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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 7 septembre 2023, n° 19/19256

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Label Bouche (SAS)

Défendeur :

Emki Pop (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gérard

Conseillers :

Mme Combrie, Mme Vincent

Avocats :

Me Ermeneux, Me Phan-Tan-Luu, Me Ermeneux

TGI Marseille, du 7 nov. 2019, n° 19/069…

7 novembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Emki Pop, immatriculée en 2016, commercialise des bâtonnets glacés confectionnés avec des produits frais et naturels, principalement dans ses boutiques situées à [Localité 5], [Localité 3] et [Localité 6].

Elle est titulaire des marques suivantes :

- marque verbale française Emki Pop enregistrée sous le numéro 15435566 dans les classes 29, 30 et 32 le 21 décembre 2015 par M. [M] [J] pour le compte de la SAS Emki Pop société en formation,

- la marque verbale européenne Emki Pop n° 18017380 en classe 30, 32, 35, 43 déposée le 30 janvier 2019 par la société Emki Pop ;

- une marque semi-figurative européenne n° 180173 83 enregistrée le 30 janvier 2019 au nom de la société Emki Pop en classes 30, 32, 35, 43.

La SAS Label Bouche, créée par M. [B] [W] et Mme [C] [U], immatriculée en 2018 au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux, a une activité ambulante de restauration rapide sur place et à emporter de glaces, sorbets, granités et boissons qu'elle fabrique également avec des produits frais et naturels. Son activité s'exerce à [Localité 4] et sous le nom commercial "[H] & [G]".

Par courrier recommandé du 3 mai 2017, le conseil de la SAS Emki Pop a mis en demeure M. [B] [W], fondateur de la SAS Label Bouche, de cesser de commercialiser des bâtonnets glacés sous le nom "ESKIPOP" cette dénomination constituant une atteinte à la marque dont la SAS Emki Pop est propriétaire.

Par courriel en réponse du 16 mai 2017, M. [B] [W], pour le compte de [H] & [G], a acquiescé à cette demande, conscient que le terme pouvait prêter à confusion avec la marque.

Autorisée par ordonnance du 17 juin 2019, la SAS Emki Pop a fait assigner notamment la SAS Label Bouche devant le tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire de Marseille, en contrefaçon et concurrence parasitaire.

Par jugement du 7 novembre 2019, ce tribunal a, notamment :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- déclaré irrecevables les demandes de la société Emki Pop au titre de la contrefaçon de la marque verbale française EMKI n° 4235566 ;

- dit qu'en reproduisant le cliché photographique pris le 18 avril 2018 par [Y] [R], représentant une main trempant un bâtonnet glacé dans un bain de chocolat, en diagonale, la société Label Bouche a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de la société Emki Pop ;

- interdit à la société Label Bouche d'utiliser cette photographie et lui a enjoint de procéder au retrait de celle-ci de l'ensemble de ses supports de communication, dans un délai de 24 heures à compter de la signification du présent jugement, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 200 euros par infraction constatée pendant une durée de six mois à l'issue de laquelle il pourra de nouveau être statué ;

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

- débouté la société Emki Pop du surplus de ses demandes au titre de la contrefaçon de droits d'auteur ;

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une somme de 15 .000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des dommages causés par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

- débouté la société Label Bouche de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

- condamné la société Label Bouche aux dépens, recouvrés directement par Me Delphine Gallin de l'AARPI GAROE, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile,

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une indemnité de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

La SAS Label Bouche a interjeté appel par déclaration du 18 décembre 2019.

Moyens

Par conclusions notifiées et déposées le 8 février 2021, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Label Bouche demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

À titre principal,

- déclarer irrecevables les demandes de la société Emki Pop au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- débouter la société Emki Pop de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions dirigées contre la société Label Bouche,

- constater que la société Label Bouche n'a pas commis d'actes de contrefaçon de droits d'auteur,

- déclarer irrecevables les demandes de la société Emki Pop au titre de l'usage du signe " ESKIPOP " et de la contrefaçon de droits d'auteur,

- constater que la société Label Bouche n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

À titre subsidiaire,

- constater que la société Emki Pop n'a subi aucun préjudice du fait des actes de la société Label Bouche.

