CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 14 septembre 2023, n° 20/17860
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux, Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes des Bouches du Rhône, Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes de l’Isère, Conseil Départemental de l’Ordre Des Chirurgiens-Dentistes de Dordogne, Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes du Bas-Rhin, Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes du Haut-Rhin, Conseil National de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes, Syndicat les Chirurgiens-Dentistes de France, Santéclair (SA)
Défendeur :
Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
Mme Schmidt, Mme Tréard
Avocats :
Me Guyonnet, Me Augagneur, Me de Maria, Me des Ylouses, Me Hubert, Me Saleh Cherabieh, Me Grappotte-Benetreau, Me Auche, Me Pudlowski, Me Savoy
FAITS ET PROCÉDURE
1. La Cour est saisie des recours formés contre la décision n° 20-D-17 du 12 novembre 2020 de l’Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie dentaire.
I. LES SECTEURS CONCERNÉS
Les soins dentaires
2. La Cour renvoie à la présentation du secteur dans la décision attaquée.
3. Il sera simplement rappelé que la profession de chirurgien-dentiste est réglementée par le code de la santé publique : l’entrée dans la profession est subordonnée à l’obtention d’un diplôme d’État et son exercice suppose l’inscription au tableau de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. Au 1er janvier 2017, la profession comptait un peu plus de 40 000 praticiens dont 89 % exerçaient en libéral.
4. Les chirurgiens-dentistes dispensent différents types de soins qui relevaient, à la date des pratiques, de deux régimes de tarifs distincts :
– les tarifs conventionnés, fixés dans le cadre d’une convention nationale et qui s’imposent aux praticiens conventionnés (qui représentent plus de 99 % des chirurgiens-dentistes), sauf situation exceptionnelle. Ils sont pris en charge à 70 % par l’assurance maladie obligatoire. Ils concernent les soins conservateurs (détartrage, traitement d’une carie ou dévitalisation notamment) et chirurgicaux (extraction, traitement des lésions osseuses ou gingivales).
– les tarifs libres, fixés librement par le chirurgien-dentiste sous réserve, comme le prévoit le code de déontologie, de faire preuve « de tact et mesure ». Ils concernent les soins prothétiques, orthodontiques, d’implantologie et de parodontologie. Par exception, le chirurgien-dentiste ne peut pratiquer des honoraires libres à l’égard de patients bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU) à l’égard desquels ils doivent respecter des tarifs plafonnés, fixés par arrêté. Au sein de ces soins à tarif libre, seuls sont remboursés les soins prothétiques et les soins d’orthodontie commencés avant le 16ème anniversaire du patient (remboursés à 70 %, sur la base de tarifs dits de responsabilité qui sont souvent inférieurs à leur coût réel.).
5. Les chirurgiens-dentistes en exercice, ainsi que les personnes qui demandent leur inscription au tableau de l’Ordre, doivent communiquer, sous peine de sanction disciplinaire, au conseil départemental dont ils relèvent, les contrats et avenants ayant pour objet l’exercice de leur profession (article L. 4113-9 du code de la santé publique). Le dernier alinéa de cet article précise que « Les dispositions contractuelles incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les contractants de leur indépendance professionnelle les rendent passibles des sanctions disciplinaires prévues à l’article L. 4124-6 ».
6. Les chirurgiens-dentistes exercent leur art dans le respect des règles de déontologie, établies par le Conseil national de l’Ordre et réunies dans un code de déontologie édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’État (articles R. 4127-201 à R. 4127-284 du code de la santé publique).
7. Ce code de déontologie édicte un certain nombre de principes généraux dont notamment, à la date des pratiques :
– l’indépendance professionnelle du chirurgien-dentiste (article R. 4127-209 du code de la santé publique) ;
– le libre choix du chirurgien-dentiste par le patient (article R. 4127-210 du code de la santé publique) ;
– l’interdiction de pratiquer la profession dentaire comme un commerce et, notamment, l’interdiction de tous procédés directs ou indirects de publicité (article R. 4127-215 du code de la santé publique dans sa rédaction antérieure au décret n° 2020-1658 du 22 décembre 2020) ;
– l’interdiction de détourner ou de tenter de détourner la clientèle (article R. 4127-262 du code de la santé publique) ;
– la détermination du montant des honoraires avec tact et mesure (article R. 4127-240 du code de la santé publique). Le code précise que les éléments d’appréciation pour fixer le montant des honoraires « sont, indépendamment de l’importance et de la difficulté des soins, la situation matérielle du patient, la notoriété du praticien et les circonstances particulières ». Il précise encore que le chirurgien-dentiste est libre de donner gratuitement ses soins mais qu’il lui est interdit d’abaisser ses honoraires dans un but de détournement de la clientèle et que lorsqu’il est conduit à proposer un traitement d’un coût élevé, le chirurgien-dentiste établit au préalable un devis écrit qu’il remet à son patient.
– l’obligation de signer un contrat en cas d’exercice habituel de la profession au service d’une entreprise, d’une collectivité ou institution de droit de privé et de transmettre ce contrat au conseil départemental pour lui permettre de vérifier sa conformité au code de déontologie (article R. 4127-247 du code de la santé publique).
8. La constatation et la sanction des infractions à ces règles déontologiques relèvent en première instance de la chambre de discipline qui siège auprès de chaque conseil régional et statue après l’échec d’une procédure de conciliation suivie devant le conseil départemental. Ces décisions sont susceptibles d’un appel devant la chambre de discipline qui siège au Conseil national de l’Ordre, laquelle statue sous le contrôle, en dernier ressort du Conseil d’État.
9. Ces juridictions disciplinaires peuvent être saisies, notamment, soit par le Conseil national de l’Ordre, soit par un conseil départemental.
L’assurance complémentaire santé et les réseaux de soins
10. L’assurance complémentaire santé intervient dans le remboursement des soins dentaires à hauteur de 40,9 % des 11,3 milliards d’euros exposés en 2017. La part de l’assurance maladie obligatoire s’élève à 33,2 %, le solde d’environ 22,2 % reste à la charge du patient.
11. Les organismes complémentaires d’assurance maladie, les OCAM (mutuelles, sociétés d’assurance ou instituts de prévoyance) interviennent en contrepartie de cotisations payées dans le cadre de contrat collectif souscrit par l’employeur au bénéfice de ses salariés ou d’un contrat individuel souscrit directement par le patient. En 2014, 93,7 % de la population étaient couverts par une assurance complémentaire santé.
12. Afin de maîtriser les coûts de dépenses de santé dans des secteurs où ils sont les principaux financeurs, comme notamment le secteur dentaire, mais également de développer le conseil à leurs assurés tant en matière tarifaire que dans le domaine de la prévention et de l’assistance médicale, les OCAM ont constitué des réseaux de soins, initialement créés pour la mise en place et la généralisation du tiers payant et qui ont été étendus à d’autres types de services.
13. Ces réseaux reposent sur des conventions signées par un OCAM et des praticiens.
14. Le cadre juridique de ces conventions a été posé par l’article 2 de la loi n° 2014-57 du 27 janvier 2014, dite loi Le Roux, codifiée à l’article L. 863-8 du code de la sécurité sociale qui dispose :
I. Les mutuelles, unions ou fédérations relevant du code de la mutualité, les entreprises d’assurance régies par le code des assurances et les institutions de prévoyance régies par le présent code peuvent, directement ou par l’intermédiaire d’un tiers, conclure avec des professionnels de santé, des établissements de santé ou des services de santé des conventions comportant des engagements relatifs, pour l’organisme assureur, au niveau ou à la nature des garanties ou, pour le professionnel, l’établissement ou le service, aux services rendus ou aux prestations ainsi qu’aux tarifs ou aux prix.
Ces conventions ne peuvent comprendre aucune stipulation portant atteinte au droit fondamental de chaque patient au libre choix du professionnel, de l’établissement ou du service de santé et aux principes d’égalité et de proximité dans l’accès aux soins.
L’adhésion des professionnels, établissements ou services à ces conventions s’effectue sur la base de critères objectifs, transparents et non discriminatoires. L’adhésion ne peut comporter de clause d’exclusivité.
Tout professionnel, établissement ou service répondant aux critères mentionnés au troisième alinéa du présent I peut adhérer à la convention. Cependant, les conventions concernant la profession d’opticien-lunetier peuvent prévoir un nombre limité d’adhésions.
Pour les professionnels de santé autres que ceux appartenant à des professions mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 162-14-3 du présent code, ces conventions ne peuvent comporter de stipulations tarifaires relatives aux actes et prestations mentionnées aux articles L. 162-1-7 et L. 162-14-1 du même code.
Le niveau de la prise en charge des actes et prestations médicaux par les organismes mentionnés au premier alinéa du présent I ne peut être modulé en fonction du choix de l’assuré de recourir ou non à un médecin ayant conclu une convention avec ces organismes.
II. L’organisme assureur garantit une information complète auprès de ses assurés ou adhérents sur l’existence du conventionnement, ses caractéristiques et son impact sur leurs droits.
15. Par ailleurs, l’article 1er de la loi Le Roux a modifié l’article L. 112-1 du code de la mutualité en complétant le dernier alinéa de ce texte par : « Les mutuelles et les unions visées au présent article ne peuvent instaurer de différences dans le niveau des prestations qu’en fonction des cotisations payées ou de la situation de famille des intéressés ou lorsque l’assuré choisit de recourir à un professionnel de santé, un établissement de santé ou un service de santé avec lequel les mutuelles, unions ou fédérations ont conclu une convention dans les conditions mentionnées à l’article L. 863-8 du code de la sécurité sociale. »
16. Cette loi, déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel n° 2013-686 DC du 23 janvier 2014, a fait l’objet de vives critiques de la part des instances ordinales et des syndicats professionnels de chirurgiens-dentistes au regard des principes généraux qui régissent l’exercice de la profession que sont la liberté de choix du patient, l’indépendance d’exercice et la qualité des soins.
17. L’Inspection générale des affaires sociales (ci-après « l’IGAS »), dans le premier rapport d’évaluation n° 2016-107R de cette loi, établi en juin 2017, intitulé « Les réseaux de soins », indique que, de manière schématique, aux termes de ces conventions, les professionnels de santé s’engagent contractuellement à respecter des tarifs plafonds pour une liste de produits/prestations donnée, avec des garanties de qualité ou de service associées. En contrepartie, ils peuvent pratiquer le tiers payant et leurs coordonnées sont communiquées aux assurés.
18. Toujours selon l’IGAS, ces dispositifs, apparus dans les années 90, ont pris leur essor au milieu des années 2000, avec la création des plateformes de gestion qui gèrent des réseaux de soins pour le compte d’OCAM. L’IGAS en a identifié six : Carte Blanche, Istya, Itelis, Kalivia, Santéclair et Sévéane, qui sont, à une exception, des sociétés anonymes constituées par des organismes complémentaires. Ces plateformes gèrent des réseaux de soins de grande taille [plusieurs milliers de professionnels de santé] auxquels des millions d’assurés peuvent avoir accès [45 M en 2016, soit les trois quarts des personnes disposant d’une complémentaire santé]. Elles se livrent à une vive concurrence, s’efforçant de se différencier par la taille de leurs réseaux, les avantages qu’ils procurent et leurs principes d’action.
19. S’agissant des soins dentaires, les réseaux gérés par des plateformes ne comptent qu’un nombre limité de professionnels (14 % pour le plus étendu d’entre eux).
II. LES ACTEURS CONCERNÉS PAR LA PRÉSENTE PROCÉDURE
La société Santéclair
20. La société Santéclair est une société anonyme créée le 7 décembre 1999, initialement par la société Assurances générales de France sous le nom de Santé Conseil Service, filiale aujourd’hui de plusieurs organismes complémentaires d’assurance maladie (Allianz, MAAF-MMA, IPECA Prévoyance et la Mutuelle Générale de la Police). Elle a pour objet principal de concevoir, promouvoir et gérer un ensemble de services visant à l’amélioration de la prise en charge des frais de soins de santé.
21. Santéclair est présente dans plusieurs secteurs de soins : l’optique, le dentaire, les audioprothèses, l’hospitalisation, le bien-être et la prévention. Elle met à la disposition des bénéficiaires, de ses actionnaires et d’autres organismes de complémentaire santé les prestations suivantes :
– des réseaux de professionnels de la santé partenaires s’engageant notamment à ne pas dépasser un tarif maximum pour un certain nombre de prestations ;
– un service d’analyse de devis de soins destiné à apprécier leur adéquation aux besoins des assurés et celle du prix par rapport au marché. Santéclair le présente ainsi : « Le service d’analyse des devis s’adresse aux assurés qui ne fréquentent pas les [praticiens] partenaires [de notre réseau]. On calcule le reste à charge. On simule ce que serait le reste à charge chez un praticien partenaire de la même zone pour un même plan de traitement (mêmes actes et mêmes matériaux). Dès lors qu’il y a une économie d’au moins 250 euros de reste à charge et que les soins n’ont pas été commencés, on s’autorise à signaler qu’il existe une alternative. Si l’assuré est intéressé, on lui communique au moins 3 adresses et au final c’est lui qui choisit son praticien » (cote 6398).
22. Santéclair indique offrir ses services à 10 millions de bénéficiaires à travers 50 complémentaires santé.Elle dispose d’un réseau de 6 000 professionnels de santé partenaires.
23. Dans le secteur des soins dentaires, Santéclair indique avoir développé un réseau « dentaire » depuis 2003 et un réseau « implantologie dentaire » constitué en 2012, dont chacun repose sur des accords de partenariats non exclusifs signés avec les chirurgiens-dentistes et comportant des engagements réciproques : un contrôle de la qualité des services rendus aux assurés, la mise en place d’une procédure de tiers-payant, le respect d’une certaine modération tarifaire, sur la base de tarif plafonné et une orientation des bénéficiaires qui en font la demande vers les professionnels de santé membres du réseau.
24. À la date de la notification de griefs, le réseau de Santéclair comptait plus de 2 700 chirurgiens-dentistes et 50 implantologues. Il réalisait, en moyenne, 80 000 prises en charge chaque année.
L’Ordre national des chirurgiens-dentistes
25. L’Ordre national des chirurgiens-dentistes, regroupe l’ensemble des personnes habilitées à exercer la profession de chirurgiens-dentistes.
26. Il exerce la mission de service public, définie à l’article L. 4121-2 du code de la santé publique, de veiller au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de l’art dentaire, et à l’observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie prévu à l’article L. 4127-1 du code de la santé publique. Il assure la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession de chirurgien-dentiste.
27. Il exerce sa mission par l’intermédiaire des conseils départementaux, régionaux et national, auxquels l’article L. 4125-1 du code de la santé publique confère la personnalité civile, et des chambres disciplinaires de l’Ordre.
28. Le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (ci-après, le « CNOCD ») compte 19 membres, élus par les membres des conseils départementaux.
29. Il élit en son sein les 8 membres du bureau. Il confie l’étude de certaines questions à des commissions spécialisées, telles que la commission des finances, la commission des contrats, la commission législation et Europe ou encore la commission exercice et déontologie. Ces commissions font des propositions qui sont soumises à la validation du Conseil national de l’Ordre.
30. La coordination entre le Conseil national et les conseils départementaux est assurée par une réunion annuelle des conseils départementaux et régionaux et par l’envoi de circulaires. Selon M. Gilbert Bouteille, président du Conseil national de l’Ordre de juin 2015 à juin 2018 : « Les circulaires sont relativement fréquentes et peuvent traiter de tous les thèmes qui concernent l’activité d’un chirurgien-dentiste ou d’un conseil régional ou départemental ».
31. Le Conseil national envoie également une lettre mensuelle ou bimensuelle à tous les chirurgiens-dentistes. Ces lettres sont consultables sur son site internet.
32. Le conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (ci-après le « CDOCD ») statue sur les inscriptions au tableau. Il peut refuser cette inscription notamment lorsque les engagements contractés par le praticien sont incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de le priver de l’indépendance professionnelle nécessaire (article L. 4113-11 du code de la santé publique).
33. Conformément à l’article L. 4113-9 du code de la santé publique, le CDOCD examine les contrats et avenants transmis par les chirurgiens-dentistes et ayant pour objet l’exercice de leur profession.
34. Les membres du CDOCD sont élus par l’assemblée générale des chirurgiens-dentistes inscrits au tableau (article L. 4123-3 du code de la santé publique).
35. La communication des conseils départementaux vers les chirurgiens-dentistes de leur ressort s’appuie essentiellement sur des circulaires annuelles ou biannuelles, envoyées par courrier.
36. Sont concernés par les pratiques les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.
La Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux
37. La Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux (ci-après, la « FSDL ») est une organisation syndicale représentative au sens de l’article L. 162-33 du code de la sécurité sociale, qui peut, à ce titre, participer aux négociations conventionnelles avec l’assurance maladie. Constituée sous forme d’association, elle regroupe plusieurs syndicats régionaux. L’Association Syndicale des Spécialistes en Orthopédie dento-faciale est également membre de la FSDL
38. Au 23 novembre 2017, elle comptait 2 352 adhérents.
39. Selon son président, M. Solera, la FSDL est « une organisation centralisée : les syndicats régionaux doivent se plier aux décisions du bureau national »
40. La FSDL « défend l’exercice libéral, avec comme principes fondamentaux la liberté thérapeutique pour le praticien, le libre choix du patient, l’entente directe au niveau du paiement et le secret médical ».
41. Elle édite une revue intitulée « Libéral Dentaire », publiée environ 2 fois par an et envoyée aux 40 000 praticiens. Toutes les 3 semaines environ, elle adresse également une newsletter par courriel à environ 20 000 praticiens. Elle dispose d’un site internet et est particulièrement active sur les réseaux sociaux (pages et groupes Facebook, Twitter) et sur le forum professionnel Eugenol, sur lesquels sont systématiquement partagées les rubriques « actualité » et « Edito » du site internet.
La Confédération nationale des syndicats dentaires
42. Créée en 1935, la Confédération nationale des syndicats dentaires (ci-après « CNSD ») est une confédération réunissant 100 syndicats départementaux, qui regroupent eux-mêmes entre 12 000 et 13 000 adhérents, soit environ un tiers des chirurgiens-dentistes libéraux.
43. Premier syndicat lors des élections des Unions régionales des professionnels de santé (URPS) de 2010, la CNSD est arrivée en deuxième position lors des élections du 11 décembre 2015.
44. Selon ses statuts, la CNSD « a pour objet la défense des intérêts matériels et moraux des chirurgiens-dentistes et de la profession ». Elle se présente comme « un syndicat modéré, consensuel », qui « a toujours considéré que les intérêts des chirurgiens-dentistes et des patients [devaient] se rejoindre » et qui a « toujours été signataire des accords conventionnels »
45. En mai 2012, Mme Mojaïsky a été élue présidente de la CNSD. Elle a été réélue en 2015. M. Thierry Soulié lui a succédé en mai 2018.
46. À la date des faits en cause, la CNSD édite la revue hebdomadaire « Le Chirurgien-Dentiste de France », tirée à 14 995 exemplaires en moyenne sur l’année. Elle communique également grâce à « La lettre de la CNSD », envoyée par courriel à toute personne qui en fait la demande, « L’infoflash » et « La lettre aux Présidents », tous deux destinés aux cadres des syndicats départementaux (président, secrétaire et trésorier), à charge pour eux de faire suivre « L’Infoflash » à leurs adhérents. La CNSD dispose enfin d’un site internet et est présente sur Facebook et Twitter. La CNSD est devenue le syndicat les chirurgiens dentistes de France (ci-après « CDF »)
III. LE PRÉCÉDENT CNOCD C/ ADLC ET SANTÉCLAIR
47. Santéclair a saisi en 2005 le Conseil de la concurrence pour dénoncer une campagne de boycott émanant de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes. Dans cette espèce, le CNOCD avait, dans un premier temps, émis un avis favorable, au regard des règles de déontologie, sur le partenariat proposé par Santéclair aux chirurgiens-dentistes. Puis, considérant qu’avaient été commis des manquements aux règles de déontologie dans l’exécution de ces accords de partenariat au regard notamment de l’interdiction de la publicité, il avait par la suite retiré cet avis favorable et, relayé par plusieurs conseils départementaux, avait incité les chirurgiens-dentistes à dénoncer leur partenariat avec Santéclair, sous peine de poursuites disciplinaires.
48. Antérieurement à cette saisine, Santéclair avait formé un recours pour excès de pouvoir contre la décision du CNOCD de retirer l’avis favorable. Par une décision du 25 octobre 2004, le Conseil d’État a déclaré ce recours irrecevable au motif « qu’en application des dispositions combinées des articles L. 4113-9 et L. 4121-2 du code de la santé publique, il appartient aux conseils compétents de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, d’une part, de se faire communiquer les contrats relatifs à l’exercice de leur profession par les chirurgiens-dentistes, d’autre part, de veiller au respect des règles déontologiques, notamment en ce qui concerne les accords conclus entre des praticiens et des organismes intervenant sur le marché de la santé ; que toutefois, l’avis déontologique favorable du 16 septembre 2001, n’entre pas dans le champ de la consultation obligatoire du conseil de l’Ordre et n’emporte, par lui-même, aucune conséquence directe ; qu’il doit être regardé comme une simple réponse à une demande d’information, rendue dans le cadre de la mission générale confiée à l’Ordre par l’article L. 4121-2 du code de la santé publique ; qu’il ne constitue donc pas une décision faisant grief ; qu’il en résulte que la décision du 7 novembre 2002, qui revient sur l’avis du 16 septembre 2001, n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, la requête présentée par la société Santéclair doit être rejetée comme irrecevable ».
49. Par une décision n° 09-D-07 du 12 février 2009, le Conseil de la concurrence a considéré qu’en diffusant une interprétation sciemment inexacte de la portée des avis du CNOCD sur les protocoles proposés aux chirurgiens-dentistes, le Conseil national et des conseils départementaux de l’Ordre (Bas-Rhin, Pyrénées-Orientales, Saône-et-Loire, Var et Vaucluse) devaient, dans les circonstances de l’espèce, être regardés comme ayant invité les chirurgiens-dentistes à évincer Santéclair du marché. En effet, selon le Conseil de la Concurrence, les avis rendus par le CNOCD n’emportaient, en eux-mêmes, aucune conséquence directe et ne liaient pas les instances disciplinaires appelées, le cas échéant, à se prononcer. Ainsi, en faisant pression sur les chirurgiens-dentistes pour qu’ils quittent ou s’abstiennent de rejoindre le réseau Santéclair, les instances ordinales avaient mis en œuvre une pratique assimilable à un appel au boycott, enfreignant ainsi les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.
50. En conséquence, le Conseil de la concurrence a notamment infligé une sanction pécuniaire de 76 000 euros au CNOCD et de 600 euros au CDOCD du Bas-Rhin.
51. La cour d’appel de Paris a rejeté les recours formés par le CNOCD et les CDOCD sanctionnés contre cette décision par un arrêt rendu le 19 janvier 2010, lui-même confirmé par la Cour de cassation (Com., 7 juin 2011, pourvoi n° 10-12.038).
IV. LA PROCÉDURE DEVANT L’AUTORITÉ
52. Par une lettre enregistrée le 6 août 2014, sous le n° 14/0068F, Santéclair a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») d’une plainte dénonçant le comportement de la FSDL et des CDOCD des Bouches du Rhône et de la Dordogne, consistant à menacer les praticiens partenaires de sanctions disciplinaires et les incitant ainsi à résilier leur convention de partenariat, et constitutif selon elle de pratique de boycott de son réseau de santé.
53. Sur autorisation délivrée par une ordonnance du 27 avril 2015 du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris, des opérations de visite et saisie ont été menées dans les locaux du CNOCD, des CDOCD des Bouches-du-Rhône, Haut-Rhin, Isère Dordogne, de la FSDL et du cabinet du docteur Patrick Solera, président de la FSDL.
54. Parallèlement à sa saisine de l’Autorité, Santéclair a assigné la FSDL, devant le tribunal de grande instance de Paris, en réparation du préjudice qu’elle prétendait subir à raison de pratiques de boycott et de concurrence déloyale que cette dernière aurait commises. Par un jugement du 22 octobre 2019, le tribunal a condamné la FSDL à verser à Santéclair 20 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements fautifs consistant, depuis 2013, à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises, au sens de l’article L. 420-1 du code de commerce. Il a également ordonné à la FSDL de cesser ses menaces de poursuites disciplinaires et ses mots d’ordre de boycott, sous astreinte de 15 000 euros par infraction constatée. Enfin, il lui a ordonné de publier le dispositif de ce jugement sur son site internet. Par un arrêt du 8 juin 2022 (RG n° 19/22620, pièce n° 39 de Santéclair), la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement en ce qu’il avait retenu que la FSDL avait mis en œuvre des pratiques de boycott contre Santéclair et l’a infirmé uniquement sur le montant de l’indemnité alloué en réparation du préjudice subi par cette dernière, en le portant à 70 000 euros.
55. Pendant l’instruction de la saisine de Santéclair, l’Autorité a été saisie, le 30 avril 2015, par la CNSD de pratiques mises en œuvre par Santéclair et les chirurgiens-dentistes affiliés à son réseau de soins dans le secteur des soins dentaires. La CNSD reprochait à Santéclair de se livrer à des pratiques de dénigrement, via une entente avec les chirurgiens-dentistes affiliés à son réseau de soins, dans le but de capter la patientèle des chirurgiens-dentistes non affiliés. Estimant que les faits invoqués dans le cadre de la saisine n’étaient pas appuyés d’éléments suffisamment probants pour étayer l’existence de pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité a rejeté cette saisine par une décision du 24 octobre 2016. Le recours formé par la CNSD a été rejeté par la présente Cour par un arrêt du 1er février 2018.
56. Le 15 février 2017, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie dentaire, sous le n° 17/01121F.
57. Les saisines enregistrées sous les n° 14/0068F et 17/01121F ont été jointes par une décision du rapporteur général adjoint du 28 février 2017.
58. L’instruction de ces affaires s’est poursuivie et le 18 décembre 2018, le rapporteur général a notifié deux griefs.
59. Le 1er grief, notifié au CNOCD, à la FSDL et aux CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, leur reproche d’avoir participé à une entente unique, complexe et continue, en mettant en œuvre, du 7 février 2013 jusqu’à la date de la notification de griefs, des pratiques visant à entraver l’activité des réseaux de soins dentaires, et en particulier de Santéclair,, et ayant pour objet et pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés de l’assurance complémentaire santé et des services relevant de la pratique de l’art dentaire, ce qui est prohibé par l’article L. 420-1 du code de commerce et l’article 101, paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »).
60. Cette notification de grief précise, s’agissant des CDOCD des Bouches-du-Rhône, Dordogne, Haut-Rhin et Bas-Rhin, que ces derniers ont participé à l’infraction unique en appliquant et relayant les consignes diffusées par le CNOCD, la FSDL et le CDOCD de l’Isère qui visaient à entraver l’activité des réseaux de soins, mais que l’instruction n’avait pas permis d’établir qu’ils entendaient, par leur comportement, contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’infraction unique et qu’ils avaient connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants ou pouvaient raisonnablement les prévoir. Par conséquent, ils ne seront tenus pour responsables que des seules pratiques auxquelles ils ont participé, et non des pratiques commises par les autres membres de l’entente.
61. Le 2nd grief, notifié à la CNSD, lui reproche d’avoir mis en œuvre, de novembre 2014 jusqu’à la date de la notification des griefs, une entente visant à entraver l’activité des réseaux de soins dentaires, et en particulier de Santéclair, et ayant pour objet et pour effet de de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés de l’assurance complémentaire santé et des services relevant de la pratique de l’art dentaire, ce qui est prohibé par l’article L. 420-1 du code de commerce et l’article 101, paragraphe 1 du TFUE.
62. Aux termes d’un rapport établi le 3 septembre 2019, le rapporteur a répondu aux observations de chacune des parties mises en cause et indiqué maintenir l’ensemble des griefs notifiés.
63. Par la décision attaquée, l’Autorité a retenu que les griefs étaient bien fondés et infligé les sanctions pécuniaires suivantes :
- 3 000 000 euros au CNOCD ;
- 57 000 euros au CDOCD de l’Isère ;
- 23 000 euros au CDOCD des Bouches-du-Rhône ;
- 4 000 euros au CDOCD de Dordogne ;
- 11 000 euros CDOCD du Haut-Rhin ;
- 22 000 euros au CDOCD du Bas-Rhin ;
- 216 000 euros à la FSDL ;
- 680 000 euros au syndicat CDF (ex-CNSD).
64. S’agissant du premier grief, notifié à la FSDL et aux instances ordinales, l’Autorité a retenu que les pratiques, constitutives d’une infraction unique, complexe et continue, ont revêtu plusieurs formes :
– une pratique concertée entre la FSDL, le CNOCD et le CDOCD de l’Isère consistant à organiser et mettre en œuvre une campagne de plaintes contre les adhérents de Santéclair. L’Autorité a considéré que ces organismes avaient, de concert, incité les chirurgiens-dentistes à porter plainte devant les conseils départementaux contre leurs confrères partenaires du réseau de soins Santéclair, afin de contraindre ceux-ci à en sortir.
– de pratiques complémentaires adoptées de manière individuelle par la FSDL, le CNOCD, les CDOCD consistant à mettre en doute et à critiquer la compatibilité de l’adhésion à ces réseaux aux règles déontologiques, voire inciter ou faciliter les praticiens à déposer plainte contre les adhérents à ces réseaux, pratiques constitutives selon l’Autorité de décisions d’association d’entreprises et donc d’entente entre les membres de chacun de ces organismes.
