CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 17 mars 2023, n° 22/00749
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Électricité de France (SA)
Défendeur :
Centre Prodesc, Centre Européen pour les Droits Constitutionnels et les Droits Humains
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme Primevert, M. Richaud
Avocats :
Me Guyonnet, Me Claude, Me Février, Me Curral-Stephen
Il sera succinctement rapporté que la société Electricité de France ('société EDF'), ainsi que ses filiales, est soumise à la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, modifiée, laquelle dispose, dans sa transposition au code de commerce :
à l'article L. 225-102-4, I, que :
'I.-Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l'étranger, établit et met en 'uvre de manière effective un plan de vigilance.
Les filiales ou sociétés contrôlées qui dépassent les seuils mentionnés au premier alinéa sont réputées satisfaire aux obligations prévues au présent article dès lors que la société qui les contrôle, au sens de l'article L. 233-3, établit et met en 'uvre un plan de vigilance relatif à l'activité de la société et de l'ensemble des filiales ou sociétés qu'elle contrôle.
'Le plan comporte les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu'elle contrôle au sens du II de l'article L. 233-16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation.
'Le plan a vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale. Il comprend les mesures suivantes :
'1° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ;
2° Des procédures d'évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ;
3° Des actions adaptées d'atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ;
4° Un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements relatifs à l'existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ;
5° Un dispositif de suivi des mesures mises en 'uvre et d'évaluation de leur efficacité.
Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en 'uvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport mentionné à l'article L. 225-102.
Un décret en Conseil d'Etat peut compléter les mesures de vigilance prévues aux 1° à 5° du présent article. Il peut préciser les modalités d'élaboration et de mise en 'uvre du plan de vigilance, le cas échéant dans le cadre d'initiatives pluripartites au sein de filières ou à l'échelle territoriale.
L'article L. 225-102-4, poursuit à son § II que :
'-Lorsqu'une société mise en demeure de respecter les obligations prévues au I n'y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d'un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter.
Le président du tribunal, statuant en référé, peut être saisi aux mêmes fins.'
Enfin, l'article L. 225-102-5 énonce que :
'Dans les conditions prévues aux articles 1240 et 1241 du code civil, le manquement aux obligations définies à l'article L. 225-102-4 du présent code engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice que l'exécution de ces obligations aurait permis d'éviter.
L'action en responsabilité est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d'un intérêt à agir à cette fin.
La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci, selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.
La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.'
La société EDF Renewables [Localité 10] S. de R.L. de C.V ('société EDF Renewables [Localité 10]'), filiale de la société EDF Renouvelables elle-même détenue par la société EDF, est en charge des projets menés au Mexique et notamment du projet de création et d'exploitation d'une centrale éolienne 'Gunaa Sicarú' pour lequel une société de projet mexicaine Eólica de [Localité 11] S.A.P. de C.V. ('société Eólica de [Localité 11]').
Ce projet Gunaa Sicarú a été entrepris dans la région de l'isthme de Tehuantepec au sud-est de l'État d'[Localité 11], dans les municipalités d'[Localité 12] et de [Localité 9] (plus spécifiquement concernant cette dernière, dans la communauté de La Ventosa) et doit comprendre l'implantation de 96 éoliennes dont 89 sur la municipalité d'[Localité 12], terre de la communauté autochtone Zapothèque [Localité 12].
Les peuples autochtones bénéficient de droits spécifiques reconnus par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ainsi que par la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail notamment le droit à un consentement libre, préalable et informé (CLIP) qui leur permet de participer à la conception, à la mise en 'uvre et au suivi des projets et des décisions susceptibles d'avoir un impact sur leur culture, leurs traditions et leurs structures sociales et politiques.
Par lettre du 26 septembre 2019, Mmes [B] [F] [V], [H] [L] [V], [O] [W] [I], Messieurs [Y] [G] [D], [C] [P], [X] [J], l'association Proyecto de Derechos Económicos Sociales y Culturales (ci-après l'association ProDESC) et le Centre Européen pour les Droits Humains et Constitutionnels (ci-après l'association ECCHR) ont mis en demeure la société EDF de respecter ses obligations définies par la loi 2017-399 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre particulièrement dans le contexte du projet de parc éolien Gunaa Sicarú considérant que 'bien que le Plan de Vigilance 2018 de EDF identifie 'des risques des violations des droits des peuples autochtones dans le cadre des projets industriels en Amérique latine », aucune action spécifique d'analyse, de hiérarchisation et de remédiation de ces risques n'est envisagée dans le Plan de la Compagnie' ce qui aurait conduit à des violations du droit au consentement libre, informé et préalable des populations autochtones concernées.
Par lettre du 20 décembre 2019, la société EDF a répondu que son plan de vigilance respectait les obligations de la loi précitée.
