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Décisions

CA Colmar, 3e ch. civ. A, 12 juillet 2021, n° 20/03628

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Commune de Sélestat

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Martino

Conseillers :

Mme Fabreguettes, M. Frey

JEX Sélestat, du 16 nov. 2020

16 novembre 2020

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par arrêt du conseil d'État en date du 20 décembre 2017, rectifié par ordonnance du 28 décembre 2017, il a été enjoint à Monsieur Thierry D. et à tous occupants de son chef de quitter la maison forestière du Danielsrain qu'il occupait irrégulièrement à La Vancelle-Gare et qui appartient à la commune de Sélestat, sous astreinte.

En exécution de cette décision, la commune de Sélestat a fait procéder, le 13 septembre 2018, à l'expulsion de Monsieur Thierry D..

Par acte d'huissier du 13 septembre 2018, la commune de Sélestat a dénoncé à Monsieur Thierry D., présent sur les lieux, le procès-verbal d'expulsion, portant convocation à comparaître devant le juge de l'exécution à son audience du 22 octobre 2018, afin qu'il soit statué sur le sort des biens laissés sur place à l'issue de l'expulsion.

La commune de Sélestat a demandé que soit ordonnée la vente aux enchères publiques des objets mobiliers énumérés au dispositif, appartenant au défendeur, possédant une valeur marchande et n'ayant pas été évacués dans un délai d'un mois suivant l'expulsion, que soit déclarés abandonnés les objets sans valeur marchande et n'ayant pas été évacués, ainsi que condamnation de Monsieur D. aux entiers frais afférents, directs ou indirects, à l'enlèvement et à la destruction des biens abandonnés et à lui payer la somme de 800 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur Thierry D. a soulevé l'incompétence du juge de l'exécution pour statuer sur la demande d'abandon ou de vente aux enchères du mobilier inventorié par l'huissier de justice et à tout le moins sur le sort du mobilier propriété de l'Office national des forêts, respectivement de la ville de Sélestat, à la nullité du procès-verbal d'expulsion du 13 septembre 2018, à l'irrecevabilité et au mal fondé des prétentions de la commune de Sélestat et à la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 500 ' par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 16 novembre 2020, le juge de l'exécution délégué du tribunal de proximité de Haguenau a :

- retenu sa compétence,

- débouté Monsieur Thierry D. de sa demande en annulation du procès-verbal d'expulsion du 13 septembre 2018,

- dit que les biens énumérés dans le procès-verbal d'expulsion du 13 septembre 2018 qui ont une valeur marchande seront mis en vente aux enchères publiques dans les conditions prévues par l'article R 433-5 du code des procédures civiles d'exécution,

- déclaré abandonnés les autres meubles figurant dans l'inventaire et dit qu'ils peuvent faire l'objet d'une destruction par la commune de Sélestat,

- dit que le produit de la vente , après déduction des frais et s'il y a lieu du montant de la créance de la société bailleresse, sera consigné auprès de la caisse des dépôts et consignations au profit de Monsieur Thierry D., qui sera informé par l'officier ministériel chargé de la vente au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à sa demeure actuelle ou, si celle-ci est inconnue, au lieu de son dernier domicile,

- dit que les papiers et documents de nature personnelle devront être placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par huissier de justice et qu'avis en sera donné à Monsieur Thierry D. comme il est dit précédemment,

- condamné Monsieur Thierry D. à payer à la commune de Sélestat une indemnité de 800 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Monsieur Thierry D. de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur Thierry D. au paiement des dépens ainsi que des frais d'exécution,

- rappelé que la décision est exécutoire par provision de plein droit.

Monsieur Thierry D. a interjeté appel de cette décision le 30 novembre 2020.

Par écritures notifiées le 4 mai 2021, il conclut ainsi qu'il suit :

- recevoir l'appel de Monsieur D.,

- le déclarer bien-fondé,

In limine litis,

- se déclarer incompétent pour statuer sur la demande d'abandon, respectivement de vente aux enchères du mobilier inventorié par huissier,

- annuler en conséquence le jugement entrepris,

Subsidiairement, sur le fond,

- infirmer le jugement entrepris,

Et statuant à nouveau,

- prononcer la nullité du procès-verbal d'expulsion du 13 septembre 2018,

En tout état de cause,

- débouter la commune de Sélestat de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,

- condamner la commune de Sélestat à payer à Monsieur D. la somme de 1500 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la commune de Sélestat aux frais et dépens de première instance et d'appel.

