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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 24 août 2023, n° 22/01506

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Isco (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vitse

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

Avocats :

Me Rousselle, Me Roberval

T. com. Lille Métropole, du 10 mars 2022…

10 mars 2022

EXPOSE DU LITIGE

La société Isco est une agence immobilière appartenant au réseau d'agences immobilières franchisées Espaces Atypiques.

Elle recourt au service d'agents commerciaux pour développer son activité.

Mme [C] exerce la profession d'agent commercial immobilier.

Le 2 décembre 2019, la société Isco a conclu avec Mme [C] un contrat de négociateur indépendant non salarié ayant pour objet de permettre à celle-ci de prospecter, négocier ou s'entremettre au nom et pour le compte de la société Isco dans le cadre la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 5 février 2021, la société Isco a notifié à Mme [C] la rupture de ce contrat pour faute grave.

Par acte du 4 mars 2021, Mme [C] a assigné la société Isco devant le tribunal de commerce de Lille Métropole aux fins de voir celui-ci :

« Dire et Juger que la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES ne justifie pas d'une faute grave imputable à Mme [C] et justifiant la résiliation immédiate du contrat ;

Dire et Juger que Madame [C] justifie de circonstances permettant d'imputer la rupture à la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES aux torts exclusifs de cette dernière ;

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] les sommes suivantes :

* 3.253,50 € au titre de l'indemnité compensatrice relative au préavis, pour la période comprise entre le 6 février et le 6 avril 2021, pendant laquelle elle aurait dû effectuer son préavis ;

* 39.042 € au titre de l'indemnité de cessation ;

* 8.000 € au titre du préjudice moral ;

* 3.000 € au titre du préjudice commercial et d'image lié à la suppression de la boîte email de Mme [C] ;

* 120 € au titre de la participation forfaitaire ;

* 1.938 € au titre des sommes indûment compensées sur la facture n° 06 ;

* 13.031€ au titre du droit de suite à parfaire ;

* 14.375 € au titre du manque à gagner.

Donner acte à Mme [C] de sa volonté d'exercer son droit de suite pour les mandats visés ci-dessus et qui est d'ores et déjà chiffré à la somme de 13.031 € pour les compromis signés (ou en cours de signature),

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES en tous les frais et dépens. »

Par jugement du 10 mars 2022, le tribunal de commerce de Lille Métropole a statué en ces termes :

« CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 3 253,50 € au titre de l'indemnité de préavis ;

CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 9 760,50 € au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

DEBOUTE Madame [Z] [C] de ses autres demandes plus amples ou contraires ;

DEBOUTE la société Isco de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNE la société Isco aux entiers dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 69.59 € (en ce qui concerne les frais de Greffe). »

Par déclaration du 28 mars 2022, Mme [C] a relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement précité, à l'exception de celui condamnant la société Isco à lui payer la somme de 3 253,50 euros au titre de l'indemnité de préavis et de celui déboutant la société Isco de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.

Par déclaration du 13 avril 2022, la société Isco a elle-même relevé appel de l'ensemble des chefs du jugement, à l'exception de celui déboutant Mme [C] de ses autres demandes plus amples ou contraires.

Les instances ont été jointes par ordonnance du 19 janvier 2023.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 septembre 2022, Mme [C] demande à la cour de :

« Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de LILLE METROPOLE du 10 mars 2022 sauf en ce qu'il a condamné la société Isco à payer la somme de 3.253,50 € au titre du préavis et la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

Et statuant à nouveau :

Dire et Juger que la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES ne justifie pas d'une faute grave imputable à Mme [C] et justifiant la résiliation immédiate du contrat ;

Dire et Juger que Madame [C] justifie de circonstances permettant d'imputer la rupture à la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES aux torts exclusifs de cette dernière ;

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] les sommes suivantes au titre des préjudices subis :

* 3.253,50 € au titre de l'indemnité compensatrice relative au préavis, pour la période comprise entre le 6 février et le 6 avril 2021, pendant laquelle elle aurait dû effectuer son préavis ;

* 39.042 € au titre de l'indemnité de cessation ;

* 8.000 € au titre du préjudice moral ;

* 3.000 € au titre du préjudice commercial et d'image lié à la suppression de la boîte email de Mme [C] ;

* 14.375 € au titre du manque à gagner.