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Vu l'assignation que Mme [B] [F], M. [Y] [G], M. [T] [M], M. [R] [U], l'association Proyecto de derechos económicos sociales y culturales ('association ProDESC') et l'association Centre européen pour les droits humains et constitutionnels (association ECCHR) - ci- après les 'demandeurs au droit de vigilance' - ont fait délivrer le 13 octobre 2020 à la société Electricité de France pour comparaître devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d'entendre, en application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance es sociétés mères et des sociétés commanditaires, des articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du Code de commerce et 1240 et 1241 du code civil :
- se déclarer compétent,
- déclarer les associations et les personnes physiques demanderesses recevables et fondées dans leurs demandes,
1) sur la non-conformité du plan de vigilance 2019 de la société EDF. aux dispositions de l'article L. 225-102-4 du code de commerce :
- constater que les associations plaignantes ont mis en demeure la société EDF. par lettre du 26 septembre 2019 et que celle-ci est restée sans succès,
- constater que le plan de vigilance 2019 de la société EDF ne prévoit pas de mesures de vigilance raisonnables permettant d'identifier les risques et de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et libertés fondamentales, la santé et la sécurité des membres de la communauté autochtone d'[Localité 12] concernant la mise en 'uvre du projet de parc éolien Gunaa Sicarú à [Localité 11], MEXIQUE, par ses filiales mexicaines Eolica de [Localité 11] et EDF Renewables [Localité 10],
- condamner la société EDF à publier, dans un délai de six (6) mois à compter de la notification de la décision à intervenir, un nouveau plan de vigilance incluant au point 3.6.1.4 'Cartographie des risques' de son plan de vigilance :- Une cartographie complète des risques énoncés ci-avant résultant de ses activités et des activités de ses sociétés contrôlées, soustraitants et fournisseurs et partenaires commerciaux répondant aux critères requis par la Loi de Vigilance et les standards internationaux sur la diligence en droit humains sur lesquels cette dernière est basée,
- condamner la société EDF à publier, dans un délai de six (6) mois à compter de la notification de la décision à intervenir, un nouveau plan de vigilance comprenant les mesures adéquates de prévention et d'atténuation des risques correspondant aux exigences de la Loi de vigilance et aux standards de diligence en droits humains qui en forment la base d'interprétation : Les mesures doivent être préventives, d'atténuation et de réparation et répondre à chaque risqué identifié dans la cartographie, en fonction de la hiérarchisation des risques (...),
- assortir cette obligation avec une pénalité de 50.000 euros par jour de retard à compter de l'expiration de la période de six mois de respect du plan de vigilance,
2) Sur la réparation du préjudice résultant de la violation par la société EDF. de son devoir de vigilance
- juger que la société EDF. a manqué à son devoir de vigilance,
- juger que la méconnaissance par la société EDF de ses obligations de vigilance a causé un préjudice aux demandeurs,
- condamner la société EDF à payer :
60.000 euros à Mme [F],
60.000 euros à M. [M] au titre des dommages et intérêts découlant de ses préjudices,
60.000 euros à M. [U] au titre des dommages et intérêts découlant de ses préjudices,
de 30.000 euros à M. [G] au titre des dommages et intérêts découlant de ses préjudices.
- condamner la société EDF à payer à chacun des demandeurs au droit de vigilance la somme de 5.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société EDF aux entiers dépens de l'instance,
- dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
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Vu les dernières conclusions sur incident notifiées au juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris par la réseau privé virtuel des avocats le 26 août 2021 pour Mme [F], M. [G], M. [M], M. [U] et les associations ProDESC et ECCHR aux fins d'entendre, en application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, des articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce, 1240 et 1241 du code civil et 138 du code ce procédure civile :
- enjoindre à la société EDF d'ordonner à sa filiale contrôlée, EDF Renouvelables [Localité 10], et à l'opérateur de projet Gunaa Sicarú Eolica de [Localité 11] de suspendre le développement du projet Gunaa Sicarú jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue dans le présent litige et plus particulièrement statue sur l'identification des risques d'atteintes graves au CLIP, à la santé et à la sécurité des membres de la communauté [Localité 12], et sur l'insertion des mesures propres à prévenir de manière effective ces atteintes dans le plan de vigilance litigieux, selon les standards établis par la Convention ILO 169 et la Déclaration des Nations Unies pour les droits des Peuples autochtones,
- prononcer une astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter du 31e jour suivant la signification de la décision à intervenir, le juge de la mise en état se déclarant compétent pour liquider l'astreinte et en fixer une nouvelle le cas échéant, ou subsidiairement dire et juger que l'astreinte sera liquidée sur simple demande de l'un des demandeurs au tribunal judiciaire de Paris,
- débouter la société EDF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- dire n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- réserver les frais irrépétibles et les dépens de l'incident.
