TUE, 4e ch. élargie, 13 septembre 2023, n° T-525/20
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
ITD, Danske Fragtmænd A/S, Jørgen Jensen Distribution A/S
Défendeur :
Specialforeningen for Logistik og Distribution (SLD), Commission européenne, Royaume de Danemark, Royaume de Suède, PostNord Logistics A/S, PostNord Group AB
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. da Silva Passos (rapporteur)
Juges :
M. Gervasoni, Mme Półtorak, Mme Reine, Mme Pynnä
Avocats :
Me Sandberg-Mørch, Me Koktvedgaard
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, ITD, Brancheorganisation for den danske vejgodstransport (ci-après « ITD ») et Danske Fragtmænd A/S, demandent l’annulation de la décision C(2020) 3006 final de la Commission, du 12 mai 2020, concernant les aides d’État SA.52489 (2018/FC) – Danemark et SA.52658 – Suède – Aide d’État présumée en faveur de PostNord Logistics (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 ITD est une association professionnelle qui regroupe des sociétés de droit danois actives, à l’échelle nationale et internationale, sur les marchés des services de transport routier de marchandises et des services logistiques. Danske Fragtmænd est une société de droit danois présente, notamment, sur le marché danois des services de transport routier de marchandises et de distribution de colis.
3 PostNord AB est une société de droit suédois dont le capital social est détenu à 40 % par le Royaume de Danemark et à 60 % par le Royaume de Suède. Elle a été constituée en 2009, sous le nom de Posten Norden AB, à la suite d’une fusion entre, d’une part, Post Danmark A/S, opérateur postal historique du Royaume de Danemark, et, d’autre part, Posten AB, opérateur postal historique du Royaume de Suède.
4 PostNord détient à 100 % la société PostNord Group AB, qui détient elle-même à 100 % les sociétés Post Danmark et Posten, chargées d’assurer le service postal universel, respectivement, au Danemark et en Suède. PostNord Group détient également à 100 % la société PostNord Logistics A/S, société de droit danois établie à Copenhague (Danemark) et chargée de services de transport routier de marchandises au Danemark.
5 Le 22 novembre 2018, ITD a introduit auprès de la Commission européenne une plainte aux termes de laquelle PostNord Logistics aurait annoncé, dans ses rapports annuels pour les années 2017 et 2018, qu’elle bénéficierait d’augmentations de capital de la part de PostNord. Selon ITD, ces augmentations de capital constituaient une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur.
6 Déficitaire depuis l’année 2015, PostNord Logistics avait épuisé ses fonds propres à l’issue de l’exercice financier 2017. C’est dans ce contexte que, le 30 novembre 2018, au cours d’une assemblée générale extraordinaire, PostNord Logistics a recommandé à la direction de PostNord Group de procéder à une augmentation de capital d’un montant de 115 millions de couronnes danoises (DKK) (environ 15,4 millions d’euros) en sa faveur (ci-après l’« augmentation de capital »).
7 Eu égard au montant de l’augmentation de capital, PostNord Group a, le 7 décembre 2018, sollicité du conseil d’administration de sa société mère, PostNord, l’approbation de cette mesure et du principe de son versement en plusieurs tranches.
8 Le 11 décembre 2018, le conseil d’administration de PostNord a approuvé l’augmentation de capital.
9 Le 20 décembre 2018, PostNord Logistics a reçu une première tranche de l’augmentation de capital, à hauteur de 70 millions de DKK (environ 9,37 millions d’euros).
10 Le 7 juin 2019, ITD a soumis à la Commission des observations complémentaires à sa plainte, dans lesquelles elle a, notamment, soutenu que PostNord Logistics profiterait d’un subventionnement croisé de ses activités par Post Danmark, qui lui permettrait d’utiliser, à titre gratuit, plusieurs de ses infrastructures financées par la compensation publique qu’elle percevait pour assurer le service postal universel au Danemark (ci-après le « subventionnement croisé »).
11 Le 30 mars 2020, ITD a soumis à la Commission de nouvelles observations concernant le subventionnement croisé ainsi qu’une lettre de mise en demeure selon laquelle, si la Commission ne prenait pas de position définitive sur sa plainte dans un délai de deux mois, elle introduirait un recours en carence devant le Tribunal en vertu de l’article 265 TFUE.
12 Le 12 mai 2020, la Commission a adopté la décision attaquée. Premièrement, elle a considéré que les déclarations figurant dans les rapports annuels de PostNord Logistics pour les années 2017 et 2018 n’emportaient pas l’octroi d’un avantage et, dès lors, ne constituaient pas une aide d’État. Deuxièmement, elle a conclu que l’augmentation de capital n’était pas imputable aux États danois et suédois et, dès lors, ne constituait pas non plus une aide d’État. Troisièmement, elle a estimé que le subventionnement croisé n’était pas établi et que, dès lors, les transactions entre Post Danmark et PostNord Logistics n’impliquaient pas d’aide d’État.
Conclusions des parties
13 Les requérantes, soutenues par Jørgen Jensen Distribution A/S et Specialforeningen for Logistik og Distribution (SLD), concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
14 La Commission, soutenue par PostNord Group et PostNord Logistics, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
15 Le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède, intervenant également au soutien des conclusions de la Commission, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.
En droit
Sur l’objet du recours
16 Dans la décision attaquée, la Commission s’est prononcée sur le caractère d’aide de trois mesures distinctes (voir point 12 ci-dessus).
17 À l’appui de leur recours, les requérantes soulèvent un moyen unique, tiré de ce que la Commission a omis d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, en dépit des difficultés sérieuses soulevées par l’appréciation de deux de ces mesures, à savoir, d’une part, l’augmentation de capital et, d’autre part, le subventionnement croisé. En revanche, par le présent recours, elles ne remettent pas en cause l’appréciation de la Commission s’agissant des déclarations figurant dans les rapports annuels de PostNord Logistics pour les années 2017 et 2018.
18 Ainsi, bien que les requérantes concluent formellement à l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité, le présent recours doit être considéré comme tendant à l’annulation partielle de cette décision, au motif que la Commission a méconnu l’article 108, paragraphe 2, TFUE en concluant que l’augmentation de capital n’était pas une aide d’État et que l’existence du subventionnement croisé n’était pas établie.
Considérations liminaires
19 Selon l’article 24, paragraphe 2, première phrase, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), toute partie intéressée a le droit de déposer une plainte pour informer la Commission de toute aide présumée illégale. Conformément à l’article 15, paragraphe 1, première phrase, du même règlement, le dépôt d’une telle plainte a pour effet de déclencher l’ouverture de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE impliquant l’adoption, par la Commission, d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4, du règlement 2015/1589.
20 La phase préliminaire d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE et régie par l’article 4 du règlement 2015/1589 a pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion au sujet des mesures soumises à son examen. À l’issue de cette phase, la Commission constate soit que la mesure ne constitue pas une aide, auquel cas elle adopte une décision constatant l’absence d’aide, au titre de l’article 4, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, soit que la mesure entre dans le champ d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Si la Commission constate, après l’examen préliminaire, que la mesure en question, pour autant qu’elle entre dans le champ de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur, elle adopte une décision de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589.