65. Selon la décision attaquée, ces pratiques mises en œuvre conjointement ou individuellement, sont constitutives d’une infraction unique, complexe et continue du 7 février 2013 au 18 décembre 2018.
66. S’agissant du grief n° 2, notifié à la seule CNSD, l’Autorité a retenu que cet organisme professionnel avait mené diverses actions de communications vers les praticiens pour les inciter à refuser ou cesser toute relation contractuelle avec des réseaux de soins et vers les patients pour les dissuader de s’orienter vers des praticiens recommandés par les réseaux de soins.
V. LES RECOURS ENTREPRIS
67. Tous les organismes sanctionnés ont formé un recours en annulation et/ou réformation de la décision attaquée.
68. Aux termes de leurs dernières écritures, ils contestent tous la compétence de l’Autorité pour apprécier les actes, décisions et communications servant de fondement aux griefs notifiés et demandent à la Cour en conséquence d’annuler la décision attaquée.
69. Le syndicat CDF (ex-CNSD) conclut également à l’annulation de la décision attaquée en raison de la violation par l’Autorité du principe d’impartialité au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
70. À titre subsidiaire, tous les demandeurs au recours contestent avoir enfreint l’article 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, et à titre infiniment subsidiaire, demandent à la Cour de réduire la sanction, le syndicat CDF et la FSDL concluant à ce qu’elle n’excède pas, pour chacun, la somme de 10 000 euros.
71. Le CNOCD et les CDOCD invitent la Cour, en tout état de cause, à transmettre à la CJUE les questions préjudicielles suivantes :
• Première question :
L’article 101 TFUE est-il applicable aux réponses apportées par les instances de l’ordre des chirurgiens-dentistes aux plaintes de ses membres relatives à des faits argués d’être constitutifs de violation de règles déontologiques telles l’interdiction de la publicité indirecte, du détournement de patientèle, du compérage ?
• Seconde question :
Par son arrêt Coppens (aff. C-441/11) la Cour de justice de l’Union européenne a jugé qu’une entreprise ayant participé à infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction lorsqu’il est établi que ladite entreprise avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque. Cette grille d’analyse est-elle applicable à des organismes professionnels (ordre professionnel et syndicat professionnel) n’ayant pas d’activité économique propre auxquels il est reproché, pour les uns une interprétation erronée de leur code de déontologie, pour les autres d’avoir invité leurs adhérents à saisir la juridiction disciplinaire de pratiques qu’ils analysaient comme constitutives de publicité indirecte et détournement de patientèle ?
72. et dans tous les cas, d’ordonner à l’Autorité de publier la décision à intervenir sur son site internet ainsi que sur ses comptes Twitter, LinkedIn et Instagram.
73. Le CNOCD demande à la Cour de condamner l’Autorité à lui rembourser le coût des publications ordonnées par la décision attaquée, soit la somme de 148 998,03 euros.
74. Enfin, il est demandé à la Cour de condamner l’Autorité aux entiers dépens et à verser, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :
- 20 000 euros au CNOCD ;
- 3 000 euros à chacun des CDOCD mis en cause,
- 3000 euros à la FSDL.
75. L’Autorité demande à la Cour de rejeter les recours.
76. Santéclair, intervenant volontaire, demande à la Cour de rejeter les recours et de condamner chacun des demandeurs au recours à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
77. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public considèrent que les recours doivent être rejetés.
78. À l’audience, la Cour a autorisé les demandeurs au recours à répondre, par une note en délibéré, aux écritures de Santéclair, déposées le 29 novembre 2022, en dehors du calendrier de procédure qui avait été fixé en application de l’article R. 464-18 du code de commerce. Le CNOCD et les CDOCD ont indiqué à l’audience renoncer à leur demandes, formées par voie de mémoire déposées au greffe le 7 décembre 2023, tendant à titre principal au renvoi de l’affaire et à titre subsidiaire au rejet des dernières conclusions de Santéclair.
MOTIVATION
I. SUR LES PRATIQUES VISÉES PAR LE GRIEF N° 1
A. Sur la compétence de l’Autorité
79. Dans la décision attaquée, après avoir retenu que la jurisprudence administrative considérait avec constance que l’activité des réseaux de soins était conforme aux règles déontologiques applicables aux chirurgiens-dentistes, l’Autorité a relevé que les organismes en cause se sont livrés en l’espèce à une interprétation erronée du code de déontologie en considérant que le principe et les conditions d’exécution des conventions conclues entre des praticiens et des réseaux de soins méconnaissaient les dispositions de ce code, alors qu’aucune circonstance de fait ou de droit ne leur permettait sérieusement de tirer une telle conclusion.
80. L’Autorité en a déduit que les pratiques reprochées ne pouvaient pas s’inscrire dans le cadre des missions syndicales de la FSDL et de la CNSD que sont la défense des intérêts collectifs et individuels de leurs membres, ni de la mission de service public des instances ordinales de veiller au respect des règles déontologiques mais qu’elles constituaient une intervention dans une activité de service en ce qu’elles invitaient les praticiens à adopter un comportement spécifique. S’agissant en particulier de l’organisation par les CDOCD de séances de conciliation à la suite de dépôts de plainte, l’Autorité a retenu qu’elle relevait bien de l’exercice de prérogative de puissance publique, mais que celles-ci avaient été utilisées de manière manifestement inappropriée dès lors qu’elles avaient pour objet de faire pression sur des praticiens pour qu’ils résilient leur adhésion au réseau Santéclair.
1. La compétence de l’Autorité à l’égard des instances ordinales
81. Le CNOCD soutient que seul le juge administratif est compétent pour apprécier la légalité de ses actes et décisions relevant de sa mission de service public, et en particulier de l’exercice de ses fonctions disciplinaires et qu’en l’espèce, l’Autorité a méconnu ces principes en retenant que les pratiques reposaient sur une interprétation erronée des règles déontologiques. Il reproche à l’Autorité d’avoir ainsi fait prévaloir sa propre interprétation des règles déontologiques, se substituant ainsi au juge administratif compétent, pour en déduire qu’il avait agi hors de sa mission de service public alors que la compétence de l’Autorité ne saurait dépendre du bien ou mal fondé des actes des ordres professionnels mais repose exclusivement sur leur rattachement à sa mission de service public. Or, en l’espèce, les comportements reprochés ont été suscités par les nombreuses plaintes dénonçant des pratiques de démarchage téléphoniques de Santéclair auprès de patients pour les inciter à recourir aux praticiens adhérents nommément désignés et pratiquant des tarifs moins élevés, que ces comportements n’ont consisté qu’en des échanges internes entre conseillers ordinaux, sans diffusion générale à destination de l’ensemble de la profession, et qu’ils tendaient au rappel des règles déontologiques et partant, relevaient de sa mission de service public.
82. Il soutient ainsi que c’est dans l’exercice de sa mission qu’il délivre des avis déontologiques, sur leur demande et à titre confidentiel, à des présidents de conseils départementaux, sans aucune diffusion publique ; rédige des lignes directrices à destination des seuls présidents de conseils départementaux chargés du contrôle des contrats, en rappelant certaines dispositions du code de déontologie ; réunit annuellement les conseillers ordinaux et leur propose des ateliers de formation pour faire le point des évolutions de la profession ; se réunit en formation de bureau et reçoit des représentants syndicaux de la profession pour préparer une réponse à une interrogation de la Caisse nationale d’assurance maladie sur un avenant à la Convention.
83. Il souligne que la jurisprudence administrative, invoquée par l’Autorité dans la décision attaquée, est loin d’être aussi univoque qu’elle le prétend à la date des pratiques reprochées. Il ajoute qu’en affirmant que « les organismes en cause n’ont produit aucun élément permettant d’établir qu’à la date de la mise en œuvre de cette pratique, les conventions unissant les praticiens à Santéclair ou leurs modalités d’exécution méconnaissaient les principes d’interdiction du compérage, du détournement ou de la tentative de détournement de clientèle », l’Autorité a inversé la charge de la preuve.
84. Les CDOCD de l’Isère, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin soutiennent qu’ils ne sauraient être tenus responsables des pratiques émanant de l’un de leurs membres qui n’était pas autorisé à agir pour leur compte et qui n’agissait pas dans le cadre de leur fonction ordinale mais agissait uniquement à titre personnel (Dordogne, Haut-Rhin et Bas-Rhin) ou au titre de ses fonctions syndicales (Isère).
85. Tous les CDOCD mis en cause soutiennent que les pratiques reprochées relèvent de l’exercice de leur mission de protection des règles déontologiques de la profession de chirurgien-dentiste en ce qu’elles ont consisté à rappeler aux praticiens certaines de ses règles en réaction aux nombreuses plaintes ou signalement liés au développement des réseaux de soins. Ils soulignent que l’encadrement de ces réseaux par la loi Le Roux ne signifie pas autant que l’exercice de la profession par le biais de ces réseaux est nécessairement conforme aux principes déontologiques gouvernant la profession, et invoquent, sur ce point, des extraits du rapport de l’IGAS de 2017.
86. L’Autorité répond, en premier lieu, qu’elle s’est estimée compétente pour connaître des pratiques du CNOCD au seul motif qu’elles n’étaient pas rattachables à l’exercice de ses missions de service public, lorsque comme en l’espèce, elles ont reposé sur la diffusion d’une interprétation erronée de règles déontologiques conduisant à interférer sur le fonctionnement du marché en cause, de sorte que la détermination de la compétence impliquait nécessairement que l’Autorité apprécie l’interprétation des règles déontologiques retenue par l’Ordre, afin de vérifier si les pratiques qui lui sont reprochées ont été prises, ou non, dans le cadre de ses missions de service public. S’agissant en particulier des pratiques de communication reprochées au CNOCD consistant en la transmission d’un avis déontologique au conseil départemental des Bouches-du-Rhône le 7 février 2013 et, plus largement, à l’envoi d’une circulaire du 7 novembre 2013 intitulée « circulaire protocole » et la tenue d’ateliers de formation à tous les conseils départementaux, elle fait valoir que cette interprétation erronée des règles déontologiques n’a pas été transmise à l’ensemble des praticiens, comme l’indique le CNOCD dans ses écritures, mais a toutefois été adressée à l’ensemble des conseils départementaux chargés de veiller à leur bonne application, ce qui suffit pour considérer que le Conseil national est, ce faisant, sorti du champ de sa mission de service public. Elle invoque sur ce point un arrêt de la Cour de cassation (Cass. Com . 16 mai 2000, pourvoi n° 98-12.612).
87. Elle expose en second lieu, s’agissant des pratiques reprochées aux CDOCD, que celles-ci ne se sont pas inscrites dans le cadre de leur mission de service public, dans la mesure où elles ont reposé sur une interprétation erronée des règles déontologiques applicables aux chirurgiens-dentistes. En effet, à la date de la mise en oeuvre des pratiques litigieuses, aucun élément, et notamment pas les multiples plaintes adressées par certains chirurgiens-dentistes aux CDOCD en cause et certains extraits généraux du rapport de l’IGAS très largement postérieur au début de ces pratiques, ne permettait pas de considérer que Santéclair contrevenait aux règles déontologiques précitées.
88. S’agissant en particulier de pratiques commises par le CDOCD de l’Isère en la personne de M. Barthélémy, elle rappelle que ce dernier était membre de cet organisme pendant toute la période des pratiques, de sorte que ses prises de position relatives à la campagne de plaintes étaient susceptibles d’engager ledit CDOCD sans qu’il soit besoin d’établir qu’il disposait d’un mandat pour représenter ce dernier, en application de la jurisprudence exposée en paragraphes 576 et 577 de la décision attaquée.
89. S’agissant des pratiques commises par le CDOCD de Dordogne en la personne de M. Besse, elle souligne qu’elles reposent sur des courriers collectifs adressés à l’ensemble des praticiens du ressort à partir de l’adresse électronique ordinale de M. Besse et qui mentionnent expressément sa qualité de président, et sur un compte-rendu de réunion de conseils départementaux qui s’est tenue à Nice, rédigé par ce dernier et diffusé dans une circulaire de janvier 2015 constituant l’un des outils de communication institutionnelle du CDOCD.
90. S’agissant des pratiques commises par les CDOCD du Haut-Rhin en la personne M. Danner, membre du CDOCD du Bas-Rhin, elle rappelle que les bulletins de liaisons communs à ces deux CDOCD, dans lesquels ont été publiés les articles critiques de M. Danner, constituent le support d’une partie de leur communication institutionnelle dont ils doivent dès lors assumer ensemble la responsabilité du contenu.
91. Le ministre chargé de l’économie, la société Santéclair et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
92. Selon l’article L. 410-1 du code de commerce, les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence « s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services y compris celles qui sont le fait des personnes publiques ».
93. Si les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d’un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique, et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution ou de services au sens de l’article L. 410-1 du code de commerce, entrant dans son champ d’application, ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité de la concurrence, il en est autrement lorsque ces organismes interviennent par leur décision hors de cette mission ou ne mettent en œuvre aucune prérogative de puissance publique (en ce sens, Cass. Com 1er février 2023, pourvoi n° 20-21.844).
94. En l’espèce, il convient de rappeler que les réseaux de soins tels que ceux développés par Santéclair, le réseau dit « dentaire » depuis 2003 et celui dit « implantologie dentaire » depuis 2012, reposent sur des accords de partenariats signés avec les chirurgiens-dentistes et comportant des engagements réciproques comme notamment la mise en place d’une procédure de tiers-payant, des tarifs de soins plafonnés et une orientation des patients qui en font la demande vers les professionnels de santé membres du réseau.
95. À la date du début des pratiques litigieuses, il est constant qu’aucune instance disciplinaire de la profession de chirurgien-dentiste n’avait jugé ces contrats de partenariat non conformes aux règles et principes déontologiques applicables à cette profession, ni jugé que les usages ou pratiques d’un réseau, en particulier Santéclair, dans l’exécution de ces conventions, conduisait le chirurgien-dentiste affilié à méconnaître ces règles déontologiques.
96. Le Conseil d’État, juridiction de contrôle des instances ordinales de la profession de chirurgien-dentiste et de ses instances disciplinaires, s’était déjà prononcé sur la conformité d’un protocole conclu entre un syndicat professionnel (la CNSD) et un OCAM (Mutuelle générale de l’éducation nationale, MGEN). Ce protocole, qui avait notamment pour objectifs de « garantir l’accès à des traitements dentaires à tous les mutualistes de la MGEN dans le respect du libre choix », d’« améliorer les conditions de remboursement tout en responsabilisant les patients et les praticiens » et d’ « élaborer un barème d’évaluation spécifique à la MGEN en matière de traitement prothétique », comportait des clauses similaires à celles stipulées dans les contrats proposés par Santéclair. Il prévoyait un barème d’évaluation de quatre traitements prothétiques qui faisaient l’objet d’un tarif de référence et des modalités de remboursement améliorées dès lors que le praticien ayant adhéré au protocole ne facturait pas d’honoraires au-delà de la limite de 150 % du tarif de référence. Il stipulait l’engagement de l’OCAM à régler le praticien par délégation de ses adhérents.
97. Saisi d’un recours en annulation d’une délibération du CNOCD ayant décidé d’adresser à tous les chirurgiens-dentistes ayant adhéré à ce protocole, qu’il estimait contraire aux règles déontologiques, une lettre leur enjoignant de résilier cette adhésion, le Conseil d’État, par un arrêt du 4 mai 2000 (req. n° 189657) a annulé cette délibération après avoir jugé que ledit protocole ne méconnaissait pas les principes d’indépendance professionnelle, d’interdiction de tous procédés, directs ou indirects, de publicité, ni d’interdiction de détournement ou tentative de détournement de clientèle.
98. Le Conseil d’État a notamment relevé que « ni l’adhésion à ce protocole, auquel tout chirurgien-dentiste peut librement adhérer, ni aucune stipulation de celui-ci ne sauraient être regardées comme susceptibles de conduire le chirurgien-dentiste à aliéner son indépendance professionnelle au sens de l’article 6 du code de déontologie ; que, de la même façon, la circonstance que l’amélioration du remboursement de certains soins prothétiques liée à l’adhésion au protocole pourrait constituer un élément du choix de leur chirurgien-dentiste par les patients ne saurait être regardée comme constituant un détournement ou une tentative de détournement de clientèle ».
99. Il a également retenu que « si l’article 12 du code de déontologie des chirurgiens-dentistes prévoit que la profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce et que sont notamment interdits tous procédés directs ou indirects de publicité, il est constant que l’établissement et la communication de listes de praticiens ayant adhéré au protocole ne procèdent pas directement dudit protocole, mais relèvent seulement d’un éventuel comportement des parties signataires, qui au demeurant se sont engagées à ne communiquer l’identité des chirurgiens-dentistes adhérents, à titre d’information, qu’aux seuls adhérents de la mutuelle » (souligné par la Cour). Ces derniers motifs, qui constatent certes que la communication des noms des praticiens adhérents ne procède pas directement du protocole, induisent néanmoins qu’une telle communication, faite à titre d’information et limitée aux seuls adhérents de l’OCAM, ne peut constituer un procédé de publicité prohibé.
100. Ainsi, au 7 février 2013, date du début des pratiques reprochées, aucun élément ne permettait aux instances ordinales et syndicales de considérer que l’adhésion librement consentie d’un chirurgien-dentiste à une convention conclue avec un OCAM, par laquelle il s’engage à plafonner ses honoraires et qu’il accepte que son nom soit transmis aux adhérents à cette OCAM, caractérise une violation des règles déontologiques d’indépendance professionnelle, d’interdiction de publicité et de détournement de clientèle. La décision du Conseil d’État précitée, permettait, au contraire, de considérer que de tels engagements sur lesquels reposent les réseaux de soins, n’étaient pas de nature à méconnaître les règles et principes précités.
101. Par ailleurs, la loi Le Roux, du 27 janvier 2014, a expressément validé le principe du plafonnement conventionnel des tarifs des soins dentaires consenti par des praticiens affiliés à un réseau de soins.
102. Enfin, au cours des pratiques litigieuses, la chambre nationale de discipline de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a, en 2016 et 2017, rejeté des plaintes de praticiens mettant en cause des confrères affiliés à Santéclair vers lesquels certains de leurs patients avaient été dirigés après, selon eux, qu’ils se soient vus transmettre spontanément par Santéclair une liste de praticiens pratiquant des tarifs moins élevés pour des soins équivalents et sur laquelle ce confrère figurait, pratiques constitutives selon les plaignants de manquement aux règles de déontologie interdisant l’aliénation de son indépendance professionnelle, le compérage, la publicité et le détournement de clientèle.
103. Dans une première décision du 13 juillet 2016 (cotes 9032 et 9033), relative à la convention intitulée « accord de partenariat réseau implantologie orale » proposée par Santéclair, cette instance disciplinaire a jugé, dans la lignée de la décision du Conseil d’État du 4 février 2000, que « le fait que les tarifs pratiqués par le signataire du contrat et portés à la connaissance des patients bénéficiaires puissent influencer ceux-ci dans leur choix de leur chirurgien-dentiste est le résultat d’une information des patients et ne peut être regardé comme une tentative par ce praticien d’opérer en sa faveur un détournement de clientèle » et que « l’article 3.3 dudit contrat prévoit expressément que les coordonnées des praticiens adhérents au réseau de soins et s’engageant donc notamment à en respecter le grille tarifaire, ne seront communiquées aux patients bénéficiaires comme étant les praticiens adhérents les plus proches d’eux géographiquement que si ces patients en font la demande ; que ce dispositif ne constitue pas une action de publicité mais seulement une information des intéressés pour leur permettre de bénéficier des avantages offerts par le réseau de soins ».
104. Elle a maintenu son analyse dans deux décisions du 16 février 2017 (cotes 9061à 9063, 9071 à 9073) et une troisième le 30 mars 2017 (cotes 9083 à 9085) confirmant le rejet, par l’instance de première instance, de plaintes dénonçant des faits similaires.
105. S’agissant en particulier de la question de la communication spontanée ou non par Santéclair des coordonnées de praticiens pratiquant des tarifs moins élevés, elle a retenu qu’en l’espèce, les coordonnées avaient été transmises à la demande de l’assuré et qu’en tout état de cause, « un agissement contraire ne serait pas le fait du docteur…et contredirait les clauses du contrat signé par lui ». Elle a également retenu que les pratiques de démarchage prêtées à Santéclair ne peuvent en tout état de cause être imputées au praticien adhérent.
106. Contrairement à ce que suggère le CNOCD, la circonstance que ces motifs aient été jugés surabondants par le Conseil d’État, lorsqu’il a statué sur le recours contre cette décision, ne signifie pas qu’ils étaient erronés mais, ainsi que le souligne le rapporteur public dans les conclusions que le CNOCD verse lui-même aux débats, que ces motifs ont été jugés inutiles pour apprécier la conformité du protocole implantologie dentaire de Santéclair aux règles déontologiques invoquées.
107. Il est en outre constant que les pourvois en cassation formés contre deux de ces décisions ont été rejetés par le Conseil d’État (19 décembre 2018, n°403426 ; 1er février 2019, n°410991).
108. L’Autorité s’étant fondée sur l’ensemble de ces décisions pour constater que les instances ordinales s’étaient livrées à une interprétation erronée du code de la déontologie (paragraphes 156 à 163 et 474 à 481), ces dernières ne peuvent lui reprocher d’avoir fait prévaloir sa propre interprétation des règles déontologiques et de s’être substituée au juge administratif compétent, ni d’avoir renversé la charge de la preuve en relevant que les organismes en cause n’apportaient aucun élément permettant d’établir qu’à la date des pratiques en cause, les conventions unissant les praticiens à Santéclair ou leurs modalités d’exécution méconnaissaient les principes d’interdiction du compérage, du détournement ou de la tentative de détournement de clientèle.
109. En outre, contrairement à ce qui est soutenu, les actions reprochées ne consistaient pas en de simples échanges internes entre conseillers ordinaux, sans diffusion générale à destination de l’ensemble de la profession, ni à rappeler des règles déontologiques.
110. En effet, s’agissant de la campagne de plaintes reprochée au CNOCD et au CDOCD de l’Isère, il résulte des éléments recueillis au cours de l’instruction qu’une réunion s’est tenue le 4 septembre 2013 dans les locaux du CNOCD, en présence de son président, M. Christian Couzinou, des conseillers ordinaux et de la FSDL représentée par son président, M. Soléra, et de deux vice-présidents, dont l’un, M. Marc Barthélémy, est également conseiller au CDOCD de l’Isère. Au cours de cette réunion, ont été évoquées « les pratiques de Santéclair qui perdurent » (cote 6808 et 8916), comme en atteste l’ordre du jour détaillé transmis par le président de la FSDL aux membres du syndicat devant participer à cette réunion.
111. L’audition du président de la FSDL (cotes 8916 à 8919) ainsi que le compte rendu de cette réunion rédigé le jour même par ce dernier (cote 6899), saisi au cours de l’instruction, que ne suffisent pas à remettre en cause les deux attestations de membres du CNOCD rédigées six ans plus tard en 2019, établissent que les participants partageaient la même prévention de principe contre Santéclair dont ils considéraient les pratiques comme « anti déontologiques » et constitutives « de pratiques commerciales déloyales » (paragraphe 134 de la décision attaquée) et estimaient que conseiller aux confrères « victimes » de déposer une plainte contre leur confrère adhérent leur semblait « la seule possibilité envisageable puisque Santéclair n’est pas soumis au code de déontologie ».
112. Cette prise de position du CNOCD contre Santéclair et sa volonté de nuire au développement de ce réseau de soin, avait déjà été exprimée dans la réponse apportée le 7 février 2013 à une demande d’avis du CDOCD des Bouches du Rhône, où il a affirmé que le médecin affilié dont le nom a été transmis par Santéclair au patient de l’un de ses confrères, et qui s’est engagé à plafonner ses tarifs, viole l’interdiction de publicité, de détournement de clientèle et d’abaisser ses honoraires dans un but de détournement de clientèle (cotes 4498 à 4499) et a indiqué au CDOCD qu’il lui appartenait soit de mettre en demeure l’intéressé de cesser tout publicité, sous peine de poursuites, soit de porter directement plainte pour les violations précitées.
113. Elle est confirmée ensuite, par un courriel adressé le 8 octobre 2013 par l’un de ses juristes, à la demande de son président, au CDOCD de l’Isère l’informant que « les conseils départementaux peuvent poursuivre disciplinairement les chirurgiens-dentistes ayant signé le contrat Santéclair (…) dont les coordonnées sont transmises à ses assurés Santéclair par Santéclair directement » au motif qu’il s’agit « d’un procédé de publicité prohibé (…) ainsi qu’une tentative de détournement de clientèle (...) » (cote 2570)
114. Par ces « avis déontologiques », le CNOCD ne s’est pas borné à délivrer une simple opinion susceptible de discussion ou de débat sur la conformité des contrats Santéclair au code de déontologie. Il a présenté pour acquis que ces contrats, et partant l’adhésion à ces contrats, caractérisaient des manquements déontologiques, ce qui justifiait l’envoi d’une mise en demeure au praticien adhérent pour qu’il résilie son adhésion et/ou sa convocation préalable à une séance de conciliation destinée à lui expliquer en quoi son appartenance à un réseau était contraire à la déontologie et obtenir qu’il en sorte. Or, ainsi qu’il a déjà été exposé, il n’existait alors aucune décision d’un organe disciplinaire ayant jugé en ce sens. Les décisions invoquées par le CNOCD aux paragraphes 47 à 58 de ses conclusions, qui sont certes des exemples de manquements disciplinaires, ne sont toutefois pas opérantes dès lors qu’elles ne portent pas sur les contrats de partenariat avec des réseaux de soins.
115. Au contraire, la décision du Conseil d’État du 4 mai 2000 précitée devait l’inciter à plus de prudence puisque ce dernier avait jugé que l’adhésion librement consentie d’un chirurgien-dentiste à une convention conclue avec un OCAM, par laquelle il s’engage à plafonner ses honoraires, et accepte, en exécution ou non de cette convention, que son nom soit transmis aux patients adhérents à cette OCAM, ne caractérisait pas une violation des règles déontologiques d’indépendance professionnelle, d’interdiction de publicité et de détournement ou de tentative de détournement de clientèle, et qu’il avait par conséquent annulé la délibération du CNOCD ayant décidé d’adresser à tous les chirurgiens-dentistes ayant adhéré à ce protocole une lettre leur enjoignant de résilier cette adhésion au motif qu’une telle adhésion était contraire aux règles déontologiques précitées.
116. Ce parti pris contre Santéclair s’est traduit par l’organisation d’une campagne visant à inciter les chirurgiens-dentistes à porter plainte contre leursm confrères adhérents à Santéclair, devant le CDOCD compétent, pour permettre l’organisation de séances de conciliation dont l’objectif était d’obtenir la résiliation des conventions les liant à Santéclair, sous la menace de poursuites et de sanctions disciplinaires ainsi qu’il résulte des cotes 3501 à 3504, 3473, 614, 9087, 281, 3519 et 8619 justement analysées aux paragraphes 146 à 148, et 491 à 495 de la décision attaquée.
117. Ce plan d’action est exposé dans un courriel du 8 octobre 2013 adressé par le président de la FSDL aux membres du conseil d’administration du syndicat, courriel qui évoque une conversation préalable avec le président du CNOCD, M. Couzinou :
« Marc Barthelemy ne vous en a pas parlé pour l’instant mais il a eu une idée de génie que je vais raconter. Étant donné que nous ne pouvons pas attaquer SantéClair lorsqu’il renvoie le devis de nos patients avec la mention « les honoraires sont au-dessus de la moyenne régionale constatée. Vous économiserez XXXXX euros en nous contactant au 08…… », Marc a trouvé une faille dans certains courriers car le nom des praticiens partenaires est précisément indiqué.
De ce fait, après en avoir parlé à Christian COUZINOU (qui est remonté comme une pendule contre SantéClair depuis le procès perdu et les 80 000 euros envolés), il serait intéressant que le praticien qui verrait son patient recevoir ce courrier avec les 3 noms portent plainte contre chacun des signataires ou 1 seul au CO départemental dans un premier temps.
De là, une conciliation ordinale sera organisée pour violation des articles suivants du Code de Déontologie (...)
2 possibilités pour le praticien partenaire SantéClair :
- accepter de quitter le réseau et tout est bien qui finit bien
- ne pas accepter de quitter le réseau et de ce fait, il se retrouve convoqué et jugé au Conseil Régional de l’Ordre. S’il perd, il peut faire appel et s’il gagne l’Ordre peut demander de porter l’affaire devant le Conseil d’État pour créer une jurisprudence « SantéClair » c’est à dire qu’ils ne pourront plus communiquer les noms des partenaires sans que le patient ne le demande (c’était ce qui était initialement prévu dans la Charte et que la CNSD a accepté de modifier)
De toutes les façons, le but de la manœuvre n’est pas de se «taper» les confrères qui auraient signé chez SantéClair mais juste leur rappeler que ce n’est pas très confraternel de piquer les patients du voisin et de voir son nom apparaitre sur leurs courriers de tentative de détournement.
Il y a une portée symbolique, car c’est la FSDL qui incite les confrères à se défendre contre les réseaux et c’est l’Ordre qui mène la bataille.
Il faut bien sûr profiter des bons rapports avec Couzinou qui dans ce dossier est sur la même longueur d’onde (il se rattrape de son inaction dans le dossier MGEN). (...) »
118. Cette volonté d’obtenir la résiliation des contrats d’adhésion ressort, outre des pièces précitées, d’un courrier du 7 mars 2014, adressé par le président du CDOCD de l’Isère à son homologue du Rhône, ayant pour objet « Protocoles Mutuelles » et lui présentant les modalités de traitement des premières plaintes reçues : « …Lors des conciliations nous avons fait comprendre la situation à ces confrères qui se sont engagés à résilier leur adhésion à Santéclair. Cependant, nous avons, sur mon intervention, fait un constat de non-conciliation au motif de non transmission du contrat. Ceci pour avoir les mains libres et c’est lors de notre réunion du Conseil qu’il a été décidé de pas les poursuivre considérant que nous avions atteint notre but » (cote 3473).