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] les factures impayées de cette dernière, soit :

* 2.058 € au titre de la facture n° 6 payée partiellement du fait de sommes indûment retenues :

- 1.938 € au titre de la prétendue surfacturation des commissions,

- 120 € au titre de la participation forfaitaire,

Avec intérêts au taux légal, majoré de 10 points, jusqu'à complet paiement

* 3.750 € au titre de la facture n° 8 avec intérêts au taux légal, majoré de 10 points, jusqu'à complet paiement,

* 5.156 € au titre de la facture n° 9 avec intérêts au taux légal, majoré de 10 points, jusqu'à complet paiement,

* A titre subsidiaire, condamner la société Isco à payer à tout le moins la somme de 4.583 € au titre de sa commission de droit d'entrée, conformément à la facture n° 9, en raison de la reconnaissance de dette de la société Isco.

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] la somme de 120 € au titre de l'indemnité forfaitaire en raison du non-respect des délais de paiement pour ces trois factures ;

Débouter la société Isco de ses demandes fins et conclusions ;

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES à payer à Mme [C] la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile en appel ;

Condamner la société Isco exerçant sous l'enseigne ESPACES ATYPIQUES en tous les frais et dépens. »

Mme [C] expose que les relations entre les parties se sont dégradées à compter du mois de novembre 2020, la société Isco ayant unilatéralement décidé de remettre en cause le secteur géographique qui lui avait été attribué, de modifier les conditions financières d'exercice du mandat et d'entraver l'exercice de son activité au sein de l'agence.

Elle soutient que les griefs exprimés dans la lettre lui notifiant la rupture de son contrat ne sont pas fondés et constituent en réalité autant de prétextes pour y mettre fin, sans avoir à verser d'indemnités, après avoir tenté de la pousser à la démission.

Elle considère que la société Isco a manqué de loyauté et multiplié les atteintes à la convention des parties, sans qu'aucune faute grave ne puisse lui être reprochée au sens de l'article L134-13 du code de commerce.

Elle répond à chacun des griefs exprimés dans la lettre de notification de la rupture du contrat, sans toutefois entendre répondre à celui tiré d'un prétendu dénigrement de son mandant, dès lors qu'un tel reproche n'est étayé par aucune pièce et constitue une accusation purement gratuite.

Elle affirme caractériser les différents préjudices consécutifs à la rupture injustifiée du contrat et considère ainsi dues les sommes réclamées au titre de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de cessation, du préjudice moral résultant du caractère vexatoire et abusif de la rupture, du préjudice commercial et d'image procédant de la suppression de sa messagerie électronique et du manque à gagner relatif aux biens qui lui ont été retirés.

Elle termine en considérant que lui sont également dues diverses sommes au titre de plusieurs factures impayées par la société Isco.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 juillet 2022, la société Isco demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement en ce qu'il a jugé :

CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 3250,50 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 9760,50 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

DEBOUTE la société Isco de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNE la société Isco à payer à Madame [Z] [C] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance, taxés et liquidés à la somme de 69,59 euros (en ce qui concerne les frais de greffe) ;

STATUANT A NOUVEAU :

DEBOUTER Mme [C] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

CONDAMNER Madame [Z] [C] à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONFIRMER le jugement pour le surplus. »

Elle expose qu'à l'automne 2020, les relations se sont dégradées entre les dirigeants de la société Isco et Mme [C], à telle enseigne qu'il a été décidé de mettre fin à son contrat.

Elle soutient que la rupture du contrat pour faute grave est justifiée par l'insuffisante activité professionnelle de Mme [C], ainsi qu'en témoigne le faible nombre de mandats reçus et de ventes conclues.

Elle ajoute que Mme [C] a, par ailleurs, gravement manqué à ses obligations contractuelles en transmettant à l'agence des dossiers incomplets, en méconnaissant la charte graphique, en négociant à la baisse les honoraires prévus, en omettant de transmettre ses estimations immobilières, en refusant d'utiliser le logiciel dédié, en modifiant unilatéralement le taux de commission de sortie, en revendiquant indûment un secteur géographique et en se montrant agressive verbalement.

A supposer l'inexistence d'une faute grave, elle conteste le montant réclamé au titre de l'indemnité de préavis, de même que celui réclamé au titre de l'indemnité de cessation.

Elle observe qu'aucun élément n'est produit pour étayer le préjudice moral invoqué, dont elle rappelle qu'il est nécessairement distinct de celui réparé par l'indemnité de cessation.