En toute hypothèse,

- condamner la société Emki Pop à payer à la société Label Bouche une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamner la société Emki Pop à payer à la société Label Bouche une somme de 15.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Emki Pop aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées et déposées le 26 novembre 2020, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Emki Pop demande à la cour de :

À titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit qu'en reproduisant le cliché photographique pris le 18 avril 2018 par [Y] [R], représentant une main trempant un bâtonnet glacé dans un bain de chocolat, en diagonale, la société Label Bouche a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur au préjudice de la société Emki Pop ;

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une somme de trois mille euros (3.000 €) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop des dommages et intérêts en réparation des dommages causés par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

- débouté la société Label Bouche de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

- condamné la société Label Bouche aux dépens qui seront recouvrés directement par Me Delphine Gallin de l'AARPI GAROE, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ;

- condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une indemnité de deux mille euros (2.000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Subsidiairement,

- réformer le jugement entrepris, mais seulement sur le quantum du montant des dommages et intérêts alloué en réparation des préjudices subis du fait de cette concurrence déloyale et parasitaire ;

- condamner la société Label Bouche au paiement de la somme de quarante mille euros (40 000 €) pour compenser le préjudice lié aux actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- débouter la société Label Bouche de l'ensemble de ses demandes ;

En tout état de cause,

- condamner la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop la somme de 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- condamner les défenderesses aux entiers dépens ;

- rejeter les demandes reconventionnelles formulées par la société Label Bouche.

Motivation

MOTIFS

1. Sur la contrefaçon de droit d'auteur concernant la photographie :

La SAS Label Bouche reprend devant la cour les moyens tirés l'irrecevabilité de la demande de la SAS Emki Pop en raison de l'absence de justification par la SAS Emki du caractère original de l''œuvre.

Or d'une part, la SA Emki Pop, contrairement à ce que soutient l'appelante, motive, définit et explicite le caractère original qu'elle attribue à cette photographie et, d'autre part, l'absence d'originalité d'une œuvre qui est une condition de fond de la protection du droit d'auteur, n'est pas une condition de recevabilité de l'action, mais de son succès.

Il n'y a plus de débat devant la cour sur la titularité du droit d'auteur revendiquée par la SAS Emki Pop qui a produit l'acte de cession de ses droits d'auteur par l'auteur de la photographie, M. [Y] [R], en pièce 6.

Sur le fond, contrairement à ce que soutient la SAS Label Bouche, la photographie ne se limite pas à refléter un savoir-faire en matière d'enrobage de bâtonnets glacés.

En effet, le cadrage réalisé, avec au premier plan les casseroles utilisées pour le glaçage et le topping, dont la première est légèrement floutée pour mettre en relief le second plan constitué de la main venant de tremper le bâtonnet glacé dans une casserole de chocolat, en saisissant l'instant où le chocolat coule en mince filet, les couleurs utilisées, toutes dans le même ton, ainsi qu'une lumière diffuse, caractérisent suffisamment l'empreinte de la personnalité de l'auteur de la photographie et permet sa protection au titre du droit d'auteur, comme l'a exactement énoncé le tribunal judiciaire, par des motifs que la cour approuve.

Si la SAS Label Bouche ne discute pas avoir utilisé cette photographie sur son site internet et sur son profil Linkedin et argue de sa bonne foi, les premiers juges ont exactement rappelé que la bonne foi est inopérante en matière de contrefaçon, de sorte que le jugement déféré est confirmé sur ce premier chef. Il est également confirmé en son évaluation des dommages et intérêts dus en réparation de l'atteinte au droit d'auteur pour des motifs que la cour adopte.