119. Contrairement à ce que soutient le CDOCD de l’Isère, il résulte des termes de ce courrier que le but poursuivi par ces séances de conciliation était bien la résiliation des contrats d’adhésion et non leur transmission à l’Ordre.
120. Ces éléments sont confortés par le bilan des résultats de conciliation dressé par le président du CDOCD de l’Isère, dans un courriel du 31 mars 2015, en réponse à une interrogation de son homologue de l’Indre : « Pour les praticiens reçus en conciliation pour publicité indirecte illicite, 100 % de réussite avec résiliation du contrat » (cote 3519, paragraphe 155 de la DA).
121. Les éléments exposés aux paragraphes 129 à 136, 149 à 150, et 164 à 175 de la décision attaquée établissent que cette campagne de plainte a été décidée et mise en œuvre de manière concertée par le CNOCD, le CDOCD de l’Isère, et la FSDL : la FSDL « incitant les confères à se défendre contre les réseaux » par la saisine des conseils départementaux de plaintes contre leurs confrères affiliés, l’Ordre « qui mène la bataille », le CNOCD délivrant les argumentaires juridiques utiles à l’organisation des séances de conciliation (cotes 3501 à 3504), et le CDOCD de l’Isère traitant les premières plaintes, et transmettant à d’autres CDOCD le mode de traitement de ces plaintes. Il résulte des éléments décrits aux paragraphe 151 à 155 de la décision attaquée qu’un membre du CDOCD de l’Isère, également membre du conseil d’administration de la FSDL, a déposé la première plainte contre trois chirurgiens-dentistes le 11 octobre 2013, soit trois jours après avoir reçu le courriel du CNOCD exposé au paragraphe 113, que ces plaintes ont donné lieu à l’organisation des séances conciliation exposées au paragraphe 118, le président du CDOCD de l’Isère indiquant à son homologue du Rhône dans le courrier du 7 mars 2014 précité en « avoir informé discrètement la profession, ce qui nous a amené d’autre plaintes que nous avons traitées pareillement ». (cote 3473)
122. La coordination entre le CNOCD, le CDOCD de l’Isère et la FSDL ressort également des échanges de courriels internes au FSDL, au sujet la réaction d’un de ses membres s’étonnant qu’il puisse être reproché à la FSDL de La Réunion d’avoir diffusé une lettre d’actualité appelant à porter plainte en impliquant le CNOCD de la manière suivante :
« La FSDL, en accord avec le Conseil national de l’Ordre, vous soutiendra dans cette action afin de mettre un terme à ces pratiques inadmissibles », M. Barthélémy, vice-président du FSDL et membre du CDOCD de l’Isère, indiquant « il ne comprend rien à la stratégie que nous avons mise en place. Action conjuguée et concertée de la FSDL de l’Ordre national avec des précautions pour ne pas être attaquables » (cotes 2900 et 2901).
123. Elle ressort également des courriels échangés entre M. Barthélémy et M. Couzinou, président du CNOCD, exposés aux paragraphes 169 à 175 de la décision attaquée, que le premier tenait informé le second de la mise en œuvre de la campagne de plainte. Ainsi, dans un courriel du 24 octobre 2013, soit peu de temps après celui du 8 octobre 2013 évoqué au paragraphe 113 du présent arrêt : « nous allons commencer à mettre en cause quelques confrères dans l’Isère, puis dans toutes les régions en déposant plainte devant les conseils de l’ordre départementaux [cela va] remonter au niveau national qui va être interrogé sur la conduite à tenir (…) nous vous tiendrons informés de nos actions et leurs évolutions pour une concertation efficace ».
124. De telles décisions, actions et comportements manifestaient une opposition de principe des instances ordinales en cause aux réseaux de soins qu’elles considéraient comme vecteur de détournement de patientèle au préjudice des chirurgiens-dentistes non affiliés et contre lesquels ils savaient ne pas pouvoir agir directement sur le fondement du code de déontologie.
125. Menées de manière concertée dans le but d’obtenir des chirurgiens-dentistes affiliés un comportement déterminé, à savoir résilier leur contrat de partenariat Santéclair, sous couvert d’un manquement de ce contrat au code de déontologie, alors qu’aucune instance disciplinaire n’avait jugé en ce sens et que le Conseil d’État avait validé les principes de fonctionnement des réseaux que sont l’engagement de modération tarifaire et la transmission à l’assuré des coordonnées des praticiens pratiquant cette modération, ces décisions et actions du CNOCD et du CDOCD de l’Isère ne s’inscrivaient pas dans leur mission de veiller au respect des règles et principes déontologiques gouvernant la profession mais constituaient une intervention sur le marché ayant pour objet d’évincer Santéclair ou, à tout le moins, d’entraver son développement dans le secteur des soins dentaires.
126. S’agissant plus particulièrement du CDOCD de l’Isère, si le respect des règles déontologiques relève de la mission de service public déléguée à l’Ordre et, que dans ce cadre, le CDOCD de l’Isère exerce sa mission en saisissant l’instance disciplinaire, lorsqu’il estime que le comportement d’un chirurgien-dentiste est contraire aux règles et principes déontologiques régissant l’exercice de la profession, ou en diffusant des avis ou circulaires alertant la profession sur des comportements jugés contraires à la déontologie par les instances disciplinaires, il ne peut se réclamer de sa mission lorsque, comme en l’espèce, exprimant son opposition de principe au réseau de soins Santéclair, il participe à une campagne de plaintes contre les chirurgiens-dentistes affiliés à ce réseau en les convoquant à une séance de conciliation dans le seul but d’obtenir la résiliation de leur contrat d’adhésion et donc leur sortie du réseau. En effet, Il est constant que le CDOCD de l’Isère n’a pas saisi la chambre de discipline pour faire juger le caractère anti-déontologique des contrats Santéclair, et ce alors que des procès-verbaux de non-conciliation ont été dressés (paragraphe155 de la décision attaquée, cote 9510). Il résulte en outre des éléments précités que le CDOCD de l’Isère considérait la conciliation comme une réussite lorsqu’elle aboutissait à l’engagement du praticien poursuivi de résilier son adhésion.
127. S’agissant des autres pratiques reprochées au CNOCD, complémentaires à celles déjà exposées, elles ont consisté, en premier lieu, à avoir diffusé sa position contre les réseaux de soins au moyen d’une circulaire dite « Protocoles » datée du 7 novembre 2013 auprès des CDOCD. Ce document, dont l’objet était de servir de grille d’analyse des contrats d’adhésion à un réseau de soins, rappelle certains principes et règles déontologiques énoncés dans le code de la santé publique tout en laissant entendre que ces réseaux y contreviendraient, allant jusqu’à imputer au médecin adhérent des comportements propres du gestionnaire du réseau dans l’exécution de la convention. Ainsi, dans la rubrique intitulée « Concurrence déloyale et détournement de patientèle (article 4127-262 du code de la santé publique) », figurent des recommandations, sans indication de source ou fondement, telles que : « il ne doit pas y avoir de captation de patients d’autres cabinets par le biais du réseau », « il ne doit pas y avoir de différenciation de tarifs entre un chirurgien-dentiste référent et un chirurgien-dentiste adhérent pour un même protocole » ; « si une liste de praticiens signataires est adressée à un patient, il faut qu’il y ait une preuve que ce dernier ait bien fait une demande auprès de sa complémentaire santé en vue d’obtenir les coordonnées de praticiens signataires de ce protocole ». Sous la rubrique intitulée « Indépendance des chirurgiens-dentistes et liberté de prescription », on peut lire : « attention à l’adéquation des tarifs imposés avec la qualité des soins, attention aux laboratoires de prothèse imposés, et aux dispositifs médicaux imposés » ; « un chirurgien-dentiste ne doit pas être limité ou contraint par des considérations économiques et de rentabilité. La seule limite est ce qui est nécessaire à la qualité et à l’efficacité ». Ainsi que l’a à juste titre retenu l’Autorité, ces recommandations remettent en cause les principes et règles de fonctionnement des réseaux de soins puisque ces derniers reposent notamment sur l’engagement du praticien de modérer ses tarifs et sur la transmission de son nom à un assuré, et que l’Ordre considérait, en dépit de la décision du Conseil d’État, comme vecteurs de publicité interdite, de détournement de patientèle ou de perte d’indépendance du praticien.
128. En second lieu, il résulte des constatations faites aux paragraphes 190 à 200 de la décision attaquée, justement analysées par l’Autorité aux paragraphes 506 et suivants, que lors du congrès annuel de l’Ordre des 17 et 18 octobre 2014, un atelier de formation intitulé « Réseaux et loi Le Roux-transmission des plaintes par les conseils départementaux » a été proposé aux conseillers départementaux. Au cours de ces ateliers, des membres du CNOCD ont fait une présentation, sous forme de diaporama, soulignant le caractère potentiellement anti déontologique des contrats de partenariat signés dans le cadre de la loi nouvelle, dont l’objectif poursuivi, selon le CNOCD « ne se limite pas à une amélioration des soins : il s’agit avant tout de faire baisser les prix ».
129. Cette présentation de la loi Le Roux comportait ainsi, outre une critique de cette loi et les actions menées par le CNOCD pour s’opposer à son adoption et sa promulgation, une partie intitulée « les réseaux en pratique » résumant « les difficultés rencontrées » au regard du code de déontologie selon des thèmes similaires à ceux développés dans la circulaire du 7 novembre 2013 tenant à l’indépendance professionnelle, au détournement de clientèle et à l’interdiction de la publicité. A ainsi notamment été mise en exergue la « difficulté » tenant au fait que « certains protocoles exigent des engagements tarifaires de la part de leurs partenaires » (cote 8883), alors même que la loi Le Roux a validé la conclusion de conventions portant sur le niveau des prix et des tarifs, élément central du fonctionnement des réseaux de soins. Au cours du même atelier, ont été rappelés les devoirs et les pouvoirs des conseils départementaux sur le contrôle des contrats conclus par les chirurgiens-dentistes en application de l’article R. 4127-247 du code de la santé publique, ainsi que les modalités de saisine de la chambre disciplinaire de première instance.
130. Ces présentations soulignent la nécessité de « ne pas sortir des attributions de service public ». Il y est indiqué : « L’Ordre peut difficilement agir à l’encontre des organismes complémentaires d’assurance maladie sans sortir de ses attributions de service public. Son action est essentiellement limitée au respect, par ses membres (les chirurgiens-dentistes), de leurs devoirs professionnels (...). En revanche, les chirurgiens-dentistes eux-mêmes, à titre individuel ou par l’intermédiaire de groupements constitués en vue de la défense de leurs intérêts (syndicats par exemple) pourraient agir à l’encontre de ces organismes dont les pratiques déloyales (et peut-être anticoncurrentielles) nuisent à leurs intérêts » (cotes 8894 et 8897).
131. Le compte rendu de cet atelier de formation, diffusé par le CDOCD de Dordogne à ses ressortissants via une circulaire de janvier 2015, indique : « L’Ordre dispose de tout un arsenal répressif pour dissuader les confrères de signer des contrats de réseau avec des mutuelles, qui pourraient entraîner des détournements de clientèle » (cote 8871).
132. Ces actions de communication menées au moyen de la circulaire « Protocoles » et de cet atelier formation à destination des conseils départementaux, loin de se borner à des rappels déontologiques, traduisent l’opposition de principe du CNOCD à l’encontre des réseaux de soins en mettant en cause, sous l’angle déontologique, en dépit de la décision du Conseil d’État puis de la loi Le Roux, leurs éléments constitutifs que sont les engagements de modération tarifaire et la transmission des coordonnées des chirurgiens-dentistes adhérents aux assurés pour inciter les chirurgiens-dentistes à résilier ou refuser un partenariat avec ces réseaux. Elles ne peuvent dès lors être rattachées à la mission de service public de l’Ordre.
133. Véhiculant une interprétation erronée des règles déontologiques, il importe peu que ces documents n’aient été diffusés qu’aux seuls conseillers ordinaux et non à l’ensemble des praticiens, dès lors que précisément, les conseillers ordinaux sont chargés de veiller à la bonne application de ces règles déontologiques.
134. Pour justifier du caractère déontologique de ses actions contre les chirurgiens-dentistes appartenant au réseau Santéclair, le CNOCD ne peut se retrancher derrière les nombreuses plaintes de praticiens que les instances ordinales auraient reçues dès lors que celles-ci mettaient en cause, selon lui, moins le contrat d’adhésion ou l’appartenance à un réseau que les agissements et pratiques de démarchage imputées à Santéclair. En effet, à supposer de tels agissements avérés, le CNOCD n’invoque aucun élément lui permettant de considérer qu’ils étaient autorisés par les contrats d’adhésion, lesquels sont des contrats types. En outre, ces plaintes portaient sur les modalités d’exécution du contrat d’adhésion par Santéclair et non sur des comportements propres aux chirurgiens-dentistes adhérents, si ce n’est le fait d’avoir adhéré au réseau. C’est précisément parce qu’ils savaient ne pas disposer de moyen d’action directe contre les réseaux et en particulier contre Santéclair, que tant le CNOCD que le CDOCD de l’Isère ont choisi d’agir auprès des chirurgiens-dentistes pour obtenir des adhérents la résiliation de leur adhésion et dissuader ceux qui n’était pas encore dans le réseau d’y entrer.
135. S’agissant des autres pratiques reprochées au CDOCD de l’Isère consistant, en premier lieu, à avoir diffusé en 2014 et en 2015 un courrier circulaire aux chirurgiens-dentistes du département leur rappelant leur obligation de transmettre les contrats ayant pour objet leur exercice professionnel, il résulte des constatations faites aux paragraphes 290 à 310 de la décision attaquée que ces courriers ne se bornaient pas à un simple rappel de cette obligation déontologique mais laissaient entendre que les contrats conclus avec les réseaux de soins contreviendraient à certaines règles déontologiques telles que l’interdiction de publicité, de détournement de clientèle et de compérage. Ainsi, le courrier du 19 janvier 2014, après avoir rappelé l’obligation de transmission des contrats sous peine « de poursuites disciplinaires », souligne : « Plusieurs plaintes, déposées par des confères à l’encontre d’autres praticiens pour publicité anticonfraternelle, détournement de patients et compérage, sont en cours d’instruction. Or, nous avons constaté qu’un des contrats qui liaient ceux-ci à des assurances complémentaires ne nous avaient été communiqués. Outre la faute disciplinaire pour non-transmission de ces contrats, notre Conseil de l’Ordre n’a pas pu vérifier leur conformité déontologique ce qui aurait pu éviter des situations conflictuelles » (cote 9491).
136. En outre, il est constant que les contrats de partenariat conclus avec des réseaux de soins sont des contrats types et que celui proposé par Santéclair depuis 2012 était déjà parfaitement connu du CDCD de l’Isère, comme en attestent les propos tenus par son président lors d’une séance de conciliation du 2 décembre 2013, soit avant l’envoi du premier courrier circulaire, propos selon lesquels l’article 3.4 de la convention Santéclair
– qui subordonne la communication des coordonnées des praticiens signataires à une demande de l’assuré – était contraire à la déontologie (paragraphe 308 de la décision attaquée, cote 614). Or, de l’aveu même du conseiller ordinal en charge de contrôler les contrats professionnels, ce n’était pas cette clause qui était en cause mais sa mise en œuvre par Santéclair (paragraphes 303 à 305, cote 9512).
137. Il est tout aussi constant que le CDOCD de l’Isère n’a jamais saisi l’instance disciplinaire pour faire juger ces contrats, et qu’aucune décision d’une instance disciplinaire n’a retenu de manquement déontologique contre un chirurgien-dentiste à raison de son affiliation au réseau Santéclair ou des modalités d’exécution de son contrat d’affiliation par le réseau partenaire.
138. Il se déduit de ces éléments que la diffusion de ce courrier circulaire en 2014, action reconduite en 2015, qui n’avait pour seule finalité que de recenser les chirurgiens-dentistes affiliés à un réseau de soins et leur laisser entendre que par cette affiliation, ils risquaient des poursuites disciplinaires, traduisait ainsi l’opposition du CDOCD de l’Isère à ces réseaux, en particulier à Santéclair, et manifestait sa volonté de faire pression sur les chirurgiens-dentistes affiliés pour les en faire sortir. Une telle action, qui manifeste une prise de position contre les réseaux de soins fondée sur une interprétation erronée de la portée des régles déontologiques, ne peut dès lors se rattacher à la mission de service public de l’Ordre de veiller au respect de la déontologie.
139. Pour les mêmes motifs, la diffusion aux autres CDOCD des actions ainsi menées dans son ressort, dans les conditions et termes décrits aux paragraphes 312 à 314 de la décision attaquée qui ne sont pas contestés, ne peut être rattachée à la mission de veille déontologique du CDOCD de l’Isère, mais avait pour seule finalité d’inciter ses homologues à adopter la même stratégie pour lutter contre les réseaux de soins.
140. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu sa compétence pour apprécier les pratiques de CNOCD et du CDOCD de l’Isère au regard du droit de la concurrence.
141. C’est en vain que la CDOCD de l’Isère soutient que sa responsabilité n’est pas engagée au motif que les pratiques reprochées ont émané de l’un de ses membres, M. Marc Barthélémy, et que ce dernier n’avait agi qu’au titre de ses fonctions syndicales et n’était pas autorisé à agir pour le compte du CDOCD.
142. En effet, en premier lieu, il est constant que le CDOCD de l’Isère comptait, à la date des pratiques litigieuses, trois conseillers ordinaux également membres du conseil d’administration de la FSDL, dont M. Barthélémy (cotes 8999 à 9008). En deuxième lieu, il résulte des constatations figurant aux paragraphes 123 à 175 de la décision attaquée qu’à la suite de la réunion du 4 septembre 2013, à laquelle a assisté M. Barthélémy, le président de la FSDL a adressé, le 8 octobre 2013, un courriel aux membres du conseil d’administration du syndicat, dont M. Barthélémy, pour leur faire part du plan d’action décidé contre Santéclair à la suite des échanges ayant eu lieu avec le CNOCD après la réunion du 4 septembre 2013 et que ce courriel intitulé « Appel à la résistance contre Santéclair » a été transféré par M. Barthélémy à l’adresse institutionnelle du CDOCD de l’Isère. C’est également à cette adresse que le CNOCD a, le même jour, ce 8 octobre 2013, adressé son « avis déontologique » sur les manquements disciplinaires pouvant être reprochés aux chirurgiens-dentistes affilés à un réseau de soins. En troisième lieu, les courriers du CDOCD de l’Isère des 7 mars 2014 et 31 mars 2015, cités aux paragraphes 118 et 120 du présent arrêt, qui exposent les modalités de traitement de plaintes par le biais de convocations à des audiences de conciliation en vue d’obtenir des chirurgiens-dentistes adhérents la résiliation de leur convention en reprenant l’argumentaire contenu dans l’avis du 8 octobre 2013, ont été signés par le président du CDOCD de l’Isère, M. Manoury. En dernier lieu, il est constant que les lettres circulaires citées en paragraphe 135 du présent arrêt portent l’entête du CDOCD et ont été adressés en même temps que les appels à cotisations.
143. Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que contrairement à ce que soutient le CDOCD de l’Isère, M. Barthélémy n’a pas agi de manière isolée dans un cadre exclusivement syndical mais a agi en qualité de conseiller ordinal de concert avec les autres membres du CDOCD, en particulier son président, dont les actions et comportements traduisaient leur intention commune de lutter contre les réseaux de soins.
144. La double fonction ordinale et syndicale de M. Barthélémy, loin d’établir que ses actions n’engageaient que le syndicat, lui a permis au contraire de jouer un rôle essentiel en transmettant les informations relatives à l’élaboration ou à la mise en œuvre de la campagne de plaintes aux différents participants. Ainsi, outre la transmission du courriel du 8 octobre 2013 « Appel à la résistance contre Santéclair » précité, M. Barthelemy a régulièrement informé le président du CNOCD, mais également le CDOCD de l’Isère, des résultats de la campagne de plaintes comme l’établissent les constatations faites aux paragraphes 170 à 175 de la décision attaquée.
145. La circonstance que certaines des plaintes reçues par le CDOCD de l’Isère provenaient de chirurgiens-dentistes affiliés à la FSDL n’est pas de nature à remettre en cause la responsabilité de cet organisme ordinal dans la mise en œuvre de la campagne de plaintes. En effet, pour apprécier la participation du CDOCD à cette campagne, l’Autorité a retenu son comportement dans le traitement des plaintes, seul élément pertinent à prendre en compte, et non l’origine de celles-ci (paragraphes 599 à 600 de la décision attaquée).
146. S’agissant des pratiques reprochées au CDOCD de Dordogne, elles consistent à avoir adressé en 2014 et 2015 des courriers, mailing et circulaires destinés à l’ensemble des chirurgiens-dentistes du département, certains sur le modèle de celui envoyé le 29 janvier 2014 par le CDOCD de l’Isère, qui laissent entendre, ainsi qu’il résulte des constatations faites aux paragraphes 331 à 340 de la décision attaquée, que les réseaux de soins contreviennent aux règles déontologiques applicables aux chirurgiens-dentistes et que la conclusion d’un contrat avec ces réseaux serait passible de sanction disciplinaire.
147. Ces documents, loin de se borner à un rappel déontologique, traduisent l’opposition de ce CDOCD aux réseaux de soins et en particulier aux clauses leur permettant d’orienter le patient vers un membre du réseau, opposition exprimée par son président, M. Besse, qui dans un courriel adressé à tous les praticiens du ressort le 27 février 2014, après diverses considérations liées à l’adoption de la loi « permettant aux mutuelles de créer des réseaux de soins », conclut de la manière suivante : « Enfin, il faut savoir que le fait de signer un contrat avec une mutuelle (dont vous devrez nous transmettre copie) qui prétendra orienter des patients vers un praticien plutôt que vers un autre sera considéré par le Conseil Départemental de l’Ordre comme du détournement de patientèle et donc sanctionné comme tel, dès lors qu’une plainte de confrère nous parviendra en ces termes » (cotes 3612 et 3613). Cette position a été réitérée dans un courriel circulaire du 17 septembre 2014 ayant pour objet « Résiliation convention » (cote 3672 à 3675), puis dans une circulaire de janvier 2015 relayant l’atelier formation du CNOCD précité, dans les termes suivants : « L’Ordre dispose de tout un arsenal répressif pour dissuader les confrères de signer des contrats de réseaux avec des mutuelles qui pourraient entraîner des détournements de clientèle. Nous n’hésiterons pas à nous en servir lorsque le cas se présentera mais vu la pusillanimité de nos confrères des autres Conseils départementaux, nous risquons de nous retrouver bien seuls si cela se produit… » (cote 8871), ou encore dans des courriers individuels adressés à des chirurgiens-dentistes membres d’un réseau de soins : « À toutes fins utiles, nous tenons à vous préciser que tout détournement de patientèle consécutif, entre autres, à l’adhésion à un réseau de soins entrainerait une plainte du Conseil Départemental de l’Ordre contre le praticien avec les risques que cela comporte conformément à l’article R. 4127-262 du code de la santé publique » (cotes 3714 et 3709). Mme Costa, actuelle présidente du CDOCD de Dordogne, et M. Besse, ont précisé que « ce courrier est celui qui est envoyé lorsqu’un praticien nous transmet un contrat-protocole » et qu’il leur « semble utile, à l’occasion de cet accusé de réception, de leur rappeler les règles déontologiques concernant les protocoles » (cote 8735).
148. De telles actions manifestaient l’opposition du CDOCD de Dordogne à l’encontre des réseaux de soins et en particulier à l’un des éléments sur lesquels ils reposent, la transmission au patient des coordonnées des membres du réseau, que le CDOCD a présenté auprès des praticiens du département, comme vecteur de détournement de clientèle et passible de sanction disciplinaire et ce, alors que comme il a déjà été exposé, aucune instance disciplinaire n’avait jugé en ce sens et que le Conseil d’État avait considéré qu’une telle communication ne constituait pas un manquement disciplinaire. Ainsi que l’a justement retenu l’Autorité au paragraphe 518 de la décision attaquée, les courriers individuels précités, eu égard au contexte et aux termes particulièrement prescriptifs employés, traduisent l’application de prises de position ordinales et syndicales contre les réseaux de soins.
149. Tous ces envois, qu’ils soient collectifs ou individuels, n’avaient donc pas pour but d’alerter les praticiens signataires d’un contrat sur les risques d’incompatibilité avec certains principes déontologiques que peuvent comporter certains protocoles, mais de les inciter à résilier leur adhésion en avançant leur caractère anti-déontologique et menaçant les affiliés de sanction disciplinaire.
150. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu que de telles actions ne relevaient pas de la mission de service public du CDOCD de Dordogne et qu’elle était compétente pour en connaître.
151. Ce dernier ne peut sérieusement soutenir que les actions de M. Besse ne peuvent engager que sa seule responsabilité personnelle. En effet, ce dernier a adressé les deux courriels des 27 février et 17 septembre 2014 à partir de l’adresse du CDOCD, en mentionnant expressément sa qualité de président. La circonstance que le président du CNOCD lui ait, dans un courrier adressé le 6 mars, indiqué qu’il ne souscrivait pas à ses prises de position contenues dans le courriel du 27 février 2014, n’est pas de nature à remettre en cause le fait que ce courriel du 27 février et celui du 17 septembre 2014 ont bien été adressés par le président du CDOCD de Dordogne, agissant en cette qualité.
152. La circulaire de janvier 2015, à entête du CDOCD de Dordogne et dont il n’est pas contesté qu’elle constitue un mode habituel de sa communication institutionnelle, présentait, au même titre que d’autres informations générales sur la profession, un compte rendu de la réunion des conseils départementaux lors du congrès organisé par le CNOCD en septembre 2014. Ce compte rendu fait état des différentes interventions et ateliers au cours de ce congrès, dont l’atelier formation précité (cote 8871). Cette circulaire ne comportait aucun article signé, à l’exception d’un éditorial signé de M. Besse en sa qualité de président du CDOCD, expressément mentionné. Le CDOCD ne peut donc sérieusement soutenir que ce compte rendu n’exprimait qu’une prise de position personnelle de M. Besse.
153. S’agissant des pratiques reprochées au CDOCD des Bouches du Rhône, décrites aux paragraphes 115 à 122 de la décision attaquée, elle consiste, en premier lieu, à avoir mis en demeure, le 12 mars 2013 – dans la lignée de « l’avis déontologique » du CNOCD du 7 février 2013 exposé au paragraphe 112 en reprenant mot pour mot les paragraphes de cet avis qui identifient les violations du code de la santé publique, – un praticien adhérent au réseau Santéclair « de cesser toute publicité et de vous mettre en conformité avec les textes qui nous régissent dans un délai de trois semaines. Vous devrez nous en fournir les preuves. Passé la date du 03 Avril 2013, le Conseil Départemental se réserve de porter plainte à votre encontre à la Chambre Disciplinaire de Première Instance » (cotes 4638 et 4640). Une mise en demeure similaire a été adressée à un autre praticien du ressort le 6 mars 2014 (cotes 4831 et 4832). Le 14 avril 2014, des courriers individuels ont été adressés à cinq chirurgiens-dentistes, dont l’appartenance à un réseau avait été portée à la connaissance de l’Ordre, pour les mettre en demeure de communiquer leur contrat de partenariat et laissant entendre que l’adhésion à un réseau était susceptible de poursuites pour publicité interdite, compérage et détournement de clientèles (cotes 4580 à 4589).
154. En second lieu, la pratique reprochée a consisté à avoir diffusé dans une circulaire du 24 juin 2013, un article intitulé « Partenariats anti déontologiques » rédigé de la manière suivante :
« Certains réseaux de soins établissent des partenariats avec des Chirurgiens-Dentistes. Les patients qui transmettent leur devis à ces organismes reçoivent après « analyse » le ou les noms des praticiens-partenaires qui appliquent des tarifs « plus avantageux » (l’histoire n’explique pas comment ces confrères parviennent à comprimer leurs frais pour aboutir à ces résultats attractifs).
L’Ordre qui a pour mission le respect du Code de la Santé Publique constate dans certains cas, comme la plupart des confrères choqués par ces procédés, l’infraction aux Articles R. 4127-215, R. 4127-262, R. 4127-240, R. 4127-225, R. 4127-234 (et L. 4113-9 du Code de la Santé Publique quand les contrats ne nous ont pas été communiqués).
En effet, le praticien-partenaire peut bénéficier de procédés directs ou indirects de publicité et de détournement de patientèle. Il peut être amené à abaisser ses honoraires pour y parvenir et à faire de la publicité pour la firme qui l’utilise. Tout ceci peut s’assimiler à une pratique de l’Art dentaire comme un commerce.
Enfin, le principe du libre choix du praticien peut être violé.
C’est pourquoi une lettre leur est envoyée lorsque nous connaissons leur identité, afin qu’ils reviennent aux respects des textes qui nous régissent. En cas de refus leur dossier sera transmis à la juridiction professionnelle ». (Cote 4603)
155. Cet article, à destination de l’ensemble des chirurgiens-dentistes du ressort prend parti sur le caractère anti déontologique d’un contrat de partenariat avec un réseau de soin en mettant en cause ses éléments principaux que sont l’engagement d’un plafonnement tarifaire et la communication à l’assuré des coordonnées de praticiens affiliés, et en menaçant les adhérents à ces réseaux de sanction disciplinaire. Or, ainsi qu’il a été déjà été dit, aucune instance disciplinaire n’avait jugé en ce sens, et l’arrêt du Conseil d’État du 4 mai 2000 s’était déjà prononcé en faveur de ces clauses caractéristiques d’un réseau de soin.