Elle conteste également le préjudice commercial lié à la suppression de la messagerie électronique de son agent, estimant qu'une telle suppression a logiquement accompagné la rupture du contrat et rappelle que l'indemnité de cessation a en toute hypothèse vocation à réparer un tel préjudice.

Elle considère que le manque à gagner invoqué est à son tour réparé par l'indemnité de cessation.

Elle rappelle enfin que le taux de commission réellement applicable à Mme [C] justifie la compensation opérée sur certaines factures, dont elle conteste le bien-fondé.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la rupture du contrat d'agent commercial

Aux termes de l'article L134-4 du code de commerce, les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties. Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information. L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat.

De jurisprudence constante, commet une faute grave, l'agent commercial qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

En l'espèce, la société Isco a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 février 2021, notifié à Mme [C] la rupture de son contrat pour faute grave.

La société Isco soutient que la gravité de la faute reprochée à Mme [C] procède de son très faible volume d'activité (1.1), de son inobservation des stipulations contractuelles (1.2) et de son agressivité verbale (1.3), ces différents griefs étant contestés par l'intéressée.

1.1 Sur le volume d'activité

La société Isco se prévaut de la particulière faiblesse du nombre de mandats rentrés en agence par Mme [C] durant l'exécution du contrat litigieux. Il est plus précisément soutenu que l'intéressée n'aurait rentré que treize mandats de décembre 2019 à novembre 2020, ce qui serait très nettement inférieur aux standards de la profession, lesquels se situeraient entre trois à cinq mandats par mois. Outre qu'aucune pièce ne vient étayer de tels standards, il n'est pas contesté que les agents commerciaux de la société Isco ont, durant l'année 2020, rentré en moyenne 14,6 mandats, soit un nombre sensiblement identique à celui attribué à Mme [C] au cours d'une période équivalente.

S'agissant du faible nombre d'estimations, également reproché à Mme [C], les chiffres avancés n'apparaissent pas significatifs, au double motif qu'ils ne concernent pas toute la période contractuelle et qu'aucun élément de comparaison avec les autres mandataires de l'agence n'est produit. L'importance de ces estimations est du reste à relativiser, dès lors qu'ils ne conduisent pas nécessairement à un mandat, lequel préfigure plus directement une opération conclue pour l'agence.

Concernant les ventes réalisées, il résulte des pièces produites que Mme [C] a contribué à huit ventes au cours de la période contractuelle, un tel chiffre ne pouvant utilement être mis en balance avec l'activité des autres mandataires, faute d'éléments de comparaison produits par la société Isco, de sorte que la prétendue faiblesse des ventes n'est pas caractérisée.

Quant à l'insuffisance du « boîtage » de Mme [C], elle n'est étayée par aucune pièce et doit en toute hypothèse à son tour être relativisée, dès lors que l'obtention de nouveaux mandats n'est pas nécessairement proportionnelle à l'importance du « boîtage » et que l'agent commercial a le libre choix de ses modes de prospection, étant rappelé que le nombre de mandats obtenus par Mme [C] au cours de la période litigieuse s'avère conforme à la moyenne des autres agents commerciaux de la société Isco.

1.2 Sur l'inobservation des stipulations contractuelles

La société Isco reproche à Mme [C] de lui avoir parfois fourni des dossiers incomplets en vue de la mise en vente des biens immobiliers, sans toutefois en rapporter la preuve.

Il n'est pas davantage établi que Mme [C] aurait omis de participer aux réunions hebdomadaires de l'agence, dont la suppression en période de crise sanitaire n'est pas discutée et le rétablissement ultérieur pas démontré.

La production de l'attestation d'assurance responsabilité civile professionnelle de Mme [C] n'est litigieuse qu'au titre de l'année 2021 et il n'est pas contesté que l'intéressée a transmis la pièce requise en février 2021, après qu'elle lui eut été réclamée en janvier, un tel retard ne pouvant à l'évidence étayer l'existence d'une faute grave.

Si le non-respect de la charte graphique des annonces n'est pas contesté par Mme [C] et les explications données par celle-ci pour s'en affranchir peu convaincantes, il apparaît toutefois que les entorses commises ont été peu nombreuses et d'une gravité insuffisante pour rendre impossible le maintien du lien contractuel.

