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Décisions

CA Metz, ch. com., 19 juin 2014, n° 10/01379

METZ

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Yeson (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Staechele

Conseillers :

Mme Soulard, Mme Knaff

TGI Thionville, du 8 juin 2000

8 juin 2000

EXPOSE DU LITIGE

La S.A. Société Nouvelle Lutrac Industrie, dont l'objet était la fabrication de constructions métalliques, immatriculée le 4 février 2000 avec un capital social de 38 200 €, a été créée dans la perspective de la reprise de l'activité de la société Lutrac Techniques Nouvelles de Réalisations Industrielles, (dont Mustafa et Oktay D. étaient jusque-là, les salariés), dans le cadre d'un plan de cession homologué par jugement de la chambre commerciale du Tribunal de Grande instance de Thionville le 28 décembre 1999.

Cette société a fait l'acquisition :

le 20 juin 2000, pour 100 001 F, des actifs de la S.A.Lutrac Sécurité, placée en redressement judiciaire par un jugement de la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Thionville du 8 juin 2000 ;

le 28 mai 2001, du fonds de commerce de la S.A.Viatour, pour 700 000 F ;

Des actifs de la société T., pour un montant de 251 559,92 €, dans le cadre d'un plan de cession homologué par la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz le 14 novembre 2001.

Le 28 juin 2001, elle a cédé à la société ENDY (dont Jean-Paul D. était le gérant) des droits et biens immobiliers à usage industriel situés à Luttange, acquis pour 15 244,90 €, pour un prix de 396 367,44 €. Cette société lui a ensuite consenti un bail commercial, pour un loyer annuel de 53 357,16 €.

Le 1er juillet 2001, elle a pris à bail de la SCI Akeni (dont Jean-Paul D. est le gérant) des locaux situés à Guenange, pour un loyer annuel de 5 488,29 €.

L'expert a noté que ces baux, signés pour les deux contractants, par Jean-Paul D. n'étaient pas accompagnés d'un procès-verbal d'autorisation du conseil d'administration régulièrement signé.

Le 6 juin 2002, une assemblée générale extraordinaire a décidé la transformation de la S.A.S. SN Lutrac Industrie en société anonyme simplifiée après que la S.A.R.L. Yeson (dont Jean-Paul D. est le gérant) est devenu son seul actionnaire et son président.

Compte tenu des difficultés qui s'accumulaient, une assemblée générale extraordinaire du 27 juin 2002 a décidé une augmentation de capital par incorporation de la réserve ordinaire, le capital social passant de 38.200 € à 1.000.000 €, ce qui a permis à la société de continuer à pouvoir disposer de la trésorerie nécessaire à son fonctionnement.

Les deux premiers exercices de la SN Lutrac Industrie ont été bénéficiaires, mais au 31 décembre 2002, selon le rapport du commissaire aux comptes déposé en juin 2003, les comptes (qu'il a refusé de certifier) révélaient une perte d'exploitation de 290 254 € pour un résultat net de 502 966 €, alors pourtant que le chiffre d'affaires était en forte progression (6,2 millions d'euros)

Ces difficultés ont déterminé la S.A.R.L. Yeson et son dirigeant à « séparer les activités » dans la perspective de sortir de la société. C'est ainsi que :

Le 23 décembre 2002, elle a cédé l'enseigne Lutrac Sécurité, acquise pour 7622,60 € à la S.A.R.L. Guenange Chauffage (dont Jean-Paul D. est le gérant) pour 10 000 €. L'expert a noté que les agencements, installations de Guenange ont été sortis pour leur valeur nette comptable, soit 27 886,85 € et que les travaux réalisés par la société Lutrac Industrie sont restés acquis au propriétaire de l'immeuble, la SCI Akeni (dont Jean-Paul D. est le gérant).

Le 31 mai 2003, la S.A.SN Lutrac Industrie a cédé la branche d'activité peinture d'un établissement situé à Luttange à la société D.L.M., en cours de constitution, dont les deux seuls associés étaient Mustafa et Oktay D., pour un prix de 91 468 €, payable en 60 échéances mensuelles, la première à compter du 5 juillet 2003 (prix qui n'a pas été payé)

le 31 mai 2003, elle a encore cédé pour 15 000 € une autre branche de son activité à l'EURL Lutrac Formation (dont Jean-Paul D. est le gérant) immatriculée le 10 février 2003. Là encore, l'acte de cession a été signé par le seul Jean-Paul D. pour les deux parties à l'acte.

Au cours du premier semestre 2003, les pertes de la société ont augmenté dans de très fortes proportions, atteignant 1 200 000 € au 30 juin 2003, selon une étude du cabinet Lorgec commandée par Mustafa D..

Par acte du 5 juillet 2003 à 8 heures, la société Yeson a cédé aux mêmes consorts D. sa créance en compte courant d'actionnaire sur la S.A.S. SN Lutrac Industrie, d'un montant de 707 957 €, pour un prix symbolique d'un euro, pour tenir compte d'une perte éventuelle a constater, causée par la dépréciation d'actifs identifiée de la S.A.S. SN Lutrac Industrie.

Le même jour, à neuf heures, la SARL Yeson a cédé à Mustafa et Oktay D. l'intégralité des actions qu'elle détenait dans le capital de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, moyennant un prix de 100 000 € payé comptant par un chèque, chèque qui a été rejeté pour défaut de provision.

Toujours le même jour, à 16 heures, la S.A.S. SN Lutrac Industrie désormais représentée par Mustafa D., son nouveau président, a cédé à la S.A.R.L. Aciers Multiservices, constituée le 30 juin précédent, représentée par la S.A.R.L. Yeson (dont le gérant est Jean-Paul D.), la branche d'activité exploitée à Sarrebourg, provenant de l'acquisition de la société T., le 28 septembre 2002, pour un montant de 84 755,10 €, payé le 10 juillet 2003.

L'expert a relevé que cette cession avait été réalisée en infraction avec le jugement du 14 novembre 2001 qui interdisait à l'acquéreur de la société T. de procéder dans les deux ans suivant l'acquisition, à la réalisation des actifs repris.

Enfin, par acte du 5 juillet 2003 également, la S.A.S. Lutrac Industrie a encore cédé à la SNC B., (représentée par Jean-Paul D.), 1998 parts sociales de la société B. M..

