CA Paris, Pôle 6 ch. 7, 22 juin 2023, n° 19/11663
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Unedic Délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Humbourg
Avocats :
Me Enslen, Me Regnier, Me Tonoukouin
FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES
M. [M] [E] est l'un des fondateurs de la société par actions simplifiées (SAS) UINT dont il détenait des actions à hauteur de 15,6% du capital social.
La société UINT avait pour activité de concevoir, développer, produire, vendre ou revendre des objets, logiciels ou prestations permettant de sécuriser tout type de transactions.
Par contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 1er mai 2008 et comportant une convention de forfait de 218 jours par an, M. [E] a été engagé par la société UINT en qualité de directeur développement logiciels, position 3.2, coefficient 210, catégorie cadre au sens de la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite Syntec applicable à la relation contractuelle.
Par courrier du 12 juin 2017, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé le 23 juin 2017. Cette procédure n'est pas allée jusqu'à son terme.
Par courrier du 17 juillet 2017, M. [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison d'un arriéré de salaire.
Par jugement du 4 juin 2018, le tribunal de commerce d'Evry a prononcé la liquidation judiciaire de la société UINT et a désigné en qualité de liquidateur la société MJC 2A, prise en la personne de Me [Z] [N], mandataire judiciaire.
Le 18 juillet 2018, M. [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau afin que sa prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 3 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a :
- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'UNEDIC Délégation AGS, CGEA Île de France-Est (ci-après désignée l'AGS) et déclaré recevables les demandes de M. [E] ;
- Jugé que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [E] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Relevé M. [E] de la forclusion prévue à l'article L. 625-1 du code de commerce ;
- Fixé la créance salariale de M. [E] à inscrire au passif de la liquidation judiciaire de la société UINT aux sommes suivantes :
- 21.600 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 21.600 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 21.600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 54.125 euros à titre de rappel de salaires d'août 2016 à juillet 2017,
- Déclaré cette créance opposable à l'AGS dans les limites de sa garantie légale ;
- Débouté M. [E] du surplus de ses demandes ;
- Débouté l'AGS de sa demande reconventionnelle ;
- Mis les dépens à la charge du liquidateur de la société UINT.
Le 25 novembre 2019, l'AGS a interjeté appel du jugement.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 17 avril 2020, l'AGS demande à la cour de :
- Infirmer le jugement dont appel en l'ensemble de ses dispositions ;
- Dire irrecevables les demandes de M. [E] à son encontre devant le conseil de prud'hommes ;
- Constater que le conseil de prud'hommes n'était pas valablement saisi de demandes à son encontre ;
- Dire nul le jugement intervenu et à tout le moins inopposable à son égard ;
- Renvoyer M. [E] s'il le désire devant le conseil de prud'hommes ;
Subsidiairement,
- Débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes ;
- Dire qu'elle ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L 3253-8 (ex-L 143-11-1) et suivants du code du travail ;
- Condamner M. [E] en tous les dépens.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 16 avril 2020, M. [E] demande à la cour de :
- Déclarer l'AGS mal fondée en son appel ;
- La déclarer irrecevable en sa demande d'inopposabilité du contrat de travail et en tout cas mal fondée ;
- La débouter de toutes ses demandes fins et conclusions ;
- Confirmer le jugement en ce qu'il :
- a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'AGS et déclaré recevables ses demandes,
- a dit que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- a fixé à hauteur de 21.600 euros sa créance d'indemnité compensatrice de préavis au passif de la liquidation judiciaire de la société UINT,
- lui a alloué une indemnité de licenciement conventionnelle, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des rappels de salaire,
- dit que ses créances étaient opposables à l'AGS dans la limite de sa garantie légale.
- L'accueillir en son appel incident.
Y faisant droit :
- Infirmer le jugement pour le surplus
Y ajoutant :
- Fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SAS UINT les créances suivantes :
- 22.800 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 64.800 euros au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse,
- 2.160 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- 72.000 euros à titre de rappels de salaires bruts de septembre 2016 à juin 2017,
- 7.200 euros à titre de congés payés sur rappels de salaire.
- Ordonner au liquidateur de la société UINT de lui remettre une fiche de paie comportant les rappels de salaire et ses indemnités de rupture ainsi qu'un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir ;
- Mettre les dépens à charge du liquidateur de la société UINT.
Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 1er avril 2020, le liquidateur de la société UINT demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de :
- A titre principal, dire n'y avoir lieu à fixation d'une créance de rappel de salaires au passif de la liquidation judiciaire ;
- A titre subsidiaire, si la cour devait fixer une créance à ce titre, en limiter le quantum à la somme de 45.720,55 euros ;
- A titre principal, dire et juger que la prise d'acte de rupture produit les effets d'une démission ;
- A titre subsidiaire, réduire le quantum des dommages et intérêts à de plus justes proportions ;
- Dire et juger que le montant de l'indemnité de licenciement ne saurait excéder la somme de 13.190,40 euros ;
- Dire et juger qu'il n'y a pas lieu d'allouer à M. [E] une indemnité compensatrice de préavis.
Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.
L'instruction a été déclarée close le 8 mars 2023.
MOTIFS :
Sur l'irrecevabilité des demandes de M. [E] eu égard au principe de l'unicité d'instance et la nullité du jugement :
L'AGS expose que dans la requête introductive d'instance déposée par M. [E] devant le conseil de prud'hommes le 18 juillet 2018, l'intimé a demandé à la juridiction prud'homale la condamnation de la société UINT alors que celle-ci faisait l'objet d'une liquidation judiciaire prononcée par le tribunal de commerce d'Evry le 4 juin 2018, sans mettre en cause ni elle ni le liquidateur. Elle en déduit que cette requête était irrégulière au regard des dispositions de l'article L. 622-21 du code du commerce qui interdit toute action en justice tendant à la condamnation du débiteur soumis à une procédure collective à payer une somme d'argent et que le jugement attaqué est nul pour avoir fait droit aux demandes pécuniaires du salarié nonobstant l'irrégularité de sa requête initiale.
Si l'AGS reconnaît qu'en cours d'instance prud'homale, le salarié a modifié ses demandes initiales en sollicitant l'inscription au passif de la liquidation judiciaire des sommes sollicitées dans sa requête initiale et en mettant en cause le liquidateur de la société UINT, elle considère que ces conclusions ultérieures sont irrecevables, le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 ayant abrogé, pour les instances introduites à compter du 1er août 2016, les règles spécifiques à la procédure prud'homale relative à l'unicité de l'instance et à la recevabilité des demandes nouvelles. Elle indique également que les demandes contenues dans ces conclusions ultérieures ne peuvent se rattacher aux demandes originelles concernant l'AGS puisque dans sa requête introductive le salarié n'en avait formé aucune à son encontre.
En défense, le salarié demande la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté cette fin de non-recevoir déjà présentée par l'AGS en première instance.
Le liquidateur de la société UINT ne présente aucun argumentaire sur ce point.
En premier lieu, l'article R. 1452-2 du code du travail dispose que la requête introductive d'instance doit expressément contenir un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionner chacun des chefs de celle-ci.Toute prétention nouvelle, non mentionnée dans la requête initiale, est ainsi par principe irrecevable en cours d'instance prud'homale.
Aux termes de l'article 65 du code de procédure civile, constitue une demande additionnelle la demande par laquelle une partie modifie ses prétentions antérieures.
L'article 70 du code de procédure civile prévoit que les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Dans sa requête introductive devant le conseil de prud'hommes du 18 juillet 2018, M. [E] a notamment demandé au juge de première instance la condamnation de la société UINT aux paiement de sommes de nature salariale et indemnitaire. Il est constant que par des conclusions ultérieures, il a mis en cause l'AGS et le liquidateur de la société et n'a plus sollicité la condamnation de cette dernière au paiement de sommes d'argent mais la fixation de ces sommes au passif de la liquidation judiciaire de la société UINT.
En premier lieu, les demandes pécuniaires contenues dans les conclusions ultérieures du salarié ont le même objet que celles présentées dans sa requête initiale puisqu'elles visent toutes deux la prise en charge par l'employeur de sommes d'argent de même nature et de même montant liées à la prise d'acte de rupture du contrat de travail. Les conclusions postérieures modifient seulement les modalités de cette prise en charge afin de les rendre conformes au droit des procédure collective qui implique, d'une part, que les demandes soient présentées au liquidateur puisqu'aux termes de l'article L. 641-9 du code de commerce ce dernier exerce les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine pendant toute la durée de la liquidation judiciaire et, d'autre part, que les sommes réclamées soient inscrites au passif de la liquidation judiciaire de la société concernée.
