CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 26 janvier 2021, n° 16/22000
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gohan Music (SARL)
Défendeur :
85 Productions (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Hébert-Pageot
Conseillers :
Mme Texier, Mme Dubois-Stevant
FAITS ET PROCÉDURE :
En avril 2010, MM.A., R. et B. ont créé la SAS 85 Productions, ayant pour objet l'exploitation d'un studio d'enregistrement dans des locaux situés [...], appartenant en indivision à M.A. et à sa tante Mme P., donnés à bail à la société, moyennant un loyer de 24.000 euros par an. M.A. en est le président et M.R. en était le directeur général jusqu'à sa révocation le 3 mars 2017. MM.A. et R. détiennent chacun 48% du capital social de la société 85 Productions.
En 2015, le président, considérant que la société se trouvait confrontée à une érosion significative de son activité faisant craindre un état de cessation des paiements a fait part aux associés de son souhait de réduire les charges fixes, spécialement de loyer, en transférant le siège social en un autre lieu moins onéreux, et à défaut d'envisager une dissolution anticipée de la société. Ces projets de résolution n'ont pas été votés, M.R. ayant manifesté son refus d'une dissolution de la société.
En 2016, le fonds de commerce de la société 85 Productions a été mis en location-gérance par le président, malgré l'opposition de M.R.. Les deux associés se sont reprochés mutuellement des actes de concurrence déloyale.
C'est dans ce contexte que, par actes des 6 et 10 mai 2016, M.A. et la société 85 Productions ont fait assigner M.R. et la SARL Gohan Music devant le tribunal de commerce de Paris pour voir ordonner la dissolution anticipée de la société 85 Productions, désigner M.A. comme liquidateur amiable et pour obtenir le paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par la société 85 Productions du fait des actes de concurrence déloyale.
Concomitamment le 6 mai 2016, M.R. a engagé une action ut singuli à l'encontre de M.A..
Par jugement du 28 octobre 2016, le tribunal de commerce de Paris, après avoir joint les deux instances, a prononcé la dissolution anticipée de la société 85 Productions au visa de l'article 1844-7, 5° du code civil, désigné M.A. comme liquidateur amiable afin de procéder aux formalités légales et de répartir si besoin le boni de liquidation, condamné M.R. à payer 2.500 euros à chacun des demandeurs sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et a rejeté les demandes de dommages et intérêts fondées sur la concurrence déloyale et débouté M.R. de son action ut singuli.
M.R., ainsi que la société Gohan Music ont relevé appel de cette décision le le 3 novembre 2016.
Par acte du 28 juillet 2016, les bailleurs ont fait assigner la société 85 Productions devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers, de condamnation au paiement de l'arriéré locatif s'élevant à 15.104 euros au 24 juin 2016,d'une indemnité d'occupation de 3.500 euros par mois et aux fins d'expulsion.
La société 85 Productions a restitué les locaux le 28 février 2017.
Le 3 mars 2017, M.A. a notifié à M.R. qu'en application de l'article 20 des statuts il le révoquait à effet immédiat de ses fonctions de directeur général.
La mesure de médiation ordonnée en cause d'appel n'a pas permis aux parties de trouver une issue amiable au contentieux qui les oppose.
Par arrêt du 18 juin 2019, la cour a fait droit à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture, ordonné la réouverture des débats et renvoyé le dossier à la mise en état afin de permettre au conseil des intimés de répondre aux dernières conclusions des appelants.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 26 septembre 2019, M.R. agissant pour le compte de la société 85 Productions et à titre personnel, ainsi que la société Gohan Music demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté M.R. de son action ut singuli, de le confirmer en ce qu'il a rejeté les demandes de M.A. et de la société 85 Productions de leurs demandes pour les faits allégués de concurrence déloyale, statuant à nouveau, dire M.R. bien fondé en son action ut singuli, juger M.A. responsable du préjudice subi par la société 85 Productions, condamner M.A. à payer à la société 85 Productions 130.966 euros de dommages et intérêts sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la date de l'arrêt à intervenir, 62.109 euros correspondant à la valeur des immobilisations cédées sous la même astreinte, toute astreinte produisant un intérêt de retard au taux légal, rejeter la demande de dissolution anticipée de la société 85 Productions et condamner M.A. à payer à M.R. 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans leurs dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 30 septembre 2019 M.A. et la société 85 Productions demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter les appelants de toutes leurs prétentions, de confirmer la dissolution anticipée et la désignation de M.A. comme liquidateur amiable, sur leur appel incident,condamner solidairement M.R. et la société Gohan Music à payer à la société 85 Productions 60.000 euros de dommages et intérêts en réparation des actes de concurence déloyale, ainsi que 40.000 euros de dommages et intérêts à 85 Productions et 40.000 de dommages et intérêts à M.A., ainsi que 4.000 euros à chacun d'eux sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
SUR CE
- Sur l'action ut singuli
L'article L 225-252 du code de commerce rendu applicable aux SAS par l'article L227-1, prévoit que 'Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société, à laquelle, le cas échéant, les dommages et intérêts sont alloués'.