L'expert désigné par le juge des référés, Monsieur J. conclut de cette chronologie, qu'au soir du 5 juillet 2003, la S.A.S. SN Lutrac Industrie ne disposait plus d'aucun actif immobilier et que sa situation financière était mauvaise.

Il a relevé, que le déficit de l'année 2002 trouvait son origine dans les facteurs suivants :

marge commerciale sur vente négative 131 533 €

taxe professionnelle supportée pour la première fois 137 913 €

charges financières justifiées par le volume d'activité

redressement URSSAF 115 731 €

Il note encore, que Jean-Paul D. lui a adressé un état chiffré des stocks et des encours, achetés au prix forfaitaire de 19 755,10 € alors que leur valeur réelle était de 115 789,90 €, ce qui a entraîné pour la S.A.S. SN Lutrac Industrie, une perte nette de 96 034,80 €.

Le 6 août 2003, le commissaire aux comptes de la société a fait état des doutes qu'il avait sur l'évaluation des stocks et a sollicité l'établissement de comptes rectificatifs.

Le 14 août, il a lancé une procédure l'alerte, la société manquant de fonds propres, dès lors que les consorts D. n'avaient pas comme ils l'avaient laissé entendre, recapitalisé la société de 300 000 €.

Monsieur J., l'expert judiciaire, désigné par la suite, par le juge des référés, estimera que le déficit affiché en 2003 trouvait son origine en partie en 2002, que le démantèlement de la S.A.S. SN Lutrac Industrie depuis 2002 avait accéléré ce processus, mettant la société en état de cessation de paiement dès le mois de septembre 2003. À cette date, les encours de production étaient nuls, les stocks de matières premières très faibles et le compte client inexistant.

Par jugement du 11 septembre 2003, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Thionville a, suite à la demande de Mustafa D., formée le 8 septembre, ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la S.A.SN Lutrac Industrie, fixé la date de cessation des paiements au 5 juillet 2003, désigné la SCP B. & G. en qualité d'administrateur judiciaire, Maître Gérard N. en qualité de représentant des créanciers et Monsieur Jean-Charles L. en qualité de juge-commissaire.

Par jugement du 15 janvier 2004, cette juridiction a converti cette procédure en liquidation judiciaire.

Le 22 juin 2004, Mustafa D. a été déclaré en redressement judiciaire à titre personnel. Cette procédure a été suivie d'un plan de redressement le 9 janvier 2007.

Par ordonnance du 6 juillet 2004, le président du Tribunal de grande instance de Thionville , statuant en référé, a ordonné, à la demande de Maître Gérard N., une expertise comptable confiée à Monsieur Alex G., ensuite remplacé par Monsieur Jean-Jacques J., expert-comptable à Metz. Celui-ci a déposé son rapport le 12 décembre 2005.

Par actes des 11 et 12 janvier 2007, la SCP N. et N., prise en la personne de Maître Gérard N., ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.S. Lutrac Industrie, a fait assigner Mustafa D., la S.A.R.L. Yeson et Jean-Paul D. devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Thionville aux fins d'obtenir leur condamnation solidaire, sur le fondement des dispositions de l'article L.624-3 ancien du Code de commerce, à supporter la totalité des dettes de la S.A. SN Lutrac Industrie, en raison des fautes de gestion commises par eux, à l'origine de l'insuffisance d'actif constatée et de la création d'un état de cessation de paiement.

Par jugement du 18 mars 2010, auquel il est renvoyé pour l'exposé des moyens et des prétentions des parties en première instance, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Thionville a :

dit que Mustafa D., Jean-Paul D. et la société Yeson ont commis des fautes de gestion qui ont contribué à l'insuffisance d'actif dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la S.A.S. SN Lutrac Industrie ;

dit que les dettes de cette société seront supportées solidairement par Mustafa D., Jean-Paul D. et la société Yeson, à hauteur d'un million d'euros ;

dit que les sommes versées à ce titre par les défendeurs entreront dans le patrimoine de la société et seront réparties entre tous les créanciers au marc le franc ;

rappelé que son jugement est exécutoire de plein droit;

condamné Mustafa D., Jean-Paul D. et la société Yeson à payer à la SCP N. N. L., prise en la personne de Maître Gérard N., la somme de 3 500 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamné les défendeurs aux dépens qui seront employés en frais justifiés de la procédure collective.

Pour statuer comme ils l'ont fait les premiers juges ont considéré :

- En ce qui concerne la société Yeson et Jean-Paul D.,

qu'il résulte de l'état provisoire de synthèse du passif versé aux débats que le passif déclaré à hauteur de 6 942 164,84 € a été admis par le juge-commissaire, après imputation des constatations, annulations et forclusions d'un montant de plus de 3 millions d'euros, à 3 891 109,81 € ; que dans ses dernières écritures la SCP N. N. L., affirme qu'en réalité, le passif a été définitivement admis par le juge-commissaire le 17 octobre 2005, pour un montant de 3 054 914,58 € ;

que la situation active de la procédure s'établit à hauteur de 560 528,29 € incluant la réalisation d'actifs, d'ores et déjà effectuée, ainsi que les encaissements intervenus ; que le produit de réalisation des actifs subsistant est au mieux, selon les déclarations du liquidateur, de nature à permettre le remboursement du superprivilège des salaires à concurrence de 585 378,34 € ;

que l'insuffisance d'actif est dès lors certaine, bien que son montant, vraisemblablement légèrement inférieur à 2 500 000 € ne puisse être déterminé avec plus de précision ;

que s'agissant des intimés, qui n'étaient plus en fonction à la date de l'ouverture de la procédure, il suffit que l'insuffisance d'actif ait existé au jour de la cessation de leurs fonctions ;

qu'en l'espèce il est constant que la S.A.R.L. Yeson, gérée par Jean-Paul D., actionnaire unique et présidente de la S.A.S. SN Lutrac Industrie a, le 5 juillet 2003, cédé l'intégralité des actions détenues dans le capital de cette dernière aux consorts D. et que, selon procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire tenue le même jour, la S.A.R.L. a démissionné des fonctions de président auxquelles Mustafa D. a été immédiatement nommé ;

qu'il résulte de la situation de la S.A.S. SN Lutrac Industrie au 30 juin 2003, analysée par le cabinet Lorgec, que durant le premier semestre 2003, cette société a enregistré une perte d'exploitation de 1 313 499 € et que ses capitaux propres étaient devenus négatifs à hauteur de 750 610 € ;