156. Il traduit donc une prise de position ordinale contre les réseaux de soins, qui a été appliquée par l’envoi de la première mise en demeure précitée, quelques jours plus tôt, et avait pour finalité d’inciter le praticien affilié à résilier son adhésion en lui laissant croire que celle-ci contrevenait aux dispositions du code de la santé publique. La Cour relève que l’intéressé a mis fin à son partenariat avec Santéclair le 14 mai 2013 en raison, selon les termes mêmes de la lettre de résiliation, « des motifs invoqués par le Conseil de l’Ordre départemental des Bouches du Rhône, dont vous trouverez une copie ci-jointe » (cote 4496).
157. C’est donc à juste titre que l’Autorité a considéré que ces actions ne s’inscrivaient pas dans la mission de l’Ordre et a retenu sa compétence.
158. S’agissant enfin des pratiques reprochées au CDOCD du Haut-Rhin et à celui du Bas-Rhin, décrites aux paragraphes 348 à 363, elles consistent, en premier lieu, pour le premier, d’avoir adressé une première circulaire dite « hiver 2013-2014 », qui ne se borne pas à rappeler l’obligation de transmission des contrats relatifs à l’exercice professionnelle, mais laisse entendre que les contrats de partenariat signés avec des OCAM placent les chirurgiens-dentistes signataires en contravention avec le code de la santé publique et qu’ils sont susceptibles d’encourir des sanctions disciplinaires. Ainsi, cette circulaire comporte un encadré dédié à la signature des protocoles avec les réseaux de soins intitulé « VOUS AVEZ SIGNÉ UN PROTOCOLE ? », indique que le conseil de l’ordre « ne peut laisser s’installer des pratiques concurrentielles déloyales.», énumère neuf pratiques prohibées, parmi lesquelles figurent notamment « Le détournement de patientèle », « L’abaissement de tarifs dans le but de détourner la patientèle », « La pratique de notre profession comme un commerce » et « L’adéquation des tarifs imposés avec la qualité des soins ». Elle poursuit en indiquant : « Cette liste loin d’être exhaustive, qui entache l’indépendance du praticien, peut se superposer à des données contractuelles transcrites dans des conventions ou protocoles. (...) Aussi, le Conseil de l’ordre des Chirurgiens Dentistes du Haut-Rhin a décidé d’appliquer pleinement le dernier alinéa de l’article L. 4113-9 du code de la santé publique : « Les dispositions contractuelles incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les contractants de leur indépendance professionnelle les rendent passibles des sanctions disciplinaires prévues à l’article L. 4124-6 » Conformément à ces articles, le Conseil vous invite à nous transmettre dans un délai d’un mois, les contrats et protocoles vous liant professionnellement » (cotes 8568 et 8571).
159. Une seconde circulaire dite « hiver 2014-2015 », datée de janvier 2015, débute par un éditorial de la présidente du CDOCD dans lequel elle prend expressément position contre les réseaux de soins. Ainsi, après avoir après avoir évoqué les « évènements récents et à venir qui bousculent toute notre profession », elle écrit : « Alors comment défendre notre exercice libéral ? À titre individuel, signer un protocole avec un réseau de soins c’est indéniablement mettre le doigt dans l’engrenage de la soumission aux groupes financiers et leurs assureurs. C’est aussi pratiquer un détournement de patientèle devenu « légal » » (cote 8572, soulignement ajouté par la Cour)
160. Quant au CDOCD du Bas-Rhin, il lui est reproché d’avoir diffusé une circulaire dans laquelle il a, lui aussi, expressément pris position contre les réseaux de soins (cote 10131) en y publiant un article intitulé « À propos du... tact & mesure » qui débute par :
« Notre code de déontologie nous impose de déterminer nos honoraires avec tact et mesure envers nos patients, mais pourquoi pas envers les Confrères aussi ! En effet, certains d’entre nous, ne s’égarent-ils pas de cette notion en abaissant leurs honoraires prothétiques dans le cadre d’un partenariat avec une compagnie d’assurances assurant la couverture santé de ses assurés ? ». Puis, après avoir présenté ces partenariats comme obéissant « à une seule logique mercantile » dont le succès est assuré par l’intervention de sociétés de conseils aux assurés « qui ne sont pas tenues au respect de notre code de déontologie » et qui peuvent de ce fait agir « comme de véritables rabatteurs de patientèle », l’article conclut : « Les confrères partenaires des compagnies d’assurances sont donc les bénéficiaires certains d’un détournement de patientèle et en ayant connaissance des agissements des sociétés de conseils aux assurés deviennent complices de détournement de patientèle. Nos confrères partenaires d’un réseau peuvent-ils alors s’enorgueillir de respecter notre code de déontologie ? On pourrait en douter et le CDO saisira la CDP [chambre disciplinaire de première instance] contre les praticiens indélicats pour tous détournements de patientèle avéré ».
161. Ce CDOCD a accompagné cette mise en garde de deux autres articles qui ne soulignent plus les risques déontologiques mais mettent en exergue les risques économiques d’une adhésion aux réseaux de soins.
162. Le premier article intitulé « La stratégie gagnante d’un réseau de soins partenarial ou comment exploiter les chirurgiens-dentistes ! » expose que la démarche du réseau de soins consiste « par apport d’assuré(e)s du réseau de soins, [à] booster le chiffre d’affaires du cabinet dentaire partenaire de 30 % ou plus grâce à la prise en charge de soins prothétiques nombreux », puis « une fois atteint ce seuil, renégocier la grille tarifaire à la baisse avec le praticien ». Il se conclut par : « Les grands gagnants à ce jeu-là semblent être les réseaux de soins partenariaux et les grands perdants, les chirurgiens-dentistes signataires d’une convention avec un réseau partenarial. Un homme ou une femme averti(e) en vaut deux, à vous de choisir » (cotes 10131 et 10132).
163. Le second article résume, à partir du témoignage d’une consœur espagnole, la situation en Espagne où « En 15 ans seulement, suite à l’ouverture de 9 facultés privées (non soumises au numerus clausus) et la mainmise des cabinets dentaires par les assurances et les mutuelles, les cabinets dentaires espagnols sont passés d’un système de soins qui était comparable au nôtre, à un véritable cauchemar pour la profession et pour les patients ». Il se termine lui aussi par une mise en garde : « En vous faisant partager ce témoignage, je souhaitais vous rendre attentif à l’expérience vécue par notre consœur, qui doit nous inciter à être très vigilants. Restons sur nos gardes » (cote 10132).
164. Enfin, les CDOCD du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont diffusé deux bulletins de liaison communs, l’un au cours de l’été 2014, l’autre au cours de l’été 2015, qui tous les deux traduisent l’opposition de ces instances ordinales aux réseaux de soins comme étant vecteurs de comportements contraires à la déontologie. Ainsi, on peut lire dans le premier bulletin, un article intitulé « Loi le Roux », signé de B.L. c’est-à-dire Benoît Loth, vice-président du CDOCD du Bas-Rhin :
« Si la Loi Leroux est passée, au grand dam de la profession, elle entérine bon nombre de protocoles individuels, déjà existants, proposés aux Chirurgiens-Dentistes par les mutuelles et les assurances complémentaires. Les signataires de ces protocoles, comme tous Chirurgiens-Dentistes, sont tenus de respecter les dispositions du code de la santé publique.
Sont toujours interdits, le détournement de patientèle, la publicité et le « dumping » sur les honoraires lors d’une consultation ou de soins chez les patients adhérents à ces réseaux.
De plus soyez vigilants, sur les sites internet de ces mutuelles, pour qu’aucun signe distinctif ne mette en évidence votre nom d’une façon qui pourrait être apparentée à de la publicité.
Enfin, n’oubliez pas que tous les protocoles signés doivent être transmis à votre Conseil Départemental de l’Ordre. » (Cote 8600)
165. Quant au second, il comporte un article signé de M.C, c’est-à-dire Marc Denner, membre du CDOCD du Bas-Rhin, et rédigé de la manière suivante :
« Et si demain nous vivions sans réseau de soins... Les patients posséderaient :
• le libre choix du praticien
• la liberté du choix de leur traitement
• un remboursement identique à prime constante
Cette liberté, cette égalité ne sont malheureusement pas accordées aux patients ayant souscrit un contrat santé responsable inféodé à un réseau de soins.
Les praticiens de l’art dentaire, adhérents à ces réseaux de soins, perdent également leur indépendance professionnelle en acceptant de diminuer leurs honoraires prothétiques, pratiqués habituellement, pour les assurés sociétaires des compagnies d’assurances vantant les mérites de leur contrat santé partenarial. Ils contreviennent de ce fait à l’article R. 4127-209 du code de la santé publique qui stipule que le Chirurgien-Dentiste ne peut aliéner son indépendance professionnelle de quelque façon et sous quelque forme que ce soit.
À méditer... » (cote 8604)
166. En diffusant ces prises de position contre les réseaux de soins, se prévalant à la fois de considérations économiques et des considérations déontologiques ne s’appuyant sur aucun précédent disciplinaire, et en menaçant les adhérents à un réseau de sanction disciplinaire, ces instances ordinales sont sorties de leur mission de service public en intervenant sur le marché pour nuire au développement de ces réseaux.
167. C’est donc à juste titre que l’Autorité s’est déclarée compétente pour en connaître.
168. Le CDOCD du Haut-Rhin n’est pas fondé à soutenir qu’il ne saurait être engagé par l’article rédigé par M. Marc Danner, membre du conseil départemental du Bas-Rhin, dans le bulletin de liaison commun de l’été 2015. En effet, c’est bien en qualité de membre du CDOCD du Bas-Rhin que ce dernier a rédigé l’article destiné à être publié dans une communication institutionnelle. Par ailleurs, en décidant d’opter pour ce type de diffusion commune, les CDOCD du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont choisi d’assumer ensemble la responsabilité des articles publiés. Pour le même motif, le CDOCD du Haut-Rhin n’est pas plus fondé à soutenir que l’article rédigé par M. Marc Danner était uniquement susceptible d’engager sa responsabilité personnelle et que de surcroît, en choisissant de publier cet article dans un document dédié à la communication institutionnelle, ce conseil départemental, responsable de la ligne éditoriale du bulletin de liaison au même titre que le conseil département du Bas-Rhin, devait être regardé comme ayant souscrit au contenu de ce document.
169. Les moyens, pris de l’incompétence de l’Autorité à l’égard des instances ordinales, sont rejetés.
2. Sur la compétence de l’Autorité à l’égard de la FSDL
170. Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu sa compétence au motif que la participation de la FSDL à la campagne de plaintes organisée avec le CNOCD et le CDOCD de l’Isère traduit une intervention sur le marché et non l’exercice de la seule défense des intérêts des chirurgiens-dentistes qui y adhèrent (paragraphe 499).
171. Elle a constaté que les autres pratiques reprochées (paragraphes 519 et 520) consistaient, d’une part, en des actions de communication offensive contre les réseaux de soins et, plus particulièrement Santéclair (diffusion anonyme d’une présentation de Santéclair comme violant la déontologie et la confraternité; diffusion du témoignage d’un praticien ayant quitté le réseau et appelant ses confrères à faire de même ; diffusion d’un PowerPoint avec une lettre-type de plainte, constatations des paragraphes 202 à 248) et, d’autre part, en la mise en œuvre d’une campagne de plaintes similaire à celle développée avec le CNOCD et le CDOCD de l’Isère contre Santéclair à l’encontre des réseaux Itélis et Kalivia (constatations des paragraphes 259 à 263 et 284 à 289), outre plusieurs actions pour lutter contre l’émergence d’un réseau de soins développé par le Crédit Mutuel, notamment en menaçant l’un des futurs partenaires de ce réseau (constatations des paragraphes 264 à 283).
172. Elle a considéré que l’ensemble de ces pratiques ne pouvaient pas être regardées comme s’inscrivant dans le cadre de la mission de la FSDL de défendre les intérêts collectifs et individuels de ces membres mais qu’elles constituaient des interventions sur un marché et ressortent de la compétence de l’Autorité (paragraphe 519).
173. Elle a également retenu sa compétence pour le soutien apporté à ses adhérents et l’établissement d’une liste des partenaires adhérents à Santéclair, pratiques décrites aux paragraphes 249 à 258 et qui s’inscrivent dans le cadre de celles mises en œuvre contre les réseaux de soins décrites au paragraphe 519.
174. La FSDL soutient que les pratiques reprochées ne sauraient être considérées comme une intervention sur le marché, dans la mesure où elle n’a pas agi de sa propre initiative, mais a fait suite à de nombreuses plaintes soulevées par ses adhérents et qu’en sa qualité de syndicat, il lui appartenait de répondre aux sollicitations de ses membres et de les assister tant dans la recherche d’une solution que dans sa mise en œuvre. Elle fait valoir qu’elle n’a adressé ni « mise en garde » ni « consigne » à ses membres, mais a proposé aux praticiens qui le souhaitaient des éléments de réponse et de défense à des pratiques qui apparaissaient légitimement contraires à la déontologie de la profession de chirurgien-dentiste. Elle ajoute qu’il ressort des échanges en cause que la résiliation des partenariats n’est présentée que comme une modalité parmi d’autres de faire cesser des agissements illicites, ou comme un simple constat, la « réussite » visée dans les pièces mises en exergue par Santéclair faisant uniquement référence à la réussite de la procédure de conciliation, c’est-à-dire le fait que les parties arrivent à un accord, quel qu’il soit.
175. Elle fait valoir, à titre subsidiaire, que si la Cour retenait la compétence de l’Autorité pour connaître de certains faits reprochés à la FSDL, elle se devrait d’écarter certaines « pratiques complémentaires » qui lui sont reprochées consistant en des actions de soutien au profit des praticiens qui s’estimaient victimes de détournement de clientèle (messages aux adhérents pour leur assurer de son soutien ou encore « l’offre d’une aide matérielle aux plaignants potentiels »). Elle soutient que les activités de soutien à ses membres constituent simplement la défense des intérêts des chirurgiens-dentistes adhérents, et s’inscrivent donc pleinement dans l’exercice de missions syndicales traditionnelles. En effet, les activités de soutien ne constituent qu’une fonction de support des adhérents, et ne sauraient à ce titre être considérées comme une intervention sur le marché.
176. L’Autorité soutient que les pratiques reprochées à la FSDL constituaient de véritables interventions sur le marché, dans la mesure où elles ont incité les chirurgiens-dentistes à adopter un comportement donné sur le marché sur lequel ils opéraient. La circonstance, avancée par le syndicat, qu’il n’aurait pas agi de sa propre initiative mais à la suite de plaintes reçues par ses adhérents n’est pas de nature à remettre en cause cette appréciation, les plaintes alléguées ne l’autorisant pas à adopter un comportement invasif sur le marché.
177. Elle ajoute que c’est à bon droit qu’elle a retenu sa compétence pour connaître des pratiques complémentaires de soutien apporté aux adhérents dès lors que cet appui s’est inscrit dans le cadre des pratiques mises en œuvre contre les réseaux de soins et que, ces pratiques accessoires ne pouvaient donc, comme les pratiques principales auxquelles elles étaient rattachées, être regardées comme une simple manifestation de la défense des intérêts des chirurgiens-dentistes, mais constituaient également une intervention sur le marché.
178. Le ministre chargé de l’économie, Santéclair et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
179. En premier lieu, les constatations faites aux paragraphes 137 à 148 de la décision attaquée établissent que la FSDL a mis en œuvre la campagne de plaintes décidée de concert avec le CDOCD de l’Isère et le CNOCD en diffusant, le 7 octobre 2013, une newsletter intitulée « APPEL À LA RÉSISTANCE CONTRE SANTÉCLAIR », aux inscrits à la liste de diffusion de la FSDL Midi-Pyrénées, newsletter qui a été utilisée dans d’autres régions comme La Réunion, et relayée par les réseaux sociaux. Il y est fait appel aux chirurgiens-dentistes « dont les patients ont reçu une lettre via SantéClair en réponse à leur demande de renseignement sur leur devis » pour qu’ils portent plainte auprès du conseil départemental de l’ordre, pour « détournement de patientèle, compérage et publicité interdite par le Code de Déontologie » contre les chirurgiens-dentistes dont le nom « est donné au patient pour que celui [-ci] se détourne de son chirurgien habituel ».
180. L’appel à porter plainte a été relayé par la FSDL de Rhône-Alpes dans sa lettre aux adhérents, mise en ligne sur le site internet de la FSDL nationale. On y relève un encart intitulé « détournement de patients » qui, après avoir repris dans le détail les pratiques reprochées à Santéclair, indique :
« Il faut que ces pratiques cessent. Nous devons réagir :
- demandez un courrier de témoignage à votre patient
- portez plainte contre ces praticiens auprès de votre Conseil départemental de l’Ordre.
- cela permettra au CDO d’exiger la communication du contrat qui les lie à Santéclair
- le CDO doit organiser une séance de conciliation où vous exprimerez votre ressentiment.
- vous demanderez que ces praticiens dénoncent leur adhésion à Santéclair.
- en cas de refus il n’y aura pas de conciliation et ils seront convoqués au tribunal régional de l’Ordre ».
181. La volonté de la FSDL d’obtenir la résiliation des contrats de partenariat signés avec Santéclair, clairement exprimée dans cet encart, est confortée par un autre document intitulé « conduite à tenir en cas de détournement manifeste d’un patient par un réseau de soins type Santéclair » mis en ligne sur le site de la FSDL, qui indique « Lors de la conciliation avec les chirurgiens-dentistes partenaires, il faut demander à ce que ces praticiens s’assurent auprès du réseau auquel ils ont adhéré que plus aucune publicité ne soit diffusée. Le mieux pour cela est que ces praticiens résilient leur partenariat. Dans le cas contraire, un PV de non conciliation peut être signé et un juge administratif aura à se prononcer sur d’éventuelles sanctions lors d’une plainte redirigée en chambre disciplinaire régionale. Un avocat sera désigné pour défendre l’adhérent FSDL. » (cote 9087), et qui était encore accessible sur le site de la FSDL le 11 janvier 2018.
182. Enfin, dans l’ « Édito » du 14 avril 2014 consacré aux « réseaux de soins commerciaux » qui, comme chaque édito, a été partagé sur les réseaux sociaux, la FSDL a présenté le bilan de son action en affirmant que : « Depuis le début de l’année, une trentaine de plaintes ont été traitées lors de conciliations ordinales entre nos adhérents lésés et les partenaires de ce réseau. Ces conciliations aboutissent dans 90 % des cas à la résiliation du contrat car la plupart du temps, le Chirurgien-dentiste partenaire apprend que cette publicité (courrier envoyé aux patients avec 3 noms de praticiens) est faite à son insu et ce dernier ne peut raisonnablement cautionner de telles pratiques qui vont à l’encontre du Code de Déontologie » (cote 281).
183. En second lieu, la FSDL a mis en œuvre des pratiques complémentaires à la campagne de plaintes consistant en des actions de communication offensives contre Santéclair, dénonçant ses règles de fonctionnement et appelant les praticiens adhérents à sortir de ce réseau et les autres à ne pas y entrer.
184. Ces actions ont reposé notamment, ainsi qu’il résulte des constatations faites aux paragraphes 202 à 228 de la décision attaquée, sur la diffusion sur les réseaux sociaux (Facebook, forum Eugnenol), le 28 janvier 2014, d’un dossier intitulé « Analyse des conséquences de la création des soins tels que Santéclair » (cote 93 à 98) qui, en réaction à l’adoption de la Loi Le Roux accuse, d’un côté, les chirurgiens-dentistes adhérents de pratiquer des honoraires très en dessous du marché afin de bénéficier des pratiques de « rabattage de clientèle fait par la société Santéclair » et d’attendre du réseau « une publicité active et ciblée », comportement présenté comme du compérage contraire à la déontologie et à la confraternité qui « doit être condamné par les instances ordinales », et de l’autre, Santéclair de mener une stratégie pour, à terme, placer la profession dans un état de dépendance économique « avec la complicité de praticiens qui souhaitent bénéficier de détournement de clientèle » pour conclure « Il n’y a que la prise de conscience des enjeux par tous les confrères pour faire barrage à cette dérive des réseaux. (...) Sans praticien adhérent il n’y a pas de réseau ». (souligné par la Cour)
185. Elles ont également consisté à publier, en juin 2014, dans la revue de la FSDL « Libéral Dentaire », un article reprenant des extraits du témoignage d’un chirurgien-dentiste sur le discours « commercial » de Santéclair dont il dénonce le caractère anti-déontologique pour conclure en appelant à la mobilisation des praticiens contre ce réseau de la manière suivante : « Je comprends que certains confrères portent plainte à l’Ordre départemental des chirurgiens-dentistes pour détournement de patientèle, pour compérage et pour pratique de l’art dentaire comme un commerce. (...) Oui, personnellement, je suis content d’avoir vu de l’intérieur comment cela se déroule et tout aussi content de les avoir quitté ! Alors maintenant VOUS qui êtes membre du réseau, faites comme moi, réfléchissez sur le bienfondé d’y rester !!! Et VOUS, mes chers confrères, Santéclair vous proposera un jour ou l’autre de vous enrôler avec eux, j’espère alors que les lignes qui précèdent vous aideront à prendre une décision réfléchie » (cotes 687 à 689). Les critiques sont reprises dans l’interview de ce chirurgien-dentiste publiée dans l’édition de cette revue de juin 2014 (cote 8681).
186. Deux autres articles, publiés dans cette même revue en octobre 2013 et avril 2014, reprennent l’argumentaire développé par la FSDL contre Santéclair mettant en exergue le caractère anti-déontologique des règles de fonctionnement de Santéclair, et des réseaux de soins en général, et appellent les adhérents à en sortir et les autres à refuser d’y entrer, exprimant clairement la volonté « d’éradiquer totalement ces réseaux commerciaux qui tentent de détourner grossièrement nos patients » (cotes 1014 et 1015).
187. Par ailleurs, la FSDL a diffusé un document PowerPoint intitulé « Dossier Santéclair » dans trois versions différentes qui toutes décrivent les pratiques de Santéclair comme des pratiques de détournement de patientèle, développent un ensemble d’arguments visant à démontrer que l’adhésion à Santéclair fait perdre aux chirurgiens-dentistes leur indépendance thérapeutique et concluent par une invitation directe des praticiens à ne pas adhérer au réseau Santéclair, à agir auprès des confrères en les encourageant à ne pas signer ou en les prévenant des conséquences et à déposer plainte auprès de leur CDOCD, une diapositive du document proposant une lettre-type de plainte. La première version de ce document a été transmise le 18 novembre 2014 par la FSDL Ile-de-France à sa liste de diffusion, puis mise en ligne sur le forum Eugenol, par le président de la FSDL, le 26 novembre 2014 (cotes 727 à 753, et 9964). Une deuxième version a été transmise par le président de la FSDL aux membres du bureau du syndicat et mise en ligne sur le site de ce dernier le 11 mars 2015 (cote 2931). La troisième version, saisie dans les locaux de la FSDL de La Réunion, a été présentée en 2015 lors d’une assemblée générale de ses adhérents (cote 9459).
188. En outre, il résulte des constatations faites aux paragraphes 233 à 242, qu’un adhérent de la FSDL, agissant en concertation avec le président de la FSDL, a adressé à plusieurs centaines de praticiens du Var et à des instances ordinales un courrier anonyme datant de février 2015, intitulé « Message confraternel », accompagné d’une liste des chirurgiens-dentistes partenaires de Santéclair. S’adressant directement aux praticiens non partenaires, le message contient les consignes suivantes :
« Vous avez été, êtes ou serez victime de cette tentative de détournement de vos patients. Si vous connaissez ces confrères personnellement, tentez de les raisonner avant que des actions ne les visent. Car si vous décidez de poursuivre l’un de ces praticiens devant votre Ordre départemental après avoir constaté qu’un de vos patients avait subi une tentative de détournement, vous serez dans votre droit. (….) Si vous faites un devis et que votre patient appartenant à une des complémentaires santé suivantes ne revient jamais, recontactez-le et demandez-lui ce qui a motivé sa décision… Et faites-en état au Conseil de l’Ordre de votre département ! » (cote 4568)
189. S’adressant aux praticiens figurant sur la liste, ce message les informe qu’ils contreviennent à plusieurs articles du code de la santé publique : « violation du devoir de confraternité par détournement de clientèle (Art. R. 4127-262), l’exercice de la profession comme un commerce avec publicité (Art. R. 4127-215), et compérage (Article R. 4127-224) » et explique :
« Tout cela vous expose à des plaintes devant l’Ordre. Votre nom circule, y compris sur des listes publiques (ex :http://partenaires.itelis.fr/partners?access_token=uqmh7iaw?ttype=p), vous ne maîtrisez plus dans quelles proportions, et vous êtes bien dans un schéma d’anti-confraternité où le plaignant sera en général dans son droit pour vous faire condamner par une chambre disciplinaire régionale. Dès maintenant, vous risquez une plainte et une convocation par votre Ordre Départemental ! Nous attirons votre attention sur le fait que ce courrier est envoyé à plus de 500 dentistes du Var (et environs proches), de Grasse à Cassis en passant par Draguignan, Manosque et Hyères. Vous n’êtes que 87 sur toute cette zone à avoir intégré ce protocole et à lui permettre de fonctionner. 87 personnes qui captent la patientèle des 450 autres… Vous comprendrez les rancœurs des confrères à proximité qui n’ont pas forcément la même charge de structure ou pas la même vision d’un exercice libéral non dicté dans sa manière de fonctionner, que vous collaborez à enterrer. (…) ».
190. Le message conclut en leur demandant de mettre un terme à leur partenariat avec Santéclair, au titre de la confraternité :
« Il est inconcevable que vous deveniez les soignants varois exclusifs de ces patients contrariés dans leur choix que des « rabatteurs » vous adressent dans la plus totale irrégularité en violant plus de 3 articles du Code de Déontologie auxquels vous êtes soumis. Ne soyez plus la pierre angulaire de ce système ! (….) Mais plus concrètement, nous vous demandons dans le cadre d’une confraternité réciproque de bien vouloir réfléchir à tout cela et contacter SantéClair (Tel ; 0810 000 227) pour prendre vos dispositions afin de ne pas être confronté à cela, un jour.
À suivre…. ».
191. Enfin, il résulte des constatations faites aux paragraphes 259 à 263 de la décision attaquée que la FSDL a mené une campagne de plainte contre les partenaires des réseaux Itélis et Kalivi,, similaire à celle organisée contre Santéclair. Celles faites aux paragraphes 284 à 289 établissent que la FSDL a mis en place plusieurs actions pour entraver la création d’un réseau dentaire par les Assurances du Crédit Mutuel en faisant pression et menaçant un fournisseur habituel de la profession (la société GACD) et futur partenaire de ce réseau, et en diffusant aux chirurgiens-dentistes, via les réseaux sociaux, des consignes pour qu’ils contactent le service commercial de ce fournisseur et expriment leur mécontentement de la création d’un réseau qui « contient tous les ingrédients qui caractérisent ces réseaux en terme de publicité, compérage et détournement honteux de nos patients vers des cabinets partenaires à des tarifs low cost. » (cote 714).
192. Ces actions avaient été pour partie annoncées lors du conseil d’administration de la FSDL du 15 mars 2014, dont le compte rendu indique notamment (cote 1854) :
« Pas de signataire = pas de réseaux.
- power point contre Santéclair
- interpeller le Conseil Départemental de l’ordre pour savoir si l’enquête est en place afin de répertorier les praticiens partenaires (comme l’Isère)
- encourager nos adhérents à être irréprochables
- Combattre le réseau Santéclair avec les gros fournisseurs d’implants (distorsion de concurrence entre Dentaurum et les autres)
- chaque président régional transmet au président ordinal départemental la lettre de l’Isère
- Prochain LD [Libéral dentaire] 2-3 mois contre Santéclair »
193. Il résulte de l’ensemble des éléments précités que, contrairement à ce que la FSDL soutient dans ses écritures, elle ne s’est pas bornée à donner des éléments d’informations à ses membres mais elle est allée bien au-delà de sa mission de défense des intérêts collectifs et individuels de ses adhérents en intervenant sur le marché pour entraver l’activité des réseaux de soins, selon le mot d’ordre « pas d’adhérent-pas de réseau ». À cet égard, il importe peu que ces différentes actions aient été menées en réaction aux nombreuses plaintes et signalements que la FSDL soutient avoir reçues de ses adhérents. En effet, ses actions se prévalent du caractère prétendument anti-déontologique des pratiques de ces réseaux alors que, comme déjà exposé, aucune instance disciplinaire n’avait statué en ce sens. En outre, elles avaient pour finalité, non de permettre aux instances disciplinaires compétentes de se prononcer mais d’obtenir des chirurgiens-dentistes affiliés qu’ils renoncent à leur partenariat et de dissuader les autres de signer une convention de partenariat. Ainsi, par ces actions, la FSDL a incité ses adhérents à adopter un comportement déterminé : résilier leur partenariat ou refuser un partenariat.
194. Ainsi, loin de méconnaitre la liberté syndicale, l’Autorité a retenu, à juste titre, que la FSDL était intervenue sur le marché dans la mesure où elle est sortie des limites de l’activité syndicale légitime.
195. Pour les mêmes motifs, c’est également à juste titre que l’Autorité a considéré que les pratiques de la FSDL consistant à apporter son soutien aux plaignants et à établir une liste des partenaires adhérents à Santé, décrites aux paragraphes 249 à 258 de sa décision, s’inscrivaient dans le cadre de celles mises en œuvre contre les réseaux de soins et que partant, elle était également compétente.
