CA Orléans, ch. des urgences, 7 octobre 2020, n° 19/02941
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bazin
Conseillers :
Mme Meneau-Bretau, Mme Grua
SUR LES FAITS ET LA PROCÉDURE
Par arrêt du 15 janvier 2018, la cour d'appel d'Orléans ordonnait l'expulsion de M. Joël P.. Un procès-verbal d'expulsion en date du 26 octobre 2018 était dressé comportant sommation à la partie expulsée d'avoir à retirer les meubles laissés sur place dans un délai d'un mois, faute de quoi les biens non retirés seraient, sur décision du juge, vendus aux enchères publiques ou déclarés abandonnés. Ce procès-verbal était signifié le 12 novembre 2018, avec assignation à comparaître devant le juge de l' exécution d'Orléans.
Les parties ayant indiqué qu'un incendie s'était produit dans les lieux en cause, la maison étant sous scellés, un renvoi de l'affaire était ordonnée pour permettre la levée des scellés.
À l'audience du 21 janvier 2019, les demandeurs indiquaient que les scellés avaient été levés. L'affaire était de nouveau renvoyée dans la mesure où M. P. était dans l'attente de la décision sur l'aide juridictionnelle.
A l'audience du 4 mars 2019, M. A. et Mme D. demandaient que les meubles laissés sur place soient déclarés abandonnés et que M. P. soit débouté de sa demande sur l'indemnité procédurale.Ils ajoutaient que l'incendie s'était produit après l'expiration du délai d'un mois dont disposait M. P. pour récupérer ses meubles.
Invoquant les dispositions de l'article 1218 du code civil, M. P. soutenait qu'il n'avait pas pu récupérer ses biens en raison de l'incendie pendant le délai imparti et dans la mesure où la maison avait été ensuite placée sous scellés, il n'avait pas pu, malgré ses démarches, accéder aux lieux.
Les parties confirmaient qu'un rendez-vous était prévu le 6 mars 2019 pour permettre à l'expert de l'assureur de M. P. de se rendre sur les lieux. L'huissier de justice faisait valoir que la réunion avait eu lieu en présence de l'expert d'assurance, que M. P. était porteur d'un sac plastique opaque, qu'il était entré dans les lieux avec l'expert et que les opérations d'expertise achevées, il en était ressorti toujours muni de son sac plastique opaque visuellement ni plus ni moins garni lors de son entrée.
Une réouverture des débats était ordonnée à l'audience du 6 mai 2019 pour recueillir les observations des demandeurs sur les informations transmises s'agissant de la nécessité de prolonger les opérations d'expertise. Ils demandaient alors au juge de l' exécution de déclarer abandonnés les biens restant dans l'appartement et de débouter M. P. de l'intégralité de ses demandes. Ils sollicitaient également
le paiement de la somme de 3450 euros au titre des frais de déblaiement. Cette demande a été expressément abandonnée à l'audience.
M. P. demandait qu'il soit sursis à statuer dans l'attente des résultats de l'expertise et de l'enquête pénale.
Par jugement du 4 juin 2019 contradictoire à l'égard de M. Joël P., M. Franck A. et Mme Florence D., le juge de l' exécution du tribunal d'instance d'Orléans a :
- débouté M. Joël P. de sa demande de sursis à statuer ;
- ordonné la mise en vente aux enchères publiques des livres et figurines appartenant à M. Joël P. concernant le logement sis [...];
- dit qu'après inventaire de ces biens, il sera procédé à leur vente forcéecomme en matière de saisie-vente ;
- dit que le produit de la vente, après déduction des frais et s'il y a lieu du montant de la créance du bailleur, serait consigné auprès de la caisse des dépôts et consignations au profit de la personne expulsée ;
- déclaré abandonnés les biens meubles de M. P. concernant ce logement, déclarés n'ayant aucune valeur marchande d'après l'huissier, ayant dressé le procès-verbal d'expulsion, qui seront remis à telle oeuvre charitable ou détruits, à l'exception des papiers et documents de nature personnelle qui seront placés sous enveloppe scellée et conservée pendant deux ans par l'huissier ;
- débouté M. A. et Mme D. de leur demande d'indemnité procédurale;
- condamné M. P. aux dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle ;
- rejeté toute autre demande.
Par déclaration reçue au greffe le 20 août 2019, M. Joël P. a interjeté appel sur l'ensemble des dispositions du jugement du 4 juin 2019.