qu'il résulte de la situation établie par le même comptable pour la période du 1er juillet au 1er septembre 2003, date d'ouverture de la procédure collective de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, que la gestion de Mustafa D. a conduit à une aggravation conséquente de la situation, puisque, sur une période de deux mois, la perte d'exploitation s'est accrue de 1 010 661 €, quasiment équivalente à celle enregistrée pendant les 6 mois précédents, les capitaux propres demeurant négatifs dans les mêmes proportions, à hauteur de 1 795 737 €,

que l'insuffisance d'actif à la date de la cessation des paiements de Jean-Paul D. est néanmoins certaine;

que dans ses écritures, le liquidateur judiciaire fait reproche à la S.A.R.L. Yeson et à Jean-Paul D. d'avoir poursuivi abusivement, sans prendre les mesures nécessaires à l'assainissement de sa gestion, une exploitation déficitaire, de n'avoir pas tenu de comptabilité ou d'avoir tenu une comptabilité irrégulière ;

que dans son rapport général du 16 juin 2003, le commissaire aux comptes de la S.A.S. SN Lutrac Industrie a relevé, concernant cet exercice, que certaines provisions pour charges n'avaient pas été portées en compte, certes pour des montants peu importants, mais dont la comptabilisation aurait eu pour conséquence de porter le montant de la perte à de plus de la moitié du capital social ;

qu'il relève par ailleurs que le compte « Dalmo Vérandas » s'apure difficilement depuis plus de deux ans et reste ouvert pour un montant de 116 000 € - non provisionné; qu'il relève encore que certains postes du compte « stock et travaux en cours » mériteraient un contrôle approfondi qui n'a pu être finalisé, certains éléments comptables n'ayant pas été mis à sa disposition ;

que Monsieur J. confirme dans son rapport que le résultat clos en 2002 a été majoré de 166 569 € du fait de l'absence de provisionnement des factures impayées par le client DALMO d'un montant de 116 092,16 € et de l'insuffisance de provisionnement de la créance VIATOUR à hauteur de 26 768,62 €, de sorte que la perte réelle serait en réalité d'un montant supérieur à la moitié du capital social, ce qui aurait dû conduire l'assemblée générale des actionnaires à délibérer dans les délais légaux sur la question de la poursuite d'activité ;

que cet expert a encore relevé qu'un doute existait, faute de justifications apportées, sur la valeur des stocks, pour un montant de 199 699,59 € et que, par ailleurs, la cession du stock de marchandises à la société Lutrac Sécurité avait généré une marge commerciale négative ;

que l'expert relève que l'examen des soldes intermédiaires de gestion fait apparaître une incohérence de la marge brute globale au 30 juin 2003, les niveaux des stocks d'acétates laissant supposer que les matières premières avaient, soit disparu, soit été cédées à perte, soit utilisées dans de mauvaises conditions ; qu'il résulte à cet égard, du tableau établi par l'expert, que le montant des stocks enregistré en comptabilité au 31 décembre 2002 à hauteur de 823 606 €, (dont un montant de près de 200 000 € n'a pas été justifié) a subi une forte diminution puisqu'au 30 juin 2003, il n'atteint pas 173 734 € ; que force est de constater que la SARL Yeson et Jean-Paul D., qui contestent ces chiffres, ne produisent pas l'état détaillé des stocks et encours au 30 juin 2003, tirant argument de ce que la comptabilité avait été remise à Mustafa D. dès avant la cession, (après qu'ils ont prétendu lors de leur audition, que l'ensemble de la comptabilité avait disparu quelques jours après la cession de l'entreprise) ;

qu'en tout état de cause, les justifications de certains postes de stocks au 31 décembre 1992 n'avait pas en leur temps été fournies au commissaire aux comptes de la société et qu'il appartenait aux cédants de conserver les documents propres à justifier leur gestion ;

qu'il est ainsi établi, que les intimés ont, à compter de l'exercice 2002, tenu une comptabilité irrégulière, de nature à masquer la gravité de la situation réelle de la société ; qu'ils n'ont pas été en mesure de fournir un état détaillé des stocks, des travaux en cours et qu'ils ont poursuivi abusivement une exploitation déficitaire sans faire établir la comptabilité nécessaire à l'appréciation de la situation à l'issue du premier semestre 2003, alors que les bilans et comptes de résultats établis à une date postérieure, à la demande de Mustafa D. font état, au 30 juin 2003, d'une perte de 1 303 000 € et d'un effondrement suspect du montant des stocks à l'origine d'un état initial de cessation des paiements caractérisé par une insuffisance de l'actif circulant (1 400 000 € environ), par rapport aux dettes à court terme (2 200 000 € environ), ces fautes de gestion étant directement à l'origine de l'insuffisance d'actif constatée.

2.- à l'égard de Mustafa D.

qu'il résulte de l'acte de cession des actions de la SN Lutrac Industrie, signé le 5 juillet 2003, que les consorts D. se sont portés acquéreurs de ces actions sur la foi des bilans des trois derniers exercices, dont l'exercice 2002, déficitaire à hauteur de 500 000 € ;

qu'en ne faisant pas procéder à un audit financier de la société au 31 juin 2003, préalablement à la prise de fonctions du président de la S.A.S. et au rachat des actions de la société pour un prix initialement fixé à un euro symbolique, puis à 100 000 € demeurés impayés, Mustafa D., par ailleurs dirigeant averti d'autres sociétés, a agi avec une légèreté qui lui interdit de se prévaloir de l'importance du passif créé par les anciens dirigeants et de la dissimulation de la situation réelle de l'entreprise pour s'exonérer de sa responsabilité ;

qu'il résulte de l'attestation rédigée par Me D., le notaire instrumentaire et de l'aveu même du défendeur que celui-ci s'était engagé lors de la création, à procéder à une recapitalisation à hauteur de 300 000 € ;

qu'un mois seulement, après sa prise de fonction et en pleine période estivale, Mustafa D. a décidé de ne pas satisfaire à son engagement, déclenchant ainsi la procédure d'alerte à l'initiative du commissaire aux comptes, sans qu'il puisse justifier avoir eu dès cette date, connaissance d'éléments qu'il n'aurait pas été en mesure de connaître avant la vente ;

que la faute de gestion est ainsi caractérisée ;

que cette faute a été à l'origine d'une aggravation de l'insuffisance d'actif jusqu'à la date de l'ouverture de la procédure collective, le 11 septembre 2003 ; que la perte enregistrée au 30 juin 2003 s'est accrue de plus d'un million d'euros et que la création d'un passif superprivilégié auprès du CGEA, d'un montant de plus de 500 000 € est directement la conséquence des décisions de gestion prises par Mustafa D., lequel a délibérément mis en place les conditions nécessaires et suffisantes au prononcé de la liquidation judiciaire, sans être en mesure d'en justifier du bien-fondé ;

que les fautes commises par les défendeurs ayant contribué à la réalisation de l'entier dommage, il y a lieu de dire que les dettes de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, seront supportées par Jean-Paul D., Mustafa D. et par la société Yeson, solidairement à hauteur d'un million d'euros.