2. Sur la concurrence déloyale et parasitaire :

La SAS Label Bouche fait valoir que l'action en concurrence déloyale et parasitaire est en partie irrecevable en ce qu'elle se fonde en partie sur des faits identiques à ceux retenus pour la contrefaçon et qu'elle ne pourrait en tout état de cause être retenue que si les faits reprochés risquent d'entrainer une confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit.

Elle relève qu'en l'espèce les parties ont des zones de chalandise très éloignées l'une de l'autre, des modes de commercialisation différents et, s'agissant de la forme des bâtonnets, elle affirme qu'il s'agit d'une forme très répandue parmi les producteurs de glaces. Elle ajoute qu'il en va de même pour le positionnement du topping.

Concernant les actes de parasitisme qui lui sont également reprochés, elle soutient que la SAS Empki Pop ne peut se prévaloir d'aucun savoir-faire, travail intellectuel ou investissement à l'origine du concept qu'elle tente de s'accaparer puisqu'elle n'en est pas à la l'origine.

La SAS Emkipop fait valoir au contraire que l'appelante a repris de manière servile la forme et la présentation de ses bâtonnets glacés, des éléments de sa communication, notamment sur Instagram, et de ses noms de glaces. Elle ajoute que l'appelante a détourné et reproduit de manière non autorisée des photographies lui appartenant.

Elle soutient qu'au regard de l'étendue des éléments repris par la SAS Label Bouche, il est patent que ces agissements n'ont pu être que délibérés, que le risque de confusion est réel nonobstant la différence de zone de chalandise alléguée par l'appelante, laquelle n'est pas limitée à la région bordelaise contrairement à e qu'elle tente de faire croire, et la différence de public visé, alors que la SAS Label Bouche est présente sur les réseaux sociaux et qu'elle a également mis en place un réseau de restaurateurs partenaires.

La SAS Emkipop se prévaut d'une stratégie et de dépenses conséquentes pour développer la commercialisation de ses produits via notamment un réseau de distributeurs et affirme que les agissements déloyaux de la SAS Label Bouche sont de nature à l'entraver.

La liberté du commerce et de l'industrie étant une liberté publique à valeur constitutionnelle comme l'a rappelé le premier juge, l'action en concurrence déloyale suppose la démonstration d'une faute commise par le concurrent, laquelle aurait pour effet de produire dans l'esprit du public une confusion entre les produits. Les agissements parasitaires sont quant à eux, l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de sa notoriété et de son savoir-faire.

En l'espèce, il convient de constater d'abord que la vente des produits respectifs des parties s'effectue dans des régions géographiques éloignées ([Localité 4]/ [Localité 5]-[Localité 3]-[Localité 6]) et que l'activité de l'appelante est quasi exclusivement une activité ambulante alors que la SAS Emkipop exerce son activité au sein d'établissements dans le cadre d'une exploitation directe ou par un réseau de revendeurs dans la mesure où elle cherche à se positionner sur un segment " haut de gamme " que ne revendique pas l'appelante.

À titre liminaire, la cour observe que :

- L'idée d'esquimaux glacés composés uniquement de fruits frais et de produits naturels n'a pas été inventée par la SAS Emkipop mais, comme indiqué dans la pièce 6-2 de l'appelante, importée par elle des Etats-Unis.

- Ce concept d'esquimaux glacés aux fruits frais de saison était en tout état de cause, également connu en Europe, avant l'immatriculation de la SAS Emkipop.

- Il s'agit dans tous les cas de composer des recettes de sorbets avec des ingrédients naturels, avec un enrobage ou non (topping).