S'il n'est pas davantage contesté par Mme [C] que celle-ci a négocié, de son propre chef, certains honoraires sur mandat ou procédé elle-même à certaines estimations, aucun élément ne permet de se convaincre que de telles initiatives l'auraient été sans l'accord final de la société Isco, celle-ci ne produisant du reste aucun refus sous trente jours, ainsi que prévu à l'article 5-2 du contrat litigieux.

Si le délaissement du logiciel Immofacile n'est pas non plus contesté par Mme [C], son utilisation ne procédait d'aucune obligation contractuelle mais d'un simple usage, aucune autre méthode de suivi des mandats et des ventes n'étant formellement proscrite.

Si, de nouveau, Mme [C] ne conteste pas avoir parfois pratiqué un taux de commission supérieur à celui prévu au contrat, de telles majorations participaient d'une pratique contractuelle contraire valant modification tacite de l'accord des parties, ainsi qu'il sera dit plus loin.

Si, enfin, l'article 4-1 du contrat litigieux stipule que le mandataire exercera son activité sans limite géographique de secteur, ce qui postule une absence de secteur, il apparaît néanmoins que l'article 7 du même contrat précise que les affaires apportées par la notoriété de l'agence seront étudiées par le directeur d'agence et confiées ensuite au mandataire en charge du secteur, ce dont il résulte une contradiction interne dont Mme [C] a pu légitimement se prévaloir pour revendiquer l'existence d'un secteur géographique, sans qu'on puisse donc lui en faire le reproche, d'autant plus sûrement qu'il s'évince de multiples attestations versées aux débats que les agents se voyaient bien attribuer un secteur géographique, tandis que la société Isco elle-même évoque l'existence de secteurs dans un courriel du 15 juillet 2020 adressé à ses mandataires et qu'elle communique par voie de presse en précisant : chacun de nos collaborateurs est expert de son secteur, il y a ses habitudes et ses bonnes adresses (ISSI Stylemag, n° 46).

1.3 Sur l'agressivité verbale

La dégradation progressive des relations entre les parties à compter de novembre 2020 a finalement conduit à la rupture du contrat en février 2021.

Il résulte des pièces produites qu'au cours de cette période, de nombreux courriels ont été échangés entre les parties. S'ils témoignent d'une tension croissante et d'un recul progressif du dialogue, ils ne s'accompagnent toutefois d'aucun débordement et s'avèrent plutôt empreints d'une fermeté courtoise.

La société Isco reproche un comportement généralement agressif et condescendant, accompagné de menaces systématiques. Elle pointe plus particulièrement une prétendue agression verbale commise le 22 janvier 2021, laquelle aurait déterminé la rupture du contrat. Trois attestations sont produites au sujet de cet épisode. Les deux premières, établies par les dirigeants de la société Isco, sont dénuées de l'objectivité requise pour leur conférer force probante. La dernière, établie par un professionnel de l'agence, sans autre précision, ne comporte pas en annexe la justification d'identité prévue à l'article 202 du code de procédure civile, outre qu'elle se borne à décrire de manière imprécise un vif échange entre Mme [C] et le dirigeant de l'agence, qui constitue manifestement l'épilogue de plusieurs mois de tension entre les parties et qui doit donc être relativisé.

Il résulte de tout ce qui précède que la société Isco ne démontre pas la commission d'une faute grave par Mme [C], de sorte que la décision entreprise mérite confirmation de ce chef.

2. Sur les demandes indemnitaires de Mme [C]

Mme [C] demande le versement d'une indemnité de préavis (2.1) et d'une indemnité de fin de contrat (2.2). Elle sollicite également la réparation d'un préjudice moral (2.3) et d'un préjudice commercial (2.4), outre l'indemnisation d'un manque à gagner (2.5).

2.1 Sur l'indemnité de préavis

L'article 8-1 du contrat stipule que les parties mettent fin au mandat par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en respectant une durée de préavis d'un mois durant la première année, de deux mois durant la deuxième année et de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes, sauf faute grave de l'une des parties justifiant une résiliation sans délai.

Ainsi qu'il a été dit, aucune faute grave de Mme [C] n'est caractérisée, de sorte que celle-ci devait bénéficier d'un délai de préavis de deux mois, le mandat ayant pris fin durant la deuxième année.

Les parties s'accordent pour calculer l'indemnité compensatrice de préavis en prenant pour base les commissions perçues par Mme [C] du 2 décembre 2019 au 5 février 2021, soit 19 521 euros sur une période de 432 jours.