Il fait valoir que le sort des objets mobiliers lui appartenant, restés dans le logement, est la conséquence mécanique de la décision administrative ayant ordonné son expulsion ; qu'on ne peut dissocier la question du sort des objets mobiliers de la décision primitive à partir de laquelle se fondent les mesures d'exécution ; que le logement lui avait été concédé pour nécessité absolue de service, notion de droit public ; que la maison forestière est située sur le domaine public ; que la juridiction administrative reste compétente pour résoudre toutes difficultés ultérieures nées de l'exécution de sa décision ; qu'il n'est pas de la compétence d'un juge de l'ordre judiciaire de trancher une difficulté survenue à l'occasion de l'exécution d'une décision administrative ; que l'inventaire dressé par huissier du mobilier se trouvant dans la maison forestière comporte un certain nombre de meubles appartenant respectivement à l'Office national des forêts ou à la commune de Sélestat, pour lesquels le juge de l'exécution n'est pas compétent.

Il fait valoir subsidiairement que le procès-verbal d'expulsion est nul en ce qu'il ne mentionne pas le lieu et les conditions d'accès au local, ce qui lui a causé un grief.

Par écritures notifiées le 28 avril 2021, la commune de Sélestat a conclu ainsi qu'il suit :

Vu l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire,

- déclarer l'appel mal fondé,

- le rejeter,

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter Monsieur D. de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Monsieur D. à verser à la commune de Sélestat une somme de 1500 ' en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur D. aux entiers frais et dépens de la procédure.

Elle fait valoir que préalablement à l'expulsion, Monsieur D. a récupéré certains de ses effets inventoriés ; que cependant, plus d'un mois après l'expulsion, les lieux n'avaient pas été totalement libérés des biens appartenant à l'appelant ; que le litige ne porte que sur le sort des meubles appartenant à Monsieur D., personne privée, et non ceux qui appartiendraient à la commune, à l'Office national des forêts ou à une personne publique ; que l'expulsion de l'appelant a déjà eu lieu ; qu'elle a saisi à bon droit le juge de l'exécution pour trancher le sort des biens mobiliers ; que la contestation de Monsieur D. concerne le formalisme de l'acte dressé par huissier de justice et que le juge de l'exécution avait compétence pour en connaître.

Sur le fond, elle fait valoir que Monsieur D. était présent lors des opérations d'expulsion, de sorte qu'il ne peut soutenir qu'il ignorerait les conditions d'accès au local ; qu'il a été informé des modalités de récupération de ses meubles ; que l'irrégularité, à la supposer acquise, n'a causé aucun grief à l'appelant qui a pu accéder au local et en retirer la majorité de ses effets.

MOTIFS

Sur la compétence du juge de l'exécution :

Il est constant que par arrêt du conseil d'État du 20 décembre 2017, il a été enjoint à Monsieur D. et à tous occupants de son chef de quitter la maison forestière du Danielsrain qu'il occupe irrégulièrement à la Vancelle-Gare et qui appartient à la commune de Sélestat, sous astreinte de 300 ' par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 20 jours à compter de la notification de l'arrêt.

S'agissant d'un logement concédé par nécessité absolue de service, la juridiction administrative était compétente pour statuer sur la validité de son occupation par Monsieur D. et pour ordonner le cas échéant l'expulsion de ce dernier.

Pour autant, cette question, qui relevait de la compétence administrative, a été tranchée et la question objet du présent litige, relative au sort des biens appartenant à l'appelant, personne privée et à la validité du procès-verbal d'expulsion au regard des dispositions du code des procédures civiles d'exécution, relève bien de la compétence du juge de l'exécution.

