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Décisions

Cass. 1re civ., 14 octobre 2010, n° 09-16.495

COUR DE CASSATION

Arrêt

Irrecevabilité

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Charruault

Avocat :

Me Bouthors

Paris, du 25 juin 2009

25 juin 2009

Attendu que M. X..., avocat assurant la défense de M. Y..., arrêté en Syrie, puis extradé en France pour y être jugé pour sa participation à un groupement formé en vue de la préparation d'actes de terrorisme, a déposé devant la chambre des appels correctionnels des conclusions comportant les passages suivants : "C'est dans cet aveuglement que les magistrats instructeurs n'ont pas voulu chercher à éviter la torture que subissait M. Saïd Z... entre les mains des services secrets syriens à Damas (page 25)...Les magistrats instructeurs français ont laissé sans contrôle les services secrets syriens torturer M. Saïd Y... et il peut même être démontré qu'ils ont favorisé la torture, c'est la délocalisation judiciaire de la torture (page 47)...La complicité des magistrats instructeurs français dans l'utilisation de la torture pratiquée à rencontre de M. Saïd Y... en Syrie par les militaires des services secrets (titre du paragraphe de la page 68)...Or, les magistrats instructeurs qui avaient estimé dès le début de la procédure que cette dernière devait viser M. Saïd Y... ont laissé utiliser contre lui la torture par les militaires des services secrets Syriens ... Ils ont choisi d'accepter la délocalisation de la torture (page 69)...La commission rogatoire internationale décernée par les magistrats instructeurs français donne aux militaires des services secrets syriens les réponses à obtenir aux questions à poser: elle encourage la torture"(page 70) ; que le procureur général a engagé des poursuites disciplinaires à l'encontre de M. X..., estimant que ces propos constituaient un manquement à l'honneur et à la délicatesse ;

Sur la recevabilité, contestée, du pourvoi n°A 09-69.266 formé par le bâtonnier :

Vu l'article 609 du code de procédure civile ;

Attendu que le bâtonnier qui, en application des articles 193 et 16 du décret du 27 novembre 1991 modifié, s'est borné à formuler devant les juridictions disciplinaires du premier et du second degrés des observations sur les mérites de poursuites engagées par le procureur général n'est pas partie à la procédure ; que son pourvoi est irrecevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° R 09-16.495 formé par M. X..., pris en ses six branches :

Attendu que M. X... reproche à l'arrêt attaqué (Paris, 25 juin 2009) de l'avoir condamné à une peine disciplinaire alors, selon le moyen :

1°/ qu'aux termes de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, la présomption d'innocence, applicable en matière disciplinaire, n'est pas garantie quand une juridiction a déjà pris parti sur l'existence d'une faute reprochable à l'avocat de la défense avant l'introduction de poursuites disciplinaires à la requête du parquet ; que l'arrêt correctionnel de la cour de Paris du 22 mai 2007 ayant expressément pris parti sur le caractère « manifestement infamant » pour les juges d'instruction des écritures de la défense dénonçant les tortures subies par un prévenu en Syrie dans le cadre d'un interrogatoire sur commission rogatoire internationale, la cour d'appel, statuant en matière disciplinaire à l'encontre de l'avocat de la défense en considération de ces conclusions, ne pouvait entrer en voie de condamnation sans méconnaître la présomption d'innocence en violation du texte susvisé ;

2°/ que l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 instaurant une courte prescription de 3 mois est applicable à toute action civile, quel qu'en soit le fondement, née d'un fait susceptible d'entrer dans le champ d'application d'un délit de presse ; qu'il en va ainsi pour les conclusions déposées à l'audience et qui sont disciplinairement poursuivies par le parquet comme ayant porté atteinte à l'honneur et à la considération de magistrats instructeurs ; qu'en l'espèce, les poursuites disciplinaires engagées par le parquet général étaient prescrites comme ayant été exercées plus de 9 mois après le dépôt des conclusions litigieuses devant la cour d'appel et plus de 18 mois après le dépôt de conclusions identiques devant le tribunal de grande instance ; qu'en déclarant inapplicable l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881 motif erroné pris du caractère disciplinaire de la poursuite, la cour d'appel a violé ledit article ;