Au soutien de l'action ut singuli qu'il exerce en sa qualité d'actionnaire de la société 85 Productions, M.R. invoque l'inaction du président pour redresser la société et facturer les clients, un abus de pouvoir en ce qu'il a transféré le fonds de commerce à un tiers en procédant à deux reprises à la mise en location gérance du fonds de commerce, cette décision ne visant qu'à lui permettre de disposer seul du studio d'enregistrement, le changement de serrure des locaux commerciaux pour en interdire l'accès à la clientèle de la société 85 Productions et lui reproche de s'être livré à une concurrence déloyale au travers de sa nouvelle société la SASU Audioscope.
Il convient d'examiner successivement ces différentes fautes ainsi que les moyens de défense opposés par M.A..
Aux termes de l'article 19 des statuts, la société est représentée, dirigée et administrée par son président. Le président représente la société à l'égard des tiers et à ce titre est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans les limites de l'objet social et des pouvoirs expréssement dévolus par la loi et les statuts à la collectivité des associés.
Le procès-verbal du 23 mars 2010 par lequel M.A., en application de l'article 20 des statuts, a désigné M.R. comme directeur général prévoit que ce dernier dispose des mêmes pouvoirs de direction que le président, y compris celui de représenter la société à l'égard des tiers. M.A. l'a révoqué de ses fonctions de directeur général le 3 mars 2017.
Pour établir que M.A. a délibérement mis la société en difficulté à des fins personnelles, M.R. invoque tout d'abord un défaut de facturation des prestations réalisées par la société en juillet et août 2015 pour 17.200 euros (clients : Maître G.'s, MM.S., H. et N.), en septembre 2015 pour 1.000 euros ( client MA2X) et en octobre 2015 pour 12.800 euros.
Toutefois, il ressort des pièces produites par M.A. que la société 85 Productions procédait bien aux facturations de ses prestations.
Ainsi, en est-il:
- le 10 septembre 2015 d'une facture pour l'enregistrement de l'album de 'Maître G.'s', cette facture ayant été acquittée le 7 novembre 2015,
- le 2 octobre 2015 d'une facture relative à l'enregistrement de l'artiste MA2X, qui a donné lieu à relance le 24 mars 2016,
- le 3 juin 2015, d'une facture pour l'artiste Vita ( Monstre M.), qui a fait l'objet d'une relance le 21 mars 2016,
- le 10 septembre 2015 d'une facture pour l'artiste Kendji, qui a fait l'objet d'une relance le 21 mars 2016,
- le 23 septembre 2015 d'une facture pour l'artiste Gad Elmaleh,
- le 10 septembre 2015 d'une facture pour l'artiste John M., qui a fait l'objet d'une relance le 21 mars 2016.
Il n'est donc pas établi que le président se soit désintéressé des recettes à encaisser.
Il était au demeurant loisible à M.R., qui disposait à cet égard des mêmes pouvoirs que le président et d'un accès au compte bancaire de la société, de procéder à ces facturations s'il estimait que la société tardait à le faire.
S'agissant du moyen tiré de l'abus de pouvoir, il est constant que M.A., en sa qualité de président, a conclu successivement deux contrats de location-gérance du fonds de commerce d'enregistrement sonore et d'édition musicale de la société 85 Productions.
Un premier contrat de location gérance, daté du 16 mars 2016 et enregistré le 18 mars suivant, a été signé avec la société Mercury Marketing&Content Media pour une durée de 12 mois commençant à courir le 16 mars 2016, moyennant une redevance annuelle de 48.000 euros HT payable mensuellement.
