CA Paris, Pôle 4 ch. 8, 21 mai 2015, n° 14/00366
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvet
Conseillers :
Mme Sarbourg, Mme Lacquemant
Monsieur Octavian S. et Madame Mireille Paule D. étaient propriétaires d'un ensemble immobilier composé de deux maisons sis [...]. Ce bien a été vendu au mois de février 2002 sur adjudication à la SCI H., laquelle a consenti un bail d'habitation aux anciens propriétaires.
Les locataires ayant cessé le versement régulier des loyers, par jugement du 2 novembre 2010, rectifié sur une erreur matérielle par arrêt du 4 octobre 2012, le tribunal d'instance d'EVRY a, notamment, prononcé la résiliation du bail du bail consenti par la SCI H. à Monsieur S. et Madame D., condamné ceux-ci à payer à la SCI H. la somme de 110.478,88€ au titre des loyers dus au 30 novembre 2009 et autorisé leur expulsion. Celle-ci a été réalisée le 17 janvier 2013, alors que l'appel contre ledit jugement était pendant devant la cour.
Par jugement du 17 décembre 2013, le juge de l' exécution d'EVRY a :
- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,
- constaté que la demande initiale de la SCI H. de voir statuer sur le sort des biens, par application de l'article L.433-2 du code des procédures civiles d' exécution est devenue sans objet,
- condamné la SCI H. à payer à Monsieur Octavian S. et Madame Paule D. épouse S. la somme de 7.900 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance.
Madame Mireille D. épouse S. et Monsieur Octavian Radu S. ont interjeté appel de ce jugement.
Entre temps, le jugement du 2 novembre 2010 a été infirmé par arrêt de la cour d'appel de PARIS du 19 décembre 2013 , la cour déclarant irrecevables les demandes de la SCI H. tendant à faire prononcer la résiliation du bail et autoriser l'expulsion faute de notification de l'assignation du 12 mars 2009 au préfet du département.
Par dernières conclusions du 4 septembre 2014, Monsieur et Madame S. demandent à la cour de :
- réformer partiellement le jugement entrepris,
- ordonner la restitution de leurs biens mobiliers laissés sur place au [...],- listés sur les deux pages suivantes-, le tout sous astreinte comminatoire et définitive de 100 euros par objet et par jour de retard, à compter du prononcé de la décision à intervenir,
- prononcer la nullité du procès-verbal d'expulsion dressé par Maître B., Huissier de Justice, le 17 juillet 2013.
- ordonner leur réintégration dans les lieux sis [...] et la remise des clés par la SCI H., sous astreinte comminatoire et définitive de 100 euros par jour de retard à compter de la date de l'arrêt à intervenir,
- condamner la SCI H. à leur payer la somme de 110.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice, toutes causes de préjudices confondues, résultant de l'expulsion illégitime réalisée,
- condamner la SCI H. au paiement d'une somme de 6.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, s'ajoutant aux 2.000 euros alloués par le premier juge, et la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par jugement du 18 novembre 2014, le tribunal d'instance d'EVRY , de nouveau saisi par la SCI H., a prononcé la résiliation judiciaire du bail dactylographié conclu le 1er avril 2002, constaté que les locataires n'étaient plus dans les lieux et condamné in solidum Monsieur Octavian S. et Madame Mireille D. à payer à la SCI H. la somme de 168.052,10€ au titre des loyers, charges et indemnités d'occupation impayés arrêtés au 17 juillet 2013, avec intérêts et capitalisation, outre une somme de 1.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l' exécution provisoire étant ordonnée à hauteur de 100.000 euros.
Par dernières conclusions du 26 février 2015, la SCI H. demande à la cour de:
- débouter Monsieur S. et Madame D. de toutes leurs demandes,
- infirmer le jugement rendu entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Monsieur S. et Madame D. la somme de 7.900 euros à titre de dommages-intérêts et celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance,
- statuant à nouveau, rejeter toutes les demandes de Madame D. et Monsieur S.,
- y ajoutant, condamner solidairement Madame D. et Monsieur S. à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Qui se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, à leurs écritures et au jugement déféré,
Considérant que, si les appelants développent longuement en leurs écritures une argumentation tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions de l'intimée, force est de constater qu'aucune demande ne figure à ce titre dans le dispositif de ces écritures et que la cour n'a donc pas à statuer de ce chef en application de l'article 954 du code de procédure civile ;
Sur la validité du procès-verbal d'expulsion
Considérant que la cour d'appel de PARIS, en son arrêt précité du 19 décembre 2013 , a infirmé le jugement ayant ordonné l'expulsion de Madame D. et de Monsieur S. ; qu'il est dès lors sans véritable intérêt de statuer sur la régularité du procès-verbal d'expulsion, l'expulsion du 17 juillet 2013 se trouvant elle-même dépourvue de tout fondement ;