21 L’existence de doutes de nature à justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE se traduit par l’existence objective de difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen du caractère d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur. En effet, il ressort de la jurisprudence que la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif (arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C 131/15 P, EU:C:2016:989, point 31). L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait et pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur les aides litigieuses, étant rappelé, à cet égard, que les éléments d’information dont la Commission pouvait disposer sont ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la phase préliminaire d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T 561/18, EU:T:2021:240, point 48 et jurisprudence citée).
22 Par ailleurs, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses dans l’appréciation de la mesure en cause, dont la présence oblige celle ci à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 41 et jurisprudence citée).
23 La preuve de l’existence de difficultés sérieuses doit être rapportée par le demandeur de l’annulation de la décision prise à l’issue de l’examen préliminaire, à partir d’un faisceau d’indices concordants (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2022, Irish Wind Farmers’ Association e.a./Commission, C 578/21 P, non publié, EU:C:2022:898, point 54 et jurisprudence citée).
24 C’est à l’aune des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner l’argumentation des requérantes visant à établir l’existence de difficultés sérieuses qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen.
Sur l’augmentation de capital
25 Les requérantes, soutenues sur cet aspect par Jørgen Jensen Distribution, font valoir que l’existence de difficultés sérieuses est établie par la conclusion à laquelle la Commission est parvenue dans la décision attaquée, selon laquelle l’augmentation de capital ne constitue pas une aide d’État dans la mesure où elle n’est pas imputable aux États danois et suédois.
26 En premier lieu, la décision attaquée serait contradictoire s’agissant de l’entité dispensatrice de l’augmentation de capital. Alors que certains passages de la décision attaquée imputeraient une telle mesure à la société mère du groupe, à savoir PostNord, ce qui correspondrait à la réalité des faits, la Commission aurait conclu que l’augmentation de capital avait été décidée par PostNord Group, filiale de cette société.
27 En second lieu, les requérantes et Jørgen Jensen Distribution font valoir que l’existence de difficultés sérieuses est établie par différents indices tendant à établir, ensemble, qu’il est improbable que les États danois et suédois n’aient pas été impliqués dans l’adoption de l’augmentation de capital, qui leur serait donc imputable.
28 Premièrement, les requérantes tirent argument de la nomination, par les États danois et suédois, de la majorité des membres du conseil d’administration de PostNord, dont deux sont de hauts fonctionnaires dans ces États. Deuxièmement, il ressortirait du rapport annuel de PostNord pour l’année 2017 (ci-après le « rapport annuel 2017 ») que les États danois et suédois ont entretenu, avec le conseil d’administration de PostNord, un « dialogue » concernant l’augmentation de capital. Troisièmement, PostNord présenterait un intérêt politique, dans la mesure où ses filiales Post Danmark et Posten sont chargées du service postal universel, respectivement, au Danemark et en Suède, pays dont elles constituent les opérateurs postaux historiques. Quatrièmement, dans leurs observations sur le mémoire en intervention du Royaume de Suède et sur celui de PostNord Group et PostNord Logistics, les requérantes soutiennent que non seulement le montant de l’augmentation de capital était, en soi, important, mais également que cette mesure s’inscrivait dans une série d’autres augmentations de capital visant à effacer les pertes de PostNord Logistics et à lui éviter la faillite.
29 La Commission, soutenue par le Royaume de Danemark, le Royaume de Suède ainsi que PostNord Group et PostNord Logistics, conteste les arguments des requérantes.
30 En premier lieu, la Commission souligne que, dans la décision attaquée, elle a toujours considéré que l’augmentation de capital avait été décidée par PostNord Group. PostNord aurait uniquement été sollicitée pour donner son approbation sur cette mesure, compte tenu du montant de celle-ci.
31 En second lieu, la Commission conteste que les requérantes aient apporté des indices susceptibles d’établir l’imputabilité de l’augmentation de capital aux États danois et suédois.
32 Premièrement, la Commission souligne que la condition relative à l’imputabilité d’une mesure à un État requiert une implication active de ce dernier, qui se déduirait d’une appréciation in concreto d’un ensemble d’indices, précis et convergents. Or, en l’espèce, les requérantes s’appuieraient essentiellement sur des éléments de nature organique, qui ne seraient pas suffisants.
33 Deuxièmement, quant à la composition du conseil d’administration de PostNord, la Commission fait valoir, tout d’abord, que ni l’État danois ni l’État suédois ne désigne à lui seul la majorité des membres de cet organe. En outre, aucun des membres du conseil d’administration de PostNord nommés par les États danois et suédois ne disposerait d’un droit de veto. Le Royaume de Danemark ajoute qu’il n’appartient pas aux États danois et suédois de nommer les membres du directoire de PostNord ni de PostNord Group et que les intérêts de ces États ne coïncident pas nécessairement. PostNord Group et PostNord Logistics ajoutent encore qu’une coordination entre les États danois et suédois était improbable, eu égard au faible montant de l’augmentation de capital et à la faible importance de PostNord Logistics sur le plan politique.
34 Ensuite, le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède font observer que leurs principes respectifs applicables à la gouvernance des entreprises publiques impliquent que les membres du conseil d’administration d’une société sont choisis en fonction de leurs compétences pour assurer la bonne gestion de celle-ci, en totale indépendance au regard de ses propriétaires. S’il serait possible que les actionnaires d’une société donnent des instructions à son conseil d’administration lors de l’assemblée générale, tel n’aurait pas été le cas en l’espèce.
35 Enfin, quant à la présence au conseil d’administration de PostNord d’un fonctionnaire du Royaume de Danemark et d’un fonctionnaire du Royaume de Suède, la Commission soutient que les requérantes n’avancent pas d’élément susceptible d’établir que ces fonctionnaires, qui sont censés agir de façon indépendante, auraient reçu des instructions de la part des États dont ils relèvent ou qu’ils pourraient influencer le processus décisionnel de PostNord.
36 Troisièmement, s’agissant de l’existence d’un « dialogue sur le financement » entre le conseil d’administration de PostNord et les propriétaires de cette dernière, mentionnée dans le rapport annuel 2017, le Royaume de Danemark ainsi que PostNord Group et PostNord Logistics contestent que cette circonstance implique des instructions de la part des États danois et suédois concernant l’augmentation de capital, étant donné qu’un tel dialogue concernait uniquement la restructuration de Post Danmark et non l’augmentation de capital.
37 Quatrièmement, la Commission conteste la pertinence de la circonstance, soulignée par les requérantes, selon laquelle deux filiales de PostNord sont chargées d’une obligation de service postal universel, dès lors que tel n’est pas le cas de PostNord Logistics, bénéficiaire de l’augmentation de capital, dont les prestations s’adressent uniquement à des professionnels. Dans le même sens, PostNord Group et PostNord Logistics soulignent que l’augmentation de capital était une mesure rationnelle d’un point de vue économique, le marché de la logistique étant en pleine expansion.
38 À titre liminaire, il convient de constater que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, la décision attaquée n’est pas entachée d’une contradiction quant à la détermination de l’entité dispensatrice de l’augmentation de capital.
39 Certes, au paragraphe 26 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, le 11 décembre 2018, PostNord avait « décidé de procéder à l’augmentation de capital ».