Il n'est en effet fait aucune distinction dans le code des procédure civiles d'exécution, s'agissant de la procédure relative à l'expulsion d'un logement habité, selon que la décision ordonnant l'expulsion a été prise par une juridiction administrative ou une juridiction judiciaire et le sort des meubles se trouvant dans les lieux est régi par les dispositions des articles L 433-1 et L 433-2 de ce code.

Monsieur D. n'est en conséquence pas fondé à soulever l'incompétence du juge de l'exécution pour connaître du litige, de sorte que le jugement déféré sera confirmé sur ce point, étant précisé en tout état de cause que l'éventuelle incompétence du premier juge n'est pas de nature à entraîner l'annulation de la décision.

Sur la nullité du procès-verbal d'expulsion :

En vertu des dispositions de l'article R 433-1 du code de procédure civile exécution, si des biens ont été laissés sur place ou déposés par l'huissier de justice en un lieu approprié, le procès-verbal d'expulsion contient, en outre, à peine de nullité :

1° Inventaire de ces biens, avec l'indication qu'ils paraissent avoir ou non une valeur marchande ;

2° Mention du lieu et des conditions d'accès au local où ils ont été déposés'

Monsieur D. fait en l'espèce reproche au procès-verbal dressé par Maître M., huissier de justice à Sélestat le 13 septembre 2018, de ne pas faire mention du lieu et des conditions d'accès au local ou les biens ont été déposés.

L'article 649 du code de procédure civile dispose que la nullité des actes d'huissier est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.

L' article 114 du même code prévoit que la nullité d'un acte de procédure ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.

En l'espèce, Monsieur D. était présent lors des opérations d'expertise et l'huissier a mentionné que lorsqu'il a fait sommation à l'occupant de lui indiquer où il entendait faire transporter le mobilier garnissant les lieux à ses frais, ce dernier ne lui a indiqué aucune adresse ou transporter lesdits biens ; que les effets, dont un inventaire a été dressé précisément, sont en conséquence restés dans les lieux occupés par Monsieur D., à qui il a été fait sommation de les en retirer dans le délai d'un mois à compter de la signification du procès-verbal, à peine de saisine du juge pour les voir vendus aux enchères publiques ou déclarés abandonnés.

Il résulte d'un procès-verbal de constat d'évacuation après expulsion dressé le 19 octobre 2018 par le même huissier de justice que Monsieur D. a eu accès à la maison forestière Danielsrain à plusieurs reprises entre le 14 septembre 2018 et le 19 octobre 2018 afin qu'il puisse procéder à l'enlèvement des meubles ; que lors de la dernière intervention de l'huissier le 19 octobre 2018, il restait encore quelques meubles appartenant à l'appelant, notamment une grande armoire métallique, une armoire deux portes, un bureau en bois, une petite armoire métallique, une chaise médicalisée percée, trois chaises en bois, un bureau en bois et un petit guéridon.

Par ailleurs, Monsieur D. a attesté avoir récupéré, le 24 janvier 2019, à la maison forestière, l'armoire métallique et la bibliothèque en bois.

Il résulte de ces éléments que l'appelant avait parfaite connaissance du lieu et des conditions d'accès au local ou les meubles étaient entreposés et qu'il a pu en récupérer la majeure partie, de sorte que l'absence de mention en ce sens dans le procès-verbal d'expulsion ne lui a causé aucun grief.

C'est en conséquence à juste titre, par une décision qui sera confirmée, que le premier juge a rejeté la demande d'annulation de procès-verbal d'expulsion et a statué sur le sort des meubles subsistants.

Sur les frais et dépens :

Les dispositions du jugement déféré quant aux frais et dépens seront confirmées.

Succombant la procédure d'appel, Monsieur Thierry D. sera condamné aux dépens de l'instance et verra sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile rejetée.

Il sera en revanche fait droit à la demande sur le même fondement formé par l'intimée, à hauteur de la somme de 1500 '.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après débats publics,

CONFIRME le jugement déféré,

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur Thierry D. à payer à la commune de Sélestat la somme de 1500 ' (mille cinq cents euros) par application de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE Monsieur Thierry D. de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur Thierry D. aux dépens de l'instance d'appel.