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Décisions

CA Versailles, 16e ch., 17 mai 2018, n° 17/01662

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Grasso

Conseillers :

Mme Massuet, Mme Sixdenier

TGI Nanterre, du 3 févr. 2017, n° 16/102…

3 février 2017

FAITS ET PROCEDURE,

Suivant acte authentique du 16 juin 2009, la société civile immobilière R. a acquis un bien immobilier situé [...], qui était donné alors en location à Mme C..

Par ordonnance contradictoire du 6 novembre 2009, le juge des référés du tribunal d'instance de Paris 16ème a notamment condamné Mme C. à verser à la société R. la somme de 154.455,46 € au titre de l'arriéré locatif, outre paiement d'une indemnité d'occupation jusqu'au départ des lieux après expulsion. La décision a été signifiée à Mme C. en l'étude de Me A., huissier de justice, le 20 novembre 2009.

Par décision du 26 novembre 2011, le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a déclaré abandonnés les biens laissés dans les lieux à la suite de l'expulsion de Mme C. intervenue le 26 octobre 2010.

Le 11 avril 2016, la société R. a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la SCP M.Benoit H., notaires, pour recouvrement de la somme de 316. 043,41 €. Cette saisie a été dénoncée à Mme C. , débitrice saisie, le11 avril 2016.

Le même jour, la société R. a signifié à la SCP M.Benoit H. une opposition à partage.

Par acte d'huissier en date du 17 mai 2016, Mme C. a saisi le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, afin principalement de voir ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée par la société R. le 11 avril 2016 entre les mains de la SCP M.Benoit H..

Par jugement rendu le 3 février 2017, le juge de l' exécution du tribunal de grande instance de Nanterre a :

-débouté Mme C. de l'ensemble de ses demandes,

-débouté la société R. de sa demande indemnitaire,

-condamné Mme C. au paiement des dépens de l'instance comprenant les frais de la saisie-attribution pratiquée le 11 avril 2016,

-condamné Mme C. à verser à la société R. la somme de 1.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-rappelé la décision est de plein droit exécutoire par provision.

Le 28 février 2017, Mme C. a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses conclusions transmises le 24 mai 2017, Mme C., appelante, sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour , statuant à nouveau,de :

A titre principal,

-ordonner la mainlevée de la saisie pratiquée par la société R. le 11 avril 2016 entre les mains de la SCP M. & H., notaires,

Subsidiairement,

-dire et juger que la société R. a sciemment omis de rappeler qu'elle avait bénéficié d'un paiement de 33. 644,99 €l de la préfecture de Police,

-dire que le montant de l'indemnité d'occupation restant due ne saurait être supérieur à 44.194,95€,

-donner mainlevée de la saisie sur le surplus,

En tout état de cause,

-condamner la société R. à lui payer les sommes de 400.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle subit par la faute de l'intimée, 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, Mme C. fait valoir :

-que la société intimée est de mauvaise foi ; qu'elle a attendu plus de sept ans pour effectuer son premier acte d' exécution , maximisant ainsi le montant des intérêts ; qu'elle a conservé entre ses mains l'ensemble du mobilier prestigieux qui se trouvait dans les locaux le jour de l'expulsion, alors même que ce mobilier dépendait de la succession de M. C. ; que la société intimée omettait sciemment de mentionner les versements qu'elle a perçus, notamment la somme de 33.644,99€ reçue de la préfecture de police de Paris ;

-que l'abus de saisie est manifeste ; que pour juger le contraire, le juge de l' exécution , en premier lieu, s'est fondé sur les allégations de la société intimée selon lesquelles la part qui devrait revenir à l'appelante serait largement supérieure à la créance alléguée par la société intimée, ce qui est faux ; que la procédure de partage est toujours en cours, mais dans son dernier état, le plan de partage accordait moins de 260.000 € à l'appelante ; qu'en second lieu, le juge de l' exécution ne pouvait considérer que la somme perçue par l'intimée de la préfecture de police a un caractère indemnitaire, car il est bien évident que cette subrogation a eu pour effet de libérer le débiteur de cette fraction de la dette à l'égard du créancier initial ;