40 Toutefois, d’une part, à la phrase suivante, elle a immédiatement exposé que « [l]’approbation du conseil d’administration de PostNord AB était requise », eu égard au montant de l’augmentation de capital, en renvoyant au paragraphe 20 de la décision attaquée, à la dernière phrase duquel elle a indiqué que « [l]es décisions sur les injections de capital internes au groupe d’un montant supérieur à […] nécessit[ai]ent l’approbation du conseil d’administration de PostNord AB ». D’autre part, dans le cadre de son appréciation de l’imputabilité à l’État de l’augmentation de capital, la Commission a fait référence, au paragraphe 76 de la décision attaquée, à « la décision de [PostNord Group] d’injecter du capital dans [PostNord Logistics] » avant de relever, au paragraphe suivant, que PostNord était impliquée dans le processus décisionnel en raison du montant de l’augmentation de capital, conformément aux règles internes du groupe.
41 Par ailleurs, il ressort de son rapport annuel pour l’année 2018 que PostNord Logistics a rétabli ses fonds propres grâce à une contribution de sa société mère, à savoir PostNord Group.
42 Ainsi, une lecture combinée de l’ensemble de la décision attaquée et des éléments du dossier permet de comprendre que la Commission a considéré, à juste titre, que l’augmentation de capital avait été effectuée par PostNord Group au bénéfice de PostNord Logistics et que, eu égard à son montant, l’approbation du conseil d’administration de PostNord était exigée, conformément aux règles internes du groupe PostNord.
43 En outre, tout en ayant considéré que l’augmentation de capital était une décision de PostNord Group, la Commission n’a pas pour autant ignoré le rôle de la société PostNord dans la mesure où, aux paragraphes 69 et suivants de la décision attaquée, elle a tenu compte des liens entre cette société et les États danois et suédois afin de déterminer si l’augmentation de capital était imputable à ces États.
44 S’agissant de la question de savoir si l’appréciation par la Commission d’une telle imputabilité révèle l’existence de difficultés sérieuses, il convient de rappeler que, pour que des avantages puissent être qualifiés d’« aides », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ils doivent, notamment, être imputables à l’État (voir, en ce sens, arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 58 et jurisprudence citée).
45 L’imputabilité d’une mesure à l’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, ne saurait être déduite de la seule circonstance que cette mesure a été prise par une entreprise publique. En effet, même si l’État est en mesure de contrôler une entreprise publique et d’exercer une influence dominante sur les opérations de celle-ci, l’exercice effectif de ce contrôle dans un cas concret ne saurait être automatiquement présumé. Il est encore nécessaire d’examiner si les autorités publiques doivent être considérées comme ayant été impliquées, d’une manière ou d’une autre, dans l’adoption de la mesure en cause (voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 59 et jurisprudence citée).
46 Ainsi, l’imputabilité à l’État d’une mesure d’aide prise par une entreprise publique peut être déduite d’un ensemble d’indices résultant des circonstances de l’espèce et du contexte dans lequel cette mesure est intervenue. À cet égard, il ne saurait être exigé qu’il soit démontré, sur le fondement d’une instruction précise, que les autorités publiques ont incité concrètement l’entreprise publique à prendre la mesure d’aide concernée (voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 60 et jurisprudence citée).
47 En particulier, est pertinent tout indice indiquant, dans le cas concret, ou bien une implication des autorités publiques ou l’improbabilité d’une absence d’implication dans l’adoption d’une mesure, eu égard également à l’ampleur de celle-ci, à son contenu ou aux conditions qu’elle comporte, ou bien l’absence d’implication desdites autorités dans l’adoption de ladite mesure (voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 61 et jurisprudence citée).
48 Figurent, en outre, parmi les indices permettant de conclure à une telle imputabilité, le fait que l’entreprise publique en question ne pouvait prendre la décision contestée sans tenir compte des exigences des pouvoirs publics ou des directives émanant des autorités publiques, l’intégration de l’entreprise publique dans les structures de l’administration publique, la nature de ses activités et l’exercice de celles-ci sur le marché dans des conditions normales de concurrence avec des opérateurs privés, le statut juridique de l’entreprise, ou encore l’intensité de la tutelle exercée par les autorités publiques (voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a., C 425/19 P, EU:C:2021:154, point 62 et jurisprudence citée).
49 En l’espèce, dans la décision attaquée, dans un premier temps, la Commission a souligné que la qualité d’entreprise publique de PostNord n’était pas suffisante pour considérer que les mesures qu’elle adoptait étaient imputables à ses actionnaires, les États danois et suédois. Dans un second temps, elle a examiné différents facteurs, sur la base desquels elle a conclu que l’augmentation de capital n’était pas imputable aux États danois et suédois et, dès lors, ne constituait pas une aide d’État. Cette conclusion se fonde, en substance, sur les douze éléments suivants :
– l’augmentation de capital a été décidée à la suite d’une demande de son bénéficiaire, PostNord Logistics, et a été mise en œuvre par PostNord Group et non PostNord (paragraphes 76 et 78 de la décision attaquée) ;
– l’approbation de l’augmentation de capital par PostNord était nécessaire eu égard à son montant, mais il n’apparaît pas que les États danois ou suédois, ou les fonctionnaires qu’ils ont nommés au conseil d’administration de PostNord, aient exprimé un point de vue particulier en faveur de cette mesure (paragraphe 77 de la décision attaquée) ;
– la nomination de membres du conseil d’administration de PostNord par les États danois et suédois n’est pas en soi suffisante pour conclure à l’imputabilité de l’augmentation de capital à ces États, étant donné que rien n’indique que ces fonctionnaires n’agissent pas de façon indépendante, qu’ils n’ont pas de pouvoir de vote spécifique ni de droit de veto et que, par ailleurs, les autres membres du conseil d’administration de PostNord ne travaillent pas pour les États actionnaires et sont donc indépendants (paragraphes 79 et 80 de la décision attaquée) ;
– les membres du conseil d’administration de PostNord n’étaient pas tenus de suivre des instructions particulières de la part des États actionnaires et rien ne permet de considérer que de telles instructions ont été données s’agissant de l’augmentation de capital (paragraphes 86 et 88 de la décision attaquée) ;
– la majorité simple du conseil d’administration de PostNord était requise pour approuver l’augmentation de capital, de sorte qu’il était impossible pour l’État danois ou l’État suédois de faire prévaloir sa volonté au sein du conseil d’administration (paragraphe 95 de la décision attaquée) ;
– PostNord et ses filiales ne sont pas intégrées dans l’administration publique danoise ou suédoise (paragraphe 89 de la décision attaquée) ;
– les activités de PostNord et de ses filiales sont purement commerciales, à l’exception de celles relatives à l’obligation de service postal universel effectuées par Post Danmark, qui ne sont toutefois pas liées à celles de PostNord Logistics (paragraphes 90 et 91 de la décision attaquée) ;
– PostNord Group est une société régie par le droit privé (paragraphe 92 de la décision attaquée) ;
– PostNord Group, qui est supervisée par PostNord, et non par les États danois et suédois, est autonome à l’égard de ces États (paragraphes 93 et 94 de la décision attaquée) ;
– PostNord Logistics est une société relativement petite qui n’est pas importante politiquement, socialement ni économiquement, de sorte que sa faillite n’aurait pas eu d’incidence particulière justifiant une intervention étatique pour l’éviter (paragraphes 97 et 99 de la décision attaquée) ;
– le montant de l’augmentation de capital est, certes, important pour PostNord Logistics, mais il ne l’est pas pour PostNord Group eu égard à son chiffre d’affaires (paragraphe 98 de la décision attaquée) ;
– l’augmentation de capital est rationnelle d’un point de vue économique, le marché de la logistique étant croissant (paragraphe 100 de la décision attaquée).