196. Le moyen est rejeté.
B. Sur la qualification des pratiques.
197. Le CNOCD, le CDOCD de l’Isère et la FSDL contestent l’existence d’un accord de volontés portant sur la mise en œuvre d’une campagne de plaintes, l’objet anticoncurrentiel des pratiques reprochées et leur participation à une infraction unique, complexe et continue.
198. Les CDOCD des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin contestent le caractère anticoncurrentiel des pratiques qui leur sont chacun reprochées et leur participation à une infraction unique, complexe et continue.
1. Sur l’existence d’un accord de volontés
199. Le CNOCD souligne qu’aucun élément du dossier ne permet d’établir qu’il ait indiqué, ou même sous-entendu, que l’adhésion aux réseaux de soins était contraire à la déontologie et qu’il avait effectivement participé à la campagne de plaintes. Il conteste la valeur probante des indices retenus par l’Autorité que sont la réunion du 4 septembre 2013, le courriel du 16 septembre 2013 adressé par M. Solera, président de la FSDL, aux membres du conseil d’administration de ce syndicat, les avis déontologiques adressés au CDOCD pour répondre à leurs interrogations et non pour provoquer des plaintes individuelles de chirurgiens-dentistes, la prétendue expertise d’un article rédigé par un praticien ancien membre du réseau qu’il n’a jamais donné, les courriels invoqués ayant été échangés uniquement sur la boîte personnelle de M. Couzinou, le courriel du 8 octobre 2013, les informations adressées par la FSDL et en particulier par M. Barthélémy qui n’ont jamais été demandées par le CNOCD, la circulaire du 7 novembre 2013 qui ne fait que rappeler des obligations déontologiques, les ateliers de formation d’octobre 2014. Il reproche à l’Autorité d’avoir occulté ou écarté des éléments à décharge qui établissent qu’il a refusé de s’associer aux pratiques de la FSDL
200. La FSDL conteste, l’existence d’un accord de volontés portant sur la mise en œuvre d’une campagne de plaintes et soutient que cet accord n’est pas établi par les échanges relevés par l’Autorité, lesquels se sont inscrits dans le cadre normal des relations d’un syndicat professionnel avec un ordre professionnel, dans un contexte de nombreuses plaintes et signalement de ses adhérents sur les pratiques commerciales du réseau Santéclair. Elle souligne ainsi que la réunion du 4 septembre 2013, sur laquelle l’Autorité se fonde n’est même pas retenue comme point de départ de l’infraction ; que le courriel du 8 octobre 2013 ne fait que traduire la volonté du syndicat de mettre un terme par la voie légale à la situation dénoncée par ses adhérents, et non une répartition des rôles des membres de l’entente comme l’a retenu à tort l’Autorité ; et que l’envoi de courriers par la suite aux différents représentants ordinaux est une application ordinaire de ses activités syndicales d’interpellation des décideurs face à une situation douteuse sur le plan légal et dénoncée par ses adhérents. Elle ajoute qu’il ne saurait lui être reproché de s’être rapprochée de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, son autorité de tutelle, afin de connaître sa position sur les pratiques dénoncées par ses adhérents et leur proposer les solutions les plus adaptées, alors que l’Autorité l’encourage par sa pratique décisionnelle (décision n° 10-D-11 du 24 mars 2010).
201. Le CDOCD de l’Isère soutient que le cumul par M. Barthélémy de fonctions syndicale et ordinale n’est pas suffisant pour établir une prétendue concertation des parties portant sur la mise en œuvre d’une campagne de plaintes visant à évincer le réseau Santéclair.
202. L’Autorité indique que la décision attaquée a établi que la campagne de plaintes constituait une pratique concertée à laquelle avaient participé la FSDL (paragraphes 602 à 604), le CNOCD (paragraphes 589 à 598) et le CDOCD de l’Isère (paragraphes 599 et 600) par l’intermédiaire notamment de M. Barthélémy qui a jouté un rôle pivot entre la FSDL et le CDOCD de l’Isère (paragraphes 583, 585 et 588). Elle estime qu’aucun des arguments avancés par les parties ne remettent en cause la concertation
203. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
204. En premier lieu, la Cour rappelle que la preuve d’accords et pratiques concertées peut résulter soit de preuves documentaires directes, soit d’éléments qui, pris ensemble, constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
205. En l’espèce, pour établir la concertation entre le CNOCD, le CDOCD de l’Isère et la FSDL portant sur la mise en œuvre d’une campagne de plaintes contre les chirurgiens-dentistes partenaires de Santéclair, l’Autorité s’est fondée sur un faisceau d’indices constitué de la réunion du 4 septembre 2013, du courriel du 8 octobre 2013 adressé par le président de la FSDL aux membres du conseil d’administration du syndicat, et la diffusion les 7 et 8 octobre 2013 par la FSDL de la newsletter intitulée « APPEL À LA RESISTANCE CONTRE SANTÉCLAIR », ainsi qu’il résulte de ses motifs exposés aux paragraphes 585 à 588 de la décision attaquée.
206. S’agissant de la réunion du 4 septembre 2013, il n’est pas contesté que cette réunion a eu lieu en présence du président du CNOCD, M. Couzinou, de ses conseillers, et de la FSDL représentée par son président M. Soléra, et deux vice-présidents dont l’un, M. Barthélémy, est également conseiller du CDOCD de l’Isère. Il n’est pas davantage contesté qu’au cours de cette réunion a été abordée la question des pratiques de Santéclair, le CNOCD indiquant lui-même dans ses écritures (paragraphe 86) que le sujet a été abordé de manière spontanée par la FSDL.
207. Ainsi qu’il a déjà été exposé, il résulte du compte rendu de cette réunion, rédigée le jour même par M. Soléra (figurant en cotes 1846 dans sa version confidentielle et 6899 dans sa version non confidentielle), ainsi que de l’audition de ce dernier, que les participants partageaient la même prévention de principe contre Santéclair dont ils considéraient les pratiques comme « anti déontologiques » et constitutives « de pratiques commerciales déloyales » (paragraphe 134 de la décision attaquée) et estimaient que conseiller aux confrères « victimes » de déposer une plainte contre leur confrère adhérent leur semblait « la seule possibilité envisageable puisque Santéclair n’est pas soumis au code de déontologie ».
208. Si cette réunion ne marque pas le début de la campagne de plaintes, elle marque en revanche le début des échanges entre les parties, avant la mise en œuvre de la campagne contre Santéclair à compter du 8 octobre 2013, date du début de la participation de la FSDL à l’entente retenue par l’Autorité.
209. En effet, les échanges entre les parties se sont poursuivis après cette réunion, comme en atteste le courriel du 8 octobre 2013, intitulé « appel à la résistance contre Santéclair », adressé par le président de la FSDL aux membres du conseil d’administration du syndicat, et qui, comme il a été exposé au paragraphe 117 présent arrêt, expose le plan d’action décidé contre Santéclair, consistant à inciter les confrères dont les patients avaient été réorientés par Santéclair à déposer plainte pour permettre l’organisation de séances de conciliation au cours desquelles il sera expliqué au praticien affilié le caractère anti déontologique des pratiques de Santéclair et obtenir la résiliation de la convention de partenariat. Ce courriel évoque une conversation préalable entre M. Barthélémy et le président du CNOCD. L’existence de cette conversation, qui suggère que ce plan d’action a été élaboré après concertation avec le CNOCD, a été confirmée par le président de la FSDL au cours de son audition.
210. En outre, ce courriel précise la répartition des rôles entre les membres de l’entente, à savoir la FSDL « incitant les confères à se défendre contre les réseaux » par la saisine des conseils départementaux de plaintes contre leurs confrères affiliés, et l’Ordre « qui mène la bataille ». Il est constant que le courriel du 8 octobre 2013 précité a été transféré par M. Barthélémy au CDOCD de l’Isère. Il est tout aussi constant que les premières plaintes ont été déposées devant le CDOCD de l’Isère par un chirurgien-dentiste membre de ce CDOCD et de la FSDL et qu’elles ont donné lieu à l’organisation des premières séances de conciliation (paragraphe152 de la décision attaquée).
211. La newsletter intitulée « APPEL À LA RÉSISTANCE CONTRE SANTÉCLAIR », exposée au paragraphe 179 du présent arrêt, largement diffusée les 7 et 8 octobre 2013 auprès des adhérents de la FSDL, évoque à nouveau des échanges avec le CNOCD en ces termes : « la FSDL qui vient de consulter le Conseil National de l’Ordre, vous soutiendra dans cette action afin de mettre un terme à ces pratiques inadmissibles » (cote 1375, souligné par la Cour).
212. Contrairement à ce qu’affirment les parties, ces éléments, loin de traduire des échanges usuels entre syndicat et ordre professionnels sur des sujets d’intérêt commun, constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants de l’accord de volontés du CNOCD, du COCD de l’Isère et de la FSDL de mettre en œuvre une campagne de plaintes contre Santéclair.
213. En outre, il résulte des échanges de courriels exposés aux paragraphes 169 à 175, déjà évoqués au paragraphe 123 du présent arrêt, que contrairement à ce que soutient la FSDL, ces échanges ne visaient pas à traduire l’indignation de M. Barthélémy suscitée par les pratiques de Santéclair mais à aviser M. Couzinou, président du CNOCD, de la mise en œuvre de la campagne de plaintes et à lui transmettre des informations portant plus généralement sur les objectifs communs de lutte contre les réseaux. Parmi ces courriels peuvent être notamment cités :
– celui du 24 octobre 2013 : « nous allons commencer à mettre en cause quelques confrères dans l’Isère, puis dans toutes les régions en déposant plainte devant les conseils de l’ordre départementaux [cela va ] remonter au niveau national qui va être interrogé sur la conduite à tenir (…) nous vous tiendrons informés de nos actions et leurs évolutions pour une concertation efficace ». (cote 3049, souligné par la Cour) ;
– celui du 14 février 2014, adressé en copie au président de la FSDL, intitulé « Santésombre dans la Drôme » qui informe ses destinataires que l’un des membres du CDOCD de la Drome avait adhéré au réseau Santéclair en ces termes « le ver est dans le fruit. La trésorière du Conseil de l’Ordre de la Drôme (…) est adhérente du réseau Santesombre et son nom est envoyé par cette plateforme pour détourner des patients (…) » (cote 2914)
– celui du 19 novembre 2014, M. Barthélémy écrit « ci- dessous et ci-joint les courriers et protocole d’un nouveau réseau créé par le Crédit Mutuel !!!! on n’a pas fini » (souligné par la Cour) cote (3506)
214. En deuxième lieu, c’est en vain que le CNOCD conteste sa participation à la mise en œuvre de cette campagne de plaintes. En effet, cette participation ressort d’un faisceau d’indices, graves précis et concordants relevés aux 590 à 595 de la décision attaquée.
215. Ainsi, outre la définition du plan d’action contre Santéclair, de concert avec la FSDL et le CDOCD de l’Isère, le CNOCD a fourni un appui juridique pour la mise en œuvre de la campagne de plaintes, comme l’établissent, d’abord, le courrier qu’il a adressé au CDOCD de l’Isère pour lui indiquer les actions disciplinaires à mener (évoqué au paragraphe 113 du présent arrêt), lequel a été envoyé le 8 octobre 2013, soit le même jour que la diffusion par la FSDL de la newsletter intitulée « Appel à la résistance contre Santéclair » mentionnant une consultation préalable du CNOCD, ensuite, l’expertise, demandée par la FSDL le 28 janvier 2014, de l’article rédigé par un praticien anciennement affilié à Santéclair, exposé au paragraphe 185 du présent arrêt. La circonstance que cette demande d’avis a été adressée par M. Barthélémy à l’adresse personnelle de M. Couzinou est indifférente dès lors qu’il résulte des termes et de l’objet du courriel que c’est bien en sa qualité de président du CNOCD que celui-ci lui a été adressé. Les précédents échanges entre M. Barthélémy et M. Couzinou déjà cités, mais également le courriel (décrit au paragraphe 209 de la décision attaquée) par lequel M. Barthélémy transmet à M. Couzinou, le 27 janvier 2014, le dossier réalisé par la FSDL intitulé « Analyse des conséquences de la création des réseaux de soins tels que Santéclair », en ces termes : « voilà Christian, notre analyse complète sur le réseau. Tu pourras en tirer des arguments pour ta communication (…). Il va falloir résister » (cote 2907), sont autant d’éléments permettant de considérer que M. Couzinou a répondu à cette demande d’expertise.
216. La participation du CNCOD ressort également :
– de l’audition du président de la FSDL, M. Solera qui a déclaré : « Christian Couzinou a constaté que les pratiques de Santéclair étaient anti-déontologiques et constituaient des pratiques commerciales déloyales. Sans nous soutenir, il nous a dit que notre action était légitime et que, si nous pouvions le prouver, nos actions disciplinaires pouvaient aboutir. Mais il n’a pas la capacité juridique d’influer sur les décisions qui seront prises par les juridictions disciplinaires. Cela nous a confortés dans notre action. Si Christian Couzinou n’avait pas partagé notre analyse juridique, nous n’aurions pas engagé des poursuites disciplinaires » (cotes 8918 et 8919) ;
– de l’échange de M. Solera avec le président de la FSDL de La Réunion, à qui M. Solera a indiqué que, conformément aux conseils donnés par une juriste du CNOCD, faisant ainsi référence au courriel du 8 octobre 2013 précité, « la plainte [contre Santéclair] doit venir du praticien, pas du syndicat. Désolé mais c’est le deal avec Couzinou » (cotes 1526 et 1527) ;
– des déclarations de M. Soléra sur un réseau social, le 11 juin 2014, où il indique avoir eu « l’assurance il y a 6 mois par Couzinou qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour détruire SantéClair ça commence par là » (cote 3108) ;
– de la transmission par M. Barthelemy au président du Conseil national des informations relatives à la mise en œuvre de cette pratique, déjà évoquées.
217. Les éléments relevés au paragraphe 591 de la décision attaquée démontrent que les concepteurs de l’entente ont assigné au CNOCD un rôle occulte dans la mise en œuvre de la campagne, et ce afin d’éviter une nouvelle condamnation de l’Ordre, qui avait déjà été sanctionné pour des pratiques de boycott par le Conseil de la Concurrence en 2009.
218. Peut notamment être cité un courriel interne de la FSDL émanant de M. Barthélémy, évoqué au paragraphe 122 du présent arrêt, en réaction à une lettre d’information adressée par le président de la FSDL de la Réunion, mentionnant l’existence d’un accord avec le CNOCD pour mener des actions disciplinaires contre les praticiens affiliés à Santéclair. Dans ce courriel, M. Barthélémy relève que le président de la FSDL de La Réunion avait « impliqu[é] l’Ordre National sans son accord, [ce qui démontre] une collusion pour organiser un boycott. L’Ordre National doit rester une institution impartiale et non partisane qui doit rester dans son rôle de gardien du respect de la déontologie et du code de la santé. Évoquer des accords possibles pour orienter l’action de l’Ordre peut être notre seule pièce à charge susceptible de nous faire condamner ainsi que l’Ordre National. C’est notre point faible dans ce dossier » (cotes 2900 et 2901).
219. Compte tenu du rôle occulte assigné au CNOCD, les éléments qu’il invoque aux paragraphes 197 et 198 de ses conclusions, ne suffisent pas à renverser ce faisceau d’indices, ni à établir sa distanciation publique. En effet, les premiers, qui sont des courriels émanant du président de la FSDL, démontrent, ainsi que le souligne à juste titre l’Autorité dans ses observations, que ce syndicat était conscient des risques liés à la mise en place concertée de la campagne de plaintes, qu’il souhaitait garder secrète tandis que les seconds témoignent de la volonté de l’Ordre ne pas apparaître en première ligne.
220. Les réponses de l’Ordre à des CDOCD, invoqués aux paragraphes 198 de ses observations, ne permettent pas davantage de remettre en cause sa participation à la campagne de plaintes dès lors que, dans ces réponses, ce dernier se borne à leur indiquer qu’il appartenait aux chirurgiens-dentistes, qui s’estiment victimes des pratiques de Santéclair, d’agir devant les juridictions civiles, et non à l’Ordre.
221. S’agissant du courrier du 11 décembre 2013 adressé à Santéclair, il s’agit d’un échange privé entre l’Ordre et Santéclair, le premier répondant à l’interrogation de la seconde sur la newsletter de la FSDL de la Réunion appelant ses adhérents à porter plainte « en accord avec le CNOCD », pour lui indiquer qu’il « ne cautionne aucunement cette campagne effectuée par la FSDL ». Ce courrier ne saurait donc caractériser une distanciation publique de l’Ordre ou en tout état de cause, renverser le faisceau d’indices précité.
222. Quant à la lettre du 13 juin 2013 invoquée par le CNOCD, elle ne peut utilement renverser ce même faisceau d’indices comme l’a justement relevé la décision attaquée au paragraphe 597. En effet, cette lettre est antérieure au lancement de la campagne de plaintes et, dans cette lettre, le CNOCD se borne à demander des précisions à Santéclair sur les pressions que cette dernière lui a indiqué subir de la part du CDOCD en raison de la mise en place d’un réseau de praticiens dédié à l’implantologie. Il lui rappelle que les CDOCD sont compétents pour « se prononcer sur la conformité au code de déontologie des contrats relatifs à l’exercice professionnel des chirurgiens-dentistes exerçant dans leur ressort », sans prendre position contre les pratiques litigieuses (cote 4994).
223. Il est tout aussi vain d’invoquer les courriers des 26 mars et 9 avril 2014. En effet, par le premier, le CNOCD ne fait que rappeler à l’ordre le président du CDOCD de Dordogne, qui n’a pas participé à la campagne de plaintes litigieuse, pour lui demander de ne pas exprimer une position syndicale en utilisant une adresse électronique ordinale, sans prendre position contre la pratique litigieuse (cote 3609). Par le second, le CNOCD se contente d’indiquer au président du CDOCD de Saône-et-Loire, qui n’a pas participé à la pratique, que « cette campagne nationale n’a en aucun [cas] été lancée par le [CNOCD] », sans prendre position contre ladite campagne (cote 5425).
224. Enfin, les pratiques complémentaires décrites aux paragraphes 127 et 128 du présent arrêt, qui contrairement à la campagne de plaintes, constituent chacune des décisions d’association d’entreprises, comme l’a à juste titre retenu l’Autorité aux paragraphes 607 et 608 de la décision attaquée, contredisent la distanciation publique invoquée par le CNOCD. Ainsi, comme il a déjà été exposé aux paragraphes précités, la circulaire du 7 novembre 2013 ne se borne pas à recenser les dispositions du code de déontologie, mais laisse entendre que les contrats de partenariat contreviennent à ces dispositions et peuvent donner lieu à des poursuites disciplinaires, tandis que les ateliers de formation d’octobre 2014 constituent une incitation à l’engagement de poursuites disciplinaires contre les chirurgiens-dentistes affiliés à des réseaux de soins.
225. En troisième lieu, la participation de la FSDL est établie par les éléments décrits aux paragraphes 179 et suivants du présent arrêt.
226. En quatrième lieu, s’agissant de la participation du CDOCD de l’Isère, elle est établie par les éléments déjà exposés dans le présent arrêt et décrits aux paragraphes 599 et 600 de la décision attaquée. En outre, ainsi qu’il a déjà été exposé, M. Barthélémy n’a pas agi de manière isolée dans un cadre exclusivement syndical mais a agi en qualité de conseiller ordinal de concert avec les autres membres du CDOCD, en particulier son président, dont les actions et comportements traduisaient leur intention commune de lutter contre les réseaux de soins. La double fonction ordinale et syndicale de M. Barthélémy loin d’établir que ses actions n’engageaient que le syndicat, lui a permis au contraire de jouer un rôle essentiel en transmettant les informations relatives à l’élaboration ou à la mise en œuvre de la campagne de plaintes aux différents participants.
227. Les moyens, mal fondés, sont rejetés.
2. Sur l’objet anticoncurrentiel des pratiques.
228. La FSDL fait valoir que l’Autorité n’a pas établi l’objet anticoncurrentiel des pratiques faute d’avoir démontré le caractère intentionnel nécessaire à la qualification de boycott. Elle ajoute que l’Autorité a commis une erreur d’appréciation dans la prise en compte du contexte économique et juridique, lequel établissait l’existence de doutes légitimes sur les pratiques des réseaux de soins (démarchage téléphonique, réseau fermé pratiquant un numerus clausus), et le respect par ces réseaux de la déontologie à l’instar des parlementaires puis de l’IGAS dans son rapport de 2017 faisant un premier bilan de la mise en œuvre de la loi Le Roux. Elle soutient encore que le dépôt de plaintes par les praticiens a été encouragé par l’Autorité elle-même dans sa décision de 2009, en reprochant au CNOCD d’avoir voulu se faire justice lui-même au lieu de laisser les chirurgiens-dentistes qui le souhaitaient déposer plainte. Elle ajoute qu’en tout état de cause, les pratiques reprochées n’ont pas eu d’effet sur le marché.
229. Le CNOCD reproche à l’Autorité son analyse du marché pertinent consistant à reprendre la définition qu’elle en avait faite dans sa décision n° 09-D-07 alors que, depuis, plusieurs réformes sont intervenues, qui ont bouleversé le marché de l’assurance santé comme la généralisation de la complémentaire santé en entreprise, la révision du cahier des charges des contrats responsables, la labellisation des contrats ACS (Aide à l’Acquisition d’une Complémentaire santé) et que depuis 2009, une partie majoritaire des OCAM a adhéré à des plateformes, ce qui a pu modifier les équilibres qui existaient à l’époque de la décision de 2009.
230. Il reproche encore à l’Autorité de ne pas avoir procédé à une analyse concrète et précise du contexte ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en cause. Il souligne que les faits à l’origine de l’affaire sont exclusivement des plaintes de nombreux chirurgiens-dentistes relatives à des pratiques de démarchage téléphonique des patients afin de les inciter à poursuivre leur traitement chez un chirurgien-dentiste du réseau, pratiques mises en œuvre de manière systématique par une seule plateforme, les autres respectant la charte de l’UNOCAM qui prévoit que les coordonnées des membres du réseau ne sont communiquées aux assurés que sur leur demande. Il fait valoir que la profession s’est légitimement interrogée sur la conformité à la déontologie de cette pratique de démarchage, notamment à l’interdiction de la publicité indirecte et du détournement de patientèle, d’autant qu’elle était à l’origine de conflits entre confrères. Il reproche à l’Autorité d’avoir, au prix de glissements successifs et de déformations des propos, assimilé ce questionnement légitime à une tentative d’éviction de cette entreprise du marché, puis, par une généralisation abusive, à une tentative d’éviction des autres réseaux.
231. Il ajoute qu’aucun effet anticoncurrentiel sensible n’est résulté des pratiques en cause.
232. Les CDOCD de l’Isère, des Bouches du Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin soutiennent que l’Autorité n’a pas défini les marchés en cause et que les pratiques qui leur sont reprochées ne font que traduire l’exercice de leur missions déontologiques en ce qu’elles avaient pour objet de rappeler certains principes déontologiques dans un contexte de recrudescence de plaintes de praticiens à propos des réseaux de soins dont l’Autorité n’a pas tenu compte.
233. Ils soulignent l’absence d’effet anticoncurrentiel sensible des pratiques en cause.
234. L’Autorité invite la Cour à rejeter l’ensemble de ses moyens en renvoyant pour l’essentiel aux paragraphes 628 à 686 de la décision attaquée qui motivent à suffisance tant la teneur et l’objectif des pratiques mises en œuvre. S’agissant de la définition des marché pertinents, elle souligne, d’une part, que les parties n’apportent aucun commencement de preuve au soutien de leurs allégations très générales et, d’autre part, qu’il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes qu’en matière d’entente, les marchés pertinents n’ont pas à être définis de manière précise et que l’identification des marchés en cause en l’espèce s’est avérée suffisante pour qualifier les pratiques mises en œuvre et les imputer à un opérateur.
234. L’Autorité invite la Cour à rejeter l’ensemble de ses moyens en renvoyant pour l’essentiel aux paragraphes 628 à 686 de la décision attaquée qui motivent à suffisance tant la teneur et l’objectif des pratiques mises en œuvre. S’agissant de la définition des marché pertinents, elle souligne, d’une part, que les parties n’apportent aucun commencement de preuve au soutien de leurs allégations très générales et, d’autre part, qu’il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes qu’en matière d’entente, les marchés pertinents n’ont pas à être définis de manière précise et que l’identification des marchés en cause en l’espèce s’est avérée suffisante pour qualifier les pratiques mises en œuvre et les imputer à un opérateur.
235. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
236. S’agissant, en premier lieu, de la définition du marché pertinent, l’Autorité a, aux paragraphes 559 à 562 de la décision attaquée, retenu la même définition des marchés pertinents que celle faite dans sa décision n° 09-D-07 du 12 février 2009 relative à la précédente saisine de Santéclair à savoir, d’une part, le marché des services relevant de la pratique de l’art dentaire, telle que définie à l’article L. 4141-1 du code de la santé publique et, d’autre part, le marché de l’assurance complémentaire santé. Elle a précisé pourquoi elle considérait que cette définition demeurait pertinente.
237. Force est de constater que ni le CNOCD ni les CDOCD ne produisent d’éléments concrets de nature à justifier une modification de cette définition. Le CNOCD invoque l’existence de réformes du régime d’assurance complémentaire maladie ou l’essor de réseaux de soins sans expliquer en quoi ces éléments sont de nature à avoir une influence sur la définition du marché pertinent sur lequel les pratiques ont été mises en œuvre.
238. En outre, ils n’avancent aucun élément permettant de mettre en évidence que cette définition a été insuffisante pour qualifier les pratiques et les imputer à un opérateur économique donné.
239. Le moyen est, de ce chef, rejeté.
240. S’agissant, en deuxième lieu, du caractère intentionnel des pratiques, nécessaire à la qualification de boycott, il est démontré par les éléments précédemment exposés : l’opposition de principe partagée par les participants à la campagne de plaintes à l’encontre de Santéclair à raison des pratiques de démarchage imputées à cette dernière, la volonté des participants d’obtenir de la part des affiliés la résiliation de leur convention de partenariat et de dissuader les autres de ne pas s’affilier, mais également, s’agissant en particulier de la FSDL, de ses actions de communication exprimant sa volonté « d’éradiquer les réseaux », fondées sur le mot d’ordre « pas d’adhésion, pas de réseaux ».
241. S’agissant, en troisième lieu, du contexte dans lequel les pratiques se sont inscrites, l’Autorité a procédé à son analyse au paragraphe 633 de la décision attaquée en soulignant, d’une part, que l’objectif d’éviction s’expliquait potentiellement par les débats nourris sur le projet de loi Le Roux à propos de laquelle le CNOCD avait publié, dès janvier 2013 un article intitulé « Menace sur la liberté de choix » exprimant son opposition de principe à cette loi et à la création de réseaux de soins par des mutuelles d’assurances complémentaire santé, dans les termes suivants :
« La proposition de loi Le Roux visant à autoriser les mutuelles à créer des réseaux de soins impacte la liberté de choix du patient et amplifie la menace sur l’indépendance professionnelle du praticien. (....) Sur le fond, la dimension exclusivement mercantile de cette extension aux mutuelles des réseaux de soins – réseaux dont l’efficience économique, quoiqu’en disent les mutuelles, reste à démontrer – heurte de plein fouet notre déontologie. (…) Et l’on ne peut pas objectivement supposer que tous les actes en dentisterie puissent se pratiquer à des prix bas sans aucune conséquence sur la qualité des soins, dont l’Ordre est le garant. » (cotes 5280 et 5281).
242. Elle a relevé, d’autre part, à juste titre pour les motifs déjà exposés aux paragraphes 95 à 100 du présent arrêt, l’absence d’élément permettant aux instances ordinales et syndicales de considérer que les conventions unissant des chirurgiens-dentistes à des réseaux de soins méconnaissaient le code de déontologie. La Cour ajoute que ces instances ne disposaient pas davantage d’éléments leur permettent de considérer, comme elles l’ont fait, que les pratiques qu’elles imputaient à ces réseaux étaient de nature à rendre le chirurgien-dentiste affilié coupable de manquement déontologique.
243. À cet égard, contrairement à ce qui est soutenu par le CNOCD, les éléments exposés aux paragraphes 116, 117, 127 et 128, ainsi qu’il a été déjà été démontré, établissent que les actions, décisions et comportement du CNOCD, loin de traduire une simple interrogation sur le caractère déontologique des conventions sur lesquelles reposent les réseaux de soins ou de leur modalités d’exécution par les plateformes de gestion, visaient au contraire à laisser croire à la profession que les conventions d’adhésion méconnaissait le code de déontologie, à inciter les chirurgiens-dentistes non affiliés à porter plainte contre leur confrère et les chirurgiens-dentistes affiliés à renoncer à leur partenariat. Ces pratiques traduisaient ainsi l’opposition de principe du CNOCD contre ces réseaux, et en particulier contre Santéclair, et sa volonté d’entraver leur développement.
244. Enfin, l’Autorité a relevé, à juste titre, que les parties ne pouvaient utilement soutenir que les pratiques mises en œuvre constituaient une réponse aux pratiques commerciales de Santéclair qu’elles estimaient contraires au code de déontologie ou qu’elles avaient des raisons légitimes de s’interroger sur leur conformité à ce code. Il est en effet de jurisprudence constante, rappelée par la décision attaquée, que les entreprises ne sont jamais autorisées à se faire justice elle-même ni à justifier leur comportement par celui d’autres opérateurs économiques (paragraphe 636 de la décision attaquée).