La société 85 Productions, sous la signature de son président, a notifié à M.R. par courrier du 9 mars 2016, reçu le 14 mars suivant, ce contrat de location-gérance en invoquant les difficultés économiques de la société et la nécessité de tempérer les conséquences de cette situation, notamment le risque de dénonciation du découvert bancaire par la Société Générale et de préserver la valeur du fonds de commerce, l'invitant à remettre les clés et à retirer ses objets personnels ou professionnels des locaux dans les meilleurs délais.
Par acte d'huissier du 16 mars 2016, M.R. a dénoncé à la société Mercury Marketing&Content Media son opposition à ce contrat de location-gérance, arguant que cette décision avait été prise en violation des pouvoirs conférés au président par les statuts.
La société Mercury Marketing&Content Media a dans ce contexte résilié le contrat de location-gérance le 31 mars 2016.
La société 85 Productions a alors établi un nouveau contrat de location-gérance avec la société DJ Rock en date du 29 mars 2016, enregistré le 1er avril suivant, pour une durée d'un an moyennant une redevance annuelle 48.000 euros. Elle a également porté ce contrat à la connaissance de M.R. par courrier du 1er avril 2016.
Cette convention a été résiliée fin février 2017 à l'initiative de la société DJ Rock, qui avait fait savoir le 5 décembre 2016 que la location-gérance n'avait plus lieu d'être, dès lors que la clientèle de 85 Productions, qui aurait dû continuer à venir travailler au studio, n'y venait plus, et apparaissait détournée par un des associés.
Ces mises en location-gérance sont intervenues alors que la société 85 Productions connaissait des difficultés financières et que le projet de dissolution anticipée de la société s'était heurté à l'opposition de M.R.. La Société Générale avait en effet avisé la société 85 Productions le 20 janvier 2016 qu'il était mis fin au découvert autorisé de 500 euros à compter du 21 mars 2016, puis que le solde du compte n'avait pas permis d'honorer l'échéance de loyer du 15 mars 2016. La banque a, le 21 mars 2016, interdit à la société d'émettre des chéques.La société 85 Productions n'était pas à jour du paiement de ses loyers à cette période et a peu après, le 28 juillet 2016, été assignée en résiliation de bail et expulsion pour défaut de paiement des loyers, peu important à cet égard que l'un des bailleurs soit M.A..
M.A. conteste tout abus de pouvoir, faisant valoir que les statuts ne réservaient pas à la collectivité des associés la mise en location-gérance du fonds de commerce.
L'article 24 des statuts énonce les décisions relevant exclusivement de la compétence de la collectivité des associés, toute autre décision revenant au président.
Ne figure pas dans la liste exhaustive des décisions relevant de l'assemblée générale la conclusion d'un contrat de location-gérance du fonds.Une telle opération ne peut davantage se rattacher à une modification statutaire soumise à décision de l'assemblée générale, dès lors que l'article 2 des statuts inclut dans l'objet social de la société 85 Productions la participation directe ou indirecte de la société dans toutes opérations financières, mobilières ou immobilières ou entreprises commerciales ou industrielles pouvant se rattacher à l'objet social.
Il n'est donc pas démontré qu'en concluant des contrats de location-gérance, dont il a tenu informé le directeur général, M.A. a excédé les pouvoirs dévolus au président.
Il résulte par ailleurs de la situation ci-dessus rappelée, que des solutions devaient être trouvées pour abonder la trésorerie de la société ou réduire ses charges, la mise en location-gérance du fonds devant permettre d'encaisser des redevances de 4.000 euros par mois supérieures au loyer dû aux bailleurs.
M.R. soutient également que M.A. a eu recours à un stratagème de mise en location gérance du fonds de commerce afin de pouvoir disposer seul du studio d'enregistrement.
M.A. a constitué et dirige la SAS Audioscope, qui a pour objet les conseils, gestion et réalisation pour le compte de tiers de toute action de communication, marketing numérique et la production et l'exploitation de tout média audiovisuel. L'extrait Kbis mentionne une immatriculation le 16 mars 2016 avec un début d'activité le 25 février 2016. Le siège social de cette société est situé [...].
M.R. verse aux débats plusieurs constats d'huissier et une attestation visant à démontrer l'usage personnel que M.A. et sa société Audioscope ont fait du studio de la société 85 Productions sous couvert de location-gérance. Ces constats ont été établis entre le 12 mai 2016 et le 17 mai 2017, alors que les procédures avaient été engagées devant le tribunal de commerce et se trouvaient pendantes devant le tribunal puis la cour d'appel.
