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Décisions

CJUE, 5e ch., 7 septembre 2023, n° C-832/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Beverage City & Lifestyle GmbH, MJ, Beverage City Polska Sp. z o.o., FE

Défendeur :

Advance Magazine PublishersInc.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Regan

Juges :

M. Gratsias, M. Ilešič (rapporteur), M. Jarukaitis, M. Csehi

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocats :

Me Greisner, Me Gil, Me Irmiński, Me Oleksyn, Me Ahmann, Me Raab, Me Tenkhoff

CJUE n° C-832/21

6 septembre 2023

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, point 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Beverage City & Lifestyle GmbH, MJ, Beverage City Polska sp. z o.o. et FE à Advance Magazine Publishers Inc. au sujet d’une action en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne engagée par cette dernière société.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1215/2012

3 Les considérants 15, 16 et 21 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.

(16) Le for du domicile du défendeur devrait être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter la bonne administration de la justice. L’existence d’un lien étroit devrait garantir la sécurité juridique et éviter la possibilité que le défendeur soit attrait devant une juridiction d’un État membre qu’il ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Cet aspect est important, en particulier dans les litiges concernant les obligations non contractuelles résultant d’atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, notamment la diffamation.

[...]

(21) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome. »

4 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

5 L’article 8 dudit règlement prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite :

1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ;

[...] »

Le règlement (UE) 2017/1001

6 L’article 1er du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), intitulé « Marque de l’Union européenne », dispose, à son paragraphe 2 :

« La marque de l’Union européenne a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union [européenne] : elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de l’Union. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement. »

7 L’article 9 de ce règlement, intitulé « Droit conféré par la marque de l’Union européenne », énonce :

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif.

2. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d’une marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque :

a) ce signe est identique à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée ;

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

c) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne, indépendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisé soient identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque de l’Union européenne ou leur porte préjudice.

[...]

4. Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité de la marque de l’Union européenne, le titulaire de cette marque de l’Union européenne est en outre habilité à empêcher tout tiers d’introduire des produits, dans la vie des affaires, dans l’Union sans qu’ils y soient mis en libre pratique, lorsque ces produits, conditionnement inclus, proviennent de pays tiers et portent sans autorisation une marque qui est identique à la marque de l’Union européenne enregistrée pour ces produits ou qui ne peut être distinguée, dans ses aspects essentiels, de cette marque.

Le droit conféré au titulaire d’une marque de l’Union européenne en vertu du premier alinéa s’éteint si, au cours de la procédure visant à déterminer s’il a été porté atteinte à la marque de l’Union européenne, engagée conformément au règlement (UE) no 608/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 12 juin 2013, concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle et abrogeant le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil (JO 2013, L 181, p. 15),] le déclarant ou le détenteur des produits apporte la preuve que le titulaire de la marque de l’Union européenne n’a pas le droit d’interdire la mise sur le marché des produits dans le pays de destination finale. »

8 Le chapitre X du règlement 2017/1001, intitulé « Compétence et procédure concernant les actions en justice relatives aux marques de l’Union européenne », comprend les articles 122 à 135 de celui-ci.

9 L’article 122 de ce règlement, intitulé « Application des règles de l’Union en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale », énonce, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1. À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les règles de l’Union en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont applicables aux procédures concernant les marques de l’Union européenne et les demandes de marque de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures concernant les actions simultanées ou successives menées sur la base de marques de l’Union européenne et de marques nationales.

2. En ce qui concerne les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124 :

a) l’article 4, l’article 6, l’article 7, points 1, 2, 3 et 5, et l’article 35 du règlement [no 1215/2012] ne sont pas applicables ;

b) les articles 25 et 26 du règlement [no 1215/2012] sont applicables dans les limites prévues à l’article 125, paragraphe 4, du présent règlement ;

c) les dispositions du chapitre II du règlement [no 1215/2012] qui s’appliquent aux personnes domiciliées dans un État membre s’appliquent également aux personnes qui ne sont pas domiciliées dans un État membre, mais qui y ont un établissement. »

10 L’article 124 du règlement 2017/1001, intitulé « Compétence en matière de contrefaçon et de validité », dispose :

« Les tribunaux des marques de l’Union européenne ont compétence exclusive :

a) pour toutes les actions en contrefaçon et – si le droit national les admet – en menace de contrefaçon d’une marque de l’Union européenne ;

[...] »

11 L’article 125 de ce règlement, intitulé « Compétence internationale », prévoit :

« 1. Sous réserve des dispositions du présent règlement ainsi que des dispositions du règlement [no 1215/2012] applicables en vertu de l’article 122, les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124 sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement.

[...]

