CA Douai, ch. 1 sect. 2, 29 mars 2013, n° 12/00164
DOUAI
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Okaidi (SA)
Défendeur :
Tape à l'Oeil (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Zenati
Conseillers :
Mme Bonnemaison, Mme Duperrier
Avocats :
Me Levasseur, Me Binder Granrut, Me Congos, Me Boespflug
Vu le jugement rendu le 14 septembre 2011 par le tribunal de grande instance de Lille, qui a :
- dit que la société Okaidi était recevable en son action,
- dit que le motif étoile strass qu'elle a apposé sur ses vêtements n'est pas original,
- débouté la société Okaidi de l'ensemble de ses demandes relatives aux actes de contrefaçon ainsi que de ses demandes de publication du jugement,
- débouté la société Okaidi de ses demandes relatives aux actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- débouté la société Okaidi de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Okaidi à payer de ce chef à la société Tape A L'Oeil la somme de 2.000 €,
- condamné la société Okaidi aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
Vu l'appel régulièrement interjeté par la sa Okaidi,
Vu les conclusions récapitulatives déposées le 9 août 2012 par l'appelante,
Vu les conclusions déposées le 11 juin 2012 par la sas Tape A L'Oeil,
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 29 octobre 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que la sa Okaidi, créatrice et distributrice de vêtements et chaussures pour enfants principalement par l'intermédiaire de succursales qu'elle exploite notamment sous l'enseigne Okaidi dans le cadre d'un contrat de licence de marque que lui a consenti la société mère ID Group, a fait citer la sas Tape A L'Oeil devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins d'obtenir réparation des actes de contrefaçon dont elle se serait rendu coupable en portant atteinte à ses droits d'auteur sur un modèle de pull débardeur comportant au dos un motif d'étoile en strass, ainsi que d'actes de concurrence déloyale et parasitaire ; qu'elle a interjeté appel du jugement déféré qui, s'il a retenu la recevabilité de son action, l'en a déboutée au motif que le modèle d'étoile en strass serait dépourvu d'originalité et ne pouvait bénéficier de la protection du Livre I du code de la propriété intellectuelle, et qu'elle ne démontrait pas l'appropriation déloyale de ce modèle par la sas Tape A L'Oeil qui aurait commercialisé ses modèles de robe comportant une étoile en strass à une période très proche ;
1 - sur la recevabilité de l'action :
Attendu que l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée ;
Attendu que le modèle de pull débardeur orné d'une étoile strass argent versé aux débats par la sa Okaidi porte une étiquette à son nom cousue à l'intérieur de l'encolure à laquelle est agrafée une étiquette affichant le prix de l'article pour la taille 8 ans ; que la fiche technique du produit est également produite aux débats, ainsi qu'un rapport d'implantation dans les magasins Okaidi du modèle litigieux, le stock disponible et la quantité vendue au titre de la semaine 42 de 2009, le calcul du résultat dégagé et de la marge réalisée ; qu'il en ressort que le modèle a été commercialisé ;
Attendu dans ces conditions que le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la société Okaidi bénéficiait de la présomption de titularité prévue à l'article L 113-1 du code de la propriété intellectuelle précité, la sas Tape A L'Oeil n'administrant pas la preuve inverse ;
2 - sur les actes de contrefaçon :
Attendu qu'il résulte de l'article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle que l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ;
Attendu que ces dispositions protègent les droits d'auteur sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels que soient le genre, le mérite ou la destination, à la seule condition que ces oeuvres présentent un caractère original, indépendamment de la notion d'antériorité, inopérante dans le cadre de l'application du droit de la propriétaire littéraire et artistique ; que l'originalité s'entend comme le reflet de la personnalité du créateur ;