245. Ainsi, à supposer même que les pratiques commerciales de démarchage de certaines plateformes de gestion ne respectaient pas les conventions de partenariat, ou que celles-ci soient contraires à certaines dispositions de la Loi le Roux, cette circonstance n’autorisait pas les actions de boycott menées par les instances ordinales et syndicale contre les réseaux de soins et en particulier contre Santéclair.
246. Contrairement à ce qui est soutenu, l’Autorité n’avait donc pas à prendre en considération, dans son analyse du contexte, les pratiques reprochées à Santéclair, et pas davantage à se prononcer sur la conformité de ces pratiques ou de certaines conventions de partenariat à la loi Le Roux.
247. Enfin, le résumé de la décision de l’Autorité du 12 février 2009, objet de l’injonction de publication qui a été prononcée, indique : « …sans se limiter à utiliser les procédures qui auraient pu conduire à obtenir une décision juridictionnelle statuant sur la conformité avec le code de déontologie du partenariat de Santéclair, ou à simplement faire part de son avis, auquel cas il serait resté dans les limites de sa mission de service public, le Conseil national a exercé de fortes pressions pour que les chirurgiens-dentistes cessent leurs relations ou n’entrent pas en relation avec Santéclair, comme d’ailleurs avec d’autres entreprises intervenant dans le cadre de l’assurance santé complémentaire. Au regard des règles de concurrence, une telle attitude s’analyse comme une invitation au boycott, en l’occurrence interdite par l’article L. 420-1 du Code de commerce ». Dans la présente espèce, les pratiques litigieuses n’ont pas consisté à faire trancher la conformité des conventions d’adhésion des réseaux de soins aux règles déontologiques ni à émettre des avis sur cette conformité, mais à prendre position contre les réseaux et, sous le couvert d’une interprétation erronée du code de la déontologique, à mettre en œuvre un campagne de plaintes et des actions de communication destinées à faire pression sur les chirurgiens-dentistes pour qu’ils sortent ou renoncent à tout partenariat avec ses réseaux et en particulier avec Santéclair. La FSDL ne peut donc sérieusement soutenir que cette décision du 12 février 2009 constituait un élément de contexte de nature à inciter les organismes professionnels en cause à agir comme ils l’ont fait.
248. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu que la campagne de plaintes litigieuse s’apparentait à un appel au boycott, du réseau de soins de Santéclair, constitutif d’une pratique concertée, anticoncurrentielle par objet et contraire aux articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
249. S’agissant, en quatrième lieu, des pratiques complémentaires reprochées aux CDOCD, ces derniers contestent tant la teneur que l’objectif poursuivi, retenus par l’Autorité aux paragraphes 648 à 673 de la décision attaquée, en soutenant avoir agi dans le respect de leur mission déontologique. Toutefois, il a déjà été démontré, lors de l’examen du moyen tiré de l’incompétence de l’Autorité, que chacun d’entre eux était sorti du champ de cette mission en mettant en œuvre des pratiques caractérisant une intervention sur le marché visant à entraver l’activité des réseaux de soins.
250. C’est donc à juste titre que l’Autorité, par des motifs que la Cour adopte (paragraphes 628 à 674 de la décision attaquée), a retenu que les pratiques mises en œuvre constituaient des restrictions de concurrence par objet.
251. Elles constituent donc des pratiques prohibées par l’article 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, à ce stade, les effets qu’elles ont été réellement produits.
252. Les moyens sont rejetés.
3. Sur l’existence d’une l’infraction unique complexe et continue et la responsabilité individuelle des entités en cause
253. Le CNOCD conteste sa participation à une infraction unique et continue. Il fait valoir qu’aux termes de la jurisprudence européenne, la notion n’a pas été appliquée à des décisions d’association d’entreprises mais uniquement à des accords ou à des pratiques concertées. Il ajoute que cette notion a été conçue pour des entreprises exerçant une activité économique sur un marché et qu’elle ne peut donc être appliquée sans nuance, comme l’a fait l’Autorité, à des ordres professionnels et à des syndicats qui n’en exercent aucune et dont les compétences sont liées par les textes qui les instituent (les ordres) ou par leurs statuts (les syndicats). À titre subsidiaire, il invite la Cour à saisir sur ce point la juridiction de l’Union européenne d’une question préjudicielle.
254. Il reproche à l’Autorité d’avoir retenu sa participation à l’infraction et d’avoir utilisé cette notion pour lui imputer la responsabilité des pratiques commises les CDOCD et la FSDL en retenant qu’il avait eu connaissance de ces pratiques ou qu’il avait été en mesure de les prévoir alors qu’il appartenait à l’ Autorité de démontrer qu’il « entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs », conformément aux exigences posées par la CJUE dans l’arrêt Coppens (CJUE, 6 décembre 2012, C-441/11, Verhuizingen Coppens NV, paragraphe 42). Il soutient encore qu’il ne pouvait ni prévoir, ni surveiller, les actions des CDOCD agissant dans le cadre de leur mission propre et des syndicats, et qu’il ne pouvait ni les accepter, ni les refuser, son statut lui interdisant de s’immiscer dans des domaines extérieurs à sa propre mission.
255. Les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin soutiennent que l’Autorité a méconnu les règles applicables en matière d’infraction complexe, unique et continu en ce que, d’une part, elle n’a pas démontré en quoi les comportements reprochés établissaient un plan d’ensemble poursuivant le prétendu objectif unique d’entraver l’activité de Santéclair et des réseaux de soins en général. Ils soutiennent ainsi que l’Autorité n’a pas démontré un quelconque lien entre les pratiques reprochées à chacun d’entre eux, si ce n’est qu’ils se sont tous intéressés à un même phénomène : le développement de réseau de soins. La circonstance que les conseils départementaux aient adopté des comportements comparables vis-à-vis des réseaux de soins résulte des risques d’incompatibilité avec certains principes déontologiques suscités par l’adhésion à certains protocoles.
256. Ils soutiennent encore que l’Autorité n’a pas démontré que, par leurs comportements, ils avaient entendu contribuer aux objectifs communs poursuivis par les autres participants et qu’ils avaient eu connaissance ou auraient pu raisonnablement prévoir les comportements reprochés aux autres participants et qu’ils étaient prêts à en accepter le risque.
257. Ils considèrent que l’Autorité ne pouvait, sans se contredire, considérer qu’ils avaient participé à l’infraction unique tout en ne retenant leur responsabilité que pour les pratiques qu’ils sont supposés avoir eux-mêmes mises en œuvre. Ils soutiennent que ce faisant, l’Autorité a en réalité cherché à pallier l’insuffisance des services d’instruction qui auraient dû leur notifier d’autres griefs que celui d’avoir participé à une infraction unique, complexe et continue.
258. Ils font enfin valoir que l’affirmation selon laquelle les pratiques avaient un caractère continu est totalement artificielle compte tenu de l’absence de démonstration de la participation au plan d’ensemble. Ils contestent chacun la durée de l’infraction qui leur a été reprochée et son caractère continue, au motif, notamment que les faits qui leur sont reprochés sont ponctuels et espacés de plusieurs mois.
259. La FSDL conteste l’existence d’une infraction complexe, unique et continue. Elle soutient que ni le plan d’ensemble ni le caractère continu de l’infraction ne sont établis et fait valoir que les pratiques en cause ne visaient pas à dissuader les chirurgiens-dentistes d’adhérer aux réseaux de soins mais à faire cesser des pratiques non conformes aux règles déontologiques.
260. Elle conteste sa participation aux pratiques complémentaires prétendument mises en œuvre par les autres participants supposés à l’infraction, l’Autorité se contentant de présumer qu’elle avait eu connaissance de leurs comportements et qu’elle les avait acceptés, sans motiver, ni étayer ses affirmations péremptoires.
261. Enfin, elle soutient que l’Autorité n’a pas démontré la continuité des pratiques mais l’a uniquement présumée en s’appuyant sur la jurisprudence européenne alors que selon cette jurisprudence, une telle présomption ne peut s’appliquer lorsque les indices considérés ensemble constituent la violation des règles de concurrence « en l’absence d’une autre explication cohérente ». Elle soutient qu’en l’espèce, toutes les pratiques reprochées s’expliquent par le contexte de débat général sur les réseaux de soins, les nombreux témoignages de plaintes de chirurgiens-dentistes syndiqués, la mission syndicale de la FSDL, l’absence d’élément de droit permettant de remettre en cause son analyse juridique et les décisions antérieures de l’Autorité selon lesquelles il appartenait aux praticiens d’engager des poursuites déontologiques en cas de doute sur les pratiques mises en œuvre par les réseaux de soins et leurs adhérents.
262. L’Autorité expose qu’une infraction unique peut être composée de pratiques susceptibles d’être qualifiées d’accords, de pratiques concertées et de décision d’association d’entreprises dès lors que ces pratiques partagent le même objet anticoncurrentiel et qu’elles s’inscrivent dans un plan d’ensemble. Elle précise que, selon la jurisprudence européenne, la qualification d’un tel plan dépend uniquement de facteurs objectifs, comme notamment l’objectif commun des pratiques, qui s’apprécient au regard du seul contenu des pratiques, sans qu’il y ait lieu, au stade de la qualification, de rechercher l’intention subjective des parties de participer à une entente, laquelle relève de l’appréciation de la participation individuelle des entreprises concernées à l’entente. Elle ajoute que la circonstance que les organismes professionnels en cause ne soient pas actifs sur le marché ne s’oppose pas à ce qu’ils soient sanctionnés en raison de leur intervention anticoncurrentielle sur le marché, que cette intervention se soit manifestée par un accord, une pratique concertée ou une décision d’association d’entreprises.
263. S’agissant de l’existence d’un plan d’ensemble, elle renvoie aux paragraphe 713 à 732 de la décision attaquée.
264. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité, à l’exception pour ce dernier, de la durée de la participation individuelle du CDOCD des Bouches-du-Rhône. Selon le ministère public, la participation de ce dernier a commencé, non à compter du courrier individuel du 12 mars 2013, dès lors que ce dernier constitue une réponse aux sollicitations d’un praticien qu’il était tenu d’apporter au regard de ses prérogatives de puissance publique, mais à compter du 24 juin 2013, date de la première circulaire.
Sur ce, la Cour,
265. En premier lieu, la Cour rappelle qu’il résulte de la jurisprudence européenne qu’une violation de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition.
266. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence, la responsabilité de ces actions peut être imputée aux entreprises ayant pris part à tout ou partie de ces comportements en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, notamment, Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « CJUE », 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce, C-293/13 P et C-294/13 P, point 156 ainsi que la jurisprudence citée).
267. Il a également été jugé que « si l’article 85 du traité distingue la notion de « pratique concertée » de celle d’« accords entre entreprises » ou de « décisions d’associations d’entreprises », c’est dans le dessein d’appréhender sous les interdictions de cette disposition différentes formes de coordination et de collusion entre entreprises (voir, en ce sens, notamment, arrêt ICI/Commission, précité, point 64). Il n’en découle pas pour autant qu’une série de conduites ayant le même objet anticoncurrentiel et dont chacune, prise isolément, relève de la notion d’ « accord », de « pratique concertée » ou de « décision d’association d’entreprises » ne puissent pas constituer des manifestations différentes d’une seule infraction à l’article 85, paragraphe 1, du traité » (CJCE, Anic, 8 juillet 1999, n° C-49/92, points n° 112 et 113).
268. Il se déduit de cette jurisprudence que la notion d’infraction unique complexe et continue n’est pas limitée ou ne s’applique pas aux seuls accords ou pratiques concertées à l’exclusion des décisions d’association d’entreprises. Si des décisions d’associations d’entreprises relèvent d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel, leurs auteurs peuvent être sanctionnés. À cet égard, il importe peu que ces décisions émanent d’organismes professionnels qui ne sont pas actifs sur le marché. Lorsque par leurs décisions, actions et comportements, ces organismes sont intervenus sur ce marché, le droit de la concurrence leur est applicable et ils peuvent donc être sanctionnés si cette intervention a eu pour objet, comme en l’espèce, de fausser, d’empêcher ou de restreindre le libre jeu de la concurrence.
269. En deuxième lieu, la Cour rappelle qu’il convient d’opérer une distinction entre la qualification des agissements anticoncurrentiels en une infraction unique, d’une part, et l’imputabilité aux entreprises concernées de la responsabilité de ladite infraction dans sa globalité, d’autre part (TUE,15 décembre 2016, Infineon Technologies, T-758/14, point 226, approuvé, dans la même affaire, par un arrêt de la CJUE du 26 septembre 2018, C-99/17 P, point 174).
270. S’agissant du premier point, l’existence d’une infraction unique suppose un ensemble de comportements adoptés par différentes entreprises poursuivant un même but économique anticoncurrentiel. Le fait que les différentes actions des entreprises s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence, est déterminant pour retenir l’existence d’une infraction unique, (voir en ce sens, arrêt du TUE, 12 juillet 2019, Quanta Storage Inc, T-772/15, point 210 et jurisprudence citée).
271. L’existence de ce plan d’ensemble poursuivant un objectif unique peut se déduire d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants pouvant porter, notamment, en fonction des circonstances propres à chaque cas d’espèce, sur la similarité ou la complémentarité des comportements, des acteurs et de la chronologie des pratiques, sans qu’il soit exigé une identité quasi absolue entre ces comportements et cumulativement, la preuve de leur caractère complémentaire.
272. En l’espèce, les éléments recueillis au cours de l’instruction, rappelés en partie I du présent arrêt, permettent d’établir que les pratiques reprochées s’inscrivent dans un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique, celui d’entraver l’activité de Santéclair et des réseaux de soins en général.
273. En effet, la campagne de plaintes décidée et mise en œuvre par le CNOCD, le CDOCD de l’Isère et la FSDL visait à dissuader les chirurgiens-dentistes d’adhérer au réseau Santéclair et obtenir des chirurgiens-dentistes déjà affiliés la résiliation de leur convention de partenariat.
274. Les pratiques complémentaires mises en œuvre par les trois participants ont poursuivi la même finalité en ce qu’elles étaient destinées à soutenir cette campagne de plaintes. Ainsi, la FSDL a recouru à des actions de communication pour souligner le caractère anti déontologique des réseaux de soins et inciter les praticiens à déposer plainte contre leur confrère ; le CNOCD a usé de son autorité et de sa capacité d’influence auprès des CDOCD, par le biais d’avis déontologiques, circulaire et action de formation, pour mettre en doute la conformité des protocoles proposés par Santéclair aux régles déontologiques de la profession, tandis que le CDOCD de l’Isère, saisi des première plaintes, a détourné de leur finalité ses pouvoirs de contrôles des contrats et de conciliation pour obtenir des chirurgiens-dentistes affiliés la résiliation de leur contrat d’affiliation.
275. Les pratiques mises en œuvre par les autres CDOCD mis en cause ont, elles aussi, contribué à l’objectif commun par le biais de communications professionnelles et de courriers laissant entendre, voire affirmant, que les réseaux de soins méconnaissaient les règles déontologiques, et que les chirurgiens-dentistes affiliés s’exposaient à des poursuites.
276. Contrairement à ce qui est soutenu, les éléments rappelés en partie I, A du présent arrêt, établissent que ces publications professionnelles, actions de communication ou atelier de formation, ne se bornaient pas à traiter d’un sujet commun, les réseaux de soins, mais soulignaient, affirmaient ou suggéraient la violation par ces réseaux des obligations déontologiques.
277. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu que ces pratiques présentaient des caractéristiques communes tenant essentiellement à leur finalité et à leur complémentarité pour en déduire qu’elles s’inscrivaient dans un plan d’ensemble poursuivant un objectif unique, entraver l’activité de Santéclair et plus généralement, celle des réseaux de soins. Ces pratiques sont donc constitutives d’une infraction unique, complexe et continue.
278. Cette infraction a débuté le 7 février 2013, date du courriel adressé par le CNOCD au CDOCD des Bouches-du-Rhône, évoqué au paragraphe 112 du présent arrêt pour lui indiquer les manquements disciplinaires à reprocher à un chirurgien-dentiste membre du réseau Santéclair, pour se poursuivre jusqu’au 18 décembre 2018, date de la notification des griefs dès lors que certaines pratiques qui la composent ont perduré jusqu’à cette date. Ainsi, comme l’a relevé à juste titre l’Autorité, certaines des publications professionnelles litigieuses incitant les chirurgiens-dentistes à ne pas conclure de partenariat avec des réseaux de soins ou à le rompre, et appelant à porter plainte et/ou affirmant le caractère anti déontologique des réseaux de soins et, au premier chef de Santéclair, étaient toujours accessibles sur le site Internet de la FSDL à la date de la notification de griefs.
279. Cette infraction présente un caractère continu. En effet, les différentes pratiques qui la composent, décrites en partie I, A B du présent arrêt se sont succédées de manière suffisamment rapprochée dans le temps pour permettre de considérer qu’elles s’inscrivaient dans le plan d’ensemble poursuivant la même finalité anticoncurrentielle, entraver l’activité des réseaux de soins.
280. C’est en vain que la FSDL conteste ce caractère continu. En effet, il a déjà été établi que par la teneur de ses propos dans ses actions de communications et le rôle qu’elle a joué dans la mise en œuvre de la campagne de plaintes, pour entraver le développement des réseaux de soins et en particulier, celui de Santéclair, la FSDL était sortie de sa mission syndicale. Il a également déjà été rappelé que les nombreuses plaintes de ses adhérents ne pouvaient justifier cette intervention sur le marché aux fins de boycott. Enfin, la FSDL ne peut sérieusement soutenir que ses actions consistant à mettre en œuvre une campagne de plainte fondée sur une interprétation erronée du code de déontologie et à diffuser des circulaires agressives contre les réseaux de soins appelant ses membres à en sortir, s’expliquent par les décisions antérieures de l’Autorité par lesquelles elle a sanctionné un syndicat pour avoir préféré mettre en œuvre une pratique de boycott plutôt que d’engager des actions en justice (décision n°10-D-11 du 24 mars 2010) ou celle du 12 février 2009 rappelée au paragraphe 49 du présent arrêt. Ces précédents auraient dû au contraire l’inciter à plus de prudence dans l’expression de son opposition aux réseaux de soins, et à ne pas se livrer à des comportements de boycott.
281. S’agissant du second point, portant sur l’imputabilité de la responsabilité, il résulte d’une jurisprudence européenne constante (CJUE, Villeroy & Boch, C-644/13, points 48 et 49 et jurisprudence citée) qu’une entreprise ayant participé à l’infraction par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque.
282. Ainsi, si la responsabilité de l’infraction, dans sa globalité, peut être imputée à une entreprise qui a directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, elle peut également être imputée à une entreprise qui n’a directement participé qu’à une partie de ces comportements, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, dès lors qu’elle a eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. (CJUE, Villeroy & Boch, précité).
283. Il s’en déduit que pour qualifier divers comportements d’infraction unique et complexe, il convient d’établir que les différentes actions s’inscrivent dans un plan d’ensemble en raison de leur objet identique. Ce n’est qu’au stade de l’imputabilité de cette infraction qu’il est nécessaire de démontrer que l’entreprise, qui a pris part à ces agissements ou à certains d’entre eux, avait l’intention de contribuer par ce comportement à l’objectif commun et avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par toutes les autres entreprises ou pouvait raisonnablement les prévoir, pour pouvoir la sanctionner au titre de l’infraction prise dans son ensemble. Si cet élément subjectif n’est pas établi, l’Autorité n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé.
284. C’est donc sans contradiction que l’Autorité a pu retenir, d’une part, que les agissements des CDOCD de Dordogne, des Bouches du Rhône, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin s’inscrivaient dans un plan d’ensemble et que partant, ces organismes avaient participé à l’infraction unique et, d’autre part, que faute d’élément établissant qu’ils avaient entendu, par leur propre comportement, contribuer au plan d’ensemble et qu’ils avaient connaissance ou pouvaient raisonnablement prévoir le comportement des autres, leur responsabilité individuelle devait être limitée à leurs agissements propres. Pour les mêmes motifs, il ne peut être reproché aux services d’instruction de ne pas avoir adressé une notification de grief complémentaire.
285. C’est en vain que le CNOCD conteste sa responsabilité dans l’entente telle qu’analysée par l’Autorité aux paragraphe 744 à 752 de la décision attaquée. En effet, sa participation à la campagne de plaintes et les pratiques complémentaires qu’il a mises en œuvre, exposées en paragraphes 127 et suivants du présent arrêt, permettent d’établir qu’il a entendu par ces comportements contribuer à l’objectif commun, consistant à entraver l’activité des réseaux de soins et en particulier, Santéclair.
286. En outre, contrairement à ce que soutient le CNOCD, il se déduit de la jurisprudence précitée qu’un participant à une infraction unique peut se voir imputer la responsabilité des pratiques mises en œuvre par les autres participants dès lors qu’il en a eu connaissance ou qu’il pouvait raisonnablement les prévoir et en accepter le risque. Il n’appartenait donc pas à l’Autorité d’établir la manière dont le CNOCD aurait pu palier le risque que les CDOCD ou la FSDL mettent en œuvre des pratiques poursuivant le même objectif commun, et partant, s’inscrivant dans le champ de l’infraction unique, complexe et continue.
287. Il lui suffisait d’établir, comme elle l’a fait, par de justes motifs exposés aux paragraphes 747,748, 750 et 751 de la décision attaquée, que le CNOCD avait pu raisonnablement prévoir les pratiques mises en œuvre par les CDOCD et la FSDL et, en conséquence, lui imputer la responsabilité de ces pratiques.
288. S’agissant de la responsabilité du CDOCD de l’Isère, il résulte des éléments exposés en partie I du présent arrêt que ce dernier a participé à la campagne de plaintes mise en œuvre avec la FSDL et le CNOCD en organisant notamment les séances de conciliation pour obtenir des chirurgiens-dentistes adhérents à Santéclair la résiliation de leur contrat d’adhésion. Il est responsable des pratiques complémentaires qu’il a lui-même mises en œuvre consistant à diffuser deux lettres circulaires en 2014 et 2015 destinées à recenser les chirurgiens-dentistes affiliés à un réseau de soins et laissant entendre que les lesdits réseaux contrevenaient aux règles déontologiques. L’envoi de ces lettres circulaires établit que le CDOCD de l’Isère a entendu, par son comportement, contribuer à l’objectif commun poursuivi par les pratiques constitutives de l’infraction unique : entraver l’activité des réseaux de soins.
289. En outre, ainsi que l’a, à juste titre, retenu l’Autorité, il a eu connaissance des pratiques mises en œuvre par la FSDL dès lors qu’un de ses membres était également vice-président de ce syndicat (M. Marc Barthélémy). Il a eu également connaissance des pratiques complémentaires mises en œuvre par le CNOCD à destination de l’ensemble des conseils départementaux.
290. En tout état de cause, il pouvait raisonnablement les prévoir et était nécessairement prêt à en assumer le risque dès lors que ces pratiques visaient à assurer l’application effective de la campagne de plaintes et poursuivaient le même objectif. En revanche, sa responsabilité ne peut être engagée à raison de l’avis « déontologique » que le CNOCD a adressé au CDOCD des Bouches-du-Rhône le 7 février 2013, soit antérieurement au lancement de la campagne de plaintes.
291. Le CDOCD de l’Isère pouvait également raisonnablement prévoir les pratiques mises en œuvre par les autres CDOCD en cause et était nécessairement prêt à en assumer le risque dès lors que ces pratiques faisaient suite aux actions de communication de la CNOCD à destination de l’ensemble des CDOCD et qu’elles poursuivaient le même objectif commun.
292. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu la participation du CDOCD de l’Isère à l’infraction unique, complexe et continue, tant du chef de ses agissements, que de ceux du CNOCD, de la FSD, et des autres CDOCD mis en cause, à compter du 8 octobre 2013 jusqu’au 18 décembre 2018.
293. Pour imputer à la FSDL les pratiques complémentaires du CNOCD et des CDOCD en cause, l’Autorité ne s’est pas uniquement fondée sur le fait que ces pratiques poursuivaient le même objectif anti-concurrentiel. Elle a également retenu, à juste titre, d’une part, le fait que la FSDL et le CDOCD de l’Isère avaient un membre commun, M. Marc Bathélémy, conseiller ordinal et vice-président du syndicale, circonstance qui permet de considérer que la FSDL avait connaissance des pratiques mise en œuvre par le CDOCD de l’Isère et, d’autre part, que la FSDL pouvait raisonnablement prévoir les pratiques complémentaires mises en œuvre par le CNOCD et les CDOCD et nécessairement prêt à en assumer le risque dès lors qu’elles permettaient d’assurer l’application effective de la campagne de plaintes, à l’exception du courriel adressé au CDOCD des Bouches-du-Rhône, le 7 février 2013, avant le lancement de la campagne.
294. La responsabilité de la FSDL de l’ensemble des pratiques constitutives de l’infraction unique, complexe et continue est donc établie du 8 octobre 2013 au 18 décembre 2018.
295. En dernier lieu, c’est en vain que les CDOCD de la Dordogne, des Bouches-du-Rhône, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin contestent la durée et le caractère continu de leur participation respective.
296. Ainsi, s’agissant du CDOCD de Dordogne, les constatations, faites aux paragraphes 331 à 347 de la décision attaquée, établissent qu’il a participé à l’infraction en diffusant un courrier collectif le 29 janvier 2014, des courriels collectifs les 27 février et 17 septembre 2014, une circulaire en janvier 2015, des courriers individuels à des chirurgiens-dentistes de son ressort les 21 mai, 19 juin, 2 juillet et 30 juillet 2014 ainsi que les 14 et 15 avril 2015. Tous ces documents, ainsi qu’il a été vu au paragraphe 146 du présent arrêt, laissent entendre ou affirment que les réseaux de soins contreviennent aux règles déontologiques et que l’appartenance à ces réseaux est passible de sanction disciplinaire. Ces actions, qui ont commencé le 29 janvier 2014, date du premier envoi collectif décrit au paragraphe 331 de la décision attaquée, pour se poursuivre jusqu’au 15 avril 2015, date du dernier courrier individuel, tendaient toutes à entraver l’activité des réseaux de soins et se sont succédé de manière suffisamment rapprochée dans le temps pour considérer qu’elles relèvent du plan d’ensemble poursuivi par l’infraction unique et partant, que la participation du CDOCD de Dordogne à cette infraction est continue.
297. S’agissant du CDOCD des Bouches-du Rhône, les pratiques décrites en paragraphes 153 et suivants du présent arrêt établissent qu’il a participé à l’infraction en adressant des courriers individuels les 12 mars 2013, les 6 mars et 14 avril 2014, ainsi qu’une circulaire le 24 juin 2013, tous ces documents laissant entendre, voire affirmant, que les réseaux de soins contreviennent aux régles déontologiques et que l’appartenance à ces réseaux est passible de sanctions disciplinaires. Ces pratiques ont débuté le 12 mars 2013, date de la première mise en demeure adressée, décrite au paragraphe 115 de la décision attaquée. Dans cette mise en demeure, le CDOCD a indiqué au chirurgien-dentiste destinataire que son partenariat avec Santéclair caractérisait des violations aux interdictions de publicité, de détournement de clientèle, d’abaisser ses honoraires dans un but de détournement de clientèle, de pratiquer l’art dentaire comme un commerce, ou encore une violation du principe du libre choix par le patient de son praticien, et l’a sommé de cesser toute publicité et de se mettre en conformité avec les règles qui gouvernent l’exercice la profession sous peine de poursuites disciplinaires. Un tel courrier, fondé sur une interprétation erronée de la portée des régles déontologiques, traduisait une prise de position ordinale contre les réseaux de soins et tendait à obtenir du chirurgien-dentiste concerné la résiliation de son contrat de partenariat avec Santéclair, de sorte qu’il ne pouvait s’inscrire dans le cadre de la mission de service public de l’Ordre, ainsi qu’il a déjà été vu. Ce courrier constitue donc la date du début de la participation du CDOCD des Bouches-du-Rhône à l’infraction. Les pratiques, qui se sont poursuivies jusqu’au 14 avril 2014, date du dernier courrier individuel, tendaient toutes à inciter, voire faire pression, sur les chirurgiens-dentistes du ressort pour qu’ils renoncent ou refusent un partenariat avec un réseau de soin et se sont succédé de manière suffisamment rapprochée dans le temps pour considérer qu’elles relèvent du plan d’ensemble poursuivi par l’infraction unique, et partant que la participation du CDOCD des Bouches-du-Rhône à cette infraction est continue.
298. S’agissant du CDOCD du Haut-Rhin, ainsi qu’il a été vu au paragraphe 158 du présent arrêt, il a diffusé des circulaires en janvier 201 et janvier 2015, ainsi que des bulletins de liaison à l’été 2014 et l’été 2015, conjointement avec le CDOCD du Bas-Rhin, tous ces documents affirmant la contrariété des réseaux de soins aux principes et règles déontologiques de la profession et laissant entendre que les chirurgiens-dentistes affiliés seront passibles de sanction disciplinaires. Ces pratiques, qui ont débuté en janvier 2014, date de la première circulaire décrite aux paragraphes 348 à 352 de la décision attaquée, pour se poursuivre jusqu’à l’été 2015, tendaient toutes à empêcher le développement des réseaux de soins et se sont succédé de manière suffisamment rapprochée dans le temps pour considérer qu’elles se sont inscrites dans le plan d’ensemble poursuivi par l’infraction unique et partant que la participation du CDOCD du Haut-Rhin à cette infraction est continue.