50 En présentant différents indices démontrant, selon elles, que l’absence d’implication des États danois et suédois dans l’augmentation de capital était improbable, les requérantes font valoir que l’analyse de la Commission montre qu’elle faisait face à des difficultés sérieuses qu’elle n’a pas surmontées.
Sur les liens organiques entre PostNord et les États danois et suédois
51 Les requérantes insistent sur la composition du conseil d’administration de PostNord, dont la majorité des membres sont nommés par les États danois et suédois, chaque État ayant par ailleurs fait le choix d’y désigner l’un de ses fonctionnaires.
52 Certes, la désignation des membres du conseil d’administration constitue une prérogative des propriétaires d’une société et ne permet pas en principe, à elle seule, de faire présumer l’imputabilité d’une mesure, prise par une entreprise publique, à l’État qui la contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T 305/13, EU:T:2015:435, points 42 et 61).
53 Pour autant, lors de l’appréciation de l’imputabilité à l’État d’une mesure prise par le conseil d’administration d’une entreprise publique, la désignation des membres de cet organe doit être dûment prise en considération, dans la mesure où elle atteste l’existence des liens particuliers entre l’entreprise publique en cause et l’État qui la contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Slovénie/Commission, T 507/12, non publié, EU:T:2016:35, points 102 à 107). Ces liens particuliers peuvent constituer un indice de l’improbabilité d’une absence d’implication de l’État dans l’adoption de la mesure en cause, au sens de la jurisprudence citée au point 47 ci-dessus.
54 En particulier, dans certains cas, les circonstances entourant la désignation des membres des organes de direction d’une entreprise publique sont susceptibles d’établir que cette entreprise possède une marge d’indépendance limitée à l’égard de l’État qui la contrôle, de sorte qu’une telle désignation constitue un indice significatif de l’imputabilité à l’État (voir, en ce sens, arrêt du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T 305/13, EU:T:2015:435, point 63), voire est susceptible d’établir une telle imputabilité (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2014, Commerz Nederland, C 242/13, EU:C:2014:2224, point 35).
55 En l’espèce, premièrement, il convient de constater que, ainsi que cela ressort du paragraphe 20 de la décision attaquée, le conseil d’administration de PostNord est composé de onze membres, dont quatre sont nommés par le Royaume de Danemark, quatre par le Royaume de Suède et trois par les employés de Post Danmark et de Posten, filiales de PostNord.
56 Plus particulièrement, il ressort des différents rapports annuels de PostNord, produits par les requérantes en annexes à la requête, que les huit membres nommés par les États danois et suédois le sont lors de l’assemblée générale annuelle, instance au sein de laquelle le Royaume de Danemark est représenté par son ministre des Transports, tandis que le Royaume de Suède est représenté par son ministre de l’Entreprise et de l’Innovation.
57 En outre, il est constant entre les parties que, au moment de l’augmentation de capital, l’un des quatre membres du conseil d’administration de PostNord nommés par l’État danois était, en parallèle, un haut fonctionnaire de cet État, tandis que l’un des quatre membres du même conseil d’administration nommés par l’État suédois était également, en parallèle, un haut fonctionnaire de cet État. D’une part, le fonctionnaire danois occupait les fonctions de directeur général adjoint du département des entreprises, de la productivité, de l’approvisionnement, de l’énergie et du budget de l’Union au sein du ministère des Finances danois. D’autre part, le fonctionnaire suédois était directeur adjoint du département des entreprises publiques au sein du ministère suédois de l’Entreprise et de l’Innovation.
58 En ce qui concerne ces deux fonctionnaires, la Commission a relevé qu’ils n’avaient pas exprimé d’opinion particulière à propos de l’augmentation de capital (paragraphe 77 de la décision attaquée), qu’ils n’avaient pas reçu d’instructions particulières de la part des États danois et suédois à cet égard (paragraphe 86 de la décision attaquée), qu’ils étaient présumés agir de façon indépendante et qu’ils n’étaient pas en mesure d’imposer leur volonté, dans la mesure où ils n’avaient ni pouvoir de vote spécial ni droit de veto (paragraphe 80 de la décision attaquée).
59 Or, ces seules considérations ne sauraient ôter toute pertinence, dans l’appréciation de l’imputabilité aux États danois et suédois de l’augmentation de capital, à la présence de fonctionnaires au sein du conseil d’administration de PostNord, étant donné que la preuve de l’imputabilité d’une mesure prise par une entreprise publique à l’État qui la contrôle ne nécessite pas la démonstration que, sur le fondement d’une instruction précise, les autorités publiques ont incité concrètement cette entreprise à prendre la mesure en cause (voir point 46 ci-dessus).
60 À cet égard, la nomination, au sein du conseil d’administration de PostNord, de membres exerçant concomitamment de hautes fonctions d’encadrement au sein de ministères du gouvernement au Danemark et en Suède, dans des domaines d’activité ayant un lien direct avec les entreprises publiques, parmi lesquelles figure PostNord, permet de considérer que ces fonctionnaires bénéficiaient de la confiance de ces États, et qu’ils étaient dès lors susceptibles d’entretenir des contacts informels avec des agents des ministères dont ils relevaient et, ainsi, de relayer l’influence desdits États dans le processus de décision au sein de PostNord.
61 D’ailleurs, au paragraphe 77 de la décision attaquée, la Commission a souligné qu’« il [étai]t hautement probable que le Danemark et la Suède aient eu connaissance de l’augmentation de capital envisagée (notamment parce que deux membres du conseil d’administration [étaie]nt également fonctionnaires, respectivement, du Danemark et de la Suède) ». De même, lors de l’audience, le Royaume de Danemark a en substance expliqué avoir spécifiquement désigné un fonctionnaire au sein du conseil d’administration de PostNord pour informer le ministère des Finances et le ministère des Transports des discussions, au sein de cet organe, relatives au service postal universel dans le cadre de la restructuration de Post Danmark.
62 Dans ces conditions, les indices de nature organique avancés par les requérantes tendent à établir que, au moment de l’augmentation de capital, PostNord jouissait d’une marge d’indépendance limitée à l’égard des États danois et suédois, étant donné que son conseil d’administration était composé de huit membres sur onze dont la nomination relevait de ministres de ces États, parmi lesquels deux en étaient par ailleurs de hauts fonctionnaires (voir, par analogie, arrêt du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T 305/13, EU:T:2015:435, points 61 à 63).
63 Cette conclusion est corroborée par le constat, opéré au paragraphe 21 de la décision attaquée, selon lequel les réunions du conseil d’administration de PostNord doivent se tenir en présence d’à tout le moins un membre nommé par l’État danois et un membre nommé par l’État suédois.
64 Il s’ensuit que les éléments organiques devaient être dûment pris en considération et étaient susceptibles de constituer un indice non négligeable d’imputabilité de l’augmentation de capital aux États danois et suédois.
65 Or, dans la décision attaquée, la Commission s’est limitée, aux paragraphes 79 et 80, à considérer, en substance, que les liens organiques entre PostNord et les États danois et suédois n’étaient pas suffisants pour rendre l’augmentation de capital imputable à ces États, sans accorder de poids particulier à ces éléments au regard des autres indices d’imputabilité examinés.
