sanction pécuniaire d'un montant de 47 043 774 euros entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif condamnant la société Deutsche Bahn AG, solidairement avec la société Brenntag SA, au paiement de cette sanction.
33. L'intérêt d'une bonne administration de la justice ne justifie pas que la Cour de cassation statue au fond sur les points atteints par la cassation et il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de déterminer s'il convient de renvoyer l'affaire à l'Autorité de la concurrence pour rédaction d'un nouveau rapport ou de prononcer une sanction à l'encontre des sociétés Brenntag.
34. Les sociétés Brenntag n'ayant présenté leurs autres moyens de cassation qu'à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour rejetterait leur premier moyen, il n'y a pas lieu de statuer sur ces autres moyens présentés par ces sociétés.
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident au pourvoi n° 20-23.715, formé par les sociétés Solvadis Deutschland GmbH et Solvadis Distribution GmbH, qui n'est relevé qu'à titre éventuel, en cas de cassation prononcée sur les deuxième, troisième ou quatrième moyens de ce pourvoi, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° 20-23.582 formé par la société Deutsche Bahn AG ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il prononce, au titre de l'entente anticoncurrentielle unique et complexe ayant visé à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de conditions tarifaires, une sanction pécuniaire de 47 043 774 euros à l'encontre de la société Brenntag SA, solidairement avec la société Deutsche Bahn AG, en tant que venant aux droits de la société DB Mobility Logistics AG, l'arrêt rendu, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, le 3 décembre 2020 ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.