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Décisions

CA Reims, 1re ch. civ., 12 septembre 2023, n° 22/01520

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Bikexpert (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Maussire

Conseillers :

Mme Mathieu, Mme Pilon

Avocats :

Me Race, Me Ciutti

TJ Reims, du 31 mai 2022

31 mai 2022

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [P] [K] a acquis auprès de la SASU BIKEXPERT, le 30 novembre 2018, un véhicule de collection FIAT F1100D mis en circulation pour la première fois le 1er janvier 1962, immatriculé IM105191, présentant un kilométrage de 26.377 kilomètres moyennant un prix global de 8.000 euros.

Par acte en date du 27 août 2020, Monsieur [P] [K] a fait assigner la SASU BIKEXPERT devant le tribunal judiciaire de Reims aux fins notamment, avec le bénéfice de l'exécution provisoire':

A titre principal': prononcer la résolution du contrat de vente en raison des manquements du vendeur à l'obligation de délivrance conforme,

A titre subsidiaire: prononcer la résolution du contrat de vente, en raison des vices cachés affectant le véhicule,

En tout état de cause :

- condamner la société BIKEXPERT à lui verser la somme de 7.500 euros en restitution du prix d'acquisition, outre la somme de 500 euros correspondant aux frais de transport exposés par le requérant, avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir.

- ordonner la restitution du véhicule dès que cette somme aura été réglée, à charge pour la société BIKEXPERT de venir chercher à ses frais le véhicule à l'endroit où il se trouve actuellement immobilisé,

- condamner la société BIKEXPERT à lui verser la somme de 9.843,92 euros au titre des frais occasionnés par la vente, somme à parfaire à la date du jugement à venir,

- condamner la société BIKEXPERT à lui verser la somme de 1.170 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison de la perte de jouissance et de la perte d'usage du véhicule, somme à parfaire à la date du jugement à venir, outre la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Par jugement rendu le 31 mai 2022, le tribunal judiciaire de Reims a débouté Monsieur [P] [K] de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la SASU BIKEXPERT la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par un acte en date du 8 août 2022, Monsieur [P] [K] a interjeté appel de ce jugement.

Moyens

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 26 avril 2023, Monsieur [P] [K] conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

Prononcer la résolution de la vente pour manquement à l'obligation de délivrance et subsidiairement en raison des vices cachés affectant la vente,

Condamner la SASU BIKEXPERT à :

Lui verser la somme de 7.500 euros en restitution du prix d'acquisition, outre la somme de 500 euros correspondant aux frais de transport exposés par le requérant, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à venir.

Ordonner la restitution du véhicule dès que cette somme aura été réglée, à charge pour la société BIKEXPERT de venir chercher à ses frais le véhicule à l'endroit où il se trouve actuellement immobilisé,

lui verser la somme de 23.677,44 euros au titre des frais occasionnés par la vente, et de 3.705 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison de la perte de jouissance et de la perte d'usage du véhicule, sommes à parfaire à la date de la décision à venir, outre la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles. Il invoque les dispositions du régime spécial de la garantie légale de conformité prévue dans le code de la consommation.

Il expose que l'annonce diffusée dans Le Bon coin décrivait un véhicule dans un état exceptionnel et parfaitement restauré.

Il soutient que le rapport du cabinet Rétro expert qu'il a mandaté après l'acquisition de la voiture a mis en évidence de nombreux défauts de conformité affectant la mécanique et la carrosserie du véhicule.

Il fait valoir que la SASU BIKEXPERT, en sa qualité de vendeur professionnel avait l'obligation d'attirer l'attention du consommateur profane sur l'état réel du véhicule et les éventuelles pièces à remplacer en raison de leur vétusté, ce que l'acheteur aurait ou non accepté dans le cadre de la vente.

Il estime que le professionnel a manqué à son devoir d'information et de transparence et indique que dans le cadre de négociations menées directement entre les parties, la SASU BIKEXPERT lui a fait parvenir une lettre aux termes de laquelle cette dernière consentait à prendre à sa charge certaines réparations. Il précise que l'article 1112-2 du code civil invoqué par l'intimée pour obtenir des dommages et intérêts ne concernent que les pourparlers engagés dans un cadre précontractuel de négociations ou d'un avant contrat.

Subsidiairement, il soutient que l'état du berceau remet en cause la cause la sécurité du véhicule notamment en cas de choc et le rend impropre à sa destination.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 8 février 2023, la SASU BIKEXPERT conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la cour de condamner Monsieur [K] à lui payer les sommes de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle expose qu'il s'agit d'un véhicule d'occasion et que c'est un ami de Monsieur [K] qui est venu voir la voiture, l'acquéreur ne s'étant pas déplacé et n'a émis aucune réserve au moment de la livraison.