5. Les procédures résultant des actions et demandes visées à l’article 124, à l’exception des actions en déclaration de non contrefaçon d’une marque de l’Union européenne, peuvent également être portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le fait de contrefaçon a été commis ou menace d’être commis ou sur le territoire duquel un fait visé à l’article 11, paragraphe 2, a été commis. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 Advance Magazine Publishers, établie à New York (États-Unis), est titulaire de plusieurs marques de l’Union européenne contenant l’élément verbal « Vogue », pour lesquelles elle fait valoir qu’il s’agit de marques renommées.

13 Beverage City Polska est une société de droit polonais établie à Cracovie (Pologne). Elle produit une boisson énergisante sous la dénomination « Diamant Vogue » et en assure la promotion ainsi que la distribution. Son gérant, FE, est également domicilié à Cracovie.

14 Beverage City & Lifestyle est une société de droit allemand établie à Schorfheide, dans le Land de Brandebourg (Allemagne). Son gérant, MJ, est domicilié à Niederkassel dans le Land de Rhénanie du Nord Westphalie (Allemagne). Cette société était liée à Beverage City Polska par un contrat de distribution exclusive pour l’Allemagne en vertu duquel elle lui achetait la boisson énergisante mentionnée au point précédent. En dépit de la similitude de leurs noms, les deux sociétés n’appartiennent pas à un même groupe.

15 S’estimant victime de faits de contrefaçon de ses marques, Advance Magazine Publishers a engagé contre ces sociétés et leurs gérants respectifs, devant le tribunal des marques de l’Union européenne compétent pour le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à savoir le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne), une action en cessation sur l’ensemble du territoire de l’Union ainsi qu’en fourniture d’informations, reddition de comptes et constatation de l’obligation d’indemnisation. Par la suite, ces demandes annexes ont été limitées aux agissements en Allemagne.

16 Le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) a fait droit à l’action introduite par Advance Magazine Publishers, en fondant sa compétence internationale sur l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 en ce qui concerne Beverage City Polska et FE. Il a considéré que les principes établis par la Cour dans son arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C 24/16 et C 25/16, EU:C:2017:724), étaient applicables à l’affaire au principal.

17 Beverage City Polska et FE ont interjeté appel de la décision du Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf) devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne).

18 Ils font valoir l’absence de compétence internationale des juridictions allemandes pour connaître de l’action engagée à leur égard, en soulignant qu’ils ont agi et livré les marchandises à leurs clients exclusivement en Pologne. En outre, l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C 24/16 et C 25/16, EU:C:2017:724), ne serait pas transposable à leur situation, puisqu’il n’existerait pas de lien pertinent entre eux, d’une part, et Beverage City & Lifestyle et MJ, d’autre part.

19 La juridiction de renvoi considère que la compétence internationale des juridictions allemandes pour connaître de l’action à l’égard de Beverage City Polska et FE est subordonnée à la condition que, conformément à l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012, cette demande soit liée avec celle engagée contre MJ, qualifié de « défendeur d’ancrage », par un rapport si étroit qu’il y a un intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

20 Or, en l’occurrence, contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo (C 24/16 et C 25/16, EU:C:2017:724), la relation de livraison existant entre Beverage City Polska et Beverage City & Lifestyle ne concernerait pas le défendeur d’ancrage, celui-ci étant mis en cause seulement en sa qualité de représentant de cette dernière société. En outre, ces deux sociétés n’appartiendraient pas à un même groupe de sociétés et agiraient sous leur propre responsabilité et indépendamment l’une de l’autre.

21 La juridiction de renvoi s’interroge toutefois sur le point de savoir si l’existence d’un contrat de distribution exclusive entre Beverage City Polska et Beverage City & Lifestyle suffit à satisfaire à la condition prévue à l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012, étant précisé que l’affaire au principal concerne les mêmes marques et les mêmes produits.

22 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les demandes sont-elles liées entre elles par un “rapport si étroit” qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions inconciliables, au sens de l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012, lorsque, dans le cadre d’une action en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne, le lien est constitué par le fait que la défenderesse établie dans un État membre (en l’occurrence, la [République de] Pologne) a fourni les produits portant atteinte à une marque de l’Union européenne à une société établie dans un autre État membre (en l’occurrence, [la République fédérale d’]Allemagne), dont le représentant légal, également poursuivi en tant que contrefacteur, est le défendeur d’ancrage, dans le cas où les parties ne sont liées que par une simple relation entre un client et son fournisseur et qu’il n’existe pas, en droit ou en fait, de lien allant au delà ? »

Sur la question préjudicielle

23 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que plusieurs défendeurs, domiciliés dans différents États membres, peuvent être attraits devant la juridiction du domicile de l’un d’eux saisie, dans le cadre d’une action en contrefaçon, de demandes formées contre l’ensemble de ces défendeurs par le titulaire d’une marque de l’Union européenne lorsqu’il leur est reproché une atteinte matériellement identique à cette marque commise par chacun, lorsque ces défendeurs sont liés par un contrat de distribution exclusive.