Dès lors, les demandes contenues dans les conclusions ultérieures s'analysent en des demandes additionnelles présentant un lien suffisant avec la prétention originaire fondée sur la prise d'acte, peu important le fait que le liquidateur n'ait été mis en cause que postérieurement au dépôt de la requête initiale puisque cette mise en cause n'avait pas pour objet sa condamnation à titre personnel mais la prise en charge par la société UINT dont il était le représentant légal d'une somme d'argent. Par suite, les demandes formées dans les conclusions ultérieures sont recevables à l'égard de la société UINT représentée par son liquidateur.
En second lieu, selon l'article 331 du code de procédure civile, un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal. Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement. Le tiers doit être appelé en temps utile pour faire valoir sa défense.
S'il est vrai que la demande de garantie de l'AGS n'a été formée par le salarié que postérieurement au dépôt de sa requête initiale devant le conseil de prud'hommes, il n'en demeure pas moins que, d'une part, l'AGS a été mise en cause dans le cadre d'une intervention au sens du texte précité puisqu'aux termes des dispositions des articles L. 3253-1 et suivants du code du travail, elle devait garantie des créances mises au passif de la liquidation selon les conditions fixées par le code du travail et, d'autre part, il ressort des termes de l'article 331 du code de procédure civile que l'intervention de l'AGS peut avoir lieu à tout moment de la procédure prud'homale à condition toutefois que celle-ci puisse faire valoir sa défense. Or, il n'est ni allégué ni justifié que l'AGS n'a pu présenter de défense en première instance et ce d'autant que la fin de non-recevoir présentée par elle en appel l'avait déjà été devant le conseil de prud'hommes. Par suite, l'intervention de l'AGS était recevable.
Il se déduit de ce qui précède que les demandes contenues dans les conclusions ultérieures présentées par le salarié devant le juge prud'homal sont recevables et que, par voie de conséquence, la fin de non-recevoir et la demande de nullité du jugement présentées par l'AGS doivent être rejetées.
Sur l'inopposabilité du contrat de travail :
L'AGS expose dans la partie discussion de ses écritures que le contrat de travail de M. [E] est inopposable à la liquidation judiciaire de la société UINT au motif que ce contrat n'a pas été approuvé par l'assemblée générale de la société. La cour relève que l'appelante ne précise pas dans ses conclusions d'appel le fondement juridique sur lequel elle s'appuie.
En défense, le salarié soutient que la demande de nullité de l'AGS est irrecevable par application de l'article 564 du code de procédure civile car cette demande 'n'étant pas virtuellement comprise dans les demandes et défenses soumises au premier juge pas plus qu'elle n'est l'accessoire, la conséquence ou le complément'. Il soutient également que l'AGS étant un tiers au contrat, elle n'a pas qualité pour soulever la nullité ou l'inopposabilité du contrat de travail. Il soutient enfin que dans les SAS , les conventions réglementées ne sont pas soumises à une procédure d'autorisation préalable.
Le liquidateur de la société UINT ne présente aucun argumentaire sur ce point.
En premier lieu, il est rappelé qu'aux termes de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, si dans la partie discussion de ses écritures (p.8), l'AGS consacre un paragraphe à la 'validité du contrat de travail' dans lequel elle soutient que le contrat de travail est inopposable à la liquidation judiciaire, force est de constater que dans le dispositif de ses écritures, la cour n'est saisie d'aucune demande en nullité ou en inopposabilité dudit contrat.
En second lieu et au surplus, l'article L. 227-10 du code de commerce applicable aux sociétés par actions simplifiées dispose : ' Le commissaire aux comptes ou, s'il n'en a pas été désigné, le président de la société présente aux associés un rapport sur les conventions intervenues directement ou par personne interposée entre la société et son président, l'un de ses dirigeants, l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 % ou, s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L. 233-3.
Les associés statuent sur ce rapport. Les conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets, à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président et les autres dirigeants d'en supporter les conséquences dommageables pour la société'.
Il se déduit de ce texte que constituent des conventions réglementées devant être approuvées par les associés d'une société par actions simplifiées les contrats conclus entre une telle société et un actionnaire disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10 %.
Il est constant que lors de la conclusion du contrat de travail, M. [E] était actionnaire de la SAS UINT à hauteur de 15,6% du capital social. Il n'est ni allégué ni justifié que ces actions ne bénéficiaient pas du droit de vote qui leur est normalement attaché. Par suite, la cour considère que le contrat de travail conclu par l'intimé et la société UINT s'analyse en une convention réglementée.