Elle soutient que la panne d'une bobine d'allumage 4 mois après la cession, en tant que consommable ne peut justifier la résolution et remet en cause la fiabilité de l'expertise amiable produite.

Elle fait valoir que Monsieur [K] est d'une particulière mauvaise foi, souhaitant la remise à neuf d'un véhicule d'occasion et n'hésitant pas à faire état d'éléments sous mis à la confidentialité.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2023.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

*Sur la demande de résolution de la vente

Aux termes de l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

L'article 1603 du même code énonce que le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend.

En vertu de cet article, l'obligation de délivrance contient en elle une exigence de conformité : il ne s'agit pas de délivrer n'importe qu'elle chose, mais une chose conforme à celle qui a été convenue entre les parties. La chose livrée doit ainsi correspondre en tout point aux stipulations du contrat, sur la nature, la qualité et la quantité.

Au soutien de sa demande de résolution de la vente, Monsieur [P] [K] produit notamment aux débats :

- l'annonce publiée sur le site Le bon coin par le vendeur décrivant comme suit le véhicule :

« Fiat 1100D dans un état exceptionnel, cette authentique première main en provenance de la Ligure est un véhicule offrant de superbes prestations.

La sellerie a été refaite à neuf, le moteur est révisé.

Une voiture exceptionnelle de par sa rareté dans son état d'origine.

(') Historique complet du véhicule avec traçabilité »,

- les échanges sur le réseau whatsapp entre Monsieur [K] et [V] [G] datées du 4 novembre 2018 dont il résulte que l'acheteur a posé les questions suivantes au vendeur :

« Est-ce que les planchers sont en bon état "Pas de rouille perforante" (...) Est-ce qu'elle a des défauts que je ne peux pas voir sur photos "Carrosserie ou mécanique"»

Et les réponses suivantes ont été apportées :

« Les planchers sont en bon état, pas de rouille. La voiture a été restaurée.

(') La mécanique a été complètement révisée, l'intérieur est neuf, le ciel de toit est neuf, la sellerie est neuve, la peinture est fraîche »,

- un rapport amiable daté du 20 décembre 2018 établi par le cabinet Retro Expert qui indique :

« (') Train roulant châssis

Nous constatons que l'ensemble des liaisons élastiques sont sèches. Le berceau AV met en évidence de la corrosion perforante. Les lames de suspension AR sont sèches et corrodées.

(') Carrosserie intérieure

Nous constatons que le compartiment moteur a subi une réfection. Nous observons des coulures et de la corrosion sous la peinture. Nous constatons un voile de peinture blanche sur les montants et pieds de caisse (surtout au niveau du pied ARG) .

(...)Conclusion : suite à l'examen du véhicule, à la consultation de nos bases et de l'étude du marché actuel, nous estimons la valeur du véhicule à 6.000 euros ttc »,

- des photographies mettant en évidence des coulures et de la corrosion sur des pièces mécaniques,

Il résulte de ces éléments que bien qu'il s'agisse d'un véhicule de collection mis en circulation pour la première fois en 1962, qui par nature ne peut pas présenter des caractéristiques identiques à un véhicule neuf, la question de l'état de la carrosserie et de la mécanique et notamment de la présence de rouille perforante est entrée dans le champ contractuel.

Le caractère exceptionnel du véhicule mis en avant à l'égard de la date de la première mise en circulation et le fait que cette voiture soit rare ne dispensent pas le vendeur professionnel qu'est la SASU BIKEXPERT de livrer la chose conforme à celle vendue.

Or, au vu des éléments ci-dessus développés, force est de constater que pour Monsieur [K], acheteur profane, la question de l'absence de corrosion était un élément déterminant de son consentement, et la SASU BIKEXPERT en était parfaitement informée lors de la réalisation de la transaction.

Dans ces conditions, à la différence du tribunal, la cour estime que la SASU BIKEXPERT en n'informant pas Monsieur [K] que la voiture présentait de la rouille perforante notamment au niveau du berceau avant qui est une pièce importante pour le fonctionnement du moteur, alors que cette caractéristique spécifique était entrée dans le champ contractuel, a manqué à son obligation de délivrance conforme.

