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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 21 janvier 2021, n° 20/00518

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lor (EURL)

Défendeur :

G7 Sud (SAS), MJ Synergie (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

T. com. Romans Sur Isère, du 15 janv. 20…

15 janvier 2020

EXPOSE DU LITIGE' :

L'Eurl Lor est une société holding qui détenait des actions dans la société de transports Sas Plein Sud, avec laquelle elle était liée par une convention de prestations de services du 15 février 2006.

Ces deux sociétés ont été dirigées par la même personne, M Jean-Michel O..

Jusqu'en 2015, la société Plein Sud a clôturé ses comptes au 31 décembre de chaque année, puis au 31 mars à compter de l'année 2015.

Le 23 décembre 2010, ces deux sociétés ont signé une convention par laquelle, la société Lor abandonnait une créance de 451.000 € à l'égard de sa filiale, au titre d'une part de ses prestations de service à hauteur de 234.247,15 € hors-taxes et d'autre part d'avances de trésorerie à concurrence de 216.752,85 €.

Était prévue dans cette convention, une stipulation de retour à meilleure fortune en cas d'exercice bénéficiaire, jusqu'au 30 décembre 2019.

Une convention similaire est intervenue entre les deux sociétés le 31 décembre 2011 consacrant une remise de dette de 586.040 € ttc de la holding envers la société Plein Sud et incluant également une stipulation de retour à meilleure fortune expirant le 31 décembre 2020.

Par acte sous seing privé du 21 novembre 2014, la société Lor a cédé à la société G7 Investissement l'intégralité des actions du capital de la société Plein Sud qui a changé de dénomination pour devenir la société G7 Sud.

Par jugement du 5 décembre 2017, la société G7 Sud a été placée en redressement judiciaire et Maîtres Bruno W. et Philippe S. ont été désignés en qualité de mandataires judiciaires.

Se prévalant des comptes annuels bénéficiaires de la société Plein Sud clôturés au 31 décembre 2013 et au 31 mars 2015, la société Lor a déclaré une créance de 1.037.040 € au passif de la procédure collective.

Sur la contestation du mandataire judiciaire, le juge-commissaire, par ordonnance du 12 décembre 2018, a constaté l'existence d'une contestation sérieuse, sursis à statuer et renvoyé les parties à saisir la juridiction compétente.

Sur assignation de la société Lor du 16 janvier 2019 et par jugement en date du 15 janvier 2020, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a':

- rejeté la demande de la société Lor en fixation de sa créance à la somme de 511.945 €';

- rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.

Suivant déclaration au greffe du 24 janvier 2020, la société Lor a relevé appel de cette décision.

Au terme de ses conclusions n°2 notifiées le 19 octobre 2020 et signifiées le 23 avril 2020 à la Selarl MJ Synergie et Me S., la société Lor demande à la cour de':

- recevoir la société Lor en son appel,

- réformer le jugement entrepris,

- fixer la créance de l'Eurl Lor sur la Sas G7 Sud à la somme de 511.945 €,

- débouter la société G7 Sud de ses entières demandes,

- condamner la société G7 Sud à verser à la société Lor la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, - dire que l'arrêt à intervenir sera opposable à Maîtres W. et S.,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

La société Lor soutient que les clauses de retour à meilleure fortune sont valides et n'ont jamais été révoquées'; que le défaut de réinscription de la créance dans ses comptes en 2013 et 2015 ne peut être assimilé à une renonciation, même tacite, à son droit de créance.

Elle estime que les clauses de retour à meilleure fortune sont rédigées dans des termes clairs et précis ; qu'elles n'encourent pas la nullité.

Elle conteste toute mauvaise foi et fait valoir que la facturation de la société G7 Investissement à l'égard de sa filiale aurait dû intervenir après paiement des dettes déjà existantes, notamment des sommes résultant du retour à meilleure fortune.

Par conclusions notifiées le 20 juillet 2020 et signifiées les 21 et 22 juillet 2020 à Me S. et à la Selarl MJ Synergie en la personne de Me W., la société G7 Sud entend voir':

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes de la société Lor,

- en conséquence,

- rejeter l'intégralité des demandes de la société Lor en ce que les clauses de retour à meilleure fortune sont nulles et qu'elles ne peuvent pas être appliquées,

- dire et juger que les conditions permettant l'intégration des créances de la société Lor ne sont pas démontrées et ne sont pas remplies,

- à titre reconventionnel,

- dire et juger que la société Lor engage sa responsabilité à l'égard de la société G7 Sud en l'absence d'approbation préalable des conventions signées et qu'elle doit en conséquence en supporter l'intégralité des conséquences financières,