La société Isco entend toutefois déduire de ce montant un prétendu trop-perçu au titre des commissions de sortie, Mme [C] ayant retenu un taux de 25 % et non de 20 %.

L'article 7 du contrat stipule que le mandataire a droit, à titre de commission :

Pour la tranche de chiffre d'affaires cumulé comprise entre 0 et 75 000 € TTC annuel :

- 20 % pour l'apport d'une affaire à vendre ou à louer, majoré de 5 % en cas d'exclusivité ;

- 20 % pour la négociation menée à bonne fin d'une affaire.

Il n'en demeure pas moins que les parties avaient la faculté de modifier le contrat, une telle modification pouvant, de jurisprudence constante, résulter d'une pratique contraire valant nouvel accord tacite.

En l'occurrence, il n'est pas contesté que la société Isco s'est spontanément acquittée des factures n° 3, n° 4 et n° 5 émises par Mme [C] en septembre et novembre 2020 au titre des mandats n° 430, n° 422 et n° 453, alors même que de telles factures mentionnaient clairement une commission de sortie de 25 %. Une telle mention n'a pu échapper à la société Isco, professionnelle aguerrie de l'immobilier. L'acceptation tacite d'une telle majoration se conçoit d'autant plus sûrement qu'elle rejoint le barême des commissions des agents commerciaux exerçant leur mandat au sein du réseau d'agences immobilières franchisées Espaces Atypiques, ainsi qu'il résulte des pièces produites. Une telle commission de sortie était du reste appliquée aux autres mandataires de l'agence lilloise à la même époque.

Contrairement à ce que soutient la société Isco, il n'y a donc pas lieu de minorer la base de calcul précédemment évoquée, sauf à la ramener à 365 jours, soit (19 521 euros x 365 jours) / 432 jours = 16 493 euros, ce qui emporte une indemnité compensatrice de préavis de (16 493 euros x 60 jours) / 365 jours = 2 711 euros.

La société Isco proposant, à titre subsidiaire, de verser à Mme [C] une indemnité de 2 756 euros, c'est ce montant qui lui sera finalement alloué, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

2.2 Sur l'indemnité de fin de contrat

Aux termes du premier alinéa de l'article L134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

Une telle indemnité, qui est d'ordre public, est destinée à réparer le préjudice qui résulte, pour l'agent commercial, de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

La clause d'évaluation de l'indemnité compensatrice est illicite en ce qu'elle présente un caractère forfaitaire, sauf à s'avérer finalement favorable à l'agent commercial comme lui permettant d'obtenir une indemnité supérieure au préjudice subi.

Les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation pour fixer le montant de l'indemnité, sans être liés par l'usage fréquemment retenu consistant à évaluer celle-ci à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du mandat, un tel usage perdant du reste de sa vigueur dans l'hypothèse d'un mandat de courte durée.

En l'espèce, l'article 8-3 du contrat précité stipule que l'indemnité de rupture ne pourra dépasser un montant égal à un quart de mois de commissions par année d'ancienneté (base : moyenne des commissions perçues par le mandataire au cours des 12 derniers mois ayant précédé la rupture).

Se prévalant d'une telle disposition contractuelle, la société Isco propose d'allouer une indemnité de 321 euros à Mme [C], tandis que celle-ci se réfère à l'usage précité et réclame ainsi une indemnité de 39 042 euros correspondant à deux ans de commissions brutes.

L'indemnité prévue au contrat est notoirement insuffisante pour réparer intégralement le préjudice subi au titre de la rupture et apparaît dès lors non avenue. En contrepoint, Mme [C] ne saurait se voir allouer une indemnité représentant deux années de commission, eu égard à la brièveté du mandat et à son volume d'activité lors de la rupture, l'intéressée soutenant de manière excessive qu'elle était alors en pleine phase exponentielle de développement.

Les éléments d'appréciation soumis à la cour justifient d'allouer à Mme [C] une indemnité compensatrice correspondant à une année de commissions, soit la somme de 16 493 euros, le jugement entrepris étant réformé de ce chef.

2.3 Sur le préjudice moral

Mme [C] sollicite réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi en raison du caractère vexatoire et abusif de la rupture.

Seul un préjudice distinct de celui résultant pour l'agent commercial de la rupture du contrat peut être indemnisé au titre du droit commun de la responsabilité.

