Livv
Décisions

Cass. 3e civ., 17 mars 2004, n° 00-22.522

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Weber

Rapporteur :

Mme Lardet

Avocat général :

M. Bruntz

Avocats :

SCP Roger et Sevaux, Me Hémery

Douai, du 3 oct. 2000

3 octobre 2000

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 3 octobre 2000), que la société Ressorts Produits Industriels (société RPI), aux droits de laquelle se trouve la société Lefevere Industrie, maître de l'ouvrage, a, selon devis du 24 juillet 1984 et avenant du 22 janvier 1985 relatif aux sols de l'immeuble, confié l'exécution d'un marché de travaux de construction à la société Lensel, depuis lors en plan de cession après redressement judiciaire, assurée par la compagnie Generali France Assurances (anciennement la Concorde) ; qu'invoquant la dégradation des sols, le maître de l'ouvrage a, par acte du 14 juin 1995, sollicité en référé la désignation d'un expert puis, après dépôt du rapport, assigné le 28 mai 1997 l'entrepreneur et son assureur en réparation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la compagnie Générali France Accidents fait grief à l'arrêt de constater que la société en nom collectif Ressorts Produits Industriels est intervenue volontairement devant le tribunal à la place de la société anonyme Ressorts Français et de rectifier en ce sens la première page du jugement, alors, selon le moyen :

1 / que la cour d'appel ne peut, sous prétexte de rectification d'une erreur de plume, méconnaître la désignation du requérant telle qu'elle ressort clairement et sans ambiguïté d'un acte d'huissier ; qu'en prétendant passer outre au fait que l'assignation délivrée au fond émanait non de la SNC ressorts Produits Industriels au profit de laquelle étaient formées les demandes, mais d'une SA Ressorts Français, dépourvue de qualité pour agir à cette fin, la cour d'appel a méconnu l'article 648 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que le sort de l'intervention n'est indépendant de celui de l'action principale que lorsque l'intervenant, même principal, se prévaut d'un droit propre, distinct de celui invoqué par le demandeur principal ;

que tel n'est pas le cas en l'espèce, les demandes formulées tant au nom de la SA Ressorts Français que de la SNC Ressorts Produits Industriels tendant toutes deux à la condamnation de la société Lensel et de son assureur au profit de la SNC ; qu'en estimant que l'irrecevabilité des demandes formulées par la SA Ressorts Français au profit de la SNC Ressorts Produits Industriels n'entraînait pas l'irrecevabilité de l'intervention aux mêmes fins de la SNC Ressorts Produits Industriels mais avait pu être couverte par celle-ci, la cour d'appel a méconnu les articles 329 et 330 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant retenu, à juste titre, qu'en intervenant, la société Ressorts Produits Industriels avait exercé un droit propre né d'un contrat auquel elle avait été partie, non la société Ressorts Français, et que l'irrecevabilité de la demande se trouvait ainsi écartée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision, peu important que l'intervention eût le même objet que la demande initiale ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la compagnie Generali France Assurances fait grief à l'arrêt de fixer la date de réception des travaux au 9 juillet 1986, de constater que l'assignation délivrée le 14 juin 1995 à l'encontre de la société Lensel se situe dans le délai de la garantie décennale, que les désordres relèvent de cette garantie et d'accueillir la demande, alors, selon le moyen :

1 / que les travaux préconisés dans la lettre du 27 mars 1986, consistant en la pose d'un joint polymère et en un traitement de surface du sol litigieux, sont distincts des travaux qui avaient fait l'objet de l'avenant du 22 janvier 1985 ; qu'en prétendant néanmoins déduire de cette lettre que les travaux visés à cet avenant n'étaient pas achevés et en état d'être reçus à la date du 27 mars 1986, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette dernière et a violé l'article 1134 du Code civil ;