Dans des dernières conclusions notifiées le 2 mars 2020, M. P., appelant, demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 4 juin 2019 ;
- ordonner un sursis à statuer sur les demandes de M. A. et Mme D. jusqu'à ce que ses biens meubles aient pu être estimés par les compagnies d'assurance et que les circonstances de l'incendie aient pu être déterminées ;
- débouter M. A. et Mme D. de leurs demandes contraires ;
- condamner M. A. et Mme D. aux dépens de première instance et d'appel.
Dans des dernières conclusions notifiées le 3 mars 2020, M. A. et Mme D., intimés, demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;
- infirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
- dire qu'il n'y a plus lieu de prescrire la vente aux enchères de biens qui n'existent plus;
- déclarer abandonnés l'intégralité des biens restant dans l'appartement dont M. P. a été expulsé le 26 octobre 2018 ;
- condamner M. P. à leur payer la somme de 1062,48 euros au titre des frais de déblaiement ;
- condamner M. P. à leur payer à chacun une indemnité procédurale de 2000 euros ;
- laisser à la charge de M. P. les dépens.
La clôture de l'instruction est intervenue le 10 mars 2020.
SUR QUOI
Sur le sursis à statuer
Aux termes de l'article 378 du code de procédure civile, la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'événement qu'elle détermine.
Hors les cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges du fond apprécient discrétionnairement l'opportunité du sursis à statuer.
En l'espèce, M. Joël P., appelant, fait valoir au soutien de sa demande de sursis à statuer que :
- il n'a pas pu récupérer ses biens en raison de l'incendie de l'appartement, constituant un cas de force majeure ;
- il subsiste un dossier à instruire par l'assureur avant toute indemnisation ;
- il est victime de l'inertie de ses bailleurs.
M. A. et Mme D., intimés, font valoir que l'intéressé a eu plus d'un mois pour venir récupérer ses affaires personnelles, que son assurance ne saurait les contraindre à suspendre l'expulsion, que la plainte au pénal a été classée sans suite et que l'immeuble a été finalement vendu.
M. Joël P. disposait d'un mois à compter de la signification du procès-verbal d'expulsion, conformément aux dispositions de l'ancien article R.433-2 du code des procédures civiles d' exécution qui prévoyaient que le délai prévu par l' article L. 433-1 était d'un mois non renouvelable à compter de la remise ou de la signification du procès-verbal d'expulsion.
Le 26 octobre 2018, Maître Marc L., de la SELARL L. Conseils, huissier de justice, dressait un procès-verbal d'expulsion comportant un inventaire suivant des meubles dans le logement litigieux :
- une gazinière en épave ;
- une bouteille de gaz ;
- une table bois ;
- lot de gels douche ;
- denrées alimentaires périmées pour la quasi totalité ;
- une étagère bois contenant des sacs plastiques ;
- plusieurs cartons contenant des documents, publicités, prospectus, cahiers et revues;
- une table (plateau bois et piètement métallique) ;
- nombreux livres (quantité importante, souvent en doublon) non quantifiables;
- un portant métallique avec vêtements masculins ;
- un lit 90 cm en bois avec sommier et matelas ;
- lot important de figurines de mangas et films ;
- lot de croquettes pour animaux ;
- nombreux détritus.
Cet huissier de justice concluait que l'ensemble des effets ne présentait aucune valeur marchande à l'exception des livres et figurines.
Ce procès-verbal d'expulsion a été signifié à M. P. le 12 novembre 2018.
S'il est exact qu'un incendie a eu lieu avant juste l'expiration du délai légal d'un mois, soit le 11 décembre 2018, il n'en demeure pas moins que :
- les scellés de l'immeuble ont été levés le 2 janvier 2019 après l'enquête policière (pièce n° 8 produite par M. P.) ;
- l'audience devant le juge de l' exécution a fait l'objet d'un renvoi au 21 janvier 2019;
- une réunion a été organisée le 6 mars 2019 pour l'expertise suite au sinistre en présence de M. P. qui pouvait dès lors récupérer, après l'intervention de l'expert d'assurance tous biens personnels utiles (pièce n° 14 : courrier de Maître L., huissier de justice) ;
- la plainte pénale consécutive à l'incendie a été classée sans suite le 23 mai 2019 (pièce n° 17 produite par les intimés) ;
- M. Carvalho Z., gérant de la société Ambiance et Gillet déménageur atteste avoir eu M. Joël P. à plusieurs reprises afin de lui restituer l'ensemble de son mobilier, objets et cartons dans le local de la société en vain (pièce n° 15 produite par les intimés) ;
M. P. ne démontre pas la nécessité de poursuivre les opérations d'expertise. En effet, il verse aux débats le courrier de son assureur PACIFICA selon lequel la conservation des preuves devait être organisée tant que l'enquête de police était en cours afin de confirmer que l'origine est criminelle. Or, les scellés ont été levés rapidement en janvier 2019 et la plainte a été classée sans suite au mois de mai 2019 sans que M. P. ait cherché à récupérer ses affaires.