Attendu qu'il résulte des pièces produites aux débats par la sa Okaidi et notamment d'une fiche technique du produit portant le code 47671 libellé 'pull débardeur strass' pour fille thème Basic P3 destiné à la collection hiver 2009 que le motif litigieux a été créé par les employés (chef de marché, styliste/ infographiste, modéliste) de la société ; que de l'échange de courriels entre la société Okaidi et la société Shing Fun Group dont le siège est à Hong Kong, il ressort que le 27 avril 2009, cette fiche technique a été adressée à cette dernière pour la confection d'un prototype du pull débardeur strass 47671, réceptionnée par le destinataire le 28 avril 2009 ; que les commentaires de la société Okaidi relatifs au prototype ont été adressés au fournisseur, la société Shangai Rep. le 9 juin 2009 ; qu'en définitive la confection de ce modèle a été confiée à un autre fournisseur ;
Attendu que la sas Tape A L'Oeil soutient que le motif d'étoile en strass ornant la robe en coton pour enfant Kara qu'elle a commercialisée au cours de l'hiver 2009 lui a été proposé par le fournisseur chinois, la société Shing Fun à qui elle avait confié la fabrication de ce modèle en novembre 2008 ;
Attendu qu'il ressort du procès verbal de saisie contrefaçon diligenté le 6 mai 2010 par Maître Sébastien Gobert, huissier de justice à Roubaix, désigné par ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance de Lille du 20 avril 2010, que le modèle argué de contrefaçon - référencé 47234 - a été commandé à la société Shing Fun Ma le 17 juillet 2009, livré en 7092 exemplaires le 31 octobre 2009 ; que la société Tape A L'Oeil a remis à l'huissier le dossier technique de la robe Kara qui porte la date du 19 novembre 2008 ; que toutefois elle ne revendique pas être l'auteur du modèle litigieux ;
Attendu que la société Tape A L'Oeil produit en outre une attestation émanant de la société Shing Fun en date du 15 septembre 2010 ainsi rédigée :
'J'apporte la preuve que j'ai offert à Tape A L'oeil en novembre 2008 un motif artistique fait en strass. Celui-ci était une étoile.
Nous avons été inspirés pour le créer par un shopping dans un magasin local de Hong Kong durant le mois de mai 2007"
à laquelle est jointe une photographie d'un vêtement d'enfant orné de l'inscription 'Love for JVNK' et de divers motifs dont deux étoiles à cinq branches strassées ; que la cour relève toutefois qu'il n'existe aucun élément de preuve objectif de la date d'acquisition de ce modèle ni de son origine en dehors des affirmations du fournisseur de la société Tape A L'Oeil, qui avait par ailleurs adressé à la société Okaidi un courriel le 25 juin 2010 par lequel elle affirmait que le design de l'étoile utilisé pour les produits Tape A L'Oeil provenait de son showroom dans lequel se trouve un rack rempli d'échantillons de shopping comprenant des motifs tendances et intéressants, mais ne précise pas depuis quelle date s'y serait trouvé le motif litigieux ;
Attendu qu'en outre dans ce courriel la société Shing Fun indique qu' 'en étudiant la situation plus précisément', elle avait effectivement développé un modèle d'étoile pour la société Okaidi, similaire avec celui développé pour TAO (Tape A L'Oeil), mais qui n'avait pas retenu son attention car n'ayant pas dépassé le stade du développement du premier prototype, et que si elle avait su plus tôt que le modèle était similaire au sien, son protocole était d'alerter TAO immédiatement sur le fait que le modèle en question ne pouvait être utilisé en raison du conflit avec les droits de la propriété intellectuelle d'un autre client, ce qui suppose que le prototype de la société Okaidi comportant le motif litigieux était en sa possession lorsqu'elle a proposé le modèle de robe à la société Tape A L'Oeil comportant le même motif ;
Attendu dès lors que les affirmations de la société Shing Fun sont contradictoires et ne présentent aucune valeur probante de ce que le modèle commercialisé par la société Tape A L'Oeil trouverait son origine dans un shopping réalisé par ses soins en 2007 à Hong Kong ou lui aurait été proposé en novembre 2008 ;
Attendu que l'étoile en strass créée par la société Okaidi, si elle s'inscrit dans une tendance du prêt à porter à partir de 2008, se présente sous un aspect particulier ; qu'en effet, au lieu d'être composée de cinq branches de manière classique, les deux branches inférieures ne sont pas entièrement dessinées mais donnent l'impression de se désagréger avec un effet de pluie de strass de couleur argent de taille inégale ; que cette composition donnant l'effet d'une constellation porte la trace d'un effort de création et de recherche esthétique conférant à ce motif une originalité caractérisant une création intellectuelle propre à son auteur éligible à la protection de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle précité ; que le jugement mérite d'être infirmé de ce chef ;