2 / qu'en statuant par un tel motif inopérant sans rechercher, comme elle y était invitée, si, compte tenu du délai de réalisation des travaux décrits dans l'avenant précité, ceux-ci n'avaient pas été achevés et en état d'être reçus à une date antérieure à celle qu'elle retient comme étant celle de leur réception tacite, en tout cas antérieure de plus de dix ans à l'interruption éventuelle de la prescription décennale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792-6 du Code civil ;

3 / que la citation en justice n'interrompt le délai décennal que si elle est adressée à celui que l'on veut empêcher de prescrire ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt attaqué que l'assignation en référé en date du 14 juin 1995 n'a pas été délivrée à la compagnie d'assurances Generali France Assurances ; que la cour d'appel ne pouvait donc en déduire que le délai décennal avait été interrompu à l'égard de celle-ci dans le délai décennal sans violer les articles 1792 et 2270 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que les travaux résultant de l'avenant du 22 janvier 1985 n'avaient pas été correctement exécutés puisque la dégradation des sols avait persisté malgré l'application de plusieurs revêtements anti-poussière, et relevé, sans dénaturation, qu'à la date du 27 mars 1986, les travaux n'étaient pas encore achevés puisque diverses interventions, et notamment le traitement du sol par oxane, devaient être réalisées et que le solde des travaux alors réclamé par la société Lensel n'était pas réglé, la cour d'appel a légalement justifié sa décision en retenant, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le paiement sans réserve de ce solde le 9 juillet 1986 concomitant à l'achèvement des travaux caractérisait la réception tacite et marquait le point de départ de la garantie décennale ;

Attendu, d'autre part, qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que l'assignation délivrée le 14 juin 1995 à l'encontre de la société Lensel, dont la responsabilité était recherchée par la victime du dommage, la société RPI, se situait dans le délai de garantie décennale ayant commencé à courir le 9 juillet 1986 et que l'assureur de la société Lensel a lui-même été assigné le 28 mai 1997, que l'action directe de la victime contre l'assureur de responsabilité, instituée par l'article L. 124-3 du Code des assurances, qui trouve son fondement dans le droit de la victime à réparation de son préjudice, se prescrit par le même délai que son action contre le responsable et peut être exercée contre l'assureur, au-delà de ce délai, tant que celui-ci reste exposé au recours de son assuré ; que par ce motif de pur droit substitué au motif erroné de la cour d'appel tiré de l'interruption du délai de prescription à l'égard de la compagnie Generali France par l'assignation du 14 juin 1995, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que la compagnie Generali France Assurances fait grief à l'arrêt de la condamner à payer les dépens, en ce compris les frais de la procédure de référé et les frais d'expertise, alors, selon le moyen, que les dépens d'une instance ne peuvent être mis à la charge que des parties à celle-ci ; que la cour d'appel, qui constate que l'assignation en référé n'était pas dirigée contre la société Generali France Assurances, ne pouvait mettre à la charge de cette dernière les dépens afférents à cette instance, ce compris les frais d'expertise ordonnée par le juge des référés, sans méconnaître la portée de ses propres énonciations et violer l'article 696 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que le juge qui statue sur un litige peut condamner les parties aux dépens d'une autre instance, s'il s'agit de frais relatifs à une instance ayant préparé celle dont le juge est saisi ; que la cour d'appel a pu mettre à la charge de la compagnie Generali France Assurances, contre laquelle elle a prononcé condamnation, les frais relatifs à la procédure de référé et les frais d'expertise à laquelle il avait été procédé en exécution de l'ordonnance de référé, cette procédure ayant préparé l'instance principale dont elle était saisie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche :

Vu l'article 695 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'en comprenant dans les dépens mis à la charge de la société Generali France Assurances le coût du constat du 19 juillet 1995, sans constater que M. X... avait été désigné à cet effet par une décision de justice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu l'article 627, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que la cassation prononcée n'implique pas qu'il y ait lieu à renvoi ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Générali France Assurances à payer au titre des dépens le coût du constat de Maître X... en date du 19 juillet 1995, l'arrêt rendu le 3 octobre 2000, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit n'y avoir lieu de modifier pour le surplus la condamnation aux dépens prononcée par les juges du fond.