Le constat d'huissier effectué sur internet le 12 mai 2016 révèle au 9 mai 2016, un message du musicien Aurélien O. évoquant une séance de batterie au studio 85 Productions où il a retrouvé 'un vieil ami'. Sur le constat du 14 décembre 2016, apparaissent des messages et photos postés par M.S. et M.O. exposant leurs projets musicaux.
Si les constats permettent de retenir que les photos postées par ces artistes ont été prises dans le studio de 85 Productions, ils n'établissent cependant pas que cette utilisation du studio était le fait personnel de M.A.. En effet, jusqu'au début de l'année 2017, le fonds de commerce était exploité en location-gérance par la société DJ Rock Productions Audio And Media. Les photos communiquées en pièce 31 par M.R. démontrent d'ailleurs la présence d'une affiche sur la porte vitrée du studio au nom de SAS DJ Rock Productions Audio And Media.
Les références au studio 85 Productions et les appréciations des internautes sur le site facebook ne caractérisent pas non plus un détournement de clientèle par M.A., le studio ayant pu rester identifié sous ce nom, après le changement d'exploitant en mars 2016.
M.Jean-Marie P. (artiste Jimm) atteste quant à lui, que souhaitant enregistrer son 3ème album, il a rencontré M.A. au studio 85 Productions [...] à Paris au cours de l'été 2016, afin qu'il en soit le réalisateur, que les prises de son et autres prestations techniques se sont déroulées de mai à septembre 2016 souvent en présence de son assistant et qu'il a notamment réglé 2.000 euros par chèque à l'ordre de la société Audiscope. Si ce témoignage fait ressortir une activité de M.A. en parallèle de celle du fonds de commerce de la société 85 Productions, elle n'est pas corroborée par d'autres témoignages attestant d'une pratique habituelle, M.A. n'a d'ailleurs constitué la société Audioscope qu'en février 2016, alors que la situation de la société 85 Productions était déjà compromise.
L'exécution de ces prestations au sein du studio 85 Productions pour le compte d'un seul artiste, alors que M.A. est par ailleurs dans une position particulière du fait de sa qualité de bailleur indivis, ne suffit pas à démontrer que le contrat de location-gérance avec DJ Rock Productions Audio And Media, était fictif et ne servait qu'à couvrir l'activité personnelle de M.A.. Il ne ressort en effet pas du dossier que M.A. avait des liens capitalistiques avec la société DJ Rock Productions Audio And Media, ou exerçait des fonctions au sein de celle-ci.
En tout état de cause, il n'est pas établi qu'il est résulté du contrat avec M.P. un détournement de la clientèle au préjudice de la société 85 Productions, dès lors qu'à cette date la société n'exploitait pas le fonds de commerce donné en location-gérance et que rien n'indique que cet artiste était déjà client de celle-ci.
Le constat du 12 mai 2017 fait ressortir que M.Benjamin L. a visité le studio 85 Productions deux jours plus tôt. A cette date, le contrat de location-gérance avec DJ Rocks était certes résilié, mais les locaux avaient aussi été restitués aux bailleurs, de sorte que la société 85 Productions n'avait plus l'usage du studio et la dissolution de la société, bien que non définitive, avait été prononcée par le jugement dont appel (28 octobre 2016). Aucun élément ne vient démontrer que la société avait vocation à reprendre son activité, M.R. cherchant également à poursuivre son activité dans un cadre différent.
Il s'ensuit que, dans le contexte qui vient d'être décrit, M.R. manque à établir l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par M.A. au préjudice de la société 85 Productions.
Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a débouté M.R. de ses demandes au titre de l'action ut singuli.
M.R. sera également débouté de sa demande en paiement au profit de la société 85 Productions de 130.966 euros de dommages et intérêts destinés à compenser le préjudice financier subi par la société du fait du détournement de son chiffre d'affaires par les manoeuvres déloyales de M.A..
- Sur la dissolution anticipée de la société 85 Productions
L'artice1844-7,5° du code civil dispose que la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
M.A. sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a prononcé la dissolution de la société, faisant valoir qu'il est économiquement et juridiquement aberrant de maintenir la société 85 Productions en activité de façon artificielle, pour le 'seul plaisir' de M.R..