66 Deuxièmement, la Commission ne saurait être suivie lorsqu’elle tire argument du fait que PostNord est détenue par deux États membres et qu’aucun d’eux ne pouvait, à lui seul, désigner la majorité, nécessaire à l’approbation de l’augmentation de capital, des membres du conseil d’administration de cette société.
67 En effet, il ressort du pacte d’actionnaires de PostNord, auquel la Commission s’est référée au paragraphe 95 de la décision attaquée et dont elle disposait dès lors au cours de la procédure administrative, que les États danois et suédois doivent agir en étroite coopération lorsqu’ils interviennent dans les affaires de PostNord. D’une part, selon le point 3.1.1 de ce document, les États danois et suédois se sont engagés à agir de bonne foi à l’égard l’un de l’autre ainsi qu’à l’égard de PostNord. D’autre part, selon le point 3.11 du même document, en cas de blocage dans l’adoption d’une décision relevant du conseil d’administration, les États danois et suédois doivent chacun désigner un haut représentant chargé de résoudre le blocage.
68 En tout état de cause, il ne saurait être admis que la Commission puisse, au stade de la procédure d’examen préliminaire, exclure l’imputabilité d’une mesure prise par une entreprise contrôlée par deux États en se limitant à constater qu’aucun de ces deux États ne détient la majorité simple des droits de vote au conseil d’administration, sans examiner davantage cette question. Admettre une telle thèse reviendrait à permettre à plusieurs États membres de se réunir, de façon égalitaire, dans des institutions plurinationales chargées de la distribution d’aides, pour contourner les règles relatives aux aides d’État.
69 Troisièmement, la circonstance, soulignée par le Royaume de Danemark, selon laquelle les États danois et suédois n’ont pas le pouvoir de désigner les membres du directoire de PostNord, ou de PostNord Group, n’est pas pertinente, dans la mesure où, en l’espèce, l’augmentation de capital devait être approuvée par un autre organe, à savoir le conseil d’administration de PostNord, dont la majorité des membres étaient nommés par ces États.
70 Il résulte de ce qui précède que l’appréciation par la Commission des liens organiques existant entre, d’une part, les États danois et suédois et, d’autre part, PostNord, démontre le caractère incomplet et insuffisant de son examen de l’imputabilité, à ces États, de l’augmentation de capital, et constitue dès lors un indice de l’existence de difficultés sérieuses.
71 Toutefois, étant donné que les liens organiques entre une entreprise publique et l’État qui la détient ne peuvent, en principe, suffire à établir l’imputabilité à l’État d’une mesure prise par cette entreprise (voir point 52 ci-dessus), il convient encore d’examiner si d’autres éléments dont la Commission pouvait disposer sont susceptibles de constituer des indices de l’existence de difficultés sérieuses.
Sur les autres indices relatifs au caractère improbable de l’absence d’implication des États danois et suédois dans l’augmentation de capital
– Sur l’existence d’un dialogue entre les membres du conseil d’administration de PostNord et les États danois et suédois
72 Les requérantes tirent argument du rapport annuel 2017, qui faisait mention d’un « dialogue avec les propriétaires sur le financement ».
73 À cet égard, force est de constater que cette seule mention ne permet pas de présumer que les États danois et suédois ont abordé, avec les organes de direction de PostNord, tous les aspects financiers ni que, à supposer que ce soit le cas, ces aspects incluent nécessairement toute opération de recapitalisation en faveur des filiales du groupe PostNord, et donc l’augmentation de capital.
74 D’ailleurs, comme le soulignent le Royaume de Danemark ainsi que PostNord Group et PostNord Logistics, une lecture complète de la phrase dont est extrait le passage reproduit au point 72 ci-dessus permet de comprendre que le terme « financement » qui y est employé ne fait pas référence à l’ensemble des aspects financiers des sociétés du groupe PostNord, mais à une opération particulière, à savoir « la restructuration de l’activité au Danemark ».
75 Si le Royaume de Danemark, de même que PostNord Group et PostNord Logistics, admettent que les États danois et suédois ont été impliqués dans cette restructuration, ces parties intervenantes soutiennent que ladite restructuration concernait uniquement le changement de modèle au sein de Post Danmark, décidé en 2017, et financé en 2018, et qu’elle ne présentait donc aucun lien avec l’augmentation de capital, au bénéfice de PostNord Logistics.
76 Les requérantes contestent cette argumentation et font valoir que la notion d’« activité au Danemark » renvoie également à la situation de PostNord Logistics. Au soutien de leur affirmation, elles produisent un document intitulé « Rapport d’analyse pour les négociations postales de 2020 » établi par la société McKinsey & Company (ci-après le « rapport d’analyse de McKinsey »), dont la Commission conteste la recevabilité au motif que sa production serait tardive.
77 Le rapport d’analyse de McKinsey n’a pas été produit par les requérantes en annexe à la requête, mais uniquement en annexe, d’une part, à leurs observations sur le mémoire en intervention du Royaume de Danemark et, d’autre part, à leurs observations sur le mémoire en intervention de PostNord Group et PostNord Logistics.
78 À cet égard, l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les preuves et les offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. Toutefois, la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse ne sont pas visées par la règle de forclusion, prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T 561/18, EU:T:2021:240, point 102 et jurisprudence citée).
79 En l’espèce, ainsi qu’il a été constaté au point 76 ci-dessus, le rapport d’analyse de McKinsey a été produit afin de réfuter l’argumentation du Royaume de Danemark ainsi que de PostNord Group et PostNord Logistics, selon laquelle le dialogue entre les propriétaires de PostNord et le conseil d’administration de cette dernière concernait exclusivement la restructuration de Post Danmark.
80 Ainsi, le rapport d’analyse de McKinsey est recevable.
81 Or, il ressort de ce rapport ainsi que des précisions fournies par PostNord Group et PostNord Logistics en réponse à une mesure d’organisation de la procédure que PostNord est, d’un point de vue opérationnel, structurée en unités géographiques, à savoir, notamment, PostNord Denmark au Danemark, PostNord Sweden en Suède, PostNord Finland en Finlande et PostNord Norway en Norvège. Il en ressort également que l’unité géographique PostNord Denmark regroupe à la fois Post Danmark et PostNord Logistics, cette dernière étant une société de droit danois active au Danemark (voir point 4 ci-dessus), et que le président-directeur général (PDG) de PostNord Logistics rend compte au responsable opérationnel de ladite unité géographique, lequel est par ailleurs le PDG de Post Danmark.
82 Dès lors, il ne saurait être exclu que l’existence d’un dialogue entre PostNord et les États danois et suédois sur la restructuration de « l’activité au Danemark » pouvait porter non seulement sur les activités de Post Danmark, mais également sur celles de PostNord Logistics.
83 Il en va d’autant plus ainsi qu’il ressort du rapport annuel 2017 que c’est PostNord Denmark, unité géographique qui englobe à la fois Post Danmark et PostNord Logistics (voir point 81 ci-dessus), qui ferait l’objet d’une « restructuration en une entreprise de communication et de logistique rentable […] via la mise en œuvre d’un nouveau modèle de production », ce qui tend à établir que PostNord Logistics pouvait être concernée par ladite restructuration.