Il convient encore d'ajouter que, saisi par les consorts D. d'une demande tendant à faire annuler la cession des actions de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz, a débouté ceux-ci de leurs demandes, par jugement du 7 août 2007, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de ce siège du 2 février 2010. Cet arrêt a été frappé d'un pourvoi actuellement pendant devant la Cour de cassation.

oOo

La S.A.R.L. Yeson et Jean-Paul D. ont interjeté appel du jugement rendu par la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Thionville le 18 mars 2010 par déclarations au greffe de la Cour faites le 26 avril 2010, suivis le lendemain par Mustafa D..

Les appels ne sont pas limités.

S'agissant de l'appel d'un seul et même jugement, il convient, dans le souci d'une bonne administration de la justice, de joindre les deux affaires et de statuer par un seul et même arrêt.

Selon leurs dernières conclusions du 5 août 2010, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet de leurs moyens et prétentions, la S.A.R.L. Yeson et Jean-Paul D. demandent à la Cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau :

de débouter le liquidateur de l'ensemble de ses prétentions ;

subsidiairement, de prononcer des condamnations distinctes à leur encontre et à l'encontre de Mustafa D. ;

de condamner la SCP N. N. L., prise en la personne de Maître Gérard N., ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. Lutrac Industrie, société nouvelle, aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à leur verser une somme de 6 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de leur recours, la SARL Yeson et Jean-Paul D. font valoir :

que le liquidateur ne rapporte la preuve, ni d'une insuffisance d'actif, ni d'une faute de gestion, ni d'un lien de causalité entre la faute alléguée et l'insuffisance d'actif ;

que le jugement du 15 janvier 2004, convertissant le redressement judiciaire en liquidation judiciaire mentionne :

« Il résulte du rapport établi par l'administrateur judiciaire et des débats que la SAS SN Lutrac Industrie s'est détachée en cours de procédure de ses deux principaux clients, les sociétés K. et K., auprès desquelles elle réalisait la plus grande partie de son chiffre d'affaires, dans la mesure où les marchés concernés se seraient en réalité révélés déficitaires ; que, pour autant, elle n'est pas parvenue à négocier de nouveaux marchés générateurs de chiffre d'affaires de remplacement, une telle situation ayant été à l'origine d'une impasse de trésorerie immédiatement préjudiciable aux salariés de la SAS SN Lutrac Industrie.

Les explications avancées ne peuvent être considérées en l'état, les documents comptables susceptibles de les appuyer n'ayant pas été fournis par la débitrice. Il reste que, placé devant le fait accompli, le tribunal ne peut, dans l'impossibilité de financement d'une quelconque poursuite de la période d'observation, que convertir la procédure de redressement judiciaire en procédure de liquidation judiciaire» ;

que l'expert judiciaire, lui aussi a eu les pires difficultés à obtenir les pièces sollicitées ; qu'il mentionne dans son rapport :

« Désintérêt de Monsieur D., demandeur par ailleurs dans cette affaire ; absence de retrait de mes courriers en lettre recommandée avec accusé de réception ; absence lors de la deuxième réunion contradictoire et aucun dépôt de pièces » ;

que, de leur côté, ils ont collaboré autant qu'ils l'ont pu aux opérations d'expertise ;

que cependant toute la comptabilité, les contrats, les pièces et autres archives de la S.A.S. SN Lutrac Industrie avaient été remis aux consorts D., concomitamment à la vente ; que nombre de ces pièces et non des moindres, n'ont pas été communiquées à l'expert ;

que notamment la comptabilité post-cession, fait défaut ; qu'il n'est pas normal que la comptabilité qui avait toujours été régulièrement établie jusqu'à la vente ne l'ait plus été ensuite ;

que les relations entre la S.A.S. SN Lutrac Industrie avec les autres sociétés de Mustafa D. n'ont été ni documentées, ni analysées ;

que les résultats des recherches de la gendarmerie portant sur les extraits bancaires de juillet, août et septembre 2003, n'ont jamais été communiqués ;

que dans la perspective de rejeter la faute sur eux, Mustafa D. a fait établir par la société Lorgec une situation comptable au 30 juin 2003; que ce document énonce cependant : « la S.A.S. SN Lutrac Industrie, rentable en 2000 et en 2001 est devenue déficitaire en 2002 alors que son chiffre d'affaires était en plein essor. Le commissaire aux comptes a émis des réserves sur le bilan clos en 2002 et a lancé une procédure d'alerte en août 2003. Les apports en comptes courants de la société Yeson ont permis la poursuite d'activité en 2003. Le niveau des déficits en 2002 et 2003 reste discutable, compte tenu des imprécisions qui existent sur les stocks et les encours au 31 décembre 2002 et au 30 juin 2003. Le chiffre d'affaires réalisé au 31 décembre 2002, soit 6, 2 millions d'euros, prouve que la société avait encore un volant d'affaires conséquent. Les clients K. et C. étaient toujours présents à cette date. Le premier semestre 2003 s'est révélé fortement déficitaire, nécessitant une recapitalisation rapide. Monsieur D. a acquis la S.A.S. SN Lutrac Industrie en juillet 2003, sans apport de fonds propres. Monsieur D. ne disposait visiblement pas des fonds nécessaires à l'acquisition de la S.A.S. SN Lutrac Industrie et au renforcement des fonds propres. Il ne disposait même pas des 100 000€ pour acquérir les actions de la S.A.S. SN Lutrac Industrie.