24 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 125, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, les actions en contrefaçon, telles que celle en cause au principal, sont portées devant les tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile ou, si celui-ci n’est pas domicilié dans l’un des États membres, de l’État membre sur le territoire duquel il a un établissement, ce « [s]ous réserve des dispositions [de ce] règlement ainsi que des dispositions du règlement [no 1215/2012] applicables en vertu de l’article 122 » du premier règlement.

25 L’article 122 du règlement 2017/1001 précise, à son paragraphe 1, que, « [à] moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les règles de l’Union en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont applicables aux procédures concernant les marques de l’Union européenne et les demandes de marque de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures concernant les actions simultanées ou successives menées sur la base de marques de l’Union européenne et de marques nationales ». En outre, cet article 122 fixe, à son paragraphe 2, la liste des dispositions du règlement no 1215/2012 qui ne sont pas applicables ou qui sont applicables seulement sous certaines conditions aux procédures résultant, notamment, d’une action en contrefaçon.

26 Ainsi, dès lors que l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 ne figure pas au nombre de ces dispositions, il s’applique aux actions en contrefaçon concernant les marques de l’Union européenne.

27 En particulier, cette disposition énonce qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

28 Pour que des décisions puissent être considérées comme inconciliables, il ne suffit pas qu’il existe une divergence dans la solution des litiges, mais il faut encore que cette divergence s’inscrive dans le cadre d’une même situation de fait et de droit (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo, C 24/16 et C 25/16, EU:C:2017:724, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

29 En ce qui concerne, en premier lieu, la condition relative à l’existence d’une même situation de droit, la Cour a jugé, dans une affaire où était en cause une prétendue violation de droits conférés par des dessins ou des modèles communautaires, que cette condition est satisfaite dans le cas où un requérant vise à protéger un droit exclusif d’utilisation de tels dessins ou modèles communautaires, consacré par le droit de l’Union et produisant les mêmes effets sur l’ensemble du territoire de l’Union, la différence de fondements juridiques en droit national de demandes relatives à cette protection étant sans incidence sur l’appréciation du risque de décisions contradictoires (voir, par analogie, arrêt du 27 septembre 2017, Nintendo, C 24/16 et C 25/16, EU:C:2017:724, point 46 à 49 ainsi que jurisprudence citée).

30 En matière de marque de l’Union européenne, il y a lieu de rappeler, d’une part, qu’un droit exclusif est octroyé au titulaire d’une telle marque par son enregistrement, en vertu de l’article 9 du règlement 2017/1001 et, d’autre part, que, conformément à l’article 1er, paragraphe 2, de ce règlement, la marque de l’Union européenne produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union. Il découle ainsi du droit exclusif conféré au titulaire d’une marque de l’Union européenne que celui-ci peut interdire à tout tiers d’en faire usage sans son consentement et le protéger par l’action en contrefaçon.

31 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’action en contrefaçon introduite par Advance Magazine Publishers visent à la protection du droit exclusif que possède cette société sur des marques de l’Union européenne, de sorte que la condition relative à l’existence d’une même situation de droit semble satisfaite, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

32 S’agissant, en second lieu, de la condition relative à l’existence d’une même situation de fait, il ressort de la demande de décision préjudicielle que Beverage City & Lifestyle et Beverage City Polska n’appartiennent pas à un même groupe, nonobstant la similitude de leurs noms et le contrat de distribution exclusive signé entre eux. En outre, la juridiction de renvoi souligne l’absence de relation entre, d’un côté, Beverage City Polska et FE et, de l’autre côté, le « défendeur d’ancrage », à savoir le gérant de Beverage City & Lifestyle, domicilié en Allemagne, même si ce gérant est également poursuivi en tant que contrefacteur.

33 Dès lors, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, dans ces conditions, l’existence d’un contrat de distribution exclusive est un élément suffisant pour constater l’existence d’une même situation de fait aux fins de l’application de l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012.

34 À cet égard, l’objectif de la règle de compétence visée à l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 répond, conformément aux considérants 16 et 21 de ce règlement, au souci de faciliter une bonne administration de la justice, de réduire au maximum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter ainsi des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (voir, par analogie, arrêt du 12 juillet 2012, Solvay, C 616/10, EU:C:2012:445, point 19).

35 Cette règle de compétence spéciale, en ce qu’elle déroge à la compétence de principe du for du domicile du défendeur énoncée à l’article 4 du règlement no 1215/2012, doit faire l’objet d’une interprétation stricte, qui n’aille pas au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ce règlement (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Solvay, C 616/10, EU:C:2012:445, point 21).

