Livv
Décisions

Cass. 3e civ., 21 février 2001, n° 99-16.821

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BEAUVOIS

Versailles, du 8 avr. 1999

8 avril 1999

Attendu que, recherchant les circonstances de la mise en oeuvre du droit de repentir, la cour d'appel, ayant constaté, outre les erreurs de l'avocat, la connaissance qu'avaient les bailleurs des conditions de l'exercice de ce droit, ainsi que l'intérêt, pour eux, au vu du rapport d'expertise où il était question du déficit d'exploitation de la société Carbone et de l'impossibilité, pour celle-ci, de supporter la charge d'un supplément de loyer, d'offrir un renouvellement qu'ils savaient ne pouvoir être accepté, et qui n'était pas saisie du moyen nouveau, mélangé de fait et de droit, tiré de l'omission de M. B... de conseiller à la société Carbone de quitter les lieux dès lors qu'elle lui avait fait part de son intention de cesser son commerce, a pu retenir qu'en notifiant aux bailleresses la décision de sa cliente de partir le 31 août 1992, l'avocat avait tout au plus précipité les événements en incitant les consorts Y... à notifier leur droit de repentir, que l'acte du 8 août 1992 n'avait fait perdre à la société Carbone qu'une chance faible d'obtenir le paiement de l'indemnité d'éviction dont elle a souverainement jugé que rien n'autorisait à affirmer que le tribunal ne l'aurait pas réduite par rapport au montant estimé par l'expert et, sans être tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, évaluant le préjudice dont M. B... devait réparation, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le second moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 avril 1999), que les consorts Y..., bailleurs, ont le 7 janvier 1992 sommé la société Carbone 1850 (société Carbone), preneur de locaux à usage commercial, de libérer les lieux, après qu'ils lui ont délivré un congé avec refus de renouvellement à effet du 31 décembre 1991 ; que l'expert, chargé d'évaluer l'indemnité d'éviction, a déposé le 10 juin 1992 un rapport, transmis à la société Carbone par l'avocat de celle-ci, M. B..., avec le conseil de déménager le plus rapidement possible, par exemple le 31 août 1992, afin que les bailleurs ne puissent exercer leur droit de repentir, et la suggestion de leur notifier la date du départ, ainsi que le jour et l'heure de la remise des clés ; que, le 26 juin 1992, la société Carbone a chargé M. B... de confirmer à l'expert son accord sur le montant de l'indemnité d'éviction, estimée pour le cas où le fonds de commerce ne pourrait être transféré ; qu'avec l'assentiment de la société Carbone, M. B... a le 8 août 1992 sommé les consorts Y... de reprendre les locaux à compter du 31 août 1992, de procéder à cette date à l'établissement d'un état des lieux contradictoire, et d'accepter les clés ; que, le 10 août 1992, les bailleurs ont notifié leur repentir à la société Carbone et proposé à celle-ci le renouvellement du bail pour un loyer plus élevé que le loyer ancien ; que, le 21 août 1992, M. B... a fait savoir à la société Carbone que la notification du repentir était inopérante, et lui a décrit l'option qui selon lui s'offrait à elle, soit, acquiescer au repentir, accepter le renouvellement et agir en fixation du prix du nouveau bail, soit quitter les lieux et demander le paiement de l'indemnité d'éviction sur la base du rapport de l'expert ; qu'ayant opté, avec l'accord de sa cliente, pour le second terme de l'option, il a, le 28 août 1992, sommé les consorts Y... de reprendre les lieux à la fin du mois, soutenant que leur repentir était inopérant ; que les demandes de la société Carbone, qui avait libéré les locaux, d'une part, en paiement de l'indemnité d'éviction, d'autre part, en réintégration des lieux, ayant été rejetées par arrêt devenu irrévocable, la société Carbone a assigné M. B... en responsabilité civile ;

Attendu que la société Carbone et Mme X..., sa liquidatrice, font grief à l'arrêt de condamner M. B... à leur payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts alors, selon le moyen,

1 / que l'exercice, par le bailleur, du droit de repentir permet au preneur, au bénéfice duquel le bail est alors renouvelé, de se maintenir dans les lieux et de céder son droit au bail qui a une valeur marchande ;

que, par conséquent, I'exercice par les bailleresses, de leur droit de repentir postérieurement à la notification fautive faite par M. B... de la libération des lieux, aurait dû conduire celui-ci à avertir la société Carbone 1850 du risque de perte du droit au bail qu'entraînait la libération volontaire des locaux et à lui conseiller d'accepter le renouvellement du bail et de se maintenir dans les lieux de façon à pouvoir, en conservant son bail, céder ultérieurement son droit à celui-ci en même temps que son fonds de commerce, et de récupérer ainsi un prix correspondant à l'indemnité d'éviction ou tout au moins proche de celle-ci ; qu'en décidant que cette seconde faute n'avait pas eu d'incidence sur la perte du droit à indemnité d'éviction, cependant qu'elle avait fait perdre à la société Carbone 1850 la possibilité de se maintenir dans les lieux et de céder ultérieurement son droit au bail, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

2 / que, dans ses conclusions signifiées le 13 février 1997, la société Carbone 1850 avait fait valoir que la libération des lieux n'était intervenue qu'en raison des conseils de M. B... ; que le Tribunal avait retenu que la seconde faute de celui-ci consistait à avoir jugé le droit de repentir comme inopérant et à n'avoir pas attiré l'attention de la société Carbone 1850 sur les risques liés à une libération des lieux malgré la notification du droit de repentir et enfin que les erreurs d'appréciation commises par M. B... étaient la seule cause du préjudice subi par la société Carbone 1850 qui avait perdu, non seulement son droit au versement d'une indemnité d'éviction, mais également ses droits locatifs ;

qu'en ne s'expliquant pas sur ces moyens des conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, méconnu les dispositions de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel ayant relevé que la société Carbone avait informé l'expert de l'impossibilité, au regard de ses résultats déficitaires, de faire face à une charge supplémentaire du prix de location et d'amortissement de nouvelles installations, et que les consorts Y... savaient que le renouvellement du bail ne pouvaient être accepté par la locataire qui avait indiqué à M. B... son intention de cesser ses activités au 31 août 1992, le moyen est inopérant en sa première branche ;

Attendu, d'autre part, que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef, sans être tenue de procéder à une recherche ni de répondre à des conclusions que ses énonciations rendaient inopérantes, en constatant que, par son attitude, M. B... n'avait fait que précipiter les événements mais n'avait pas provoqué la mise en oeuvre du droit de repentir, et que la notification du 8 août 1992, si elle n'avait pu qu'inciter le bailleur à notifier son droit de repentir, n'avait eu d'autre conséquence, sur la perte du droit à indemnité d'éviction, que d'entretenir la société Carbone dans l'illusion qu'elle pourrait obtenir cette indemnité et la conduire à engager de ce chef des frais inutiles ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.