Qu'à toutes fins, les appelants poursuivant la nullité dudit procès-verbal dressé par Maître B. le 17 juillet 2013 en faisant valoir qu'en violation de l'article R 433-1 du code des procédures civiles d' exécution , la description des biens effectuée par l'huissier est particulièrement sommaire, qu'il n'aurait pas inventorié la totalité des biens ni visité toutes les pièces, éléments qui ressortiraient d'un autre procès-verbal dressé contradictoirement le 13 août 2013 par Maître B., huissier, il sera relevé que, s'il est constant que le procès-verbal du 17 juillet 2013 apparaît incomplet, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté cette demande, motif pris de l'absence de grief né de cette irrégularité, les appelants ne contestant pas que la totalité de leurs biens ait fait l'objet le 13 août 2013 d'un inventaire complet, peu important que ce soit à leur initiative ou que Maître B. n'ait pas souhaité y être présent, et quand bien même ce procès-verbal ne « couvrirait » pas les irrégularités du premier, la nullité de l'acte ne pouvant être prononcée qu'en cas de grief démontré né de l'irrégularité, ce qui n'est pas le cas ;
Que, par ailleurs, si les appelants exposent que Maître B. « n'a pas permis » en violation de l'article R 433-6 du code des procédures civiles d' exécution , que leurs documents et papiers personnels puissent être récupérés par eux ou placés sous scellés, c'est à bon droit que le premier juge a retenu que l'inobservation éventuelle de ces dispositions n'était pas de nature à entraîner la nullité du procès-verbal, s'agissant de diligences postérieures à celui-ci ;
Sur les conditions de l'expulsion
Considérant que Madame D. et Monsieur S. exposent que les opérations d'expulsion se sont déroulées dans des conditions dommageables pour eux, relatant qu'ils ont été « mis à la porte » par l'huissier assisté de la force publique sans qu'il leur soit permis d'emporter leurs effets personnels, instruments de travail et médicaments, alors que Monsieur S. est atteint de diabète et de diverses autres affections, Madame D. d'une maladie orpheline incurable ainsi que l'un de leurs enfants ; qu'ils déplorent n'avoir bénéficié finalement que de deux jours, les 13 et 14 août, pour récupérer leurs biens ;
Qu'il apparaît des écritures des parties et des pièces produites, que, tous les biens mobiliers ayant été laissés sur place, des personnes étrangères se sont introduites dans les lieux à plusieurs reprises dans les jours qui ont suivi ; que, le 13 août 2013, date convenue pour la reprises des biens mobiliers, en présence de Maître B., huissier, il a été constaté par celui-ci qu'une partie des objets listés dans le procès-verbal de Maître B. avait disparu et que Madame B., pour le compte de la SCI H., reconnaissait que des personnes mandatées par elle « ont pu pénétrer dans les lieux et commencer à emballer des objets » ; qu'il résulte des attestations de voisins qu'en effet des personnes se déclarant mandatées par la propriétaire pour débarrasser et nettoyer les locaux ont pénétré dans les lieux et auraient emporté des objets non identifiés à l'aide d'une camionnette, agissements ayant nécessité à plusieurs reprises l'intervention de la gendarmerie ; qu'enfin au mois de septembre, la bailleresse a fait transporter à la décharge publique le mobilier resté sur place sans attendre la décision du juge saisi pour statuer sur le sort des biens ;
Considérant que, si l'intimée réplique que les biens qui ont pu disparaître ne sont pas en sa possession, que les locataires ne sont pas plaints le 13 août de l'absence de médicaments ou d'effets personnels, n'ont pas demandé de délai supplémentaire et que Monsieur S. et son fils seraient eux-mêmes revenus sur les lieux par la suite, récupérant notamment une moto et sa remorque, il n'est pas contestable qu'en se permettant d'envoyer des tiers dans les lieux où se trouvaient les biens que ses locataires n'avaient pu encore reprendre, et alors qu'il a été constaté à la suite de ces incursions que des biens d'une certaine valeur, soit une playstation SONY, une TV écran plat SAMSUNG, deux canapés cuir, un coffre, un réfrigérateur, un micro-ondes, un lot de valises et jouets, deux commodes et un chevet, la SCI H. s'est rendue responsable de ces disparitions et en doit réparation à Monsieur S. et Madame D. ;
Considérant qu'à ce titre, si les appelants produisent une longue liste d'autres biens qui auraient disparu, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté les demandes de restitution sous astreinte desdits biens dirigées contre la SCI H., n'étant nullement établi que ces biens soient à ce jour en la possession de celle-ci ;
Considérant qu'outre le préjudice matériel sus-décrit, Monsieur S. et Madame D. ont subi un indéniable préjudice moral du fait des conditions dolosives de l'expulsion en particulier de l'intervention abusive de tiers sur leurs biens personnels en leur absence ;
Considérant que l'ensemble du préjudice subi sera réparé par l'attribution d'une somme de 12.000 euros que la SCI H. sera condamnée à leur payer, le jugement étant infirmé en ce qu'il a limité l'indemnité à 7.900€ ;
Sur la demande de réintégration
Considérant qu'au soutien de leur demande de réintégration les appelants faisaient valoir en leurs conclusions antérieures au jugement précité du 18 novembre 2014 que leur bail était toujours en vigueur ; que cependant le bail a été résilié par ledit jugement ; qu'il n'existe aucun motif d'ordonner la réintégration ; que toutes demandes à ce titre seront rejetées ;
Sur les demandes accessoires
Considérant que, chacune des parties succombant et triomphant partiellement, chacune gardera la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et celle de ses propres dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a limité à 7.900 euros l'indemnisation de Monsieur Octavian S. et Madame Mireille D.,
Statuant à nouveau,
CONDAMNE la SCI H. à payer à Monsieur Octavian S. et Madame Mireille D. 12.000 euros à titre de dommages-intérêts,
REJETTE toute autre demande,
DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.