En l'occurrence, un tel préjudice spécifique n'est pas suffisamment établi au regard des pièces produites.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

2.4 Sur le préjudice commercial

Mme [C] sollicite réparation du préjudice commercial qu'elle estime avoir subi en raison de la suppression soudaine de sa boîte aux lettres électronique au sein de l'agence, ce qui l'aurait empêchée d'informer ses clients et de récupérer tous ses documents.

Il ne saurait toutefois être reproché à la société Isco d'avoir rapidement supprimé la boîte aux lettres électronique de Mme [C], dès lors que la relation contractuelle avait pris fin.

Le préjudice invoqué participe en outre de la perte financière consécutive à l'impossibilité de bénéficier pour l'avenir de la clientèle commune, perte d'ores et déjà indemnisée au titre de l'indemnité de fin de contrat.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

2.5 Sur le manque à gagner

Mme [C] sollicite le paiement des commissions de sortie relatives aux mandats n°504 à 507 qui lui auraient été retirés par la société Isco, alors qu'ils correspondaient à des biens situés sur son secteur géographique.

Ainsi qu'il a été dit, l'imprécision des termes du contrat permet à Mme [C] de soutenir l'existence de secteurs géographiques attribués aux différents agents commerciaux de la société Isco.

Mme [C] prétend que lui était attribué un secteur couvrant le Nord-Ouest de la métropole lilloise, incluant notamment les villes de [Localité 8], [Localité 5], [Localité 12], [Localité 9], [Localité 10], [Localité 4], [Localité 7] et [Localité 3], ainsi que plusieurs quartiers de [Localité 6] (Wazemmes, Gambetta, Vauban Cormontaigne, Bois blancs).

Pour établir l'appartenance d'un tel secteur, elle produit une carte très difficilement lisible, laquelle ne permet pas de se convaincre de l'attribution du secteur revendiqué ni non plus d'une quelconque répartition territoriale entre les agents commerciaux, dont les noms ne figurent d'ailleurs pas sur ladite carte, autant qu'il soit possible d'en juger au regard de la médiocrité de l'impression du document. Quant aux courriels émanant d'autres mandataires de l'agence, ils apparaissent insuffisamment précis pour conforter avec certitude la réalité du secteur revendiqué par Mme [C].

Faute d'établir l'attribution du secteur revendiqué, Mme [C] ne saurait prétendre aux commissions de sortie litigieuses.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ce chef.

3. Sur les factures litigieuses

Mme [C] sollicite le paiement des factures n° 6, n° 8 et n° 9, outre les pénalités de retard et indemnités de recouvrement afférentes à ces factures.

' Sur la facture n° 6

Une telle facture a été émise le 31 décembre 2020 par Mme [C] pour un montant de 3 000 euros. Il n'est pas contesté par la société Isco que celle-ci n'a pas payé la totalité de cette somme, la réduisant, en premier lieu, d'un montant de 1 938 euros correspondant au taux, selon elle excédentaire, des commissions de sortie pratiqué sur certaines factures, dont la cour comprend, après recoupement des pièces produites et nonobstant l'imprécision des écritures sur ce point, qu'il s'agit des factures n° 3, n° 4, n° 5 et n° 6.

Ainsi qu'indiqué précédemment, la société Isco a tacitement accepté la majoration de la commission de sortie applicable à Mme [C], de sorte que le taux de 25 % est admissible et la déduction opérée sur la facture n° 6 en conséquence injustifiée.

Il y a donc lieu de condamner la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 1 938 euros au titre des commissions injustement déduites, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

La facture n° 6 est encore litigieuse en ce que la société Isco aurait, en second lieu, déduit de son montant la somme de 120 euros au titre d'une participation forfaitaire aux frais occasionnés par l'exercice de l'activité de Mme [C].

Il est ici question de l'article 5-1° du contrat, ainsi rédigé :

Moyennant une participation mensuelle de 50 € HT la première année et 100 € HT à partir de la deuxième année, le Mandant fournira au Mandataire des supports de type flyers, cartes de visite, brochures commerciales, diffusion de toutes annonces de ventes ou locations sur le site Espaces Atypiques et les sites partenaires, l'abonnement au logiciel de transaction, le référencement internet du site. Le montant de ce forfait mensuel sera facturé au Mandataire le 5 de chaque mois ou déduit des factures de commissions émises par le Mandataire.

Après s'être abstenue de solliciter la moindre participation la première année du mandat de Mme [C], la société Isco a déduit la somme de 120 euros de la facture n° 6, soutenant qu'une telle participation correspondait au prélèvement du mois de janvier 2021.