84 Or, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas examiné si un tel dialogue sur la restructuration de l’activité de PostNord au Danemark avait eu lieu, alors même que cet élément avait été avancé par ITD dans sa plainte, en tant qu’indice du rôle de supervision et de contrôle exercé par les États danois et suédois sur l’augmentation de capital, approuvée par PostNord.
85 Dans ces conditions, l’absence de prise en compte, par la Commission, des liens entre PostNord Logistics et la restructuration de l’activité de PostNord au Danemark démontre le caractère incomplet et insuffisant de son examen de l’imputabilité, à ces États, de l’augmentation de capital, et constitue dès lors un indice de l’existence de difficultés sérieuses.
– Sur la nature des activités de PostNord
86 Les requérantes font valoir que les activités de PostNord sont liées au service postal universel au Danemark et en Suède, ce qui tendrait à établir un lien entre les mesures prises par cette société et les États danois et suédois.
87 À cet égard, la nature des activités d’une entreprise publique dispensatrice d’une aide constitue un indice pertinent pour apprécier l’imputabilité de cette aide à l’État (voir point 48 ci-dessus). Plus particulièrement, la poursuite d’objectifs d’intérêt général par une telle entreprise a déjà été considérée par le juge de l’Union comme un indice d’imputabilité, à l’État qui la contrôle, des mesures qu’elle adopte (voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2013, Nitrogénművek Vegyipari/Commission, T 387/11, non publié, EU:T:2013:98, point 63, et du 12 mars 2020, Elche Club de Fútbol/Commission, T 901/16, EU:T:2020:97, points 58 et 59), de même que l’exercice, par une entreprise publique, d’activités relevant de la compétence de cet État (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Slovénie/Commission, T 507/12, non publié, EU:T:2016:35, point 92).
88 En l’espèce, en premier lieu, au paragraphe 90 de la décision attaquée, la Commission a considéré que la nature des activités de PostNord ne constituait pas un indice d’imputabilité, dans la mesure où de telles activités étaient purement commerciales, à l’exception du service postal universel au Danemark, pour lequel Post Danmark recevait une compensation publique.
89 Or, il ressort de l’article 3 des statuts de PostNord que l’objet social de cette société est, à titre principal, d’assurer, directement ou par l’intermédiaire de filiales, des services postaux à l’échelle nationale au Danemark et en Suède et d’exercer des activités compatibles avec ces services. Il est par ailleurs constant que les seuls opérateurs chargés du service postal universel pour les territoires du Danemark et de la Suède sont respectivement Post Danmark et Posten, filiales de PostNord, qui sont également les opérateurs historiques de ces États.
90 À cet égard, le service postal universel constitue un service d’intérêt économique général que les États membres ont l’obligation d’assurer, conformément à l’article 3 de la directive 97/67/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant des règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité du service (JO 1998, L 15, p. 14).
91 Il s’ensuit que PostNord, société dont le conseil d’administration devait approuver l’augmentation de capital, poursuit des objectifs d’intérêt général relevant de la compétence des États danois et suédois. Ainsi, comme le font valoir en substance les requérantes, cette circonstance tend à établir que ces États accordent, en principe, une attention particulière aux décisions prises par cette société.
92 À cet égard, les circonstances, soulignées par la Commission ainsi que par PostNord Group et PostNord Logistics, selon lesquelles, d’une part, PostNord exerce ses activités sur des marchés concurrentiels et, d’autre part, l’augmentation de capital constitue une opération économiquement rationnelle, à les supposer établies, ne sont pas décisives pour considérer que cette mesure n’intéressait pas les États actionnaires de cette société. En effet, rien ne s’oppose à ce que les pouvoirs publics puissent être impliqués dans une opération de nature entrepreneuriale d’une entreprise publique qui, tout en pouvant le cas échéant être conforme au critère de l’investisseur privé, sera, en tout état de cause, imputable à l’État (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T 305/13, EU:T:2015:435, point 49, et du 28 janvier 2016, Slovénie/Commission, T 507/12, non publié, EU:T:2016:35, point 92).
93 En second lieu, au paragraphe 91 de la décision attaquée, la Commission a relevé qu’il n’y avait pas de lien entre les activités de PostNord Logistics et les activités de Post Danmark relevant du service postal universel.
94 À cet égard, il est vrai que le contenu de la mesure en cause peut constituer un indice pertinent pour apprécier l’imputabilité de cette aide à l’État (voir point 47 ci-dessus) et que, en l’espèce, le bénéficiaire de l’augmentation était PostNord Logistics, filiale de PostNord Group qui n’était pas chargée d’une obligation de service universel.
95 Toutefois, dès lors que l’augmentation de capital devait être approuvée par le conseil d’administration de PostNord, société qui a pour objet social, à titre principal, la fourniture de services postaux au Danemark et en Suède ainsi que d’activités compatibles avec ces services, les décisions prises par son conseil d’administration étaient censées coïncider avec un tel objet social. Ainsi, la Commission ne pouvait pas se limiter, au stade de la procédure d’examen préliminaire, à constater que le bénéficiaire de cette mesure n’était pas chargé du service postal universel. La Commission aurait dû être en mesure d’exclure, de façon suffisamment concrète, que l’augmentation de capital ait une quelconque incidence, positive ou négative, sur l’accomplissement de ce service.
96 Dans ces conditions, l’absence de prise en compte, par la Commission, de l’objet social de PostNord, laquelle était tenue d’approuver l’augmentation de capital, est de nature à démontrer le caractère incomplet et insuffisant de son appréciation de l’imputabilité aux États danois et suédois de cette mesure, et constitue dès lors un indice de l’existence de difficultés sérieuses.
– Sur l’ampleur de l’augmentation de capital
97 Dans leurs observations sur le mémoire en intervention du Royaume de Suède et sur celui de PostNord Group et PostNord Logistics, les requérantes soulignent que le montant de l’augmentation de capital est significatif. En réponse à une question posée par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, la Commission a, en substance, contesté la recevabilité de cet argument, dans la mesure où il s’agirait d’un argument nouveau présenté pour la première fois dans leurs observations sur le mémoire en intervention du Royaume de Suède et sur celui de PostNord Group et PostNord Logistics.
98 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable. Pour pouvoir être regardé comme une ampliation d’un moyen ou d’un grief antérieurement énoncé, un nouvel argument doit présenter, avec les moyens ou les griefs initialement exposés dans la requête, un lien suffisamment étroit pour pouvoir être considéré comme résultant de l’évolution normale du débat au sein d’une procédure contentieuse (voir arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T 561/18, EU:T:2021:240, point 183 et jurisprudence citée).
99 En l’espèce, il est vrai que, dans la requête, les requérantes n’ont pas présenté l’importance du montant de l’augmentation de capital, en tant que telle, comme un indice de l’existence de difficultés sérieuses rencontrées par la Commission dans l’examen de l’imputabilité de cette mesure.
100 Toutefois, dans la requête, aux fins de démontrer l’existence de difficultés sérieuses rencontrées par la Commission, les requérantes ont fait valoir que l’augmentation de capital était imputable aux États danois et suédois, en mettant en exergue que cette mesure relevait de la compétence du conseil d’administration de PostNord, étant donné qu’il s’agissait d’une décision financière « significative ».