que s'il est vrai que l'expert a relevé quelques irrégularités comptables, ces dernières doivent être mises en perspective avec le chiffre d'affaire réalisé par la société ;

que l'expert a constaté, que les factures à établir inscrites au bilan 2002 avaient bien été établies en 2003 et qu'il n'a pas constaté d'anomalie sur ce point ; que les comptes clients étaient exacts ;

qu'il a, certes, considéré que certaines créances n'avaient pas été comptabilisées en créances douteuses alors qu'elles auraient dues l'être, pour un montant de 166 569 € ; qu'il s'agit cependant d'une décision de gestion qui, par définition est soumise à interprétation ; qu'en toute hypothèse, le montant de la provision supplémentaire qui aurait dû être portée en créances douteuses (166 569 €) doit être rapportée au chiffre d'affaires, soit 8 403 621 € ;

que concernant les travaux en cours, l'expert s'est heurté à une difficulté majeure, à savoir l'impossibilité d'obtenir la communication d'aucune pièce à ce sujet et notamment des états et inventaire de 2000 à 2003 et à une impossibilité de disposer des détails de la comptabilité ; qu'il a dû se borner à émettre des doutes sur ce compte, et à évaluer le montant total non justifié à 199 699,59 € ;

que l'expert a encore constaté que le compte courant d'associé avait fonctionné normalement ; que les travaux réalisés par la S.A.S. SN Lutrac Industrie pour les sociétés tierces dirigées par Jean-Paul D. ont bien été réglés, ce qui a généré pour la S.A.S. SN Lutrac Industrie, en 2002, 9 160 426 € hors taxes ;

que les accusations de Mustafa D. relatives à ses dépenses personnelles n'ont pu être suivies de vérification, en l'absence totale de pièces communiquées ;

que la société Yeson avait cédé sa créance contre la S.A.S. SN Lutrac Industrie à Mustafa D. au prix symbolique d'un euro pour tenir compte d'une perte éventuelle à constater causée par la dépréciation de l'actif identifié ;

qu'en définitive l'expertise n'a pas mis en lumière l'existence de pratiques douteuses, mais seulement quelques anomalies comptables mineures au regard des chiffres d'affaires ;

qu'en revanche, l'expert a mis en exergue le comportement de Mustafa D. qui « a fait le mort » pour éviter que l'expert ne puisse analyser sa propre gestion ;

que les consorts D., en saisissant, les 12 et 13 février 2004, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz, avaient fait valoir qu'ils étaient victimes d'un consort frauduleux lorsqu'ils avaient acquis les actions de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, dès lors que les comptes qui leur avaient été présentés comportaient de graves irrégularités lesquelles ont affecté leur sincérité et que la perte subie au cours du premier trimestre semestre 2003 leur avait été dissimulée ; que la cession des établissements de Sarrebourg avait été faite dans des conditions frauduleuses ;

que la cour d'appel de ce siège, par arrêt du 2 février 2010 , a confirmé le jugement qui avait débouté les consorts D. de leur demande de nullité ; que la cour avait relevé à cette occasion, que l'expertise judiciaire n'a mis en évidence aucune falsification de la comptabilité, l'expert ayant uniquement relevé une insuffisance de provision pour des créances douteuses sur l'année 2002 qui a masqué une partie du déficit déclaré en 2003 ; que cependant, il avait été remis aux consorts D. les comptes annuels, le rapport établi par le commissaire aux comptes à la fin de l'exercice 2002 à propos duquel ils émettaient des réserves, de sorte que leur attention avait été ainsi attirée sur les difficultés rencontrées par la société et les insuffisances de provision ; qu'ils ne peuvent prétendre avoir été trompés ; que d'autre part, la société Yeson détenait une créance de 707 957 € à l'encontre de la S.A.S. SN Lutrac Industrie en compte courant d'actionnaires ; qu'elle a cédé cette créance aux consorts D. pour le prix symbolique d'un euro et ce, pour tenir compte d'une perte éventuelle à constater résultant de la dépréciation d'actifs identifiée ; que l'expert indique expressément que Mustafa D. ne pouvait ignorer la nécessité de recapitaliser la S.A.S. SN Lutrac Industrie ; que cette constatation de l'expert est confirmée par l'attestation de Me D., notaire, dont font états les premiers juges, dans laquelle il indique que « Messieurs Mustafa et octay D. ont déclaré parfaitement connaître la situation de la société la S.A.S. SN Lutrac Industrie et que Messieurs Mustafa et Oktay D. prendraient l'engagement d'apporter en trésorerie, au titre des mois d'août et septembre 2003, pour faire face aux besoins de trésorerie, anticipés à cette date de la société Lutrac industrie, et qu'après discussion ces derniers n'ont pas souhaité que cet engagement figure dans l'acte de cession de parts » ;

que le liquidateur demandeur à l'action, ne rapporte pas la preuve que 5 juillet 2003 il existe une insuffisance d'actif et dans l'affirmative, à quel montant elle pouvait se monter au jour où ils avaient cessé leurs fonctions, ce montant constituant le plafond maximum de la condamnation possible ;

qu'il ressort de l'expertise réalisée par l'expert J., que « les apports en comptes courants de la société Yeson ont permis la poursuite d'activité en 2003 de la S.A.S. SN Lutrac Industrie » ;

que par ailleurs, le liquidateur ne rapporte pas la preuve de fautes de gestion et se contente d'énumérer de façon générale les griefs habituellement retenus en jurisprudence à ce titre, sans pour autant les rapporter aux faits de la cause ;

que le grief de non-transmission de documents ou d'absence de tel ou tel document social ne peut leur être imputé dès lors que l'ensemble de ces documents avait été transmis à Mustafa D. ;

qu'il ressort très clairement de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de ce siège le 2 février 2010 que les comptes étaient bien en possession des consorts D., nouveaux actionnaires et dirigeants de la S.A.S. SN Lutrac Industrie ; que ceux-ci avaient d'ailleurs invoqué l'irrégularité des comptes annuels de l'exercice 20001-2002 ; que le liquidateur était partie à ce procès ;

que l'expertise judiciaire n'a mis en évidence aucune falsification de la comptabilité, l'expert ayant uniquement relevé une insuffisance de provision pour créances douteuses sur l'année 2002 qui a masqué une partie du déficit déclaré en 2003 ; que c'est au liquidateur, à partir des faits relevés par l'expert, de qualifier les éventuelles fautes qu'il retrouve ;