Le raisonnement tenu au sujet des commissions de sortie trouve à s'appliquer à la participation mensuelle précitée. En s'abstenant de procéder au moindre prélèvement à ce titre pendant plus d'un an de collaboration avec Mme [C], la société Isco a tacitement accepté de modifier les termes du contrat, renouvelant ainsi l'accord des parties. L'abandon d'une telle participation est du reste de mise pour l'ensemble des autres mandataires de l'agence, ainsi qu'il résulte des attestations produites.

Il y a donc lieu de condamner la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 120 euros au titre de la participation forfaitaire injustement déduite, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

Au regard de tout ce qui précède, la société Isco sera condamnée à payer à Mme [C] la somme de 1 938 euros + 120 euros = 2 058 euros au titre de la facture n° 6.

Conformément à l'article L441-10 du code de commerce, une telle somme produira intérêts, à compter du 1er février 2021, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de dix points de pourcentage.

En application de l'article D441-5 du code de commerce, la société Isco sera en outre condamnée à payer à Mme [C] la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture n° 6.

Sur les factures n° 8 et n° 9

Les factures n° 8 et n° 9 ont été respectivement émises les 28 avril 2021 et 5 juin 2021.

De l'aveu même de Mme [C], de telles factures correspondent à des opérations conclues en avril et juin 2021, soit après la cessation du contrat.

L'article L134-7 du code de commerce dispose que, pour toute opération commerciale conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence.

La facture n° 8 comporte uniquement une commission de sortie (3 750 euros), tandis que la facture n° 9 comporte une commission d'entrée (4 583 euros) et de sortie (573 euros).

Il n'est pas contesté que Mme [C] a rentré le bien donnant lieu à la facture n° 9 et que la commission d'entrée de 4 583 euros lui est en conséquence due, la société Isco ayant indiqué, dans un courriel du 23 juin 2021, son intention de régler une telle commission à Mme [C], ce qui n'a toutefois pas été suivi d'effet.

En revanche, la société Isco n'a jamais manifesté son intention de régler à Mme [C] la commission de sortie mentionnée dans chacune des factures litigieuses. Celles-ci correspondent à des biens vendus après la cessation du contrat de Mme [C] et il appartient à celle-ci, conformément au texte précité, d'établir que la sortie de ces biens est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence. Or une telle preuve n'est pas rapportée, Mme [C] s'employant longuement dans ses écritures à défendre la possibilité d'un fractionnement de la commission de sortie entre mandataires, sans toutefois démontrer qu'elle lui est due au regard des diligences qu'elle aurait personnellement accomplies au cours de son mandat pour conclure chacune des opérations concernées, étant observé que celles-ci sont respectivement intervenues deux mois et quatre mois après la cessation du contrat.

Il y a donc lieu de condamner la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 4 583 euros au titre de la facture n° 9, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef. Il est en revanche confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes en paiement formées au titre de la commission de sortie mentionnée dans chacune des factures litigieuses.

Conformément à l'article L441-10 du code de commerce, la somme restant due au titre de la facture n° 9 produira intérêts, à compter du 6 juillet 2021, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de dix points de pourcentage.

En application de l'article D441-5 du code de commerce, la société Isco sera en outre condamnée à payer à Mme [C] la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture n° 9.

4. Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sens de la présente décision justifie de confirmer le jugement entrepris du chef des dépens et frais irrépétibles. Tenue aux dépens d'appel, la société Isco sera condamnée à payer à Mme [C] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tandis qu'elle sera déboutée de sa propre demande formée au même titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal de commerce de Lille Métropole, sauf en ce qu'il a :

- condamné la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 3253,50 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- condamné la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 9 760,50 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

- débouté Mme [C] de ses demandes en paiement au titre des factures n° 6 et n° 9.

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 2 756 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 16 493 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 2 058 euros au titre de la facture n° 6 ;

Dit qu'une telle somme produira intérêts, à compter du 1er février 2021, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de dix points de pourcentage ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture n° 6 ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 4 583 euros au titre de la facture n° 9 ;

Dit qu'une telle somme produira intérêts, à compter du 6 juillet 2021, au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majorée de dix points de pourcentage ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de la facture n° 9 ;

Condamne la société Isco à payer à Mme [C] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la société Isco de sa demande formée au même titre ;

Condamne la société Isco aux dépens d'appel.