299. S’agissant du CDOCD du Bas-Rhin, ainsi qu’il a été vu au paragraphe 160 du présent arrêt, il a diffusé la circulaire de l’hiver 2014-2015 et des bulletins de liaison commun avec le CDOCD du Haut-Rhin précités, documents qui tous affirment le caractère anti déontologique des réseaux de soins. Ces pratiques, qui ont débuté à l’été 2014 pour se poursuivre jusqu’à l’été 2015, tendaient toutes à empêcher le développement des réseaux de soins et se sont succédé de manière suffisamment rapprochée dans le temps pour considérer qu’elles se sont inscrites dans le plan d’ensemble poursuivi par l’infraction unique et que partant, la participation du CDOCD du Bas-Rhin à cette infraction est continue.
300. Les moyens, mal fondés, sont rejetés.
II. SUR LES PRATIQUES VISÉES PAR LE GRIEF N° 2
A. Sur la compétence de l’Autorité
301. Dans la décision attaquée (paragraphes 521 et 522), l’Autorité a constaté que la CNSD avait, dans plusieurs documents largement diffusés, critiqué les réseaux de soins, estimant qu’ils contrevenaient aux règles déontologiques, qu’elle avait également invité les praticiens à ne pas y adhérer et les patients à ne pas se détourner de leur praticien habituel, à peine de subir des soins dentaires dégradés, et qu’elle avait fait pression sur différents opérateurs économiques, futurs partenaires du réseau de soins développé par le Crédit Mutuel, pour éviter que celui-ci aboutisse. L’Autorité en a déduit que ces pratiques ne s’inscrivaient pas dans le cadre des missions syndicales de la CNSD et constituaient autant d’interventions sur le marché qui relevaient de sa compétence.
302. Le syndicat CDF (ex-CNSD) fait valoir, en premier lieu, que la décision attaquée constitue une atteinte disproportionnée au principe de la liberté syndicale reconnu par tous les textes, tant internes qu’européens et internationaux, dont l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et que la libre prestation des services et la libre concurrence ne font pas partie des restrictions à la liberté syndicale admises par ce texte. Il considère que sa condamnation par l’Autorité est de nature à le dissuader dans l’avenir, ainsi d’ailleurs que ses membres et syndicats affiliés, à participer à des actions visant la défense des intérêts de ses membres et la profession des chirurgiens-dentistes. Il indique ne pas remettre en cause la pratique décisionnelle du Conseil de la concurrence, invoquée par Santéclair, selon laquelle un syndicat sort du cadre de sa mission lorsqu’il diffuse des informations ou mises en garde qui constituent des appels à des mesures de rétorsion collective et ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence mais souligne qu’en l’espèce, les agissements reprochés n’ont eu pour seul objet que de veiller à ce qu’il ne soit jamais transigé sur la réalisation d’actes de qualité et à ce que les réseaux commerciaux n’aient d’autre vocation que financière.
303. Il soutient, en second lieu, que la grille d’analyse appliquée par l’Autorité et reposant sur la distinction entre les actes qui seraient une « simple manifestation de la défense des intérêts des membres de la profession » et ceux qui constitueraient une intervention sur le marché doit, sauf à méconnaître la liberté syndicale, être d’interprétation stricte, ce qui a été omis dans la décision attaquée. Il fait valoir que la motivation de la décision attaquée, outre qu’elle est très générale et imprécise, est entachée d’erreur d’appréciation dans la mesure où, contrairement à ce qui est affirmé par l’Autorité, il n’a jamais critiqué les réseaux de soins, mais certains d’entre eux, il n’a pas « invité les praticiens à ne pas y adhérer », mais toujours facilité l’adhésion aux réseaux « négociés », ouverts. Il ajoute qu’il est exagéré de souligner qu’il ait invité les patients à ne pas se détourner de leur praticien habituel, à peine de subir des soins dentaires dégradés, car il est bien évident qu’il se doit d’être vigilant à l’égard de ces réseaux de soins, et plus encore à la suite du scandale DENTEXIA survenu en 2016. Enfin, il soutient que les pressions sur « différents opérateurs économiques partenaires du futur réseau de soins développé par le Crédit Mutuel » retenues par l’Autorité ne sont pas démontrées.
304. L’Autorité considère que le syndicat ne peut soutenir que Santéclair méconnaissait les règles déontologiques applicables aux chirurgiens-dentistes et renvoie aux paragraphes 474 à 489 de la décision attaquée. Elle souligne que même si tel avait été le cas, ces manquements n’auraient pas été de nature à justifier le comportement du syndicat qui, par ses critiques des réseaux de soins, aurait tout de même été regardée comme étant intervenue sur le marché (voir notamment par analogie : paragraphes 622 et 636 de la décision attaquée). Enfin, la circonstance que le syndicat en cause ait toujours défendu l’adhésion aux réseaux libres et ouverts est sans incidence sur le fait que, par son comportement à l’égard de Santéclair notamment, il est intervenu sur le marché.
305. Elle ajoute que les pratiques consistant à inviter les praticiens à ne pas adhérer aux réseaux de soins, et à inciter les patients de leurs adhérents à rester fidèles à leur praticien habituel, ressortent respectivement des paragraphes 778 à 784 et du paragraphe 785 de la décision attaquée, qui font état de diverses actions de communication de la CNSD, et dont la matérialité n’est pas contestée. Enfin, elle fait valoir que les prises de position de la CNSD contre le réseau dentaire des ACM sont établies par les paragraphes 370 à 380, auxquels renvoie le paragraphe 786 de la décision attaquée.
306. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
307. Il résulte des constatations faites aux paragraphes 364 à 369 de la décision attaquée que si la CNSD se dit favorable aux réseaux dits négociés, c’est-à-dire ceux dont « les modalités de fonctionnement et les conditions sont négociées au niveau national ou départemental entre un organisme d’assurance maladie complémentaire et un syndicat ou plusieurs syndicats représentants des praticiens » (cote 8272), elle se déclare opposée à toute autre forme de partenariat, et en particulier au réseau, tel que Santéclair, reposant sur des contrats conclus par un OCAM directement avec un praticien, sans l’intervention d’un syndicat.
308. Cette prise de position contre les réseaux non négociés par son intermédiaire est clairement exprimée dans une lettre circulaire n° 14/74 du 24 novembre 2014 : « Nous avons toujours farouchement combattu tous les réseaux mis en place par les plateformes assurantielles, type Santéclair, pratiquant des détournements systématiques de patients. Et nous continuons à le faire en demandant à non-confrères à ne pas adhérer ou d’en sortir. Car sans confrères adhérents, ces réseaux ne pourraient pas fonctionner ».
309. Cette opposition de principe s’est, en l’espèce, manifestée par des actions et comportements visant à inciter les chirurgiens-dentistes à résilier leur adhésion ou ne pas signer d’accord de partenariat, et partant à intervenir sur le marché pour entraver le développement de ces réseaux de soins, comme l’établissent notamment les faits constatés aux paragraphes 370 et suivants de la décision attaquée, dont la matérialité n’est pas contestée.
310. Ainsi, il résulte notamment de ces constatations qu’en novembre 2014, la CNSD a lancé une campagne de mobilisation par le biais d’un « manifeste des chirurgiens-dentistes », qui dénonçait notamment « les calomnies, les mensonges et les détournements de patientèle de la part de plateformes financières bien connues, confortées par la bénédiction des pouvoirs publics (Loi Leroux relative aux « réseaux ») », manifeste que les praticiens étaient invités à signer et que, ce faisant, ils s’engageaient à « rejeter toute adhésion et à sortir des « réseaux » pratiquant la désinformation et le détournement systématique des patients, et le non-respect de la charte signée par les complémentaires santé (...) ». Ce manifeste a été notamment diffusé dans la revue « Le chirurgien-dentiste de France » éditée par la CNSD, « La lettre de la CNSD » et sur le stand de cette dernière au Congrès de l’Association dentaire française.
311. Au cours de ce même mois de novembre 2014, la CNSD a exercé des pressions sur la société GACD, fournisseur de la profession et avec lequel elle avait signé un accord permettant à ses adhérents de bénéficier de conditions avantageuses, pour dissuader cette société de collaborer au réseau en cours de constitution par les Assurances du Crédit Mutuel. Ainsi, dans la lettre circulaire précitée, il est indiqué : « Rien dans ce partenariat ne donne à la CNSD un droit de regard sur les pratiques commerciales de GACD, ni une exclusivité dans les avantages accordés. Il n’en demeure pas moins que nous avons à plusieurs reprises averti Armand STEMMER [président de la GACD et des sociétés Euroteknica et Lyra] sur les dangers en termes d’images à se lier avec des réseaux ou des low-cost, au vu de la sensibilité exacerbée de la profession sur ces sujets et des combats menés par la CNSD. Nous n’avons pas manqué de le lui rappeler ces derniers jours. (…). En ce qui concerne le GACD, il faut espérer que la leçon a été bien comprise et qu’ils y réfléchiront à deux fois avant de tisser des liens avec des réseaux (un dérapage avéré nous obligera à dénoncer ce partenariat) » (cotes 9680 et 9681). S’agissant du groupement des Assurances du Crédit Mutuel, cette même lettre indique : « il apparaît que certains syndicats départementaux ont des liens avec le CIC/Crédit Mutuel via les « CMPS » : nous vous demandons de mettre la pression, via ces structures, pour inciter le GACM à abandonner le projet ». (cote 9681).
312. Contrairement à ce que soutient le syndicat, les pressions ont été effectivement mises en œuvre comme en témoigne le compte rendu de réunion du bureau confédéral du 12 décembre 2014, qui indique à propos du « Réseau Crédit Mutuel » :
« Les Crédits Mutuels des Professions de Santé, banques dédiées et gérées par les professions médicales libérales du même groupe, ont fait une motion unanime condamnant ce réseau, grâce à l’action de notre confrère Gérard BORDONE, [Président du CMPS 06], lors de l’Assemblée Générale des CMPS. Dans chaque CMPS où nous sommes présents, nous continuons à mettre la pression sur les ACM pour qu’elles abandonnent le projet. » (Cote 9701)
313. Par ailleurs, en juin 2015, la CNSD a consacré dans sa revue « Le Chirurgien-dentiste de France » un dossier spécial consacré aux réseaux de soins. Dans l’éditorial, le vice-président de la CNSD affirme que les chirurgiens-dentistes ne doivent pas « s’approcher des réseaux de soins qui ne sont pas négociés » et explique que « « les chirurgiens-dentistes qui cèdent aux chants des sirènes de ces structures et signent les accords individuels non négociés, le font parfois pour rendre service à leurs patients, mais pensent aussi qu’ils gonfleront ainsi leur chiffre d’affaires et leurs résultats. Sans se soucier des effets pervers et mercantiles de cette démarche, ils oublient qu’en se soumettant à ces organismes, ils vont perdre le contrôle de leur cabinet et seront pris dans un engrenage qui finira par les broyer » (cote 8271).
314. Ce dossier spécial invitait les chirurgiens-dentistes à remettre à leur patient, avec le devis du traitement proposé, un prospectus présenté comme « un document « anti-plateformes » très percutant » lors du congrès de la CNSD en mai 2015 (cotes 8282 et 8315). Ce document indique notamment:
« Vous avez choisi votre chirurgien-dentiste Vous avez confiance en lui « Votre mutuelle tentera peut- être de vous détourner vers un autre chirurgien-dentiste, qui vous proposera un « TRAITEMENT MOINS CHER » (...) Ce chirurgien-dentiste s’est engagé à CASSER LES PRIX en échange d’un apport de CLIENTS supplémentaires. Les soins bucco-dentaires ne sont pas des marchandises mais des traitements médicaux. Gardez cette liberté, choisissez votre praticien et la qualité de votre prestation »
315. Enfin, il résulte des éléments constatés aux paragraphes 393 à 401 de la décision attaquée, dont la matérialité n’est pas contestée, que le 5 octobre 2016, la CNSD a publié un communiqué de presse intitulé « Observatoire des réseaux de soins : un constat implacable » accompagné d’un document intitulé « La loi Le Roux du 27 janvier 2014 - Un premier bilan après 30 mois d’application » où le CNSD souligne que les pratiques de plateformes remettent en cause le libre choix du patient, le respect du secret médical, la liberté thérapeutique, l’indépendance professionnelle et la qualité de soins et conclut « à une régression indiscutable des droits fondamentaux des patients et une dérive productiviste qui menace la qualité des actes réalisés dans ces réseaux ». Elle indique s’appuyer « sur les témoignages de milliers de chirurgiens-dentistes correspondants », sans produire aucun élément ou référence permettait d’étayer cette affirmation. Le lendemain, la CNSD a publié sur son site internet un article « RÉSEAUX DE SOINS = DÉTOURNEMENT DE PATIENTÈLE », dans lequel elle a, à nouveau, vivement critiqué les réseaux dans des termes de nature à inciter tant les praticiens que les patients à s’en éloigner.
316. Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que, contrairement à ce que soutient le syndicat dans ses écritures, ce dernier a incité ses adhérents à se détourner des réseaux de soins, qui tel que Santéclair, reposent sur des conventions directement conclues avec les chirurgiens-dentistes, avec l’intention d’évincer ces réseaux du marché. Ce faisant, il est allé au-delà de sa mission de défense des intérêts de ses adhérents et est intervenu sur le marché en incitant ses adhérents à adopter un comportement déterminé : résilier leur convention de partenariat ou refuser d’en signer.
317. C’est donc à juste titre, et sans méconnaître la liberté syndicale, que l’Autorité s’est déclarée compétente pour sanctionner ces comportements au regard du droit de la concurrence.
318. Le moyen est rejeté.
B. Sur la partialité
319. Le syndicat CDF (ex-CNSD) soutient que l’Autorité a fait preuve de partialité à son égard en se saisissant d’office de pratiques dans le secteur de la chirurgie dentaire seulement quatre mois après avoir rejeté sa saisine contre Santéclair et en faisant l’amalgame entre les pratiques qui lui sont reprochées et celles reprochées à la FSDL
320. L’Autorité rappelle que sa faculté d’auto-saisine a été jugée conforme aux principes d’indépendance et d’impartialité par le Conseil constitutionnel (Cons.Cons. n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, point n° 21).
321. Elle ajoute qu’il est de jurisprudence constante que la décision par laquelle le rapporteur général décide de procéder à la jonction de l’instruction de plusieurs affaires constitue un acte interne réalisé pour une bonne administration de la justice.
322. Enfin, elle rappelle que deux griefs distincts ont été notifiés, l’un à la FSDL et l’autre à la CNSD, de sorte que cette dernière n’est pas fondée à soutenir que les services de l’instruction ont « amalgamé » les pratiques de l’une et de l’autre.
323. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité et considèrent que le moyen doit être rejeté.
Sur ce, la Cour,
324. En l’espèce, il convient de rappeler que, contrairement à ce que semble suggérer le syndicat, dans la décision du 24 octobre 2016, exposée en paragraphe 55 du présent arrêt, l’Autorité ne s’est pas prononcée sur le caractère anticoncurrentiel des pratiques dénoncées par la CNSD dans sa saisine contre Santéclair, mais s’est bornée à rejeter cette saisine pour défaut d’éléments suffisamment probants en application de l’article L. 462-8 du code de commerce.
325. Par ailleurs, la décision par laquelle l’Autorité, dans la présente affaire, s’est saisie d’office des pratiques dans le secteur de la chirurgie dentaire, n’est ni un acte de poursuite, ni un acte de jugement. Elle n’est donc pas de nature à faire naître un doute objectivement justifié sur l’impartialité de l’Autorité à l’égard du syndicat.
326. Enfin, la décision de joindre cette auto-saisine à celle de Santéclair, lesquelles portaient toutes les deux sur des pratiques d’éviction des réseaux de soins dans le secteur de la chirurgie-dentaire, n’est ni un acte de poursuite, ni un pré-jugement sur l’existence des pratiques prohibées. En outre, elle a été prise par le rapporteur général. Elle ne peut donc être de nature à créer un doute objectivement justifié sur l’impartialité du collège de l’Autorité.
327. Le moyen, mal fondé, est rejeté.
C. Sur le caractère anticoncurrentiel des pratiques
328. Le syndicat CDF (ex-CNSD) soutient que les actions de communication retenues par l’Autorité ne présentent pas de caractère anticoncurrentiel en ce qu’elles se sont inscrites dans sa mission de syndicat, en réponse à des signalements de confrères choqués par des agissements de Santéclair, et dans un langage propre à un syndicat. Il ajoute que la qualification d’appel à boycott n’est pas fondée dans la mesure où à aucun moment il n’a été, de manière délibérée, formalisé d’appel à boycott, même s’il y eu des mises en garde parfois vives sur les dérives du réseau Santéclair. Il renvoie pour le surplus aux deux mémoires qu’il a déposés devant l’Autorité.
329. L’Autorité considère que l’intention du syndicat d’évincer les réseaux de soins du marché ressort des motifs figurant aux paragraphes 778 à 787 de la décision attaquée. Elle ajoute que la qualification de restriction par objet est confirmée par l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel les pratiques ont été mises en œuvre, marqué par l’entrée en vigueur de la loi Le Roux. Elle souligne que le fait que le syndicat ait été saisi des pratiques commerciales de Santéclair à de multiples reprises par ses membres n’était pas de nature à justifier les pratiques qui lui ont été reprochées.
330. Santéclair, le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
331. L’article R. 464-25-1 du code de commerce fait obligation aux parties de prendre des conclusions récapitulatives qui doivent formuler expressément ses prétentions et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée, et précise que la Cour n’est saisie que de ces seules écritures.
332. Ainsi, contrairement à ce que soutient le syndicat, les mémoires qu’il a déposés devant l’Autorité ne font pas corps avec les dernières observations écrites qu’elle a déposées devant la Cour. Celle-ci n’est donc pas saisie par les mémoires déposés devant l’Autorité.
333. Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été établi aux paragraphes 308 et suivants du présent arrêt, les actions et communications du syndicat CDF, loin de se borner à de simples mises en garde, ont incité ses adhérents à adopter un comportement déterminé sur le marché : résilier leur partenariat avec les réseaux de soins ou à refuser de signer un accord de partenariat. Il a en outre exercé des pressions pour contrer la création d’un nouveau réseau. Les éléments décrits aux paragraphes précités démontrent que par ces actions et communications, le syndicat a manifesté son intention d’évincer les réseaux de soins du marché.
334. Comme l’a à juste titre retenu l’Autorité au paragraphe 788 de la décision attaquée, de tels comportements s’inscrivent dans un contexte marqué par l’entrée en vigueur de la loi Le Roux, comme en attestent notamment l’argumentaire du « Manifeste des chirurgiens-dentistes » publié en nombre 2014 et les communiqués de presse et articles publiés en octobre 2016, et s’apparentent à un appel au boycott contre des réseaux de soins, pratiques constitutives d’une infraction par objet au sens des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.
335. La circonstance que le syndicat ait reçu de nombreux signalements ou témoignages de praticiens se plaignant de détournement de clientèle de la part de ces réseaux ne pouvait l’autoriser à mener une telle campagne. En effet, comme le souligne à juste titre l’Autorité au paragraphe 791 de la décision attaquée, la loi Le Roux a admis le plafonnement conventionnel des coûts des prestations des chirurgiens-dentistes affiliés à un réseau de soins. Par ailleurs, aucun élément n’autorisait le syndicat à affirmer dans ses communications que les réseaux assurantiels de type Santéclair pratiquaient des détournements systématiques de patients. Enfin, comme déjà rappelé, il est de jurisprudence constante que les entreprises ne sauraient justifier une infraction aux règles de la concurrence en prétextant qu’elles y ont été poussées par le comportement d’autres opérateurs économiques.
336. Le moyen est rejeté.
III. SUR LES SANCTIONS PÉCUNIAIRES
A. Les sanctions infligées au titre du grief n° 1
1. Sur la méthode de détermination des sanctions
337. Dans la décision attaquée (paragraphes 822 à 823), l’Autorité a écarté l’application de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, au motif que les parties en cause ne réalisaient aucun chiffre d’affaires correspondant à des prestations de services relevant de la pratique de l’art dentaire.
338. Elle a indiqué qu’elle déterminera le montant de la sanction en tenant compte des circonstances propres à l’espèce et notamment, des ressources propres des organismes en cause et de leur faculté de faire appel à leurs membres pour lever des fonds nécessaires au paiement de leur sanction pécuniaire.
339. Les CDOCD de l’Isère, de Dordogne, des Bouches-du-Rhône, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin reprochent, en premier lieu, à l’Autorité d’avoir porté atteinte au principe de transparence, et partant à leurs droits de la défense, en ne précisant pas le montant de base retenu par le calcul de la sanction.
340. En second lieu, ils reprochent à l’Autorité d’avoir procédé à une appréciation globale de la gravité de l’infraction et du dommage à l’économie, se contentant de propos généraux qui ne s’appliquent pas à la situation individuelle de chacun des CDOCD, laquelle est à peine évoquée.
341. L’Autorité répond, sur le premier point, qu’ayant choisi la méthode de fixation forfaitaire, elle n’avait pas à déterminer le montant de base des sanctions pécuniaires infligées. Sur le second point, elle souligne qu’il est de pratique décisionnelle et de jurisprudence constantes que les critères légaux que sont la gravité des faits et le dommage à l’économie sont appréciés de manière globale avant que ne soient examinées les situations individuelles des parties.
Sur ce, la Cour,
342. Aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce, les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction.
343. L’Autorité ne méconnait pas le principe de l’individualisation de la peine lorsque, comme en l’espèce, elle apprécie d’abord, de manière globale, la gravité des pratiques constitutives d’une infraction unique, complexe et continue et le dommage que cette infraction a causé à l’économie et, ensuite, prend en considération le degré de responsabilité de chaque organisme en cause dans l’infraction et leur situation individuelle.
344. En outre, dès lors qu’elle a estimé, par les motifs rappelés supra, non contestés, qu’il y avait lieu d’écarter son communiqué du 16 mai 2011, elle n’avait pas à déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire. Il lui suffisait, comme elle l’a fait, de rappeler qu’elle tiendrait compte du niveau de ressources propres de chaque organisme et de leur faculté de lever des fonds auprès de leurs membres. En outre, la décision attaquée expose son appréciation tant de la gravité des faits, que du dommage causé à l’économie, ainsi que les éléments de situation individuelle que l’Autorité a estimés pertinents pour fixer le montant de la sanction. Il ne saurait donc lui être reproché d’avoir manqué de transparence dans la mise en œuvre des critères légaux édictés à l’article L. 464-2 précité.
345. Enfin, ainsi qu’il sera examiné en partie III, A, 4, l’Autorité a pris en compte la situation individuelle de chaque organisme.
346. Le moyen, mal fondé, est rejeté.
2. Sur la gravité des pratiques
347. Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu que les pratiques composant l’infraction, unique, complexe et continue revêtaient une particulière gravité au regard :
– du secteur concerné, celui de la santé publique,
– de leur nature, s’agissant de pratiques de boycott, et des formes multiples et complémentaires qu’elles ont revêtues,
– de leur durée,
– de la qualité des auteurs, en relevant que les pratiques émanaient d’instances ayant utilisé l’autorité morale attachée à l’ordre professionnel qu’elles représentent et d’un syndicat professionnel, qui, du fait de ses missions d’information et de conseil, exerce un rôle particulier en matière de respect de la légalité et de diffusion du droit applicable ;
– des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées, en l’occurrence des patients privés de possibilité d’accéder à des praticiens membre du réseau Santéclair ou des autres réseaux visés par les pratiques ;
– de la circonstance que l’ensemble des auteurs étaient sensibilisés aux risques encourus en cas de boycott, le Conseil de la concurrence ayant déjà sanctionné des pratiques similaires mises en œuvre par plusieurs instances ordinales, dont le CNOCD et le CDOCD du Bas-Rhin, par la décision n° 09-D-07 du 12 février 2009 précitée.
348. Le CNOCD soutient que l’Autorité n’a pas apprécié de manière concrète la gravité des faits mais s’est contentée d’opinions préconçues comme l’affirmation de principe selon laquelle toutes les pratiques touchant le secteur de la santé sont particulièrement graves parce que la concurrence y est « déjà réduite en raison de l’existence d’une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d’assurance maladie » ou encore « la constitution des réseaux de soins vise à faciliter l’accès aux soins, notamment en réduisant le montant des dépenses à la charge des patients ». Il ajoute que l’analyse de l’Autorité méconnaît que la concurrence dans le secteur médical s’exerce essentiellement sur des critères de compétence, de qualité des soins, de disponibilité et de qualité d’accueil des patients plutôt que sur les prix. Il souligne que le rapport de l’IGAS de 2017 a mis en exergue la faiblesse des écarts de prix entre les soins dispensés en réseaux ou hors réseaux. Enfin, il soutient que l’objectif des pratiques n’était pas de nature économique mais visait au respect des principes déontologiques.
349. Les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin contestent l’analyse de la nature des pratiques en cause en soulignant qu’elles ne sont pas de nature tarifaire ; l’analyse du secteur concerné en faisant valoir que l’enjeu est précisément de trouver un équilibre entre protection de la santé publique et concurrence par les prix au risque de prestations de soins dentaires détériorés ; l’analyse des personnes affectées par les pratiques en invoquant la faiblesse des écarts de prix pratiqués en réseaux et hors réseaux et de la sensibilité au prix des patients. Ils reprochent encore à l’Autorité de ne pas avoir pris en compte certains éléments objectifs des pratiques, comme l’absence de sophistication, de caractère secret, ni de détournement de la législation.
350. La FSDL reproche à l’Autorité de s’être prononcée par de simples affirmations dépourvues de tout élément permettant de les étayer pour retenir que les pratiques présentaient une gravité intrinsèque ou que les patients avaient été privés de la possibilité d’accéder à des praticiens membres d’un réseau. Elle ajoute que l’Autorité s’est contredite en retenant que les pratiques étaient particulièrement graves tout en admettant que le dommage à l’économie était limité.
351. L’Autorité considère qu’aucun des arguments invoqués par les parties n’est de nature à remettre en cause son analyse de la gravité des pratiques. Elle ajoute que la circonstance que les pratiques ne soient pas de nature tarifaire est sans incidence et rappelle que la gravité des pratiques de boycott est reconnue tant par la pratique décisionnelle que par la jurisprudence.
352. Elle ajoute encore que dans le secteur de soins dentaires, le reste à charge constitue un motif essentiel de renoncement aux soins et que précisément, les praticiens appartenant aux réseaux de soins sont en mesure de proposer des soins dentaires à des tarifs plus accessibles pour les patients.
353. Enfin, elle souligne que l’absence de sophistication des pratiques ou d’un caractère secret ou encore qu’elles ne témoignent d’aucun détournement de clientèle ne sont pas des éléments permettant de minorer la gravité de pratique de boycott.
354. Le ministre chargé de l’économie partage l’appréciation de la gravité des pratiques par l’Autorité dans la décision attaquée et souligne que le boycott correspond à l’une des formes les plus poussées d’atteinte à la concurrence.
355. Le ministère public partage l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
356. Il ne peut être sérieusement soutenu que l’Autorité n’a pas procédé à une appréciation concrète de la gravité de l’infraction alors que, dans la décision attaquée, ainsi qu’il a été rappelé, elle s’est fondée sur la nature des pratiques, leur durée, les formes qu’elles ont prises et leur condition de mise en œuvre, le secteur concerné, les personnes affectées et la qualité des auteurs de ces pratiques.
357. S’agissant en particulier de la nature des pratiques, c’est à juste titre qu’elle a rappelé qu’elles avaient pour objet, non de veiller au respect des règles de déontologie, mais d’empêcher des opérateurs économiques, les réseaux de soins mais aussi leurs partenaires, d’exercer librement leur activité sur le marché et que ces pratiques de boycott, par nature, revêtent une gravité particulière. La circonstance que l’infraction ne portait pas sur les prix ou tarifs est dès lors inopérante pour minorer la gravité de l’infraction.
358. S’agissant du secteur concerné, elle a souligné les particularités du secteur de la santé publique marqué notamment, ce qui n’est pas contesté, par une concurrence réduite en raison de l’existence d’une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé et de la nécessité de préserver les équilibres budgétaires du système d’assurance maladie. Des pratiques de boycott qui viennent perturber une concurrence déjà réduite présentent donc une particulière gravité. Si la concurrence entre les chirurgiens-dentistes se fait plus par la qualité des soins et moins par les prix, l’objectif des réseaux de soins est précisément de faciliter l’accès aux soins dentaires en réduisant le montant des dépenses restant à la charge des patients sans en sacrifier la qualité. A cet égard, il n’est pas contesté que le reste à charge des traitements dentaires constitue un motif essentiel de renoncement aux soins. En outre, si le rapport de l’IGAS de 2017 souligne la faiblesse des écarts de prix par rapport à ceux relevés dans d’autres secteurs comme l’optique ou les prothèses auditives, il constate néanmoins que ces écarts sont significatifs pour certains réseaux et sont variables en particulier selon le type de soins, les écarts étant plus importants pour les implants que pour les couronnes ou les bridges. Les cotes 11412, 11459, 11461 et 11470 du dossier constituent des exemples d’écarts significatifs de prix pratiqués par un praticien en réseaux et hors réseaux. C’est donc à juste titre que l’Autorité a retenu ces éléments pour souligner la gravité de l’infraction, sans qu’il soit nécessaire qu’elle établisse que des patients ont été privés de réseaux de soins.
359. Par ailleurs, l’Autorité n’avait pas à prendre en considération l’absence de sophistication des pratiques, leur caractère non secret ou encore l’absence de détournement de la législation, circonstances qui ne peuvent constituer des facteurs de minoration de pratiques de boycott.