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Vu l'ordonnance du 30 novembre 2021 du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a :
- rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société EDF,
- déclaré irrecevable la demande tendant à voir condamner la société EDF à publier un nouveau plan de vigilance,
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de la société EDF aux demandes de condamnation formées sur le fondement de l'article L.225-102-5 du code de commerce,
- dit sans objet la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des associations ProDESC et ECCHR sur le fondement de l'article L.225-102-5 du code de commerce et l'a rejetée en l'état,
- rejeté la demande de mesure conservatoire,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires qui ont été reprises dans l'exposé du litige,
- renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience de mise en état du 4 janvier 2022 à 10 heures 10 pour mise en place d'une mesure de médiation,
- dit que les conseils des parties devront communiquer la réponse de leurs clients sur la mise en place de cette mesure de médiation par message électronique adressé au plus tard la veille de l'audience susvisée avant 12 heures,
- dit que, dans l'hypothèse de réponses positives, une médiation sera ordonnée à quinzaine, par voie d'ordonnance du juge de la mise en état,
- dit que les derniers messages électroniques devront être adressés la veille de l'audience au plus tard à 12 heures ;
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Vu la déclaration d'appel du 12 décembre 2021 de Mme [F], M. [G], M. [M], M. [U] et des associations ProDESC et ECCHR aux fins d'entendre infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré irrecevable leur demande tendant à voir condamner la société EDF à publier un nouveau plan de vigilance et rejeté leur demande de mesure conservatoire ;
Vu l'ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 27 octobre 2022 qui a :
- débouté la société EDF de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable l'appel interjeté par Mme [F], MM. [G], [M] et [U] et les associations ProDESC et ECCHR à l'encontre de la disposition de l'ordonnance du juge de la mise en état du 30 novembre 2021 qui ont rejeté leur demande de mesure conservatoire,
- condamné la société EDF aux dépens de l'incident,
- condamné la société EDF à payer à Mme [F], MM. [G], [M] et [U],et aux associations ProDESC et au ECCHR la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
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Vu la requête en déféré de l'ordonnance déposée au greffe le 10 novembre 2022 pour la société Electricité de France ;
Vu les conclusions transmises par la réseau privé virtuel des avocats le 17 janvier 2023 pour la société Electricité de France aux fins d'entendre, en application des articles L. 225-102-4, L. 225-102-5 et L. 721-3 du code de commerce, 789 et 795, 905, 905-1, 905-2, 907 et 916 du code de procédure civile :
- annuler en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 27 octobre 2022 par le conseiller de la mise en état du pôle 5 ' chambre 11,
- déclarer irrecevable l'appel immédiat des demandeurs au droit de vigilance dirigé contre les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 30 novembre 2021 ayant rejeté leur demande de mesure conservatoire,
- condamner in solidum les demandeurs au droit de vigilance à payer la somme de 2.000 euros à la société EDF au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident,
en tout état de cause :
- réformer l'ordonnance rendue le 27 octobre 2022 par le conseiller de la mise en état du pôle 5 ' chambre 11 en ce qu'il a justifié par la bonne administration de la justice la recevabilité de l'appel immédiat dirigé contre les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 30 novembre 2021 ayant rejeté leur demande de mesure conservatoire,
- déclarer irrecevable l'appel immédiat des demandeurs au droit de vigilance dirigé contre les dispositions de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 30 novembre 2021 ayant rejeté leur demande de mesure conservatoire,
- condamner in solidum les demandeurs au droit de vigilance à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident,
- rejeter l'ensemble des demandes formulées par les demandeurs au droit de vigilance ;
Vu les conclusions transmises par la réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2023 pour Mme [F], M. [G], M. [M], M. [U] et les associations ProDESC et ECCHR aux fins d'entendre, en application de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, des articles 789, 795, 905 et suivants du code de procédure civile et L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce :
- dire l'absence d'excès de pouvoir,
- dire Mme Marie-Sophie l'Eleu de la Simone, conseiller déléguée par le président de la 11ème chambre 5 de la cour d'appel de Paris, compétente pour statuer sur l'incident d'appel et rendre l'ordonnance du 27 octobre 2022,
- confirmer l'ordonnance du 27 octobre 2022 en toutes ses dispositions,
- recevoir l'appel principal interjeté et le déclarer bien fondé en toutes ses demandes,
- débouter la société EDF de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société EDF à verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au règlement des entiers dépens de la présente instance.
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Fixée à l'audience du 19 janvier 2023, l'affaire a été renvoyée, en raison du mouvement social national, à l'audience du 2 mars 2023 lors de laquelle le président a ordonné la clôture et entendu les conseils des parties.
La cour renvoie expressément aux ordonnances déférées ainsi qu'aux conclusions des parties.
