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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 1-11, 20 septembre 2021, n° 21/00473

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Autre

PARTIES

Demandeur :

Brink's Evolution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Podevin

CA Aix-en-Provence n° 21/00473

20 septembre 2021

M. M. a été engagé par la SAS Brink's Nord et Est à compter du 1er décembre 1992, en qualité de chef du personnel, puis a été muté au sein de la SAS Brink's Évolution par contrat de travail du 7 juillet 2000, exerçant en dernier lieu les fonctions de directeur régional sud-est.

Il a été licencié par courrier du 19 avril 2019 pour cause réelle et sérieuse.

Contestant son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille par requête du 30 août 2019.

Par jugement du 17 juin 2021, cette juridiction a :

- dit que le licenciement de M. M. est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

- dit que le licenciement est intervenu dans des circonstances particulièrement vexatoires,

- condamné la SAS Brink's Évolution au paiement à M. M. des sommes suivantes :

* 8.819,78 euros au titre de rappel sur l'indemnité de licenciement,

* 188.189,49 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.000 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

* 10.000,00 euros au titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale par la SAS Brink's Évolution du contrat de travail de M. M.,

* 7.950,90 euros à titre de rappel de salaire sur la prime d'objectifs 2019 outre 795,09 euros au titre de congés payés afférents,

* 75.000,00 euros à titre de rappel de salaire sur la prime de réduction des effectifs outre 7.500,00 au titre de congés payés afférents,

- ordonné la délivrance des documents de fin de contrat rectifiés,

- ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal,

- condamné la SAS Brink's Évolution au versement de la somme de 2.500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- prononcé l'exécution provisoire de la décision,

- condamné la société aux entiers dépens,

- condamné la société au versement des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil des prud'hommes,

- débouté les parties de leurs autres demandes.

La SAS Brink's Évolution a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 juillet 2021.

Par assignation délivrée le 19 juillet 2021, elle a saisi le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence aux fins de voir :

à titre principal,

- arrêter l'exécution provisoire qui pourrait être attachée au jugement précité tant sur l'exécution provisoire de droit que sur l'exécution provisoire facultative,

à titre infiniment subsidiaire,

- autoriser la SAS Brink's Évolution à consigner auprès de la caisse des dépôts la somme de 167.914,51 euros ou toute autre somme fixée, à titre de garantie à valoir sur les éventuelles condamnations à intervenir,

en tout état de cause,

- condamner M. M. au paiement de la somme de 2.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières écritures, elle maintient ses prétentions, ajoutant celle tenant au rejet de toutes les demandes de M. M. notamment en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir l'absence de motivation relative à l'exécution provisoire dans le corps du jugement, ce qui, au visa de l'article L.1454-28 du code du travail, doit conduire à l'interprétation de la décision rendue.

Elle soutient l'existence de moyens sérieux d'annulation de réformation du jugement, à raison de l'erreur commise par le premier juge sur le salaire de référence, les condamnations prononcées étant excessives voire injustifiées, et tenant à la motivation des dispositions relatives au licenciement, au caractère vexatoire de celui-ci, à l'exécution déloyale du contrat de travail, ainsi qu'au rappel de salaire au titre de prime.

Elle expose le caractère excessif des conséquences des condamnations prononcées, au regard de sa situation financière actuelle caractérisée par des pertes records au 31 décembre 2020, le résultat d'exploitation s'affichant à -16.813.527,00 euros, et du contexte de crise sanitaire et économique qui occasionne des difficultés sur le marché de la circulation des espèces et valeurs, de sorte qu'elle se trouve confrontée à une activité en décroissance illustrée par une baisse de 20% sur le roulage et de 25 % sur le comptage par rapport à l'année 2019. Elle précise qu'elle a été contrainte de demander un report de paiement des charges sociales et de souscrire un prêt garanti par l'Etat de 18 millions d'euros. Dans ces conditions l'exécution provisoire, qui porte sur plus de 29 mois du salaire de référence retenue par le premier juge, et à plus de 32 mois du salaire réel de M. M., la priverait de fonds à un moment décisif pour sa survie dans un contexte sans précédent.

Aux termes de ses écritures, M. M. demande au premier président de :

- débouter la SAS Brink's Évolution de ses demandes visant à arrêter l'exécution provisoire,

- débouter la SAS Brink's Évolution de ses demandes visant à consigner les sommes assorties de l'exécution provisoire,

- condamner la SAS Brink's Évolution à lui verser la somme de 2.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Brink's Évolution aux entiers dépens,

- débouter la SAS Brink's Évolution de l'ensemble de ses demandes.