101 Ainsi, la requête contenait déjà une indication selon laquelle, pour les requérantes, le montant de l’augmentation de capital devait être considéré comme important, contrairement à ce qu’a indiqué la Commission dans la décision attaquée. Partant, en ce qu’elle présente un lien étroit avec un grief énoncé, à tout le moins implicitement, dans la requête, l’argumentation des requérantes tirée du montant de l’augmentation de capital doit être regardée comme résultant de l’évolution normale du débat au sein de la procédure juridictionnelle et, dès lors, comme l’ampliation de ce grief. Une telle argumentation doit donc être déclarée recevable.
102 S’agissant du bien-fondé de cette argumentation, il convient de rappeler que l’ampleur d’une mesure peut constituer un élément pertinent dans l’appréciation de l’imputabilité de cette mesure à l’État (voir point 47 ci-dessus).
103 En l’espèce, au paragraphe 98 de la décision attaquée, la Commission a considéré que le montant de l’augmentation de capital n’était pas de nature à éveiller des soupçons concernant l’implication des États danois et suédois, dans la mesure où ce montant représentait 0,3 % du chiffre d’affaires de PostNord Group.
104 Toutefois, d’une part, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission ait tenu compte du montant de l’augmentation de capital en valeur absolue, lequel, supérieur à 15 millions d’euros, ne saurait être considéré comme négligeable. À cet égard, le juge de l’Union a déjà tenu compte de l’ampleur d’une mesure de recapitalisation de 10 millions d’euros, prise par une entreprise publique, dans le cadre de l’appréciation de son imputabilité à l’État (voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2016, Slovénie/Commission, T 507/12, non publié, EU:T:2016:35, point 186). Cette somme apparaît d’autant plus importante pour le bénéficiaire de l’augmentation de capital, PostNord Logistics, dont la viabilité économique en dépendait.
105 D’autre part, au stade de l’examen du montant de l’augmentation de capital, la Commission n’a pas non plus tenu compte de ce qu’un tel montant dépassait le seuil au-delà duquel les injections de capital internes au groupe devaient recueillir l’approbation de PostNord, société mère dudit groupe, dont le conseil d’administration présentait des liens étroits avec les États danois et suédois (voir point 62 ci-dessus).
106 Dans ces conditions, l’appréciation de la Commission, selon laquelle le montant de l’augmentation de capital n’était pas de nature à éveiller des soupçons quant à l’implication des États danois et suédois dans l’adoption de cette mesure, démontre le caractère incomplet et insuffisant de son examen de l’imputabilité, à ces États, de ladite mesure, et constitue dès lors un indice de l’existence de difficultés sérieuses.
107 Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, les requérantes sont parvenues à établir que l’examen, par la Commission, du caractère d’aide de l’augmentation de capital était incomplet et insuffisant. Ainsi, les requérantes ont rapporté la preuve de l’existence de difficultés sérieuses que la Commission n’a pas surmontées quant à l’appréciation de l’augmentation de capital. Il y a donc lieu d’accueillir le présent recours dans la mesure où il est dirigé contre la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, conclu que l’augmentation de capital n’était pas imputable aux États danois et suédois et, dès lors, ne constituait pas une aide d’État.
Sur le subventionnement croisé
108 Les requérantes, soutenues sur ce point par SLD, font valoir que l’existence de difficultés sérieuses ressort de la conclusion figurant dans la décision attaquée, selon laquelle il n’existait pas de preuves suffisantes de l’existence du subventionnement croisé.
109 Tout d’abord, les requérantes soulignent qu’elles n’ont pas pu fournir de preuve du subventionnement croisé dans la mesure où l’existence de ce dernier était attestée par des sources anonymes craignant des représailles. Dans leurs observations sur le mémoire en intervention de PostNord Group et PostNord Logistics, les requérantes précisent, en prenant appui sur le rapport d’analyse de McKinsey, que, compte tenu des liens étroits existant entre Post Danmark et PostNord Logistics, l’existence d’un subventionnement croisé était hautement probable.
110 Ensuite, les requérantes soutiennent que la Commission a accepté toutes les affirmations du Royaume de Danemark et de PostNord Logistics, notamment en s’appuyant sur un rapport établi par la société Deloitte à la demande du ministère des Transports danois (ci-après le « rapport de Deloitte »), qui manquerait de fiabilité. D’une part, au cours de son enquête, Deloitte se serait fondée exclusivement sur des aperçus préparés par PostNord Logistics. D’autre part, en dépit du rapport de Deloitte, le Parlement danois aurait demandé à la Rigsrevisionen (Cour des comptes, Danemark) d’ouvrir une seconde enquête portant sur les mêmes questions que celles à l’origine de ce rapport, au motif que ce dernier, ayant été financé directement par le ministère, n’aurait pas de grande valeur.
111 Les requérantes soulignent que la Commission ne pouvait pas ignorer l’existence d’une enquête de la Rigsrevisionen (Cour des comptes), dans la mesure où ITD l’en avait informée avant l’adoption de la décision attaquée. Ainsi, la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen pour tenir compte du résultat de cette enquête. SLD précise que c’est parce qu’il considérait que le rapport de Deloitte manquait d’exhaustivité et de fiabilité que le Parlement danois a demandé une enquête à la Rigsrevisionen (Cour des comptes).
112 Selon les requérantes, le manque de fiabilité du rapport de Deloitte est encore confirmé par les conclusions de l’enquête de la Rigsrevisionen (Cour des comptes), rendues le 15 janvier 2021, qu’elles produisent en annexe à la réplique.
113 Enfin, les requérantes et SLD contestent le constat de la Commission selon lequel la compensation versée par l’État danois à Post Danmark, pour l’obligation de service universel dont elle était chargée, faisait l’objet d’un contrôle a posteriori et n’était dès lors pas surévaluée.
114 La Commission, soutenue sur ce point par le Royaume de Danemark ainsi que par PostNord Group et PostNord Logistics, conteste les arguments des requérantes.
115 À cet égard, il convient de constater que, à la suite d’allégations relatives à l’existence du subventionnement croisé dans une lettre anonyme adressée le 18 décembre 2019 au ministère des Transports danois, ce dernier a, le 10 janvier 2020, demandé à la société Deloitte d’effectuer une enquête indépendante à ce sujet et de confirmer ou d’infirmer de telles allégations.
116 Aux termes des conclusions du rapport de Deloitte, rendues le 11 mars 2020, les dénonciations anonymes relatives au subventionnement croisé ont toutes été infirmées. À cet égard, il ressort de ces conclusions que l’enquête menée par Deloitte a, notamment, consisté en une analyse des accords de coopération entre Post Danmark et PostNord Logistics et des éléments relatifs à la méthode de détermination des prix facturés par Post Danmark à PostNord Logistics ainsi qu’en la vérification de l’existence de factures et, si nécessaire, d’ajustements, entre ces deux sociétés.
117 Or, d’une part, les requérantes, qui supportent la charge de la preuve de l’existence de difficultés sérieuses (voir point 23 ci-dessus), n’avancent pas le moindre commencement de preuve de l’existence du subventionnement croisé. À cet égard, si elles soulignent s’être fondées sur des dénonciations anonymes provenant de sources craignant des représailles, une telle circonstance ne saurait les exonérer de la charge de la preuve qui leur incombe ni justifier l’existence de difficultés sérieuses que la Commission n’aurait pas surmontées. Il en va d’autant plus ainsi que, en l’occurrence, les mêmes dénonciations anonymes ont été adressées au ministère des Transports danois, qui a ordonné une enquête ayant débouché sur le rapport de Deloitte.