LA COUR,
1. Sur la nullité de l'ordonnance fondée sur l'excès de pouvoir
Pour conclure à la nullité de l'ordonnance déférée dont elle soutient qu'elle est entachée d'un excès de pouvoir du magistrat qui l'a rendue, et d'après la matière de la procédure d'appel à bref délai suivant les dispositions des articles 905, 905-2 et 907 du code de procédure civile, la société EDF relève que cette ordonnance a été prise par un 'conseiller de la mise en état' de la chambre 11 du pôle 5 de la cour d'appel de Paris, et non par le président de cette chambre, ou par le magistrat désigné à cet effet.
Au demeurant, l'article L. 121 du code de l'organisation judiciaire dispose que 'Chaque année, le premier président de la cour d'appel répartit les juges dans les différents pôles, chambres et services de la juridiction', et l'article R. 312-6 du même code précise que 'Le premier président de la cour d'appel désigne un ou plusieurs conseillers de la mise en état conformément aux dispositions de l'article L. 121-3. Lorsque plusieurs conseillers sont chargés de la mise en état dans une même chambre, les affaires sont réparties entre eux par le président de la chambre'.
Et alors que ni les articles 905, 905-2 et 907 du code de procédure civile invoqués par la société EDF, ni aucune autre disposition légale n'attache de forme particulière à la désignation par le président d'une chambre de l'un de ses conseillers pour connaître des incidents en matière d'appel, et tandis que la simple mention de 'conseiller de la mise en état' ne caractérise en rien la violation d'un principe fondamental de procédure, il se déduit de l'ordonnance de roulement du 22 décembre 2021 du premier président qui affecte Mme [E] [A] à la chambre 11 du pôle de la cour d'appel de Paris la preuve que cette magistrate était régulièrement investie par le président de la chambre du pouvoir de juger l'incident, désignée par erreur 'conseiller de la mise en état', en sorte que l'exception de nullité sera rejetée.
2. Sur la recevabilité de l'appel
Pour conclure à l'infirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a déclaré recevable l'appel immédiat des demandeurs au droit de vigilance à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a jugé irrecevable leur demande de suspension de la poursuite du projet Gunaa Sicarú, la société EDF relève de cette décision sur cette mesure conservatoire, que le juge de la mise en état est compétent pour l'ordonner en application de l'article 789 4° du code de procédure civile, mais qu'elle n'entre pas au nombre de celles susceptibles d'appel immédiat visées par l'article 795 du code de procédure civile.
Et tandis que cette disposition est d'interprétation stricte, la société EDF conteste l'ordonnance qui, pour recevoir l'appel immédiat au titre de cette mesure conservatoire, a retenu qu'il était indissociable de la demande de production d'un nouveau plan de vigilance et relevé l'intérêt d'une bonne administration de la justice de trancher ensemble les demandes tendant à la production d'un nouveau plan de vigilance et à la suspension de l'exécution du projet.
Toutefois, aux termes de l'article 795 2°, du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état peuvent être frappées d'appel, dans les quinze jours à compter de leur signification, lorsqu'elles statuent sur une fin de non-recevoir.
Alors que pour déclarer irrecevable la demande de suspension du projet de la société EDF, le juge de la mise en état a retenu la fin de non recevoir tirée du non respect des dispositions précitées de l'article L. 225-102-4 du code de commerce, et tandis qu'aux termes de leur déclaration d'appel, les demandeurs au droit de vigilance '[limitent celui-ci] aux chefs de jugement expressément critiqués : -
Déclare irrecevable la demande tendant à voir condamner la société Electricité de France SA à publier un nouveau plan de vigilance - Rejette la demande de mesure conservatoire', il en résulte que l'objet de l'appel qui saisit la cour ne poursuit pas seulement la condamnation de la société EDF à la production d'un nouveau plan de vigilance ainsi que la suspension par la société EDF de son projet, mais comprend la cause de la fin de non recevoir de ces demandes invoquée par la société EDF sur le fondement de l'article L. 225-102-4 du code de commerce que le juge de la mise en état a retenu dans les motifs de son ordonnance pour déclarer celles-là irrecevables.
Le conseiller de la mise en état a par conséquent dûment retenu la recevabilité de l'appel immédiat des demandeurs au droit de vigilance, de sorte que le déféré sera rejeté.
3. Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société EDF qui succombe dans son déféré sera condamnée aux dépens et à payer aux demandeurs au droit de vigilance la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Rejette l'exception d'excès de pouvoir ;
Rejette le déféré ;
Condamne la société Electricité de France aux dépens ;
Condamne la société Electricité de France à payer à Mme [B] [F], M. [Y] [G], M. [T] [M], M. [Z], l'association Proyecto de derechos económicos sociales y culturales et à l'association Centre européen pour les droits humains et constitutionnels, la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.