Désormais, le bien qui appartenait à M. Franck A. et Mme Florence D. a été vendu le 4 octobre 2019 à M. Laurent P. et Mme Laurence B. (pièce n° 18: acte notarié de Maître Jean-Paul B., notaire à Orléans).
Il ressort de ce qui précède que M. P. a eu le temps de récupérer ses biens meubles au delà d'un mois, et ce malgré l'incendie du logement et l'enquête qui a eu lieu.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. Joël P. de sa demande de sursis à statuer.
Sur l'appel incident
M. A. et Mme D., qui font un appel incident en sollicitant de déclarer abandonnés l'intégralité des biens restant dans l'appartement dont M. P. a été expulsé et de le condamner à leur payer la somme de 1062,48 euros au titre des frais de déblaiement, soutiennent que:
- d'une part, la vente aux enchères publiques des livres et des figurines n'est pas possible dès lors qu'il n'en a été trouvé aucune trace lors de l'évacuation du logement, soit parce qu'ils avaient été détruits lors de l'incendie, soit parce qu'ils ont été récupérés par M. P. ;
- d'autre part, l'évacuation du logement a coûté la somme de 1062,48 euros.
En réponse, M. P. met en avant qu'il a été évincé des lieux en raison de la carence des propriétaires à effectuer les travaux, qu'il a vu périr son mobilier à la suite d'un incendie vraisemblablement dû à leur faute et qu'il ne saurait maintenant être spolié de ses biens auxquels il n'a jamais pu avoir accès.
1) Sur la déclaration d'abandon des meubles appartenant à M. P.
En vertu de l'article R 433-6 du code des procédures civiles d' exécution , les biens n'ayant aucune valeur marchande peuvent être déclarés abandonnés, à l'exception des papiers et documents de nature personnelle qui sont placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l'huissier de justice.
En l'espèce, il ressort de l'inventaire dressé par l'huissier de justice dans son procès-verbal d'expulsion qu'il existait un important lot de livres et de figurines.
M. A. et Mme D. ne rapporte pas la preuve que ces meubles ont disparu après l'incendie des lieux. En effet, ils ne versent aucun constat d'huissier lors de l'évacuation des lieux qui démontrent que les biens recueillis n'étaient pas des livres et des figurines. Au contraire, l'attestation de M. Carvalho Z., gérant de la société de déménagement fait état d'objets et de cartons qui devaient être récupérés par M. P..
En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré abandonnés les biens meubles de M. Joël P. qui ont été déclarés comme n'ayant aucune valeur marchande d'après l'huissier de justice dans le procès-verbal d'expulsion et ordonné la mise en vente aux enchères publiques des livres et figurines appartenant à M. Joël P. concernant le logement sis [...]. La demande de M. A. et Mme D. tendant à voir déclarer abandonnés l'intégralité des biens meubles appartenant à M. Joël P. sera ainsi rejetée.
2) Sur les frais de déblaiement
Si initialement, M. A. et Mme D. ont abandonné à l'audience devant le juge de l' exécution leur demande de paiement de frais de déblaiement des lieux à hauteur de 3450 euros avant la survenance de l'incendie, il n'empêche qu'ils ont été contraints, compte tenu de l'inertie de M. P. après l'incendie pour récupérer ses affaires, de faire intervenir une société de déménagement pour récupérer du mobilier, des objets et cartons appartenant à l'intéressé (pièce n° 15 produite par M. A. et Mme D.). Cette intervention a été facturée à la somme de 1062,48 euros (pièce n° 16 produite par M. A. et Mme D.). Cela constitue un élément nouveau justifiant l'appel incident en la matière.
En conséquence, il convient de condamner M. P. à payer à M. A. et Mme D. la somme de 1062,48 euros au titre des frais de déblaiement.
Sur les dépens et l'indemnité procédurale
Compte tenu de la solution adoptée, il convient de confirmer la décision déférée sur les dépens de première instance.
Chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats non publics, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y AJOUTANT :
CONDAMNE M. Joël P. à payer à M. Franck A. et Mme Florence D. la somme de 1062,48 euros au titre de frais de déblaiement,
DIT que chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel,
REJETTE la demande d'indemnité procédurale formée par M. A. et Mme D. en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.