Cass. 2e civ., 8 décembre 2022, n° 20-22.468
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Bohnert
Avocat général :
Mme Trassoudaine-Verger
Avocats :
SCP Gaschignard, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 octobre 2020), la société Demander justice (la société) exploite deux sites Internet qui mettent à la disposition des internautes, moyennant rémunération, des déclarations de saisine d'un tribunal d'instance, d'une juridiction de proximité ou d'un conseil de prud'hommes, pouvant être complétées en ligne avec les informations utiles et étant ensuite adressées par la société en format papier au greffe de la juridiction.
2. Le Conseil national des barreaux (le CNB), auquel s'est ultérieurement joint le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris, a assigné la société aux fins d'obtenir sa condamnation sous astreinte à cesser toute activité d'assistance et de représentation en justice, de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé, et à cesser l'exploitation des sites Internet litigieux.
3. Par arrêt du 6 novembre 2018, la cour d'appel de Paris a pour partie confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 11 janvier 2017 les ayant déboutés de ces demandes et, infirmant partiellement ce jugement, elle a enjoint à la société de faire disparaître de son site, dans le mois de la signification de l'arrêt, les mentions relatives aux taux de réussite, sauf à en mentionner précisément les modalités de calcul et lui a fait interdiction d'utiliser ensemble sur son site les trois couleurs du drapeau français, ces deux injonctions étant assorties d'une astreinte de 5 000 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois après la signification de la décision.
4. Par décision du 29 janvier 2020, le juge de l'exécution a liquidé l'astreinte pour la période du 14 mars au 6 novembre 2019.
5. La société a fait appel de cette décision et, par requête du 4 février 2020, elle a saisi la cour d'appel d'une demande tendant à voir retrancher de l'arrêt du 6 novembre 2018 les deux dispositions d'injonction et interdiction assorties des astreintes liquidées par le juge de l'exécution, pour lesquelles elle estimait que la cour d'appel avait statué au-delà de ce qui lui était demandé.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. La société fait grief à l'arrêt de dire irrecevable comme tardive sa requête en retranchement et en annulation du 4 février 2020, alors :
« 1°/ que le droit au recours effectif implique qu'aucun délai ne saurait courir contre un justiciable pour former un recours contre une décision avant que cette décision ait été portée à sa connaissance ; que la société Demander Justice faisait valoir que l'arrêt du 6 novembre 2018 ne lui avait été signifié que le 5 février 2019, de sorte que sa requête en retranchement formée le 4 février 2020 l'avait été dans le délai d'un an à compter de la signification ; qu'en retenant néanmoins, pour juger sa requête irrecevable comme tardive, qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le délai pour exercer le recours prévu par l'article 464 du code de procédure civile contre une décision ayant prononcé une astreinte ne peut courir qu'à compter de la date de signification qui rend cette décision exécutoire ; qu'en jugeant irrecevable comme tardive la requête en retranchement formée par la société Demander Justice au motif qu'elle avait été formée plus d'un an après le prononcé de la décision concernée, bien que les condamnations que celle-ci prononçait aient été assorties d'astreintes ne commençant par conséquent à courir que postérieurement à la signification, la cour d'appel a violé l'article 464 du code de procédure civile, ensemble l'article R. 131-1 du code des procédures civiles d'exécution. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. Le CNB conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.
8. Toutefois, le moyen est de pur droit dès lors qu'il invoque une atteinte à la substance même du droit d'accès au juge et ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.
9. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
10. En application des articles 463 et 464 du code de procédure civile, la demande tendant à faire rectifier la décision par laquelle le juge s'est prononcé sur des choses non demandées ou a accordé plus qu'il n'a été demandé, doit être présentée un an au plus tard après que la décision est passée en force de chose jugée ou en cas de pourvoi en cassation de ce chef, à compter de l'arrêt d'irrecevabilité.
11. Cependant la force de chose jugée attachée à une décision judiciaire dès son prononcé ne peut avoir pour effet de priver une partie d'un droit tant que cette décision ne lui a pas été notifiée.
12. L'arrêt relève que l'arrêt du 6 novembre 2018 a été porté à la connaissance de la société par la signification du 5 février 2019. Il en résulte que celle-ci disposait d'un délai de 9 mois, courant jusqu'au 6 novembre 2019 pour agir en rectification de la décision.
13. Par ce motif de pur droit, substitué d'office à ceux critiqués par le moyen, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve, dès lors que la société a disposé d'un recours effectif, légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.