M.R. s'oppose à cette dissolution, arguant que M.A. n'est pas en droit d'agir en dissolution pour justes motifs, dès lors d'une part qu'il est à l'origine de la mésentente entre associés, d'autre part, que la mésentente ne paralyse pas le fonctionnement de la société, M.A. ayant pu le 16 septembre 2015 inscrire à l'ordre du jour de l'assemblée générale les résolutions aux fins de transfert du siège social et de dissolution anticipée de la société, ayant pu conclure des contrats de location-gérance, assigner la société 85 Productions en résiliation du bail et le 3 mars 2017 transférer le siège social [...].Il lui reproche également de se comporter en liquidateur de la société alors que le jugement dont appel n'est pas assorti de l'exécution provisoire, que la société Audiscope qu'il a créée utilise le matériel de la société 85 Productions sans que le président n'ait respecté les dispositions relatives aux conventions réglementées.
C'est vainement que M.R. conteste le droit de M.A. d'agir en dissolution dès lors que le moyen pris de ce qu'il est à l'origine de la mésentente entre les associés, s'il était avéré, n'est de nature qu'à faire obstacle à la reconnaissance d'un juste motif et est sans incidence sur la recevabilité de sa demande.
L'existence d'une grave mésentente entre les associés est constante. Elle ne peut être spécifiquement imputée à M.A., aucune faute de gestion n'ayant été caractérisée à son encontre et M.R. ne démontrant aucunement alors qu'il était directeur général de la société jusqu'en mars 2017 s'être impliqué utilement dans le redressement de la société.
La société n'a plus d'activité en propre. Les locaux du [...] ont été restitués au bailleur à la fin du mois de février 2017 pour mettre un terme à la procédure engagée par le bailleur devant le tribunal de grande instance de Paris. Le matériel appartenant à la société 85 Productions a ensuite été vendu.
MM.A. et R., qui détiennent pour l'essentiel à parts égales le capital social de la société 85 Productions, sont dans l'incapacité à s'entendre pour prendre des décisions constructives dans l'intérêt de la société. Dès lors, c'est à juste titre que le tribunal a prononcé la dissolution de la société et désigné son président en qualité de liquidateur amiable. Le jugement sera confirmé de ces chefs.
- Sur la demande en paiement de la somme de 62.109 euros correspondant à la valeur des immobilisations cédées
M.R. demande que M.A. soit condamné à verser à la société 85 Productions la somme de 62.109 euros correspondant à la valeur minimale du matériel du studio d'enregistrement tel qu'il figure dans les comptes annuels clos au 30 septembre 2017 et argue que M.A. l'a cédé à sa société Audioscope au vil prix de 4.000 euros.
M.A. réplique que suite à la restitution des locaux aux bailleurs, le matériel de la société a été intégralement vendu, que M.R. a été invité à venir récupérer le matériel lui appartenant. Il précise que le prix de cession figure dans les comptes et le dernier bilan et que la somme de 4.000 euros critiquée par M.R. ne correspond qu'au prix de cession de la partie résiduelle du matériel et aucunement au prix de cession total.
Dans le bilan de l'exercice clos au 30 septembre 2017, l'actif mobilier immobilisé est évalué en brut à 62.109 euros.
Le 30 janvier 2017, la société Studio Dealers a effectué une évaluation détaillée du prix de reprise du matériel professionnel de la société 85 Productions pour un montant total HT de 132.240 euros.
Il ressort des courriels échangés entre MM.A. et R. que des discussions ont eu lieu entre avril et juillet 2017 à propos de la vente de la console du studio, matériel principal de la société 85 Productions, et qu'un projet de cession à la société Hype en Belgique a échoué compte tenu des dissensions entre les deux associés. En définitive, par mail du16 novembre 2017, M.A. a informé M.R. qu'il était en train de vendre l'intégralité du matériel sur la base de l'évaluation faite par Studio Dealers et notamment de poursuivre la vente de la console à un prix inférieur ( soit 70.000 euros HT) étant donné que la vente avec les clients belges avait été suspendue.
M.A. verse aux débats les factures émises par la société 85 Productions correspondant à la vente du matériel professionnel:
- le 28 novembre 2017, divers matériels à M.B. pour un montant de 25.730 euros HT,
- le 19 mars 2018 une console duality SE 48 voies avec 2 producer desk pour un montant de 68.000 euros HT à Studio Dealers,
- le 16 février 2018 un système 5.2 , 5 PMC AML2+pied, 2 marques TMS et 1 trinnov à la société 31dB pour le prix de 9.000 euros HT,
- le 4 septembre 2018 du matériel à Studio Dealers pour 3.770 euros HT .