118 D’autre part, les requérantes n’avancent pas davantage d’éléments de nature à remettre en cause la valeur probante du rapport de Deloitte, établi sur la base d’un examen concret des rapports commerciaux entre Post Danmark et PostNord Logistics et, notamment, de l’existence de factures et d’une méthode de détermination des prix (voir point 116 ci-dessus).
119 À cet égard, s’agissant des conclusions de l’enquête de la Rigsrevisionen (Cour des comptes), il convient de rappeler que la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment de son adoption (voir arrêt du 2 septembre 2021, Ja zum Nürburgring/Commission, C 647/19 P, EU:C:2021:666, point 98 et jurisprudence citée). Or, les conclusions de l’enquête de la Rigsrevisionen (Cour des comptes) ayant été rendues le 15 janvier 2021, soit postérieurement à l’adoption de la décision attaquée, elles ne peuvent être valablement invoquées par les requérantes pour démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant au subventionnement croisé.
120 Certes, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission avait connaissance de la saisine, par une commission parlementaire, de la Rigsrevisionen (Cour des comptes) afin que cette dernière effectue, conformément à la mission dont elle était investie, un examen de certaines questions comptables relatives à Post Danmark dont, notamment, celle de savoir si cette entreprise se livrait à un subventionnement croisé.
121 Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette saisine aurait été justifiée par des éléments concrets, autres que les dénonciations anonymes relayées par ITD dans sa plainte, dans le sens d’un tel subventionnement croisé, ni qu’une telle saisine impliquerait une remise en cause du rapport de Deloitte.
122 S’il est vrai que l’un des membres de la commission parlementaire à l’origine de la saisine de la Rigsrevisionen (Cour des comptes) a indiqué qu’il n’accordait pas beaucoup de valeur aux enquêtes financées par le ministère, il convient de constater que, d’une part, ce membre s’exprimait à titre personnel, et non au nom de la commission parlementaire en question, et que, d’autre part, une telle affirmation de principe n’est pas susceptible de remettre en cause le rapport de Deloitte, dans la mesure où celui-ci reposait sur une méthode apparaissant suffisante s’agissant de la vérification de l’existence du subventionnement croisé (voir points 116 et 118 ci-dessus), à défaut de tout élément concret en sens contraire.
123 S’agissant enfin de l’argument tiré de l’existence de liens étroits entre Post Danmark et PostNord Logistics (voir point 109 ci-dessus), à le supposer recevable et à supposer de tels liens établis, il ne saurait être considéré que l’existence de liens institutionnels et commerciaux entre deux filiales d’un même groupe tend à rendre probable l’existence d’un subventionnement croisé entre ces deux sociétés.
124 Les requérantes ne sauraient dès lors faire valoir qu’un examen diligent et complet de leur plainte impliquait que la Commission attende l’issue de l’enquête de la Rigsrevisionen (Cour des comptes) pour fixer définitivement sa position sur le prétendu subventionnement croisé, d’autant plus qu’elles avaient mis la Commission en demeure d’adopter une décision dans un délai de deux mois.
125 À cet égard, si, comme le font valoir les requérantes et SLD, il peut être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne lui incombe pas, en revanche, de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission, C 847/19 P, EU:C:2021:343, points 49 et 50, et du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C 57/19 P, EU:C:2021:663, point 45).
126 Dans ces conditions, considérant, d’une part, l’absence de commencement de preuve dans le sens du subventionnement croisé de la part des requérantes et, d’autre part, l’existence du rapport de Deloitte au moment de l’adoption de la décision attaquée, force est de constater que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission rencontrait des difficultés sérieuses lorsqu’elle a conclu que le subventionnement croisé n’était pas établi et que, dès lors, les transactions entre Post Danmark et PostNord Logistics n’impliquaient pas d’aide d’État.
127 Ainsi, il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre élément retenu par la Commission dans la décision attaquée, portant sur l’existence d’un contrôle a posteriori de la répartition des coûts au sein de la comptabilité de Post Danmark, entre ceux relevant du service postal universel et ceux n’en relevant pas (paragraphes 111 et 116 de la décision attaquée). Au demeurant, cette question porte sur la répartition comptable des coûts au sein de la seule Post Danmark et est donc, à défaut d’indice en ce sens, sans rapport avec la prétendue fourniture de prestations à titre gratuit au bénéfice de PostNord Logistics.
Conclusions sur l’ensemble du recours
128 Selon la jurisprudence, le seul fait qu’il considère comme fondé un moyen invoqué par la partie requérante au soutien de son recours en annulation ne permet pas au Tribunal d’annuler automatiquement l’acte attaqué dans son intégralité. En effet, une annulation intégrale ne saurait être retenue lorsqu’il apparaît de toute évidence que ce moyen, visant uniquement un aspect spécifique de l’acte contesté, n’est susceptible d’asseoir qu’une annulation partielle (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret, C 295/07 P, EU:C:2008:707, point 104).
129 Toutefois, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (voir arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret, C 295/07 P, EU:C:2008:707, points 105 et 106 et jurisprudence citée).
130 En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a examiné trois mesures distinctes dont, notamment, l’augmentation de capital et le subventionnement croisé (voir point 12 ci-dessus). Ces mesures ont été examinées séparément au sein de la décision attaquée et font chacune l’objet d’une conclusion propre dans la partie finale de cette décision, intitulée « Conclusion ».
131 À cet égard, au point 107 ci-dessus, le Tribunal a considéré qu’il convenait d’accueillir le recours en ce qu’il était dirigé contre la partie de la décision attaquée dans laquelle la Commission a, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, conclu que l’augmentation de capital ne constituait pas une aide d’État. En conséquence, il convient d’annuler partiellement la décision attaquée dans cette mesure et de rejeter le recours pour le surplus.
Sur les dépens
132 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre.
133 Le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait, en l’espèce, une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que les requérantes supporteront la moitié de leurs propres dépens, le reste de leurs dépens étant supporté par la Commission, cette dernière supportant par ailleurs ses propres dépens.
134 En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, le Royaume de Danemark et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens. En application de l’article 138, paragraphe 3, du même règlement, Jørgen Jensen Distribution, SLD, PostNord Group et PostNord Logistics supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision C(2020) 3006 final de la Commission, du 12 mai 2020, concernant les aides d’État SA.52489 (2018/FC) – Danemark et SA.52658 – Suède – Aide d’État présumée en faveur de PostNord Logistics est annulée dans la mesure où il y a été constaté, au terme de la phase préliminaire d’examen, que l’augmentation de capital au profit de PostNord Logistics A/S, approuvée par PostNord AB le 11 décembre 2018, ne constituait pas une aide d’État.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) ITD, Brancheorganisation for den danske vejgodstransport et Danske Fragtmænd A/S supporteront la moitié de leurs propres dépens, le reste de leurs dépens étant supporté par la Commission européenne.
4) La Commission, le Royaume de Danemark, le Royaume de Suède, Jørgen Jensen Distribution A/S, Specialforeningen for Logistik og Distribution (SLD), PostNord Group AB et PostNord Logistics supporteront leurs propres dépens.