- en tout état de cause :

- rejeter la demande de fixation de créance de la société Lor en son intégralité,

- rejeter l'intégralité des demandes de la société Lor relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- condamner la société Lor à verser la somme de 10.000 euros à la société G7 Sud au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

La société G7 Sud oppose aux prétentions de la société Lor qu'elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, alors qu'elle n'a pas procédé à la réintégration des créances abandonnées dans les comptes sociaux de la société Plein Sud en

2013 et 2015, malgré les bénéfices dégagés sur ces deux exercices et qu'elle a ainsi renoncé de manière tacite, mais non équivoque, à l'application de la clause de retour à meilleure fortune.

Elle soutient que ces clauses sont frappées de nullité à défaut de comporter une détermination suffisamment précise de l'événement rendant l'obligation de nouveau exigible et de leurs rapports entre elles, leurs termes ne permettant pas de savoir si elles se cumulent ou s'actualisent.

Elle relève le caractère confus de leur mise en œuvre, reprochant à la société Lor d'une part de réintégrer dans les comptes de la société G7 Sud des prestations payées à sa holding, la société G7 Investissement, dégageant ainsi un bénéfice artificiel et sans réintégrer ses propres prestations facturées entre 2012 et 2015'; d'autre part de se prévaloir sans fondement d'une subsidiarité du paiement de ces prestations.

Elle fait valoir enfin que l'état des résultats de la société G7 Sud sur les exercices 2001 à 2016 ne permet pas de caractériser un retour à meilleure fortune, compte tenu de la faiblesse des bénéfices réalisés en 2013 et 2015 et que la réinscription dans ses comptes d'une créance de plus d'un million d'euros aurait provoqué l'ouverture immédiate d'une procédure collective.

A titre reconventionnel, elle soulève l'absence de preuve de l'approbation par la Sas Plein Sud, devenue G7 Sud, des conventions invoquées qui constituent des conventions réglementées et se prévaut de la responsabilité de la société Lor en sa qualité de dirigeante et de cocontractante.

Bien qu'ayant reçu signification de la déclaration d'appel le 13 mars 2020, la Selarl MJ Synergie en la personne de Me W. et Me S. n'ont pas constitué avocat devant la cour.

La clôture de la procédure est intervenue le 22 octobre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION'

:

Les conventions d'abandon de créance signées les 23 décembre 2010 et 31 décembre 2011 entre la société Lor et sa filiale la société Plein Sud comportent toutes deux, en leur article 2, une stipulation de retour à meilleure fortune rédigée dans les termes suivants':

« la filiale s'engage à réinscrire dans ses comptes sociaux, les créances abandonnées à due concurrence en cas d'exercices bénéficiaires ou partiellement, si le bénéfice constaté avant impôt sur les sociétés est inférieur à la créance remise.

En ce cas, le solde dû serait inscrit de la même façon sur le bénéfice avant impôt sur les sociétés du ou des exercices ultérieurs jusqu'à due concurrence ».

Cette stipulation de retour à meilleure fortune était expressément prévue pour une durée expirant le 31 décembre 2019.

Au titre de ces clauses de retour à meilleure fortune, la société Lor revendique une créance totale de 511.945 euros correspondant à ce qu'elle considère être les bénéfices réalisés par la société Plein Sud devenue G7 Sud, sur les exercices arrêtés au 31 décembre 2013, 31 mars 2015 et 31 mars 2016.

1°) sur la validité des clauses':

Les clauses litigieuses déterminent précisément l'événement gouvernant leur mise en œuvre comme étant la constatation d'un exercice bénéficiaire, notion comptable ne souffrant d'aucune ambiguïté, ce d'autant qu'elles précisent que ce constat est fait avant impôt.

Par ailleurs, chacune des conventions a porté sur une créance distincte dont la société Plein Sud, par son acceptation, s'est reconnue débitrice et celle datée du 31 décembre 2011 ne comporte aucune stipulation opérant novation de son obligation à l'égard de la société Lor.

Il sera par ailleurs relevé qu'au titre des engagements financiers figurant à l'annexe comptable de ses bilans, la société Plein Sud a bien fait figurer un engagement de restitution de créances abandonnées de 941.000 euros.

En conséquence, ces clauses de retour à meilleure fortune, rédigées dans des termes clairs et univoques, ne sauraient encourir de nullité.

2°) sur la créance':

Le mécanisme de retour à meilleure fortune décrit par les clauses consiste à constater l'existence d'un bénéfice avant impôt et à l'imputer, par réinscription de la créance de la société Lor dans les comptes de sa filiale à concurrence de son montant.