Attendu que la comparaison des motifs litigieux révèle qu'ils sont identiques tant dans leur aspect que dans leur composition, les strass argent de taille plus importante que les autres ayant été cousus aux mêmes emplacements ; que la contrefaçon du motif créé par la société Okaidi ornant le modèle de pull débardeur par le motif ornant la robe Kara commercialisée par la société Tape A L'oeil est évidente et servile ;
Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle que, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats par la société Okaidi que le modèle litigieux a été commercialisé au prix unitaire moyen de 13,90 € ht ; qu'elle était en mesure de proposer à la vente les quantités proposées par la société Tape A L'Oeil qui figurent dans le procès verbal de saisie contrefaçon, lui ayant permis de réaliser une marge nette de 28.560,21 €; que la perte de clients au profit de la société Tape A L'Oeil n'est toutefois pas avérée dès lors que le modèle commercialisé est différent puisqu'il s'agit d'un pull débardeur d'une part et d'une robe d'autre part ; que par contre les frais engagés pour la création du motif sont réels ; qu'en outre l'atteinte à ses droits sur son nom et son image a nécessairement causé un préjudice moral au créateur ; que l'ensemble de ces éléments permet de fixer à la somme de 40.000 € le montant de la réparation due par la sas Tape A L'Oeil au profit de la sa Okaidi ;
Qu'en outre la société Okaidi est bien fondée à obtenir l'interdiction à l'intimée sous astreinte de 500 € par infraction constatée de poursuivre la commercialisation du modèle contrefaisant, et l'envoi de ses stocks des modèles contrefaisant à telle association caritative désignée par l'appelante, sous astreinte de 500 € par jour de retard; qu'il n'apparaît pas opportun d'autoriser les mesures de publication sollicitées ;
2 - sur la concurrence déloyale :
Attendu que dès lors que la sas Tape A L'Oeil a commercialisé un modèle orné d'un motif proposé par son fournisseur il ne saurait lui être fait grief d'avoir rechercher à faire des économies de toute recherche et tout effort créatif en spoliant la société Okaidi de son savoir-faire ; que les modèles litigieux ont été commercialisés à une période très proche et à des prix voisins des modèles contrefaits ; qu'aucune faute distincte de celle en relation avec la reproduction contrefaisante n'étant dans ces conditions démontrée, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Okaidi de sa demande de ce chef ;
Attendu que l'exécution provisoire ne peut assortir une décision d'appel insusceptible d'un recours suspensif ; que l'équité commande de faire bénéficier la sa Okaidi des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la sa Okaidi de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire, et dit que la sa Okaidi est recevable en son action fondée sur la contrefaçon de droit d'auteur,
L'infirme sur le surplus de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que le modèle de vêtement orné d'une étoile strass argent créé par la sa Okaidi est original et éligible au titre de la protection du droit d'auteur,
Dit que la sas Tape A L'Oeil s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de ce modèle,
Fait interdiction à la sas Tape A L'Oeil de poursuivre la commercialisation et l'offre à la vente du modèle contrefaisant, sous astreinte de 500 € par infraction constatée,
Ordonne à la sas Tape A L'Oeil aux frais de cette dernière d'envoyer ses stocks du modèle contrefaisant à une association caritative qu'il plaira à la sa Okaidi de désigner, sous astreinte de 500 € par jour de retard passé le délai de 15 jours à compter de la notification par voie recommandée ou par huissier par cette dernière des coordonnées de ladite association,
Dit n'y avoir lieu à publication de la présente décision,
Condamne la sas Tape A L'Oeil à verser à la sa Okaidi la somme de 40.000 € en réparation des actes de contrefaçon,
Condamne la sas Tape A L'Oeil à verser à la sa Okaidi la somme de 5.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la sas Tape A L'Oeil aux dépens de première instance et d'appel, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.