Ces factures représentent un prix total de vente de 106.500 euros HT, en ce non compris la somme de 4.000 euros correspondant au prix du matériel résiduel acquis par M.A..
Il résulte par ailleurs du constat de Maître P., huissier de justice, en date du 15 décembre 2016, que les biens appartenant personnellement à M.R., qui étaient restés dans le studio, ont été mis à disposition de l'intéressé, ce qui n'est pas contesté.
Au vu de ce qui précède, M.R. n'établit pas que M.A. s'est approprié le matériel appartenant à la société 85 Productions pour le prix de 4.000 euros. Il sera débouté de sa demande en paiement de ce chef.
- Sur la demande de dommages et intérêts de la société 85 Productions à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale de M.R. et de sa société Gohan Music.
La société 85 Productions sollicite la condamnation solidaire de M.R. et de la société Sarl Gohan Music au paiement de 60.000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
La SARL Gohan Music, détenue par M.R., ayant pour activité l'enregistrement sonore et l'édition musicale et son siège social à Paris, a été immatriculée le 31 janvier 2014.
Le courrier du 5 décembre 2016 par lequel la société DJ Rock Productions Audio And Média, locataire-gérant, exprime à la société 85 Productions son insatisfaction et sa volonté de dénoncer le contrat de location-gérance au motif que la clientèle de la société 85 Productions n'est plus du tout présente et qu'elle semble être exploitée en fraude de ses droits par un associé de la société 85 Productions, est trop imprécis pour pouvoir imputer à M.R. et à la société Gohan Music des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société 85 Productions.
Quant au message publié sur le compte internet de GL Connection ( pièce 37 de M.A.) faisant état de l'annonce par Peermusic France de la signature d'un contrat de co-édition avec le compositeur Renaud R. ayant connu des succès dans l'univers 'urban pop', et ayant composé pour Sexion d'Assault et Maître G., et des commentaires attribués à M.R. selon lesquels cette société d'édition avait su lui proposer une formule correspondant à ses envies artistiques et à ses besoins administratifs, il n'est pas daté et ne permet pas de situer les engagements pris par M.R..
Ces éléments ne permettent pas d'établir que M.R., directement ou par l'intermédiaire de la société Gohan Music, a commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société 85 Productions.
C'est encore à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.
- Sur les demandes de dommages et intérêts formées par M.A. et la société 85 Productions à l'encontre de M.R. et de la société Gohan Music
M.A. et la société 85 Productions demandent la condamnation solidaire de M.R. et de la société Gohan Music au paiement à chacun d'eux de 40.000 euros, faisant à la fois état d'un abus de minorité de la part de M.R., du temps considérable passé en gestion non seulement du contentieux mais aussi de la comptabilité et des différentes activités administratives de la société, travail non rémunéré depuis le premier jour.
M.A. n'est pas fondé à obtenir une indemnisation de ses fonctions de président, sous couvert de dommages et intérêts destinés à compenser le fait qu'il a exercé son mandat sans être rémunéré. Une telle rémunération n'a pas été votée par les associés et il n'appartient pas à la cour de se substituer à la décision des associés. Il relevait donc des fonctions normales du président de gérer la société en toutes circonstances.
L'opposition de M.R. à la liquidation amiable de la société, qui aurait selon M.A. contraint les associés à voir perdurer une activité commerciale déficitaire, n'a cependant pas excédé les droits que ce dernier tient de sa qualité d'actionnaire. Le montant du compte courant d'associé de M.R. dans les livres de la société 85 Productions, qui s'élevait à 22.676,72 euros au 30 septembre 2015 et à 34.476,72 euros au 31 mars 2016, atteste des apports de M.R.. Le fait que ce compte courant lui a permis pendant un certain temps de prélever 800 euros par mois, et soit productif d'intérêts, ce qui n'a rien d'anormal au regard des exigences fiscales, n'est pas de nature à caractériser un abus de minorité de M.R..
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes de dommages et intérêts.
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné M.R. aux dépens et au paiement d'indemnités procédurales sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant, la cour condamnera M.R. aux dépens de l'instance d'appel et dira n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Rejette toutes les demandes de dommages et intérêts, ainsi que celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne M.R. aux dépens d'appel.