C'est donc bien après prise en compte de l'intégralité des charges et dettes de la société Plein Sud au titre de l'exercice considéré que doit s'apprécier le bénéfice, ce qui implique d'inclure dans ces charges, toutes les prestations facturées par des tiers, y compris la holding, pendant l'exercice.

C'est donc à tort que la société Lor entend extourner les prestations facturées par la société G7 Investissement à sa filiale la société Plein Sud, devenue G7 Sud, en les ajoutant aux bénéfices, ce d'autant qu'au mépris du principe d'antériorité qu'elle revendique, elle n'entend pas procéder de la même manière avec les prestations qu'elle a elle-même facturées à sa filiale à hauteur de 665.957,98 euros sur l'exercice 2013 et de 682.096,52 euros sur l'exercice arrêté au 31 mars 2015.

Ainsi, seuls les exercices clos au 31 décembre 2013 et au 31 mars 2015 se sont révélés bénéficiaires pour 15.694 et 43. 675 euros.

Si la renonciation à un droit ne se présume pas et ne peut résulter que d'actes de son titulaire manifestant sans équivoque la volonté de renoncer, c'est la société Lor qui, en sa qualité de dirigeant de sa filiale, en a établi les comptes sociaux arrêtés au 31 décembre 2013.

L'examen de ces comptes permet de constater que sa créance de 941.000 euros a bien été portée à l'annexe comptable sous la rubrique des engagements financiers, sans que par ailleurs, elle ne soit réinscrite dans les comptes, ni provisionnée à concurrence du montant du bénéfice de 15.694 euros.

C'est donc bien par un acte délibéré, fût il négatif, que la société Lor a choisi de ne pas à faire usage des clauses de retour à meilleure fortune sur l'exercice 2013 malgré l'existence d'un bénéfice, renonçant ainsi sans équivoque à exercer son droit à restitution partielle de sa créance.

Cette renonciation ne peut être étendue aux bilans postérieurs des 31 mars 2015 et 2016, puisque la société Lor n'assurait plus, à ces dates, la présidence de la société Plein Sud devenue G7 Sud.

En conséquence, la société Lor est en droit de faire valoir une créance de 43. 675 euros à l'encontre de la société G7 Sud en application des clauses de retour à meilleure fortune

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la prétention de la société Lor dont la créance sera fixée au passif de la procédure collective de la société G7 Sud pour la somme de 43. 675 euros.

4°) sur la demande reconventionnelle':

Les créances invoquées par la société Lor résultent de la convention de prestation de services intervenue entre la société Plein Sud et elle le 18 février 2006, et de ses avenants, ainsi que des clauses de retour à meilleure fortune insérées dans les deux conventions d'abandon de créances des 23 décembre 2010 et 31 décembre 2011.

La société G7 Sud entend engager la responsabilité de la société Lor, en sa qualité de dirigeant de la Sas Plein Sud, sur le fondement de l'article 227-10 du code de commerce qui prévoit que les conventions intervenues entre une société par actions simplifiées et son président, l'un de ses dirigeants, ou l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieur à 10 %, doivent être approuvées par les associés et qu'à défaut, elles produisent leurs effets à charge pour la personne intéressée et éventuellement pour le président ou les autres dirigeants de supporter les conséquences dommageables pour la société.

Il résulte des pièces produites que jusqu'au 20 novembre 2014, la société Lor détenait 99 % des actions de la Sas Plein Sud, le reste étant détenu par M Serge O., et qu'elle en exerçait la présidence.

Il n'est fourni aucun justificatif d'une approbation par l'assemblée générale des actionnaires de la société Plein Sud, ni de la convention de prestation de services du 18 février 2006, ni de ses avenants, ni encore des conventions d'abandon de créance.

Pour autant, la société G7 ne fait aucune démonstration du caractère préjudiciable de ces différentes conventions, alors que notamment ni les prestations de la holding fournies en contrepartie, ni le niveau de sa rémunération fixée par pourcentage du chiffre d'affaires de la filiale, ne sont remises en cause.

En conséquence, elle verra sa demande rejetée.

PAR CES MOTIFS' :

La Cour

Statuant publiquement, par arrêt de défaut, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Romans sur Isère en date du 15 janvier 2020,

statuant à nouveau,

FIXE au passif du redressement judiciaire de la Sas G7 Sud la créance de l'Eurl Lor pour la somme de 43. 675 euros,

DEBOUTE la Sas G7 Sud de sa demande reconventionnelle,

REJETTE les demandes réciproques de condamnation à une indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.