36 À cet égard, la Cour a jugé que, afin d’apprécier l’existence d’un lien de connexité entre les différentes demandes portées devant elle, il incombe à la juridiction nationale de prendre notamment en compte la circonstance selon laquelle plusieurs sociétés établies dans différents États membres sont accusées, chacune séparément, des mêmes actes de contrefaçon à l’égard des mêmes produits (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Solvay, C 616/10, EU:C:2012:445, point 29).

37 Comme l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 48 et 60 à 65 de ses conclusions, l’existence d’un lien de connexité des demandes concernées tient principalement à la relation existant entre l’ensemble des faits de contrefaçon commis plutôt que des liens organisationnels ou capitalistiques entre les sociétés concernées. De même, afin d’établir l’existence d’une même situation de fait, il convient également de porter une attention particulière à la nature des relations contractuelles existant entre le client et le fournisseur.

38 En l’occurrence, la juridiction de renvoi a relevé que Beverage City & Lifestyle était liée à Beverage City Polska par un contrat de distribution exclusive de la boisson énergisante « Diamant Vogue » en Allemagne. Une telle relation contractuelle exclusive entre ces deux sociétés peut rendre plus prévisible la possibilité que les actes de contrefaçon allégués à leur égard soient considérés comme relevant d’une même situation de fait, susceptible de justifier la compétence d’une seule juridiction pour statuer sur les demandes dirigées contre l’ensemble des acteurs ayant commis ces actes.

39 En outre, il ressort tant des pièces du dossier dont dispose la Cour que des réponses des parties au principal aux questions posées lors de l’audience que la coopération étroite des sociétés entre elles s’est également manifestée par l’exploitation de deux sites Internet dont les domaines appartiennent à un seul des codéfendeurs, par l’intermédiaire desquels, par renvois entre ces sites, étaient commercialisés les produits en cause au principal.

40 Une telle circonstance peut renforcer l’hypothèse de l’existence d’un lien de connexité entre les demandes d’Advance Magazine Publishers en matière de contrefaçon, mais aussi révéler le caractère prévisible de l’obligation de répondre d’allégations d’actes de contrefaçon ayant la même origine.

41 Par conséquent, le constat par une juridiction nationale de ce que les demandes dont elle est saisie sont dirigées contre différents acteurs ayant chacun contribué à la même atteinte à une marque de l’Union européenne dans le cadre d’une chaîne d’actes contrefactuels peut justifier que la condition relative à l’existence d’une même situation de fait semble satisfaite s’agissant de sa compétence pour statuer sur des demandes portées contre différents codéfendeurs visant les mêmes actes de contrefaçon concernant la même marque de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012.

42 Il appartiendra dès lors à la juridiction de renvoi d’apprécier l’existence d’une même situation de droit et de fait, en tenant compte de tous les éléments pertinents de l’affaire dont elle est saisie, en ce qui concerne les demandes dirigées contre les différents défendeurs.

43 Il reste que la règle posée à l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle puisse permettre à un requérant de former une demande contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié et, ainsi, de détourner la règle de compétence figurant à cette disposition, en créant ou en maintenant de manière artificielle les conditions d’application de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide, C 352/13, EU:C:2015:335, point 27 à 29 et jurisprudence citée).

44 Toutefois, l’hypothèse qu’un requérant ait formé une demande contre plusieurs défendeurs à la seule fin de soustraire l’un d’entre eux aux tribunaux de l’État où il est domicilié est exclue, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, lorsqu’il existe un lien étroit entre les demandes formulées contre chacun des défendeurs, lors de leur introduction, c’est-à-dire lorsqu’il y a un intérêt à les instruire et à les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément (voir, en ce sens, arrêt du 11 octobre 2007, Freeport, C 98/06, EU:C:2007:595, points 52 à 54).

45 Il appartient dès lors à la juridiction saisie de s’assurer que les demandes dirigées contre le seul des codéfendeurs dont le domicile justifie la compétence de la juridiction saisie n’aient pas pour objet de satisfaire de manière artificielle aux conditions d’application de l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012.

46 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que l’article 8, point 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres peuvent être attraits devant la juridiction du domicile de l’un d’eux saisie, dans le cadre d’une action en contrefaçon, de demandes formées contre l’ensemble de ces défendeurs par le titulaire d’une marque de l’Union européenne lorsqu’il leur est reproché une atteinte matériellement identique à cette marque commise par chacun, dans le cas où ces défendeurs sont liés par un contrat de distribution exclusive.

Sur les dépens

47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

L’article 8, point 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

doit être interprété en ce sens que :

plusieurs défendeurs domiciliés dans différents États membres peuvent être attraits devant la juridiction du domicile de l’un d’eux saisie, dans le cadre d’une action en contrefaçon, de demandes formées contre l’ensemble de ces défendeurs par le titulaire d’une marque de l’Union européenne lorsqu’il leur est reproché une atteinte matériellement identique à cette marque commise par chacun, dans le cas où ces défendeurs sont liés par un contrat de distribution exclusive.