-qu'en tout état de cause, la société intimée a commis une faute dans l' exécution de l'ordonnance de référé, qui a causé un grave préjudice à l'appelante ; que l'ensemble des meubles dépendant de la succession a disparu ; que contrairement à ce qu'a prescrit le juge de l' exécution , l'appelante n'a jamais été mise en mesure de retirer les meubles qu'elle souhaitait conserver ; qu'à cette faute s'ajoute celle qui consiste à avoir caché à l'huissier instrumentaire les sommes perçues de la préfecture de Police.

Dans ses conclusions transmises le 1er juin 2017, la société R., intimée, demande à la cour de : - confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

-valider la saisie-attribution pratiquée entre les mains de la SCP Éric M. Benoit H. le 11 avril 2016,

-la dire et juger bien fondée tant en son principe qu'en son quantum,

-recevoir la société R. en son appel incident,

-condamner Mme C. à lui verser la somme de 20 000€ à titre de dommages et intérêts,

-condamner Mme C. au paiement de la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme C. en tous les dépens qui comprendront les frais de mainlevée et de la saisie, dont distraction au profit de la SELARL Patricia M. agissant par Me Patricia M. avocat au barreau de Versailles Toque 619, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, la société R. fait valoir :

-que l'appelante ne conteste pas le montant de sa dette, mais indique seulement que la société intimée aurait reçu de la préfecture de Police la somme de 33. 644,95€ sur l'indemnité d'occupation ; que cette somme a un caractère indemnitaire et vient réparer un préjudice subi pour refus de concours de la force publique, alors que l'appelante ne voulait pas quitter son logement; -que l'appelante a caché sciemment à la commission de surendettement l'état de son patrimoine; que l'appelante a déjà perçu de la succession de son mari 647.082,30 € ; que la contestation de l'appelante est donc abusive ; que l'appelante dispose par ailleurs d'un capital important en Suisse qu'elle a dissimulé aux héritiers ;

-que s'agissant des meubles que l'appelante prétend vouloir récupérer, la société intimée a observé la procédure prévue en la matière, comme l'a relevé le juge de première instance ;

-que la société intimée est fondée à solliciter l'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive et la condamnation de l'appelante au titre de l' article 700, car elle est obligée depuis huit ans de faire l'avance de frais de procédure pour recouvrer sa créance devant une personne de particulière mauvaise foi qui a organisé son insolvabilité et fait des déclarations inexactes et mensongères.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 décembre 2017.

L'audience de plaidoirie a été fixée au 11 janvier 2018 ;

**

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur le montant de la créance :

Mme C. allègue que la somme de 77.000 € représentant le montant de l'indemnité d'occupation n'est pas dûe par elle intégralement, et conteste au surplus le montant total de la saisie-attribution, dont elle demande le cantonnement par retrait de sa dette d'indemnité d'occupation de l'indemnité reçue de la Préfecture de Police, Elle reproche également à la SCI R. d'avoir maximisé le montant des intérêts qu'elle réclame.

La SCI R. détaille elle-même le montant de sa créance : ce calcul fait apparaître une somme importante au titre des intérêts arrêtés au jour de la saisie-attribution litigieuse, qui ont été cependant régulièrement calculés au taux majoré sur le principal de la condamnation, et au taux simple sur le montant de l'indemnité d'occupation dûe.

Sous réserve de ce qui sera dit plus loin sur l'indemnité reçue par la SCI R., la dette de l'appelante s'élève bien à 305.763,34 €, incluant les intérêts arrêtés au jour de la mesure d' exécution litigieuse, Mme C. ne pouvant qu' être déboutée de sa demande de cantonnement de la saisie.

Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution :

Mme C. reproche à la SCI R. d'avoir ' attendu plus de sept ans pour effectuer son premier acte d' exécution , maximisant ainsi le montant des intérêts.'

Toutefois, il y a lieu de considérer que la dette locative de Mme C. a été déterminée au jour de son expulsion, intervenue le 26 octobre 2010, soit quatorze mois et 20 jours après la décision du 6 novembre 2009 constatant l'acquisition de la clause résolutoire, prononçant l'expulsion, et condamnant la locataire au paiement des loyers arrêtés au 31 juillet 2009, à la somme de 154.456€, assortie des intérêts au taux légal dus depuis le mois de janvier 2007au fur et à mesure des échéances. Se sont ajoutés à cette somme, de la propre indication de la bailleresse, quatorze mois et 25 jours d'indemnité d'occupation équivalente au loyer, la dette principale totalisant au jour de l'expulsion la somme de 232.267,12 €.

Il importe de relever que la SCI R. disposait pour exécuter le jugement définitif du tribunal d'instance du 6 novembre 2009, d'un délai de dix ans, et que la SCI propriétaire a opéré saisie-attribution sur les biens échus à Mme C. de la succession de son époux, après que ce délai ait encore été suspendu pendant les treize mois ayant séparé la décision de recevabilité à la procédure de surendettement de Mme C., le 26 janvier 2012, et l'infirmation par le tribunal d'instance d'Asnières de la décision de la commission de surendettement des Hauts de Seine, pour déclarations mensongères de la débitrice quant à son patrimoine successoral, le 4 avril 2013. Il apparaît dès lors que la SCI R. n'a pu entreprendre aucune voie d' exécution avant ses opposition et saisie-attribution sur les fonds disponibles pour Mme C. sur la succession de M. C. en l'étude notariale.

Mme C. fait en outre grief à la SCI R. d'avoir omis de faire mention des versements qu'elle a perçus, et notamment de la somme de 33.644,99 € reçue de la préfecture de police de Paris après l'engagement par elle de la responsabilité de l'Etat pour non-octroi du concours de la force publique demandé pour l'expulsion, après la délivrance du commandement de quitter les lieux. Elle prétend que cette somme doit être déduite de sa dette locative, la Préfecture lui ayant fait savoir par courrier que l'Etat était 'subrogé dans les droits de la SCI R. dans la limite de l'indemnité, des préjudices et de la période indiquée ci-dessus, ce qui signifie que (vous) devez désormais à l'Etat la somme de 33.444,99 € '. Elle demande le cantonnement de la saisie-attribution au montant de sa dette diminué de cette somme.

La cour observe que les sommes que l'Etat peut être condamné à régler au bailleur qui n'obtient pas le concours de la force publique dans un délai raisonnable après le commandement de libérer les lieux, ont une nature indemnitaire, même si elles prennent la forme de mensualités de loyers, leur nature de dommages-intérêts venant compenser le préjudice subi par le bailleur du fait de l'impossibilité de relouer le bien alors qu'au moins provisoirement les loyers ne sont pas payés. La subrogation de l'Etat dans les droits du bailleur invoquée par Mme C. joue entre le bailleur et l'Etat qui lui a réglé des sommes, et le recours de l'Etat à l'encontre de l'ancien locataire se justifie par le fait que le préjudice réparé a été occasionné par le manquement de celui-ci à ses obligations contractuelles en général, les sommes versées ne pouvant être assimilées à une avance de loyers faite au propriétaire.

C'est donc à juste titre que le décompte de la saisie-attribution opéré par l'huissier instrumentaire n'a pas défalqué la somme reçue de l'autorité administrative par la SCI R. de la dette locative.