Il entend rappeler que la Cour de cassation considère que la faculté d'ordonner l'exécution provisoire d'une décision relève du pouvoir discrétionnaire du juge qui n'a donc pas à motiver sa décision sur ce point ; que par ailleurs seules les dispositions de l'article 524 du code de procédure civile sont applicables en l'espèce, la SAS Brink's Évolution ne démontrant aucun risque lié au pouvoir de remboursement par lui-même des sommes versées, et ne produisant que des éléments tronqués de sa situation financière, puisque le rapport du commissaire aux comptes a bien été certifié par ce dernier ce qui signifie qu'aucun risque ne pèse sur la trésorerie de l'entreprise ni sur la continuité de son exploitation, d'autant que le chiffre d'affaires de la société n'a été que très peu affecté suite à la période de confinement. Il ajoute que la société a nécessairement provisionné dans ses comptes le risque financier afférent à la présente condamnation.

S'agissant de la demande de consignation, il soutient que l'exigence d'un motif sérieux de priver le créancier de la perception immédiate des sommes allouées en première instance n'est pas respectée par la demanderesse.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'instance prud'homale a été introduite devant le conseil de prud'hommes de Marseille le 30 août 2019, en sorte que les demandes de la SAS Brink's Évolution sont fondées sur les dispositions des articles 524 et 521 du code de procédure civile dans leur version antérieure au décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile.

En application de l'article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction en vigueur avant le 1er janvier 2020, « Lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d'appel, que par le premier président et dans les cas suivants :

1° Si elle est interdite par la loi ;

2° Si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 à 522.

Le même pouvoir appartient, en cas d'opposition, au juge qui a rendu la décision.

Lorsque l'exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l'article 521 et à l'article 522.

Le premier président peut arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l'article 12 et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives ».

Il en résulte qu'en l'espèce la SAS Brink's Évolution doit faire la démonstration de ce que l'exécution provisoire ordonnée risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.

Observation faite en premier lieu de ce que les critiques portées au jugement quant à la motivation de l'exécution provisoire, ou qui tendent à remettre en cause au fond la décision dont appel, rappel fait en outre de ce que le juge peut, lorsqu'elle n'est pas interdite par la loi comme en l'espèce, décidé d'assortir sa décision de l'exécution provisoire sur la totalité des condamnations prononcées, il convient donc de relever que :

- la SAS Brink's Évolution, sur laquelle pèse la charge de cette preuve, n'établit aucun risque de dissipation des sommes par le créancier. Au contraire, l'examen de la situation de ce dernier, qui percevait un salaire net imposable annuel de près de 105.000,00 euros, et auquel la SAS Brink's Évolution a versé plus de 106.000,00 euros d'indemnités consécutives à son licenciement, qui vit en France et dispose d'un patrimoine dont l'existence n'est nullement contestée par la demanderesse, permet d'écarter le risque invoqué par cette dernière de ne se voir jamais restituer les sommes versées en cas d'infirmation du jugement appelé ;

- l'analyse du rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels suite à l'exercice clos le 31 décembre 2020, et qui a certifié lesdits comptes annuels, révèle que face à la situation de pandémie sanitaire, la société, considérée comme exerçant une activité essentielle à la continuité d'activité du pays, a demandé à bénéficier du report des échéances sociales et fiscales pour consolider la situation de sa trésorerie, a demandé et obtenu un prêt garanti par l'État pour un montant de 20 millions d'euros versé à la SAS Brink's Évolution le 18 novembre 2020, dispose d'un niveau de disponibilités suffisant lui permettant de faire face aux échéances de paiements prévisibles auquel elle serait confrontée au cours de l'exercice 2021, le commissaire aux comptes concluant que l'épidémie de Covid-19 n'est pas susceptible de remettre en cause la continuité de l'activité de la société, pas plus que celle des autres sociétés du groupe Brink's en France, relevant en outre que le groupe Brink's a reporté un niveau de disponibilité 2400 millions de dollars lors de la présentation de ses résultats le premier trimestre 2021, en hausse de 600 millions de dollars par rapport à l'année précédente.

La cour observe en outre que la SAS Brink's Évolution, au regard de ce rapport sur ses comptes annuels, qui sont donc considérés, au regard des règles et principes comptables français, réguliers, sincères, et donnant une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé, demeure taisante sur la provision qu'elle a pu opérer au regard du montant des condamnations en cause.

Dès lors, il y a lieu de tirer la conséquence de l'absence de démonstration suffisante de ce que l'exécution de la décision du conseil des prud'hommes risquerait d'entraîner des conséquences manifestement excessives, pour rejeter la demande d'arrêt de l'exécution provisoire prononcée par le jugement du 17 juin 2021.

Au constat de ce que la proposition de consignation présentée à titre infiniment subsidiaire est en contradiction avec les moyens développés au soutien de la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, et au regard de l'absence de risque de dissipation de ces sommes, la consignation n'a pas lieu d'être ordonnée.

Ainsi l'ensemble des demandes de la SAS Brink's Évolution sont en voie de rejet.

L'équité commande d'allouer à M. M. la somme de 1.500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La SAS Brink's Évolution supportera la charge des dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en matière de référé,

Rejetons les demandes de la SAS Brink's Évolution.

Condamnons la SAS Brink's Évolution à payer à M. M. la somme de 1.500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamnons la SAS Brink's Évolution aux dépens de l'instance.