Toutefois, s'il n'est pas justifié que cette convention ait été approuvée par les associés de la SAS , il n'en demeure pas moins qu'il ne ressort pas des dispositions de l'article L. 227-10 du code de commerce que ce manquement avait eu pour effet de rendre inopposable le contrat de travail à la société ou à la liquidation judiciaire de celle-ci et ce d'autant que ce texte prévoit que les 'conventions non approuvées, produisent néanmoins leurs effets'.
Par suite, aucune demande de nullité ou d'inopposabilité du contrat de travail ne peut prospérer en l'espèce.
Sur le rappel de salaire :
M. [E] expose avoir bénéficié d'une rémunération mensuelle brute de 7.200 euros et reproche à l'employeur de ne pas lui avoir versé ses salaires au titre des mois de septembre 2016 à juin 2017. Il sollicite ainsi la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la somme de 72.000 euros bruts de rappel de salaire pour cette période, outre 7.200 euros bruts de congés payés afférents.
Il demande ainsi l'infirmation sur le quantum du jugement entrepris qui ne lui a alloué à ce titre que 54.125 euros de rappel de salaire, tout en précisant que cette somme correspond en réalité au montant net de la rémunération qui lui est due.
Il sollicite également l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de congés payés afférents.
En défense, l'AGS et le liquidateur de la société UINT demandent à titre principal le débouté de cette demande salariale. A titre subsidiaire, le liquidateur demande à la cour de limiter le montant de rappel de salaire à la somme de 45.720,55 euros.
Aux termes de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Aux termes de l'article L. 3243-3 du code du travail, l'acceptation sans protestation ni réserve d'un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus.
Il se déduit de ces textes que nonobstant la délivrance de bulletins de paie, l'employeur doit prouver le paiement du salaire qu'il invoque notamment par la production de pièces comptables.
En premier lieu, il ressort des bulletins de paye versés aux débats que M. [E] a bénéficié sur la période considérée d'un salaire mensuel brut de 7.200 euros.
Ni l'AGS ni le liquidateur de la société UINT ne produisent d'éléments permettant d'établir que le salaire de M. [E] a été réglé au titre de la période de septembre 2016 à juin 2017. Au contraire, il ressort du décompte communiqué par l'employeur dans ses écritures que le salaire de M. [E] ne lui a été que partiellement versé en septembre 2016 et non réglé postérieurement. La cour constate que la somme mentionnée par le liquidateur dans ses conclusions correspond à un montant restant dû déterminé à partir d'un salaire mensuel net et non d'un salaire mensuel brut.
Compte tenu de ces éléments, il sera intégralement fait droit aux demandes salariales de M. [E].
Sur la prise d'acte :
La prise d'acte permet au salarié de rompre son contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite de ce contrat. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement nul ou d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.
Il appartient alors au salarié de rapporter la preuve des faits et de leur gravité qui justifient la prise d'acte. La lettre de prise d'acte ne fixe pas les limites du litige.
En l'espèce, M. [E] a par lettre du 17 juillet 2017 pris acte de la rupture de son contrat de travail en raison de l'existence d'un important arriéré de rémunération.
En premier lieu, il ressort des développements précédents que l'employeur n'a pas versé le salaire de l'intimé pendant 10 mois, entre septembre 2016 et juin 2017.
En second lieu, le salarié reproche également à l'employeur, dans ses conclusions d'appel et à l'appui de sa prise d'acte, des retards dans le versement de sa rémunération. Il produit à cet effet un décompte mentionnant qu'entre décembre 2014 et août 2016 son salaire lui a été réglé avec retard. Ainsi, par exemple, le salaire de novembre 2015 ne lui a été payé qu'un an plus tard le 15 novembre 2016.
Ni l'AGS ni le liquidateur ne produisent d'élément permettant d'établir que le paiement effectif du salaire de M. [E] n'a pas été réalisé aux dates mentionnées dans le décompte.
Le non-paiement de 10 mois de salaire et le retard de versement de la rémunération mensuelle due constituent un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
Par suite la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera confirmé en conséquence.
Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse :
A défaut de demande de réintégration, M. [E] est en droit de prétendre, non seulement aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis augmentée des congés payés afférents, indemnité légale ou conventionnelle de licenciement), mais également à des dommages et intérêts (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
Au préalable, il n'est ni allégué ni justifié que la société employait moins de onze salariés au moment de la rupture du contrat de travail. Par suite, il sera considéré que ce seuil était atteint à cette époque. De même, le salarié bénéficiait de 9 ans et 2 mois d'ancienneté à la date de la prise d'acte.
En premier lieu, M. [E] peut solliciter une indemnité compensatrice de préavis de 3 mois d'un montant de 21.600 euros bruts en application de l'article 15 de la convention collective applicable, outre 2.160 euros bruts de congés payés afférents.
Comme le sollicite le salarié, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 21.600 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, précision faite que cette somme est exprimée en brut.
Le jugement sera en revanche infirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis et la cour ordonne en conséquence l'inscription au passif de la liquidation de la société UIMT de la somme de 2.160 euros bruts à ce titre.
En deuxième lieu, le jugement attaqué a fixé au passif de la liquidation de la société UINT la somme de 21.600 euros à titre d'indemnité de licenciement.
Le salarié sollicite une indemnité d'un montant de 22.800 euros et, par voie de conséquence, l'infirmation du jugement sur le quantum.
L'employeur demande à titre subsidiaire que cette indemnité soit diminuée à hauteur de 13.190,40 euros.
L'AGS conclut au débouté de cette demande indemnitaire.
Selon l'article 19 de la convention Syntec, applicable par préférence aux dispositions légales en matière d'indemnité de licenciement car plus favorable, cette indemnité se calcule en mois de rémunération sur les bases suivantes : après 2 ans d'ancienneté, 1/3 de mois par année de présence de l'ingénieur ou du cadre, sans pouvoir excéder un plafond de 12 mois.
Contrairement aux allégations du salarié, l'indemnité ne doit pas être déterminée sur la base d'une ancienneté de 9 ans et 6 mois mais de 9 ans et 5 mois (préavis inclus).
Par suite, l'indemnité conventionnelle due est de 22.600, selon la formule ci-jointe :
((7.200/3)x9)+(((7.200/3)/12)x5)
Le jugement sera donc infirmé sur le quantum.
En troisième lieu, le conseil de prud'hommes a fixé au passif de la liquidation de la société la somme de 21.600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié sollicite une indemnité d'un montant de 64.800 euros (9 mois de salaire) et, par voie de conséquence, l'infirmation du jugement sur le quantum.
L'employeur demande à titre subsidiaire que cette indemnité soit réduite à de plus justes proportions.
L'AGS conclut au débouté de cette demande indemnitaire.
Selon l'article L. 1235-3 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable à la date de prise d'acte, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.
Eu égard à l'âge du salarié (né le 28 septembre 1967), à son ancienneté, à son salaire (7.200 euros bruts) et à l'absence d'élément produit relatif à sa situation personnelle postérieure à la rupture, il lui sera alloué une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 43.200 euros représentant 6 mois de salaire.
En quatrième et dernier lieu, compte tenu des développements qui précèdent, la demande du salarié tendant à la remise de documents de fin de contrat conformes au présent arrêt est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
INFIRME le jugement :
- sur le quantum s'agissant des demandes de M. [M] [E] relatives au rappel de salaire, à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en ce qu'il a débouté M. [M] [E] de ses demandes au titre des congés payés afférents au rappel de salaire sollicité et à l'indemnité compensatrice de préavis,
CONFIRME le jugement pour le surplus, précision faite que la somme allouée au titre de l'indemnité compensatrice de préavis est exprimée en brut ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DÉBOUTE l'UNEDIC Délégation AGS, CGEA Île de France-Est de ses demandes d'irrecevabilité, d'inopposabilité et d'annulation du jugement du conseil de prud'hommes ;
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société UINT les créances de M. [M] [E] aux sommes suivantes :
- 72.000 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de septembre 2016 à juin 2017,
- 7.200 euros bruts de congés payés afférents,
- 2.160 euros bruts de congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,
- 22.600 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 43.200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
RAPPELLE que l'ouverture de la procédure collective a interrompu le cours des intérêts ;
DIT que la présente décision est opposable à l'Unedic Délégation AGS CGEA Île de France Est dans les limites de la garantie qui ne porte pas sur les frais irrépétibles ;
ORDONNE la remise par le liquidateur de la société UINT au profit de M. [M] [E] de bulletins de salaire, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes à l'arrêt ;
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes ;
MET les dépens d'appel à la charge de la société en liquidation judiciaire.