Cass. com., 13 septembre 2023, n° 22-15.296
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
Mme Bélaval
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocat :
SCP Piwnica et Molinié
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Cayenne, 14 février 2022), le 26 mars 2018, le Centre de santé guyanais, devenu la société Hôpital privé [5], a été mis en redressement judiciaire, la société BR associés étant désignée mandataire judiciaire et la société AJAssociés administrateur. Le 21 novembre 2018, un plan de redressement a été arrêté, la société AJAssociés étant désignée commissaire à l'exécution du plan.
2. Le débiteur a porté à la connaissance du mandataire judiciaire la créance chirographaire de la société Electricité de France (la société EDF).
3. Par une ordonnance du 13 décembre 2019, le juge-commissaire a rejeté la créance aux motifs que, par une lettre du 10 décembre 2018, la créance avait été contestée et que la société EDF n'avait pas répondu dans le délai de 30 jours.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société EDF fait grief à l'arrêt de confirmer, sur déféré, l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré son appel irrecevable, alors « que l'interdiction faite au créancier d'exercer un recours contre la décision du juge-commissaire confirmant la proposition du mandataire judiciaire lorsque ce créancier n'a pas répondu dans un délai de trente jours au mandataire judiciaire, n'est pas applicable lorsque la contestation porte sur la régularité de la déclaration de créance et non sur la créance elle-même ; que l'absence de justificatifs joints à la déclaration caractérise une irrégularité de la déclaration de créance ; que la cour d'appel a constaté que par sa lettre du 10 décembre 2018, le mandataire judiciaire proposait le rejet de la créance si le créancier ne lui adressait pas les éléments justificatifs ; qu'en retenant que le mandataire avait émis une contestation non sur la régularité de la déclaration de créance mais sur l'existence de la créance, exigeant une réponse dans le délai de 30 jours, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 622-27, L. 624-3 et R. 624-7 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-27, L. 624-3, alinéa 2, et R. 624-1, alinéas 2 et 3, rendus applicables au redressement judiciaire par les articles L. 631-14, L. 631-18 et R. 631-29 du code de commerce :
5. Une disposition privant une partie d'une voie de recours doit être interprétée strictement. En conséquence, la sanction prévue par les textes susvisés en cas de défaut de réponse du créancier dans le délai de trente jours suivant la réception de la lettre du mandataire judiciaire l'informant de l'existence d'une discussion sur sa créance ne peut être étendue au cas où le mandataire judiciaire se borne à demander au créancier des pièces justificatives de la créance en précisant qu'à défaut, il envisage de proposer au juge-commissaire le rejet de cette créance.
6. Pour déclarer irrecevable l'appel formé par la société EDF contre l'ordonnance de rejet de sa créance, l'arrêt constate que la lettre du mandataire judiciaire du 10 décembre 2018 mentionnait en objet « contestation de créance », informait le créancier que la créance déclarée était injustifiée dans la mesure où le Centre de santé guyanais ne lui avait remis aucun justificatif et qu'il convenait de lui transmettre un relevé de compte récapitulatif et une copie des factures déclarées, et qu'à défaut, il envisageait de proposer au juge-commissaire un rejet de la créance, et rappelait les dispositions de l'article L. 622-27 du code de commerce. Il ajoute, par motifs propres et adoptés, qu'il résulte de la lettre du mandataire judiciaire, et des termes employés « contestation de créance », « créance déclarée injustifiée », « rejet de votre créance », que celui-ci ne contestait pas seulement la régularité formelle de la créance, mais, faute de justificatif, son existence même, de sorte que la société EDF, qui n'avait pas répondu à cette lettre dans le délai de trente jours, ne pouvait pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire confirmant la proposition du mandataire judiciaire.
7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre du 10 décembre 2018 n'était pas une lettre de contestation de l'existence, de la nature ou du montant de la créance au sens des textes susvisés, de sorte que le défaut de réponse à celle-ci par la société EDF dans le délai de trente jours ne la privait pas du droit de faire appel de l'ordonnance du juge-commissaire ayant rejeté sa créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Cayenne ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Cayenne, autrement composée.