que l'expert a constaté, que les apports en comptes courants de la société Yeson avaient permis la poursuite d'activité en 2003 ; que lors de la cession des actions, d'importants clients étaient toujours liés à la S.A.S. SN Lutrac Industrie, de sorte que cette société était parfaitement viable économiquement au jour de la cession ainsi que l'ont relevé les juges de la chambre commerciale qui ont prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ;

que d'ailleurs, l'expert judiciaire a, pour sa part fixé la date de la cessation de paiement deux mois après leur départ, en septembre 2003 ;

qu'il ne saurait leur être fait le grief d'un enrichissement personnel, dès lors qu'une augmentation de capital de la S.A.S. SN Lutrac Industrie d'un montant de 961 800 € avait été décidée par la société Yeson en 2002 se privant ainsi du fruit de ses résultats ; qu'elle a encore rapporté en compte courant - non rémunéré - plus de 707 000 € ;

que les sociétés dirigées par Jean-Paul D., disposaient de créances d'un montant total de 278 000 € à l'encontre de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, dont elles ne seront probablement jamais réglées.

oOo

Selon ses dernières conclusions du 28 août 2010, auxquelles il est renvoyé pour un exposé plus complet de ses moyens et prétentions, Mustafa D. demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau,

de dire la demande formée contre lui irrecevable, subsidiairement mal fondée ;

de la rejeter, subsidiairement, de dire et juger que, même dans l'hypothèse ou une faute de gestion serait retenue contre lui, il n'y a pas lieu d'user de la faculté de prononcer une sanction financière ;

plus subsidiairement encore, de réduire le quantum de la condamnation et de dire n'y avoir lieu à sa condamnation solidaire avec Jean-Paul D. et la société Yeson ;

de condamner la SCP N. N. L., prise en la personne de Maître Gérard N., ès qualités de mandataire liquidateur de la S.A.S. SN Lutrac Industrie et, subsidiairement, in solidum, Jean-Paul D. et la S.A.R.L. Yeson, aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à lui verser une somme de 8 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, Mustafa D. fait valoir :

À titre principal,

que la demande est irrecevable dès lors que Maître N. n'a pas déclaré sa créance aux organes de son redressement judiciaire personnel, comme le prévoit l'article L. 621-43 du Code de commerce ;

que c'est à tort, que le liquidateur judiciaire et le tribunal ont considéré que Maître N. n'avait pas à déclarer cette créance, en se référant aux dispositions de l'article 165 du décret du 25 janvier 1985 ;

qu'en effet, ni le décret, ni la jurisprudence de la Cour de cassation citée par le liquidateur et repris par le tribunal, ne peuvent permettre aux créanciers d'échapper à une obligation qui résulte de la loi, à savoir celle de déclarer sa créance ;

que dans la mesure où la créance est revendiquée à une origine antérieure au 22 juin 2004, elle devait être déclarée ;

qu'il s'ensuit que la créance est éteinte et que le rejet de la demande s'impose de ce chef.

À titre subsidiaire,

qu'aucune faute de gestion postérieure à l'acquisition des actions de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, ne peut lui être reprochée ; que le défaut de paiement du prix de cession ne constitue pas un acte de gestion puisqu'il s'agit d'un acte accompli en sa qualité d'actionnaire, dans le cadre d'une cession et non pas en sa qualité de dirigeant ;

que l'absence de recapitalisation de la société après son acquisition, ne peut lui être reprochée dès lors que l'ampleur des pertes de celle-ci lui avait été dissimulée ; qu'au moment de l'acquisition, il n'avait pas pu disposer du rapport du commissaire aux comptes ;

qu'en tout état de cause, un apport de 300 000 € n'aurait pas évité la déconfiture de la société ; qu'il ne s'agit pas d'une opération de gestion ;

que, lorsqu'il a découvert l'ampleur de la situation, il a pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir pour y faire face, notamment en licenciant huit personnes ;

que l'ampleur réelle des pertes ne lui a été connue qu'au 1er septembre 2003 ; qu'il n'a pas tardé à saisir le tribunal d'une déclaration de cessation des paiements ;

que la procédure d'alerte diligentée par le commissaire aux comptes est totalement indépendante de son action ; que cette alerte aurait été transmise aux autorités compétentes en toute hypothèse, qu'il y ait eu ou non eu recapitalisation ;

que la preuve d'un lien de causalité entre l'absence de recapitalisation et le montant du passif n'est pas rapportée.

Plus subsidiairement, dans l'hypothèse où la Cour retiendrait une faute de gestion à son encontre,

que, compte tenu des circonstances dans lesquelles il a acquis les actions de la S.A.S. Lutrac Industrie, société nouvelle, il n'y a pas lieu de prononcer une sanction pécuniaire à son encontre ;

Plus subsidiairement encore,

que la solidarité ne se présume pas ; que les fautes qui lui sont reprochées sont radicalement distinctes de celles qui sont reprochées à la société Yeson et à Jean-Paul D. ; que rien ne justifie une condamnation solidaire.

Me N. a constitué avocat dans les deux affaires, mais n'a pas conclu.

Par ses réquisitions du 7 janvier et du 25 février 2011, le ministère public a conclu à la confirmation du jugement prononcé le 18 mars 2010 par adoption de motifs.

Par ordonnance de référé du 31 août 2010, le Premier Président de la Cour d'appel de ce siège a :

accordé le sursis à l'exécution provisoire du jugement,

constaté l'accord des parties pour que l'affaire se poursuive devant la première chambre civile de la cour d'appel, selon un calendrier précisé dans les motifs,

dit que si un calendrier de procédure n'a pas été établi avant le 28 février 2011, le jugement redeviendra immédiatement exécutoire

réservé à chacune des parties la possibilité de le saisir à nouveau en référé afin de voir ordonner éventuellement un nouveau sursis à l'exécution provisoire

réservé les dépens.

L'affaire a, par la suite été attribuée à la chambre commerciale nouvellement créée au sein de la Cour.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l'appel

La recevabilité des appels n'est pas contestée. Les pièces des dossiers ne font apparaître aucune fin de non-recevoir susceptible d'être relevée d'office. Les appels seront donc déclarés recevables.

Sur la demande formée contre la S.A.R.L. Yeson et Jean-Paul D.