3°/ que l'immunité prévue par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 est applicable en matière de poursuites disciplinaires exercées contre un avocat en raison des écritures qu'il a déposées dans le cadre d'une audience juridictionnelle ; que l'article 41 ne fait aucune distinction selon la qualité de la personne ou de l'organe qui s'estimerait victime d'un discours injurieux, outrageant ou diffamatoire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ensemble les exigences des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que la prohibition de la torture étant absolue, le fait pour un avocat de dénoncer le dysfonctionnement de la justice française en raison d'une commission rogatoire délivrée aux services secrets syriens, qui pratiquent notoirement la torture, aux fins d'interrogatoire d'une personne mise en examen, ne peut passer pour une faute disciplinaire au sens des articles 183 du décret du 27 novembre 1991 et 3 du décret n° 2005.790 du 12 juillet 2005 ; qu'en déclarant le contraire, la cour d'appel a violé lesdits textes, ensemble les exigences de la Convention de New-York du 10 décembre 1984 prohibant la torture ;

5°/ que la liberté d'expression d'un avocat ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires et proportionnées au sens du deuxième paragraphe de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en l'absence de mise en cause ad hominem des magistrats instructeurs, le fait pour un avocat de dénoncer les conditions dans lesquelles son client a été torturé en Syrie dans le cadre de l'exécution d'une commission rogatoire internationale délivrée par les services français, était commandé par la défense du prévenu ; que le terme « complicité » pour vif qu'il soit, n'était pas inexact dans son acception juridique ordinaire et s'inscrivait dans l'objet de la défense tendant à voir écarter des débats des pièces dont la régularité était alors couverte par le caractère définitif de la décision de renvoi, laquelle n'avait pas elle-même examiné les conséquences s'attachant à un interrogatoire sous la torture ; qu'en cet état la condamnation disciplinaire d'un avocat en raison d'un acte légitime de défense n'est pas compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble l'article 6 de ladite Convention ;

6°/ que les énonciations déceptives de la cour d'appel sur le système de défense de l'avocat disciplinairement poursuivi ne révèle pas une approche impartiale de la cause et entache derechef l'arrêt infirmatif de nullité pour violation du principe d'impartialité garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu, d'abord, que l'arrêt énonce exactement que les dispositions des articles 41 et 65 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables en matière disciplinaire ; qu'ensuite, ayant à bon droit rappelé que si l'avocat a le droit de critiquer le fonctionnement de la justice ou le comportement de tel ou tel magistrat, sa liberté d'expression n'est pas absolue car sujette à des restrictions qu'impliquent, notamment, la protection de la réputation ou des droits d'autrui et la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire, la cour d'appel a constaté que les propos incriminés n'avaient pas simplement pour objet de critiquer la conduite de la procédure d'instruction et de contester la valeur des déclarations faites par le suspect au cours des interrogatoires menés en exécution de la commission rogatoire internationale délivrée par les juges d'instruction français, mais mettaient personnellement en cause ces magistrats dans leur intégrité morale, leur reprochant d'avoir délibérément favorisé l'usage de la torture et de s'être ainsi rendus activement complices des mauvais traitements infligés par les enquêteurs syriens ; qu'ayant relevé que ces graves accusations étaient aussi inutiles au regard des intérêts du client que gratuites, puisque les magistrats, dans le compte-rendu de leur mission à Damas, avaient décrit les difficultés rencontrées auprès des autorités syriennes, opposées à ce qu'ils assistent aux interrogatoires, elle en a justement déduit que les propos litigieux ne relevaient pas de la protection de la liberté d'expression, mais constituaient un manquement à l'honneur et à la délicatesse ; que par ces motifs qui ne manifestent aucune partialité et en l'absence de toute violation du principe de la présomption d'innocence, elle a légalement justifié sa décision infligeant à l'avocat un simple blâme assorti d'une inéligibilité temporaire aux fonctions de membre des organismes et conseils professionnels ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n°A 09-69.266 formé par le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris ;

REJETTE le pourvoi n° R 09-16.495 formé par M. X...