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Décisions

Cass. 3e civ., 15 février 2023, n° 21-21.985

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Waquet, Farge et Hazan

Basse-Terre, du 10 mai 2021

10 mai 2021

1. Il est donné acte à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée BCM, prise en la personne de M. [H], de son intervention volontaire en qualité d'administrateur judiciaire de la société Royal Food Store.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 10 mai 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 9 juillet 2020, pourvoi n° 18-25.329), le 14 novembre 2002, la société Atlantique Pierre I, aux droits de laquelle est venue la société Nettle immo (la bailleresse), a donné à bail à la société Royal Food Store (la locataire) des locaux commerciaux dépendant d'un ensemble immobilier.

3. Le 26 juillet 2011, la locataire a sollicité le renouvellement du bail, moyennant une réduction du loyer.

4. Le 6 octobre 2011, la bailleresse a refusé le renouvellement du bail et a offert le paiement d'une indemnité d'éviction.

5. Le 28 mars 2012, la locataire a assigné la bailleresse en fixation de cette indemnité, que l'expert judiciaire a évaluée à un certain montant.

6. Le 30 juillet 2015, la bailleresse a exercé son droit de repentir.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, le deuxième moyen et le troisième moyen, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

8. La locataire fait grief à l'arrêt de dire que la bailleresse a valablement exercé son droit de repentir, alors :

« 1°/ que commet une faute le bailleur qui exerce le droit de repentir après avoir lancé un programme de réhabilitation de la galerie marchande abritant les locaux loués, comportant des travaux d'envergure qui ont pour conséquence de modifier sensiblement les facteurs locaux de commercialité et partant d'impacter substantiellement le chiffre d'affaires réalisé par le preneur, avec la volonté de le mettre en difficulté pour obtenir son départ sans avoir à régler une indemnité ; qu'en écartant la faute de la bailleresse en raison d'une prétendue poursuite normale de l'exploitation, après avoir constaté que la bailleresse avait exercé son droit de repentir postérieurement à la mise en oeuvre de travaux d'envergure sur le site, du 29 avril 2013 au 12 octobre 2016, et après avoir obtenu un permis de démolir les locaux loués, que ces travaux avaient dégradé sensiblement les facteurs locaux de commercialité, et partant nécessairement le chiffre d'affaires de la société Royal Food Store, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé les articles 1147 ancien du code civil et L. 145-58 du code de commerce ;

3°/ que le preneur qui a reçu congé sans offre de renouvellement, et se trouve confronté à la baisse sensible des facteurs locaux de commercialité tenant à la décision du bailleur de réaliser des travaux d'envergure, n'a pas l'obligation de solliciter une baisse du loyer et peut préférer s'opposer à l'exercice manifestement fautif de son droit de repentir par le bailleur en sollicitant le paiement d'une indemnité d'éviction ; qu'en se fondant pour écarter la faute de la bailleresse, sur la circonstance qu'il aurait incombé à la société Royal Food Store de demander une baisse du loyer ce qu'elle n'aurait pas fait, la cour d'appel a violé les articles 1147 ancien du code civil et L. 145-58 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9. D'une part, ayant retenu que la bailleresse avait exercé son droit de repentir avant qu'une décision passée en force de chose jugée n'ait été prise concernant le montant de l'indemnité d'éviction et que la locataire n'ait engagé un processus irréversible de départ des lieux, la cour d'appel en a exactement déduit que l'exercice du droit de repentir respectait les conditions posées à l'article L. 145-58 du code de commerce.

10. D'autre part, elle a, d'abord, retenu que l'existence d'une faute ne pouvait être déduite du seul fait que la bailleresse ait exercé son droit de repentir un mois après le dépôt du rapport d'expertise et presque quatre ans après le refus de renouvellement du bail.

11. Ensuite, elle a estimé que les travaux de réhabilitation entrepris par la bailleresse, s'ils avaient causé des désagréments à la locataire, n'avaient pas fait obstacle à la poursuite de son activité commerciale dans les lieux loués.

12. Enfin, elle a relevé qu'alors que l'évolution des facteurs locaux de commercialité pouvait être prise en compte dans la fixation du loyer du bail renouvelé, la locataire n'avait pas sollicité judiciairement une diminution du loyer.

13. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, elle a pu en déduire que l'exercice par la bailleresse de son droit de repentir n'était pas fautif.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

15. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à régler les entiers dépens et une certaine somme à la bailleresse en application de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de la bailleresse au paiement des dépens de première instance et d'appel et d'une certaine somme à son profit au titre du même article alors « qu'en statuant comme elle l'a fait quand le bailleur qui exerce son droit de repentir doit supporter tous les frais de l'instance en fixation de l'indemnité d'éviction, la cour d'appel a violé l'article L. 145-58 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 145-58 du code de commerce :

16. Selon ce texte, le propriétaire peut, jusqu'à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l'indemnité d'éviction, à charge par lui de supporter les frais de l'instance et de consentir au renouvellement du bail.

17. Pour condamner la locataire au paiement des dépens et des frais irrépétibles, l'arrêt retient qu'elle succombe à l'instance.

18. En statuant ainsi, alors que la bailleresse doit rembourser à la locataire la totalité des frais taxables et non taxables que celle-ci a exposés jusqu'au terme de l'instance pendant laquelle le repentir a été exercé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. En application de l'article L. 145-58 du code de commerce, la société Nettle immo doit être condamnée aux dépens exposés devant les juges du fond et à régler à la société Royal Food Store la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Royal Food Store aux dépens et à payer à la société Nettle immo une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, et rejette les demandes de la société Royal Food Store à ces titres, l'arrêt rendu le 10 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.