La demande formée contre Jean-Paul D. et la société Yeson, se fonde sur les trois griefs suivants :

d'avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci ;

d'avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel une exploitation déficitaire ;

d'avoir tenu de façon totalement irrégulière la comptabilité de la société ;

La preuve du premier grief, n'est rapportée, ni par les écrits du liquidateur judiciaire, qui se borne à des affirmations générales qui ne sont motivées ni en fait, ni par les conclusions du rapport de l'expert, lequel, à aucun moment ne fait le reproche à Jean-Paul D. et à la société Yeson d'avoir fait un usage du crédit ou des biens de la société contraire à ses intérêts.

S'agissant du second grief, il n'est pas davantage démontré que Jean-Paul D. et la société Yeson aient poursuivi de manière abusive, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire.

Il résulte en effet des débats et des pièces versées au dossier ainsi que des décisions judiciaires intervenues dans le cadre de la procédure collective de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, que cette société avait connu une progression très rapide de son chiffre d'affaires et que loin d'abuser des biens de la société, son dirigeant avait au contraire d'une part réinvesti un bénéfice conséquent en 2002, puis que la société Yeson avait renoncé à une créance de plus de 700 000 € qu'elle avait contre la S.A.S. SN Lutrac Industrie. Ce grief ne saurait donc fonder la condamnation demandée.

S'agissant du troisième grief, l'expert a certes mis en évidence un certain nombre d'irrégularités de la comptabilité. Il est vrai que certaines d'entre elles, ne relèvent pas d'une dissimulation volontaire, mais d'une erreur d'appréciation qui ne saurait servir de fondement à la condamnation réclamée. Les autres, notamment le fait de ne pas avoir provisionné suffisamment une créance manifestement douteuse, d'une part n'a eu qu'un impact très limité sur le fonctionnement de la société, si on la rapporte à l'importance de chiffre d'affaires, et d'autre part, a trouvé une compensation dans l'abandon de la créance dont la société Yeson disposait contre la S.A.S. SN Lutrac Industrie.

En toute hypothèse, il n'est pas possible d'affirmer que ces irrégularités comptables ont joué un rôle causal dans la déconfiture de la société dès lors que, au moment de l'ouverture du redressement judiciaire, les juges ont pu constater que la société était viable et que, par la suite, sa liquidation a été la conséquence de la perte des clients les plus importants. Il paraît au contraire certain que la cause du dépôt de bilan se trouve dans une insuffisance de trésorerie résultant du fait que les consorts D. n'ont pas procédé à l'augmentation de capital dont eux-mêmes avaient convenu de la nécessité devant le notaire qui a reçu l'acte de cession d'actions.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement déféré sur ce point et de rejeter la demande du liquidateur judiciaire en ce qui concerne Jean-Paul D. et la société Yeson.

Sur la demande formée contre Mustafa D.

Sur l'absence de déclaration de créance

C'est à bon droit et par des motifs que la Cour reprend à son compte que les premiers juges ont retenu qu'en application des dispositions combinées de l'article L.621-43 du Code de commerce et de l'article 165 du décret du 25 janvier 1985, la créance consacrée par la décision rendue sur l'action du mandataire de justice exercée contre le dirigeant déjà soumis à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n'est pas soumise à la procédure de vérification et d'admission des créances, à charge pour le mandataire de faire valoir ladite créance par l'inscription de la décision rendue sur l'état des créances de la procédure collective du dirigeant.

C'est vainement que Mustafa D. fait valoir que ce décret ne peut déroger aux dispositions impératives de la loi, dès lors que, s'agissant de dispositions en matière de procédure, elles sont de la compétence réglementaire.

Sur le fond

L'article L.624-3 du Code de commerce , dans sa rédaction applicable aux faits de la cause énonce : « Lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non, ou par certains d'entre eux ».

Le passif définitivement admis par le juge-commissaire le 17 octobre 2005 s'élevait à 3 054 528.29 €. L'actif quant à lui, selon le liquidateur ne dépassait pas les 560 528,29 €, compte tenu des réalisations d'actifs d'ores et déjà effectués ainsi que des encaissements intervenus.

Il s'ensuit que l'insuffisance d'actif est incontestablement caractérisée.

Les fautes de gestion visées par le texte susvisé, ne peuvent concerner que des faits ou des abstentions commises pendant le temps pendant lequel le dirigeant concerné était investi des pouvoirs de direction de la société.

Le grief retenu par les premiers juges, par lequel ils ont imputé à faute à Mustafa D. d'avoir omis de faire procéder à un audit financier de la société avant d'en acquérir les actions ne peut donc être retenu.

Il faut d'autre part, que la faute de gestion ait été commise par la personne poursuivie, en sa qualité de dirigeant de la société, de sorte que le fait de n'avoir pas réglé le montant du prix de ses actions, sans rapport avec un acte de direction ou de gestion de la société ne saurait être retenu comme une faute de gestion.

Reste le reproche fait à Mustafa D., de n'avoir pas recapitalisé la société. L'apport de fonds à une société est le fait des actionnaires et non de son dirigeant, de sorte que l'omission de procéder à un apport de fonds ne peut constituer une faute de gestion.

Il est vrai cependant que peut constituer une négligence pour un dirigeant social, l'omission de tenter de procéder à une augmentation de capital, lorsque celle-ci est nécessaire à la survie de la société.

Or, il est constant et non contesté qu'à la date de cession des actions, la S.A.S. SN Lutrac Industrie était en cessation de paiement si elle n'était pas rapidement recapitalisée. Mustafa D. l'a d'ailleurs reconnu lui-même en demandant à la chambre commerciale, dans sa requête en ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de fixer la date de cessation des paiements au 5 juillet 2003.

L'expert judiciaire, de même, conclut sans ambiguïté que Mustafa D. ne pouvait ignorer la situation financière de la société. Mustafa D. avait l'obligation, soit de prendre les initiatives nécessaires pour procéder à une augmentation de capital, soit, à défaut de fonds, de déposer le bilan et de demander l'ouverture d'un redressement judiciaire.