Sur la demandes de dommages-intérêts de Mme C. :

Se prévalant de ce que les meubles ayant garni l'appartement de l'[...] dont elle a été expulsée, auraient été extrêmement prestigieux et d'une valeur largement supérieure à la créance de la SCI R., Mme C. soutient n'avoir jamais été mise en mesure de retirer les meubles qu'elle désirait conserver et estime la SCI R. responsable de leur disparition. Elle ajoute que la SCI R. a commis une seconde faute, en dissimulant les sommes reçues de la préfecture, et présente à son encontre une demande de 400.000 € à titre de dommages-intérêts.

Il est constant que Mme C. n'établit aucunement la valeur des meubles qui auraient garni l'appartement que les époux C. occupaient à Paris. Le juge de l' exécution dans sa décision du 26 janvier 2011, citée par le premier juge, a constaté contradictoirement que les meubles demeurant dans les lieux pouvaient être repris par Mme C. et qu'à défaut ceux restés dans les lieux ou n'ayant aucune valeur pourraient être enlevés à la décharge publique ou donnés par la SCI R. à une association caritative. Force est de constater que Mme C. ne rapporte pas la preuve, de ce qu'elle-même ou ses co-héritières aient effectué des diligences dans le but de reprendre ou enlever des meubles, ce d'autant que Mme C. comme les deux autres héritières de M. C. ont été représentées à la procédure portant sur le sort des biens devant le juge de l' exécution , intervenue après l'expulsion de l'appelante. Le premier juge a également pris en considération le procès-verbal de restitution d'effets et papiers personnels dûment établi, conformément à l'article R 433-6 du code des procédures civiles d' exécution , par l'huissier Me A., qui a remis le 10 novembre 2010, à la demande de Mme C. un ordinateur, une imprimante, des papiers personnels, des livres, des vêtements et du linge de maison.

Aucune faute de la SCI R. quant à la remise des meubles à Mme C. n'étant établie,

la demande de dommages-intérêts de ce chef est rejetée.

Mme C. étant déboutée de sa demande d'imputation de l'indemnité reçue par la société intimée de sa dette locative, ne peut invoquer une faute de ce chef à l'appui de sa demande de dommages-intérêts.

Sur la demande de dommages-intérêts de la SCI R. :

La SCI R. se prévaut de la particulière mauvaise foi de Mme C. qui depuis bientôt huit ans la contraint à faire l'avance de frais de procédure pour recouvrer sa créance, alors qu'elle-même a organisé son insolvabilité et qu'elle a fait quant à la succession de M. C. des déclarations inexactes et mensongères, pour demander une somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts.

Il est constant que Mme C. est en conflit avec ses co-héritières, filles d'un premier mariage de M. C. et qu'une expertise judiciaire a pu déterminer que son défunt époux disposait d'un patrimoine important en Suisse, dont des comptes qui n'ont pas été déclarés à sa succession. De même il est démontré que depuis la date d'ouverture de la succession en 2005, l'appelante a perçu des sommes conséquentes à valoir sur la succession de son époux, outre sa quote-part d'une assurance-décès pour un montant total de 647.000 €, et que cependant elle n'a plus réglé ses loyers depuis 2005.

Toutefois il n'est pas démontré un abus de droit d'agir de Mme C. qui conservait un droit d'appel de la décision du juge de l' exécution rejetant sa demande de déduction de l'indemnité perçue par la bailleresse de sa dette d'indemnité d'occupation.

Pas davantage qu'en première instance la SCI R. ne verra prospérer sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les demandes accessoires :

L'équité et les circonstances de la cause commandent d'allouer à la SCI R. une somme ainsi qu'il sera dit au dispositif au titre des frais irrépétibles de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer en défense à un appel injustifié.

Succombant en son recours, Mme Leila C. supportera les dépens d'appel comme de première instance.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME en toutes ses dispositions la décision entreprise ;

Déboute Mme Leila L., veuve C., de toutes ses demandes ;

Condamne Mme Leila L. veuve C. à verser à la SCI R. une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme Leila L. veuve C. aux entiers dépens, qui comprendront les frais de la saisie-attribution jusqu'à son terme et pourront être directement recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.