En vertu de l'article 1610 du code civil, l'acquéreur peut demander la résolution de la vente. En l'espèce, la cour estime que le manquement à l'obligation de délivrance conforme imputable à la SASU BIKEXPERT tel que ci-dessus caractérisé est fautif et constitue une inexécution grave du contrat justifiant de prononcer la résolution de la vente conclue entre Monsieur [K] et la SASU BIKEXPERT le 30 novembre 2018.

Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

*Sur l'indemnisation de Monsieur [K]

En vertu de l'article 1229 du code civil, la résolution met fin au contrat. Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procurées l'une à l'autre.

Monsieur [K] a versé à la SASU BIKEXPERT la somme de 7.500 euros au titre du prix de vente et la somme de 500 euros au titre des frais de transport.

Il justifie également avoir engagé des frais d'assurance entre le 30 novembre 2018 et le 31 décembre 2021 pour un montant total de 829,44 euros.

S'agissant d'un véhicule de collection, Monsieur [K] ne démontre pas avoir été privé de la jouissance de ce dernier de manière constante, la nature même de la voiture ne permettant pas un usage journalier mais uniquement de loisirs. Il est par ailleurs fait état d'une immobilisation pour un sinistre à compter du 21 mars 2019, ce qui prouve que Monsieur [K] n'a pas été privé de l'usage. Dès lors, il convient de le débouter de sa demande de ce chef.

S'agissant des frais de gardiennage du véhicule, il ressort d'un courrier daté du 23 juillet 2021 adressé par le garage MECAPASSIONS à Monsieur [K] que l'immobilisation du véhicule est consécutive à un sinistre survenu le 21 mars 2019. Dès lors, le paiement de la facture sollicitée ne peut être imputé à la SASU BIKEXPERT ; Monsieur [K] sera débouté de sa demande de ce chef.

Dans ces conditions, il convient de condamner la SASU BIKEXPERT à payer à Monsieur [K] les sommes de 7.500 euros, 500 euros et 829,44 euros, soit la somme globale de 8.829,44 euros et d'ordonner la restitution du véhicule à la SASU BIKEXPERT dès que ladite somme aura été réglée, à charge pour cette dernière de venir chercher le véhicule à ses frais.

*Sur la demande reconventionnelle en paiement formée par la SASU BIKEXPERT.

La SASU BIKEXPERT reproche à Monsieur [K] la violation de la confidentialité des pourparlers précontractuels.

Dans le cadre de l'instance, Monsieur [K] a produit aux débats un mail du 20 juillet 2022 échangé non pas entre les avocats mais entre les parties, dont il résulte que les parties ont tenté de transiger et qu'un courrier prévoyant des engagements de part et d'autre a été élaboré, mais n'a pas été signé. Aucune confidentialité n'est mentionnée, ni même suggérée dans cet échange et ce courrier.

Contrairement à ce que soutient la SASU BIKEXERT, l'obligation de confidentialité instaurée par les articles 1112 et suivants du code civil concerne les pourparlers engagés dans un cadre précontractuel de négociations ou d'un avant contrat dans le but de conclure un contrat.

Ce texte n'est pas applicable au cas d'espèce.

Aucune faute n'est caractérisée à l'encontre de Monsieur [K], de sorte que la SASU BIKEXPERT sera déboutée de sa demande en paiement à titre de dommages et intérêts.

*Sur les autres demandes.

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SASU BIKEXPERT succombant, elle sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.

Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SASU BIKEXPERT à payer à Monsieur [K] la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce fondement.

Dispositif,

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement rendu le 31 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Reims , en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau,

Prononce la résolution de la vente conclue le 30 novembre 2018 entre Monsieur [P] [K] et la SASU BIKEXPERT portant sur le un véhicule de collection FIAT F1100D mis en circulation pour la première fois le 1er janvier 1962, immatriculé IM105191 en raison du manquement du vendeur à l'obligation de délivrance conforme.

Condamne la SASU BIKEXPERT à payer à Monsieur [K] les sommes de :

7.500 euros au titre du prix de vente,

500 euros au titre des frais de transport lors de la vente,

829,44 euros au titre des frais d'assurance,

Soit la somme globale de 8.829,44 euros.

Déboute Monsieur [P] [K] de de ses demandes au titre du préjudice de jouissance et des frais de gardiennage.

Ordonne la restitution du véhicule à la SASU BIKEXPERT dès que la somme de 8.829,44 euros aura été réglée, à charge pour cette dernière de venir chercher le véhicule à ses frais.

Déboute la SASU BIKEXPERT de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Condamne la SASU BIKEXPERT à payer à Monsieur [K] la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

La déboute de sa demande en paiement sur ce fondement.