Le commissaire aux comptes de la société lui a demandé par une lettre du 6 août 2003 versée au dossier, « de procéder à l'établissement de comptes rectificatifs au 31 décembre 2002 qui tiendront compte des éventuels retraitements de l'évaluation des stocks et travaux en cours à cette date après réétude des quantités, valeurs et coûts, contradictoirement avec Monsieur Jean-Paul D. qui, joint au téléphone ce jour, déclare être disposé à en accepter le principe »

Quelques jours plus tard, le 11 août 2003, le commissaire aux comptes lui écrivait encore: « j'ai constaté chez la société 'la S.A.S. SN Lutrac Industrie' dans le cadre de mon mandat de commissaire aux comptes, les difficultés liées à l'exploitation du fait de la contestation par vous de l'évaluation des stocks et travaux en cours, et au rachat de la société en juillet 2003 ainsi que la dégradation de la situation financière du fait de votre décision de ne pas recapitaliser pour l'instant'/' Je vous ai demandé par courrier en date du cinq courant, de réétudier contradictoirement avec l'ancien dirigeant Monsieur Jean-Paul D., l'évaluation des stocks et travaux en cours, rétroactivement au 31 décembre 2002 et d'arrêter, le cas échéant un bilan rectificatif. Ainsi, conformément à l'article L. 234-1 du Code de commerce, je vous informe que j'engage, par la présente, chez la société 'S.A.S. SN Lutrac Industrie', une procédure d'alerte (phase une). Par conséquent il me serait utile que vous puissiez m'indiquer les actions qui pourront être menées en vue de rétablir la situation financière ainsi que l'équilibre d'exploitation ».

La seule initiative dont il est justifié est le licenciement de huit salariés, solution manifestement impropre à faire face aux difficultés de trésorerie qui se présentaient.

Mustafa D. a justifié son refus de recapitaliser la société en indiquant dans leur requête à la chambre commerciale du 8 septembre 2003 : « sur le plan de la trésorerie, si les repreneurs avaient envisagé de recapitaliser la société à hauteur de 200 000 € ou 300 000 €, les pertes considérables volontairement cachées au titre du premier semestre 2003 ont rendu vaine toute restructuration sur un tel montant, alors que les besoins de trésorerie sont infiniment plus importants. »

La sincérité de cette déclaration doit être appréciée au regard du jugement du 22 janvier 2004, par lequel la chambre civile du Tribunal de grande instance de Metz a prononcé le redressement judiciaire de Mustafa D., en la forme simplifiée, en fixant la date d'insolvabilité notoire au 22 décembre 2002, et de l'acte de cession d'actions du 5 juillet 2003 qui énonce que le prix de 100 000 € convenu « a été payé comptant par le cessionnaire au cédant, dès avant ce jour, hors la vue et hors la comptabilité du notaire ».

Faute d'avoir procédé à ces diligences, Mustafa D. a commis une faute de gestion qui est à l'origine directe d'une partie considérable du passif généré pendant qu'il dirigeait cette société.

Par ailleurs, il ne saurait s'abriter derrière les insuffisances de la comptabilité qu'il allègue,

d'une part parce qu'il a reconnu par écrit et devant le notaire qui a reçu l'acte de cession des actions de la S.A.S. SN Lutrac Industrie, avoir une parfaite connaissance des comptes sociaux, avoir reçu les bilans et comptes de résultat des 3 dernières années avant la cession ;

d'autre part, parce qu'il avait laissé entendre que lui et son frère prenaient l'engagement d'apporter en trésorerie 300 000 €, pour les mois d'août et de septembre pour faire face aux besoins de trésorerie, ce qui démontre qu'il les connaissait ;

d'autre part encore, parce que, le jour même où il a pris la direction de la société, il a procédé à des cessions de ses éléments d'actif, dont il est inconcevable qu'il les ait décidés sans avoir une connaissance approfondie des comptes de la société ;

et enfin parce que, devant le notaire il a été fait état de la cession concomitante pour un euro de la créance que la S.A.R.L. Yeson avait contre la S.A.S. SN Lutrac Industrie, précisément pour tenir compte de la dépréciation des stocks dont il prétend qu'elle lui avait été cachée.

Par ailleurs, le refus de remettre à l'expert judiciaire les pièces que celui-ci demandait l'exposait à ce qu'il soit tiré toute conséquence de son refus de participer aux opérations d'expertise.

Il convient encore de tenir compte du fait qu'en refusant de répondre aux demandes de l'expert et de justifier des éléments comptables dont il disposait, il a commis un manquement à l'obligation de tenir une comptabilité régulière. Il ne justifie au demeurant d'aucune comptabilité pendant les deux mois de sa gestion.

Le refus de déférer à la demande du commissaire aux comptes, notamment à celle de justifier des initiatives qu'il entendait prendre pour faire face à la situation financière critique de la société, constitue encore une faute de gestion qui a directement contribué à la création d'une partie du passif.

Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.

C'est à bon droit que les premiers juges ont évalué la part du passif qui devra être mise à sa charge à un million d'euros, qui correspond à la part du passif dont ses manquements ont été à l'origine.

oOo

Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de l'issue de ce litige, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande formée par Mustafa D. fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Compte tenu d'autre part, de la situation financière respective des parties et de la nature de ce litige, il ne paraît pas inéquitable que la société Yeson et Jean-Paul D. conservent à leur charge les frais irrépétibles qu'ils ont dû exposer à l'occasion de cette procédure, tant en première instance qu'en cause d'appel. Leur demande sur ce fondement sera en conséquence rejetée.

Mustafa D., qui succombe en ses prétentions sera condamné aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

PAR CES MOTIFS,

et ceux adoptés des premiers juges, la Cour, statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire,

Joint les affaires enregistrées sous les n° 10/1379 et 10/1798 et statuant par un seul arrêt,

Reçoit les appels, réguliers en la forme ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Jean-Paul D. et la société Yeson ont commis des fautes de gestion ayant contribué à une insuffisance d'actif dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la S.A.S. SN Lutrac Industrie et en ce qu'il a dit que les dettes de cette société seront supportées solidairement par Jean-Paul D. et la société Yeson et, statuant à nouveau,

Rejette les demandes de la SCP N. N. L., prise en la personne de Me Gérard N., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.S SN Lutrac Industrie en ce qu'elles sont dirigées contre la S.A.R.L. Yeson et Jean-Paul D. ;

Confirme les autres dispositions du jugement entrepris ;

Rejette la demande formée par Mustafa D., Jean-Paul D. et par la S.A.R.L Yeson sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne Mustafa D. aux dépens, tant de première instance que d'appel.