Il résulte de l'analyse notamment des pièces 9, 11, 12, 17, 18,19, 20, 21, 24 et 25 de l'appelante :

- Que des fabricants de glaces en bâtonnets utilisent des produits naturels avec des topping en provenance de France et d'Allemagne, utilisant le même type d'effets visuels et narratifs que la SAS Emkipop pour présenter les produits, à savoir, un bâtonnet tenu avec une main visible ou non, une présence des fruits et ingrédients utilisés à proximité du bâtonnet, un choix de couleurs acidulées et d'un environnement "nature",

- Que l'enrobage, présenté par l'appelante comme sa marque de fabrique, est en réalité usuellement utilisé par nombre de ses concurrents, hors la SAS Label Bouche, en France ou à l'étranger, sans que l'enrobage en diagonale de la SAS Emkipop et les topping soient significativement différents de celui de ses concurrents pour un consommateur moyennement attentif. Sur ce point, le commentaire d'un seul abonné laissé sur la page Instagram de la SAS Label Bouche signifiant qu'il associait la SAS Emkipop à la photographie d'un bâtonnet glacé présenté par l'appelante, est inopérant.

- Que le caractère identique des moules utilisés par les parties pour leur production de glaces s'explique par son caractère extrêmement commun dans le domaine des bâtonnets glacés, étant observé qu'il est en vente tant pour les professionnels que les particuliers.

- Que l'usage de flèches en écriture cursive sur Instagram, pour présenter la composition des bâtonnets glacés n'est nullement propre à la SAS Emkipop s'agissant d'outils graphiques mis à la disposition de chacun des utilisateurs de ce réseau social et dont les pièces ci-dessus visées montrent également une large utilisation par les professionnels désireux de mettre en valeur leurs produits.

- Que le choix des noms de glaces est dicté par le principal ingrédient utilisé, avec ou sans ajout d'expressions se voulant poétiques ou drôles. Si en page 22 des conclusions de l'intimée il est présenté ce qui est manifestement une capture d'écran d'un smartphone, montrant un extrait de la page Instagram (') de la SAS Label Bouche avec une glace dénommée "jolie fraise" à l'identique de la dénomination utilisée habituellement par la SAS Emkipop pour ses glaces à la fraise, la date de cette photographie n'est pas lisible et ne peut être authentifiée. Quoiqu'il en soit, cette imitation, à la supposer même avérée, est unique, ne figure même pas dans le constat d'huissier produit aux débats et n'est manifestement pas utilisée usuellement par l'appelante qui désigne ses glaces à la fraise par l'expression "ramène ta fraise".

- Que le savoir-faire en matière de bâtonnets glacés fabriqués de manière artisanale avec des produits frais, naturels et/ou biologiques est largement partagé pas les acteurs du secteur, y compris dans les modes de communication et de publicité utilisés.

Ainsi, il n'est démontré ni l'existence d'une faute commise par la SA Label Bouche caractérisant une concurrence déloyale, ni un comportement par lequel cette dernière se serait inspirée ou aurait copié un savoir-faire propre à la SAS Emkipop caractérisant un comportement parasitaire, les agissements reprochés étant largement partagés par tous les acteurs du secteur du bâtonnet glacé.

Le jugement déféré est infirmé en ce qu'il a prononcé une condamnation à ce titre de la SAS Label Bouche.

3. Sur les demandes accessoires :

La SAS Label Bouche ne démontre ni la volonté de nuire, ni le caractère abusif de l'action de la SAS Emki Pop laquelle avait obtenu satisfaction en première instance ; elle est déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

La SAS Emki Pop, qui succombe est condamné aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dispositif,

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Marseille du 7 novembre 2019 en ce qu'il a condamné la société Label Bouche à payer à la société Emki Pop une somme de 15 .000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des dommages causés par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire,

Statuant à nouveau,

Déboute la SAS Emki Pop de ses demandes au titre de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires,

Confirme le jugement déféré pour le surplus,

Déboute la SAS Label Bouche de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne la SAS Emki Pop aux dépens,

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAS Emki Pop à payer à la SAS Label Bouche la somme de trois mille euros.