360. Enfin, aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce précité, la gravité de pratiques anticoncurrentielles est un critère de détermination de la sanction distinct de celui du dommage à l’économie et donc des effets qu’elles ont pu avoir sur le marché. C’est donc sans se contredire que l’Autorité a pu retenir que l’infraction était d’une particulière gravité tout en relevant qu’elle avait causé un dommage à l’économie limité.
361. Aucun des éléments invoqués par les parties n’est ainsi de nature à remettre en cause les éléments d’appréciation retenus par l’Autorité, que la Cour adopte, pour conclure à une particulière gravité de l’infraction.
362. Les moyens sont rejetés.
3. Sur le dommage à l’économie
363. Dans la décision attaquée, l’Autorité a considéré que le dommage à l’économie était certain mais limité.
364. Le CNOCD soutient que les pratiques n’ont causé aucun effet anticoncurrentiel sensible. Il souligne qu’il y a eu très peu de résiliations, lesquelles étaient motivées par un mécontentement du fonctionnement du partenariat ou une absence d’intérêt sans rapport avec les positions syndicales. Il souligne qu’aucun élément du dossier ne permet de comparer le nombre de ces résiliations avec les flux entrants et sortants habituels, que ce soit au sein du réseau Santéclair qu’au sein des autres réseaux. Il fait valoir que le rapport de l’IGAS a relevé que le nombre d’adhésions aux réseaux a été particulièrement important pendant la période 20013-2015, ce qui démontre que les réseaux se sont développés pendant la période des pratiques. Il conteste l’ampleur des pratiques retenue par l’Autorité en faisant valoir que les résiliations des conventions de partenariat, telles que présentées à la page 88 de la décision attaquée, n’ont concerné que 27 départements sur une période de quatre années, et n’ont concerné que les conventions signées avec Santéclair, les gestionnaires des autres réseaux, comme Sévéane, Itelis ou Kalivia, ayant constaté un développement normal et régulier. Il ajoute que le retard pris dans la mise en place du réseau ACM est clairement étranger aux pratiques, mais imputable à une erreur de communication interne comme l’explique le dirigeant lui-même.
365. Les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin considèrent que l’Autorité n’a pas établi l’existence d’un dommage à l’économie. Ils soutiennent, s’agissant de l’ampleur des pratiques, ils soutiennent que l’Autorité a méconnu son communiqué sur les sanctions en refusant de prendre en compte, de manière individualisée, la couverture géographique des pratiques mises en œuvre par chacun des participants à l’infraction unique, complexe et continue. Ils allèguent à cet égard que les pratiques qui leur sont reprochées ont seulement pu avoir un impact sur leur département respectif, et non sur l’ensemble du territoire national.
366. S’agissant des caractéristiques du secteur concerné, ils font valoir que rien ne permet d’établir que les pratiques en cause sont à l’origine d’un ralentissement du développement des réseaux dentaires et reprochent à l’Autorité de n’évoquer que la virtualité d’effets négatifs sans étayer ses affirmations par des éléments concrets.
367. S’agissant des conséquences des pratiques, ils soutiennent qu’il n’est pas établi qu’elles ont entraîné des résiliations de contrat d’affiliation et pas davantage, qu’elles aient pu décourager les praticiens non encore affiliés de conclure un partenariat avec un réseau de soins. Ils reprochent également à l’Autorité de ne pas avoir déterminé la part de responsabilité de chacun des auteurs des pratiques dans le dommage à l’économie. Ils précisent aussi que l’Autorité ne pouvait pas prendre en considération la perte des praticiens partenaires exerçant l’implantologie dans la mesure où cette spécialité n’est pas reconnue dans l’art de la chirurgie-dentaire. Enfin, ils font valoir que le rapport de l’IGAS ne permettait pas à l’Autorité de conclure que les pratiques en cause ont pu avoir des répercussions sur les tarifs des prestations de soins dentaires.
368. La FSDL soutient que les pratiques n’ont eu aucun effet anticoncurrentiel de sorte que le dommage à l’économie est nul. Elle souligne que les résiliations des praticiens du réseau Santéclair imputables au syndicat et aux instances ordinales ont été marginales et sans impact sur le réseau qui a pu se reconstituer avec un seul appel d’offres. Elle soutient que les quatre résiliations intervenues pour sortir du réseau Itelis ne peuvent caractériser l’effet anticoncurrentiel tel que retenu dans la décision attaquée. Elle soutient encore qu’aucune répercussion n’a été établie pour les réseaux ACM, Kaliva et les sociétés GACD, Eurotknika et Lyra, Dentarum. S’agissant de l’association Génération Implant, elle fait valoir que l’Autorité n’a pas démontré le lien de causalité entre les pratiques qui lui sont reprochées et les difficultés rencontrées par cette association, lesquelles s’expliquent par bien d’autres causes comme en attestent les courriers de démission de certains de ses membres formateurs.
369. L’Autorité répond qu’elle a pu conclure à l’existence d’un dommage certain au regard des effets tant avérés (résiliation de convention d’adhésion, effets sur le réseau ACM), que potentiels des pratiques (renonciation de praticiens à adhérer, entrave à l’effet levier des réseaux sur les prix).
370. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
371. Il convient de rappeler que le dommage à l’économie causé par une infraction par objet est apprécié de manière globale, au regard de ses effets tant avérés que potentiels sur le marché considéré, de l’ampleur des pratiques qui la composent et des caractéristiques du secteur.
372. C’est donc à juste titre que l’Autorité a apprécié les effets cumulés des pratiques constitutives de l’infraction mises en œuvre par l’ensemble des participants. Elle n’était pas tenue, à ce stade, d’identifier la part imputable à chaque organisme en cause.
373. Pour les mêmes motifs, il convient d’approuver l’Autorité d’avoir retenu que les pratiques avaient une ampleur nationale dès lors qu’elles ont été élaborées et mises en œuvre par des instances professionnelles à compétence nationale, et ce peu important que les résiliations constatées ne soient intervenues que dans 27 départements, ces résiliations n’étant qu’un des effets des pratiques.
374. S’agissant des effets avérés relevés par l’Autorité, les parties ne peuvent sérieusement contester l’imputabilité des résiliations constatées, récapitulées dans les tableaux 2 et 3 en pages 88 à 93 de la décision attaquée, aux pratiques mises en œuvre dès lors que toutes les lettres de résiliation mentionnées, font référence, selon les cas, à la position d’instance ordinale contre les réseaux de soins, aux plaintes de confrères suscitées par les campagnes précitées, au caractère prétendument anti-déontologique des pratiques des réseaux, à leur effet contraire à la confraternité, dans des termes équivalents à ceux utilisés par les instances ordinales et syndicales dans leurs communications litigieuses.
375. Par ailleurs, la déclaration du responsable santé des ACM permettait également à l’Autorité de considérer que les pratiques avaient retardé la mise en place de son réseau de soins et l’avaient conduit à renoncer à l’axer sur l’implantologie pour le réorienter vers les prothèses (cotes 8157 et 8159). La circonstance selon laquelle l’implantologie n’était pas une spécialité alors reconnue au sein de la profession est sans incidence, dès lors qu’elle n’interdisait pas la constitution d’un réseau de soins reposant sur des conventions portant sur les tarifs des implants.
376. Enfin, les éléments du dossier établissent, ainsi que l’a à juste titre relevé l’Autorité, que les pratiques ont eu des effets directs sur :
– la société GACD, et les sociétés membres de ce groupe, comme en attestent les déclarations de son président, figurant en cotes 7344 et 7345, rappelant les actions menées par la FSDL contre les réseaux de soins et son hostilité affichée à la création d’un partenariat entre les ACM et la société GACD ayant entraîné des vives réactions de chirurgiens-dentistes contre la société, et qui ont conduit le groupe a renoncé à son partenariat avec les ACM mais également à tout partenariat avec un réseau de soins ;
– l’association Génération Implant, qui propose des actions de formation continue pour les chirurgiens-dentistes et plus particulièrement en implantologie dentaire. Les constatations faites aux paragraphes 420 à 428 démontrent que les actions menées contre Santéclair ont conduit les formateurs de cette association à résilier leur partenariat avec ce réseau mais également l’association à décider qu’aucun formateur ne pourra faire partie du réseau implantologie Santéclair. Cette décision a été largement relayée par la FSDL dans des termes qui ont eu des conséquences financières pour l’association.
– le fournisseur d’implants Dentaurum, ainsi qu’il résulte des constatations faites aux paragraphe 429 à 4322 de la décision attaquée, qui évoque des réactions et des pressions de la part de certains chirurgiens-dentistes mécontents que Dentaurum fournisse en implants le réseau Santéclair.
377. S’agissant des effets potentiels, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que, dans la même mesure où les pratiques ont entraîné des résiliations de conventions, elles ont pu être de nature à dissuader des praticiens d’adhérer à des réseaux de soins, quoique dans une proportion limitée.
378. En outre, les réseaux de soins, reposant sur des conventions fixant un plafond des tarifs, constituent un levier pour diminuer les prix des prestations de soins, de sorte les pratiques en cause, en ce qu’elles visaient à entraver le développement de ces réseaux, ont également pu avoir des répercussions sur ces tarifs. La circonstance que ces réseaux soient peu développés dans le secteur des soins dentaires et qu’un fort intuitu personae guide le choix du patient est certes de nature à limiter cet effet potentiel sur les prix mais pas à l’écarter totalement.
379. Aucun des éléments invoqués par les parties n’est donc de nature à remettre en cause l’appréciation de l’Autorité, pour les motifs que la Cour adopte, selon laquelle le dommage à l’économie est certain mais limité.
380. Les moyens, mal fondés, sont rejetés.
4. Sur la situation individuelle des organismes
- La FSDL
381. La FSDL soutient que la sanction qui lui a été infligée est disproportionnée en ce qu’elle représente plus d’un tiers de ses ressources et qu’elle est bien plus élevée, en proportion, que celles habituellement prononcées par l’Autorité contre des organismes professionnels.
382. Elle soutient encore que sa capacité de lever des fonds auprès de ses membres est très limitée, en raison des difficultés rencontrées par la profession lors de la crise sanitaire de 2020.
383. L’Autorité répond que le montant des sanctions prononcées dans d’autres affaires n’est pas une référence pertinente dès lors que les sanctions sont déterminées en fonction de circonstances propres à chaque espèce et à la situation individuelle des entreprises en cause. Elle relève que la FSDL ne verse aucun élément précis aux débats de nature à démontrer tant son incapacité de régler l’amende sur ses ressources propres, qu’à lever des fonds auprès de ses adhérents. Elle souligne que répartie sur ses adhérents, le poids de la sanction représente 90 euros par adhérent.
384. Le ministère public considère que le moyen doit être écarté.
Sur ce, la Cour,
385. En premier lieu, il convient de rappeler que les sanctions pécuniaires devant être déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionnés, leur fixation est nécessairement liée aux faits et au contexte propres à chaque espèce. La pratique décisionnelle antérieure de l’Autorité ne peut donc servir de référence pertinente pour vérifier la proportionnalité d’une sanction pécuniaire.
386. La comparaison faite par la FSDL avec les sanctions précédemment prononcées par l’Autorité contre des organismes professionnels n’est dès lors pas opérante.
387. En outre, cette comparaison est fondée sur le seul ratio sanction/ressources alors que les sanctions prononcées sont également fonction de circonstances aggravantes ou atténuantes propres à chaque entreprise ou organisme.
388. Sur ce point, il convient de relever que, dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu la circonstance aggravante fondée sur le rôle particulier joué par la FSDL dans la mise en œuvre de la campagne de plaintes, au moyen d’une communication agressive et soutenue contre les réseaux de soins et plus particulièrement Santéclair. Ses motifs, fondés sur une juste appréciation des éléments rappelés en paragraphes 179 et suivants du présent arrêt, ne sont pas contestés par la FSDL devant la Cour.
389. En second lieu, la FSDL ne verse aucun élément aux débats de nature à établir ses difficultés à supporter la charge de la sanction qui lui a été infligée, soit 216 000 euros au regard de ses ressources propres, tirées des cotisations de ses membres et qui s’élevaient, en 2017, à la somme de 639 496 euros.
390. La seule allégation générale selon laquelle la crise sanitaire a fortement impacté l’activité des chirurgiens-dentistes ne suffit pas à démontrer les difficultés contributives de la FSDL ni son incapacité à lever des fonds auprès de ses membres. Sur ce dernier point, il sera relevé que réparti sur l’ensemble des adhérents, le montant de l’amende représente 90 euros par praticien, soit un montant plus de deux fois inférieur au « coût » d’une heure d’activité d’un cabinet dentaire (200 euros) d’après le président de la FSDL (pièce n° 14 de la FSDL).
391. Le moyen, mal fondé, est rejeté.
- Le CDOCD de l’Isère
392. Le CDOCD de l’Isère reproche à l’Autorité d’avoir retenu la circonstance aggravante fondée sur son prétendu rôle prépondérant sans jamais s’appuyer sur des éléments probants ni rapporter la moindre démonstration d’un tel comportement et procède par affirmation.
393. Il lui reproche encore de ne pas avoir tenu compte des difficultés financières auxquelles il est confronté alors qu’elle était tenue d’évaluer sa situation individuelle.
Sur ce, la Cour,
394. En premier lieu, il convient de rappeler que dans la décision attaquée, pour retenir la circonstance aggravante fondée sur le rôle prépondérant du CDOCD de l’Isère dans la mise en œuvre et la conception de la campagne de plaintes dirigées contre Santéclair, en étroite collaboration avec la FSDL et le CNOCD, elle a retenu, d’une part, qu’il avait contribué à son bon fonctionnement en instrumentalisant la procédure de conciliation prévue par le Code de la santé publique pour contraindre des chirurgiens-dentistes de son ressort à résilier leurs contrats de partenariat avec Santéclair en renvoyant à son analyse figurant au paragraphe 631 de sa décision, laquelle repose :
– sur un document intitulé « conduite à tenir en cas de détournement manifeste d’un patient par un réseau de soins type Santéclair », accessible sur le site internet de la FSDL, qui précise que : « Lors de la conciliation avec les chirurgiens-dentistes partenaires, il faut demander à ce que ces praticiens s’assurent auprès du réseau auquel ils ont adhéré que plus aucune publicité soit diffusée. Le mieux pour cela est que ces praticiens résilient leur partenariat. Dans le cas contraire, un PV de non conciliation peut être signé (…) » (cote 9087) ;
– sur le courrier du 7 mars 2014 adressé par le président du CDOCD de l’Isère à son homologue du Rhône déjà évoqué en paragraphe 118 du présent arrêt ;
– le compte rendu de la séance de conciliation à laquelle a été convoqué un praticien isérois, décrit aux paragraphes 306 et suivants de la décision attaquée.
395. Elle a retenu, d’autre part, que pour assurer un fonctionnement effectif de la campagne de plaintes, le président du CDOCD de l’Isère a expliqué à ses homologues des conseils départementaux du Rhône et de l’Indre la manière dont il convenait de traiter les plaintes concernant des praticiens adhérents à Santéclair en renvoyant aux constatations factuelles faites aux paragraphes 311 et suivants de la décision attaquée.
396. Ainsi, le CDOCD de l’Isère, qui ne conteste pas la matérialité des constatations factuelles précitées, ne peut sérieusement soutenir que l’Autorité n’a pas motivé sa décision de retenir la circonstance aggravante fondée sur le rôle déterminé qu’il a joué dans la mise œuvre de la campagne de plaintes.
397. La Cour considère en outre que c’est par des motifs pertinents que l’Autorité a retenu une telle circonstance.
398. En second lieu, le CDOCD de l’Isère ne verse aucun élément aux débats établissant avoir fait part à l’Autorité de difficultés financières particulières. Il n’en verse pas davantage devant la Cour.
399. Les moyens, mal fondés, sont rejetés.
5. Sur la réitération
400. Le CDOCD du Bas-Rhin conteste la situation de réitération retenue par l’Autorité pour déterminer le montant de la sanction qui lui a été infligée. Il fait valoir que la pratique sanctionnée dans la présente affaire n’est pas identique ou similaire, par son objet ou ses effets, à celle ayant donné lieu au précédent constat d’infraction dans la décision n° 09-D-07 précitée.
401. L’Autorité considère que ce moyen n’est pas fondé en soulignant que dans la décision n° 09-D-07 du 12 février 2009, elle avait déjà sanctionné le CDOCD du Bas-Rhin pour avoir exercé des pressions sur les chirurgiens-dentistes dentistes pour qu’ils cessent leurs relations ou n’entrent pas en relation avec Santéclair, ni avec d’autres entreprises intervenant dans le cadre de l’assurance santé complémentaire.
402. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public partagent l’analyse de l’Autorité.
Sur ce, la Cour,
403. La circonstance aggravante fondée sur la réitération de pratiques anticoncurrentielles peut être retenue pour de nouvelles pratiques identiques ou similaires, par leur objet ou leurs effets, à celles ayant donné lieu à un précédent constat d’infraction, sans que cette qualification n’exige une identité quant à la pratique mise en œuvre ou quant au marché concerné.
404. En l’espèce, par la décision n° 09-D-07, le Conseil de la Concurrence a sanctionné le CDOCD du Bas-Rhin pour avoir participé, de décembre 2002 à décembre 2008, aux pratiques de boycott contre Santéclair mises en œuvre par le CNOCD, reposant sur la diffusion de circulaires véhiculant une interprétation erronée de la portée de ses avis déontologique sur les protocoles proposés aux chirurgiens-dentistes, en vue d’évincer du marché la société Santéclair,.
405. Ainsi, le CDOCD du Bas-Rhin ne peut sérieusement contester qu’il a mis en œuvre des pratiques similaires de boycott en diffusant comme il l’a fait, en 2014 et 2015, des circulaires affirmant, sur le fondement d’une interprétation erronée du code de déontologie, la non-conformité aux règles et principes régissant la profession des réseaux de soins et incitant les chirurgiens-dentistes à les quitter ou à s’abstenir d’y entrer.
406. C’est donc à juste titre que la circonstance de réitération a été retenue contre ce CDOCD. 407.Le moyen est rejeté.
6. Sur le plafond légal
408. Le CNOCD fait valoir que le plafond légal prévu à l’article L. 464-2 du code de commerce, soit 3 000 000 euros est dépassé au motif que les sanctions prononcées contre les CDOCD sont entièrement à sa charge, les CDOCD n’ayant pas de ressources propres autre que la part du budget global de l’Ordre qui leur est affecté, et que le cumul des sanctions prononcées à son encontre et à l’encontre des CDOCD atteint 3 117 000 d’euros, d’autant qu’il conviendrait également d’y ajouter le coût des publications rendues nécessaires par les injonctions.
409. L’Autorité rappelle que tous les conseils de l’Ordre sont dotés de la personnalité civile en application de l’article L. 4125-1 du code de la santé publique de sorte qu’elle était en mesure de les sanctionner pour les pratiques qu’ils ont respectivement mises en œuvre, et que partant, l’appréciation du plafond légal se fait pour chaque CDOCD et non de manière globale. Elle souligne que le plafond légal ne s’applique qu’aux sanctions pécuniaires.
410. Le ministère public considère que le moyen doit être rejeté.
Sur ce, la Cour,
411. Aux termes de l’article L. 464-2, I, alinéa 4, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021, lorsque le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction que peut lui infliger l’Autorité est de 3 millions d’euros.
412. Le montant de ce plafond légal s’apprécie pour chacun des contrevenants encourant une sanction pécuniaire.
413. En l’espèce, les CDOCD en cause ayant chacun la personnalité morale, ils encouraient chacun une sanction à raison de leur responsabilité individuelle respective dans l’infraction.
414. Le CNOCD n’est pas donc pas fondé à invoquer la circonstance que la charge finale des sanctions pécuniaires cumulées reposera sur lui pour soutenir que le plafond légal est dépassé.
415. En outre, le plafond fixé par le texte précité ne s’applique qu’aux sanctions pécuniaires de sorte qu’il n’y a pas lieu, pour respecter ce plafond, de tenir compte du coût des sanctions non pécuniaires, comme les injonctions de publication.
416. Le CNOCD, à qui l’Autorité a infligé une sanction de 3 000 000 euros, n’est donc pas fondé à invoquer une méconnaissance du texte précité.
417. Le moyen est rejeté.
B. La sanction infligée au titre du grief n° 2
418. Le syndicat CDF (ex-CNSD) soutient que la sanction de 680 000 euros qui lui a été infligée est disproportionnée et doit être ramenée à la somme maximale de 10 000 euros.
408. Il reproche à l’Autorité de ne pas avoir suffisamment motivé sa décision et expliqué en quoi les pratiques reprochées justifiaient une sanction d’un tel montant. Il souligne que cette sanction est d’autant plus discutable que le syndicat n’a jamais entendu excéder le champ de son objet social, à savoir la défense des intérêts de ses membres et de la profession de chirurgien-dentiste.
409. Il soutient que cette sanction est disproportionnée au regard du niveau des sanctions prononcées au titre du grief n° 1, de la faiblesse du dommage à l’économie et des circonstances atténuantes que l’Autorité aurait dû prendre en considération tenant au fait qu’il a toujours contribué à valoriser les réseaux de santé et qu’il n’a pas participé aux pratiques visées par le grief n° 1.
410. L’Autorité renvoie aux motifs figurant aux paragraphes 884, 835 à 837 de la décision attaquée qui suffisent à justifier le montant de la sanction.
411. Le ministère public considère que le moyen doit être écarté.
Sur ce, la Cour,
412. Dans la décision attaquée, après avoir rappelé l’objet des pratiques reprochées au paragraphe 884, consistant à avoir cherché à entraver l’activité des réseaux de soins, l’Autorité a considéré qu’elles étaient particulièrement graves pour les motifs indiqués aux paragraphes 829 et 830, qui soulignent qu’elles sont intervenues « dans le secteur de la santé publique, dans lequel la concurrence est déjà réduite en raison de l’existence d’une réglementation destinée à assurer le meilleur service de santé pour la population tout en préservant les équilibres budgétaires du système d’assurance maladie » et que les pratiques de boycott sont reconnues comme particulièrement graves par la pratique décisionnelle et la jurisprudence. Elle a également renvoyé au paragraphe 834 qui rappelle que les pratiques émanent d’un syndicat professionnel qui, du fait de ses missions d’information et de conseil, exerce un rôle particulier en matière de respect de la légalité et de diffusion du droit applicable. Par renvoi aux paragraphe 835 à 837, elle a pris en considération la nature des personnes affectées ou susceptibles d’être affectées par l’infraction, en l’occurrence les patients, et la circonstance que les auteurs étaient déjà sensibilisés aux risques qu’ils encouraient en cas de boycott des réseaux de soins, la décision du 12 février 2009 (exposée au paragraphe du présent arrêt) ayant fait l’objet d’une publication dans les revues « La Lettre de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes » (envoyée à tous les chirurgiens-dentistes709), « Le Chirurgien-dentiste de France » (revue éditée par la CNSD) et « Information dentaire ».
413. S’agissant du dommage à l’économie (paragraphes 886 à 893 de la décision attaquée), elle a retenu qu’il était certes limité mais qu’il était certain. Elle a ainsi relevé que les pratiques ont été mises en œuvre par une instance professionnelle à compétence nationale, qu’elles ont débuté en novembre 2014 pour s’achever plus de quatre ans plus tard et qu’elles ont contribué à freiner la croissance des réseaux déjà relativement peu développée. Elle a également retenu l’effet potentiel combiné des pratiques mises en œuvre par les instances ordinales et la FSDL.
414. Enfin, l’Autorité a pris en compte le montant des cotisations perçues par la CNSD en 2017, soit 2 698 613 euros.
415. Le syndicat ne peut donc sérieusement soutenir que l’Autorité n’a pas motivé sa décision.
416. Par ailleurs, le syndicat ne peut sérieusement reprocher à l’Autorité de ne pas avoir tenu compte qu’il avait toujours valorisé les réseaux de soins alors que précisément, les pratiques qu’il a mises en œuvre ont consisté à entraver l’activité de certains de ces réseaux de soins, ceux qui n’ont pas été négociés par son intermédiaire. Il ne peut donc prétendre à une minoration de la sanction à ce titre.
428. La circonstance qu’il n’a pas participé aux pratiques visées par le grief n° 1 ne saurait constituer une circonstance atténuante de nature à minorer la sanction qu’il encourt pour avoir mis en œuvre les pratiques visées par le grief n° 2.
429. La Cour considère, pour les motifs de la décision attaquée précédemment rappelés, que la sanction pécuniaire de 680 000 euros satisfait aux critères posés à l’article L. 464-2 du code de commerce.
IV. SUR LES INJONCTIONS
430. Dans la décision attaquée, l’Autorité a enjoint aux organismes sanctionnés d’insérer le texte figurant au paragraphe 898, en respectant la mise en forme, dans « La lettre de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes », les revues « le Libéral Dentaire » et
« Le Chirurgien-Dentiste de France » et, à frais partagés des organismes sanctionnés et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, dans l’édition papier et sur le site Internet des journaux « Le Figaro » et « Les Échos ».
431. Les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin soutiennent que ces injonctions de publication ne sont ni nécessaires, l’Autorité ayant déjà abondamment communiqué sur cette décision, ni proportionnées. Sur ce dernier point, ils soutiennent que ces injonctions de publication constituent une « sanction pécuniaire complémentaire déguisée », compte tenu de coût de ces mesures et de la modicité de leurs ressources.
432. La FSDL développe une argumentation similaire.
433. Le syndicat CDF (ex-CNSD) fait valoir, que l’Autorité n’a pas motivé sa décision d’injonction de publication, que les médias qu’elle a choisis ne sont pas adaptés et que le coût de ces publications est disproportionné au regard du but poursuivi.
434. L’Autorité expose qu’en prononçant les injonctions de publication litigieuses, elle a cherché à assurer une diffusion large et cohérente de la décision pour informer le plus grand nombre de personnes concernées de sa teneur, objectif qui ne pouvait pas être atteint par la mise en ligne sur son site, consulté majoritairement par des professionnels du droit ou de l’économie, ni par le compte LinkedIn ou le réseau social Twitter compte tenu des contraintes de forme de publication en termes de nombre de caractères.
435. Le ministre chargé de l’économie considère qu’il ressort explicitement des développements de l’Autorité que la nature et la gravité de l’infraction, la qualité des entreprises visées ainsi que le marché concerné justifient l’injonction de publication. Il ajoute que la couverture médiatique d’une décision de l’Autorité ne peut juridiquement se substituer à la publication qui a été ordonnée par elle ni dispenser les entreprises concernées de leur obligation de respecter l’injonction.
436. Le ministère public rappelle que l’injonction de publication a pour objet d’informer avec précision le lecteur en appelant son attention sur les pratiques sanctionnées, « afin de prévenir efficacement toute nouvelle tentative de la part [de la société requérante] pour freiner ou restreindre l’ouverture du marché à la concurrence ». Il invite la Cour à prendre en compte la réitération commise par le CNOCD et par le CDOCD des Bouches-du-Rhône, ainsi que la nécessité d’informer le consommateur/patient, eu égard aux conséquences que les pratiques portent sur l’offre de soin, dès lors que celles-ci avaient pour but d’entraver l’activité de Santéclair et d’autres réseaux assimilables.
Sur ce, la Cour,
437. Selon l’article L. 464-2, I, alinéa 5, du code de commerce, l’Autorité peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci selon les modalités qu’elle précise et aux frais de la personne intéressée.
438. Ainsi que le souligne à juste titre l’Autorité dans ses observations devant la Cour, la publication de ses décisions participe à l’exemplarité et l’effet dissuasif des sanctions qu’elle prononce dans le cadre de sa mission d’assurer la défense de l’ordre public économique. En effet, la publicité donnée à une décision de sanction permet d’alerter autant les acteurs du marché que les consommateurs et les collectivités publiques sur le caractère anticoncurrentiel de certaines pratiques et les invite à exercer leur vigilance.
439. En l’espèce, l’Autorité a ordonné les mesures de publication litigieuses « afin d’informer les chirurgiens-dentistes et les consommateurs du caractère prohibé des pratiques sanctionnées dans la présente affaire ». Elle n’a ainsi fait qu’exercer la faculté prévue à l’article L. 464-2 précitée, sans qu’elle soit tenue de motiver davantage sa décision, ni de préciser en quoi sa communication institutionnelle ne pouvait suffire à assurer la plus large diffusion de sa décision de sanction.
440. Les mesures litigieuses, s’agissant en particulier du choix des médias et du texte à publier ont eu pour finalité d’assurer une large information du public, qu’il s’agisse des praticiens concernés, adhérents ou non aux deux syndicats mis en cause, que des consommateurs intéressés, leurs patients actuels et futurs, et des milieux économiques afin d’alerter ces derniers sur les différentes formes que peuvent prendre des pratiques boycott.
441. Le coût de ces mesures, s’agissant des publications dans des quotidiens nationaux, a été en outre partagé entre les organismes en cause au prorata de leurs sanctions pécuniaires.
442. Ainsi, les modalités de publication définies par l’Autorité étaient nécessaires et proportionnées à l’objectif d’information poursuivi.
443. Les moyens, mal fondés, sont rejetés.
V. SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
444. Les demandeurs au recours succombant en leur prétentions, ils ne peuvent prétendre à l’allocation d’une indemnité au titre de leurs frais irrépétibles.
445. L’équité commande en outre de les condamner in solidum à payer la somme de 10 000 euros à Santéclair.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, REJETTE les exceptions d’incompétence ; Au fond,
REJETTE les recours ;
REJETTE les demandes des demandeurs au recours au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum CDF, la FSDL, le CNOCD, les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin à payer la somme de 10 000 euros à la société Santéclair en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum CDF, la FSDL, le CNOCD, les CDOCD de l’Isère, des Bouches-du-Rhône, de Dordogne, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin aux dépens.