CA Caen, 1re ch. civ., 12 septembre 2023, n° 20/02965
CAEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guiguesson
Conseillers :
M. Garet, Mme Velmans
Avocats :
Me Tesnière, Me Royer-Liebart, Me Hervieu
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte au rapport de Maître [M], notaire, en date du 13 mars 2017, Monsieur [P] [U] a vendu à Monsieur [X] [W], représenté par Monsieur [G] [J], une maison d'habitation dont il était propriétaire, située [Adresse 4] à [Localité 6] (14), inoccupée depuis 2015 et accolée à un immeuble à usage de commerce et d'habitation faisant l'objet d'un bail commercial au profit de Madame [D] [C].
Monsieur [U] a appris par la suite de Monsieur [J], que l'acquéreur, Monsieur [W] était le compagnon de Madame [C] et que cette acquisition avait pour finalité de permettre à cette dernière d'y exercer une activité commerciale.
S'estimant victime d'un dol, il a assigné Messieurs [W] et [J] devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins d'obtenir l'annulation de la vente outre le règlement de diverses sommes et la désignation d'un expert judiciaire afin d'évaluer les travaux de remise en état d'origine de l'immeuble.
Par jugement du 2 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Caen a :
- rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de publication des assignations introductives d'instance soulevée par Messieurs [W] et [J],
- débouté Monsieur [U] de toutes ses prétentions dirigées contre Messieurs [W] et [J],
- débouté Messieurs [W] et [J] de leurs demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Monsieur [U] aux dépens.
Suivant déclaration du 30 décembre 2020, Monsieur [U] à formé appel de la décision en ce qu'il l'a débouté de toutes ses prétentions et l'a condamné aux dépens.
Moyens,
Aux termes de ses dernières écritures en date du 17 mars 2023, il demande à la cour :
- d'écarter des débats les attestations [T], [F] et [C] versées aux débats par les intimés comme non-conformes aux prescriptions légales et les déclarer inopérantes à remettre en cause les aveux des intimés résultant de leurs actes de procédure,
- de dire les constitutions et les conclusions des 25 mai 2022 et 7 septembre 2022 irrégulières au regard des prescriptions légales, ce qui lui fait grief,
- de rejeter comme étant irrecevables et subsidiairement mal fondées les prétentions 'subsidiaire' des intimées fondées sur l'article 31 du code de procédure civile,
Au fond,
- de débouter Messieurs [W] et [J] de leur appel incident,
- de rejeter comme injustes et mal fondées, toutes fins et prétentions contraires de Messieurs [W] et [J] et par la suite les en débouter,
- d'annuler et subsidiairement infirmer le jugement entrepris,
- d'annuler la vente,
- de condamner in solidum les intimés au paiement d'une somme de 550 € par mois a minima, sauf à parfaire, au titre de la valeur de jouissance due, à compter du 13 mars 2017 et jusqu'à la plus tardive des deux dates, à savoir la date de remise des clefs et/ou la date de remise en état au statut quo ante des locaux,
- de condamner in solidum les intimés à supporter l'ensemble des frais de remise en état à l'identique de l'immeuble litigieux en raison des modifications intervenues,
- de condamner conjointement les intimés à supporter l'intégralité des frais engendrés et nécessités par cette annulation (frais de diagnostic, frais d'acte, frais de publicité foncière, de toute nature et de manière plus large tous frais qu'impose une transaction immobilière),
Préalablement à la fixation du montant des frais de remise en état,
- d'ordonner une expertise afin d'évaluer les travaux de remise en état d'origine de l'immeuble, à raison des modifications qui y ont été apportées,
- d'ordonner la compensation entre toutes sommes que Monsieur [U] devra restituer par l'effet de l'annulation de la vente avec les condamnations prononcées à l'encontre de Monsieur [W],
- d'ordonner que toutes sommes devant éventuellement revenir à Monsieur [W] au titre de la restitution du prix de vente consécutive à l'annulation, seront séquestrées entre les mains de tel séquestre qu'il plaira à la juridiction de désigner, les fonds ne pouvant éventuellement être remis à Monsieur [W] que toutes les créances de Monsieur [U] seront définitivement fixées,
A tout le moins et en toute hypothèse,
- de condamner in solidum Messieurs [W] et [J] au paiement d'une somme de 20.000,00 € au titre de son préjudice moral,
- de condamner in solidum Messieurs [W] et [J] au paiement d'une somme de 10.000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de leurs dernières écritures en date du 7 septembre 2022, les intimés concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de Monsieur [U] et à sa réformation en ce qu'il a rejeté leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, ainsi que celle formée au titre des frais irrépétibles.
Subsidiairement, au visa de l'article 31 du code de procédure civile, il demande de :
- juger les demandes de Monsieur [U] irrecevables faute d'intérêt légitime à agir,
- au fond, constater l'absence de dol,
- débouter en conséquence Monsieur [U] de toutes ses demandes à leur égard,
- le condamner à leur verser à chacun la somme de 1.500,00 € de dommages-intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
- le condamner à leur verse à chacun, la somme de 5.000,00 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 avril 2023.
Motivation,
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de Monsieur [U]
Les intimés concluent à l'irrecevabilité des demandes de Monsieur [U] faute d'intérêt à agir.
Celui-ci rétorque que cette fin de non-recevoir relève de la compétence du conseiller de la mise en état, et qu'au surplus ayant fait l'objet d'une tromperie, il dispose bien d'un intérêt à agir.
Il est désormais jugé, par application des articles L. 311-1 du code de l'organisation judiciaire et 907 du code de procédure civile, que la cour d'appel est seule compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir qui relèvent de l'appel, le conseiller de la mise en état n'étant compétent quant à lui que pour statuer sur celles touchant à la procédure d'appel.
Il en résulte que le conseiller de la mise en état n'est pas compétent pour statuer sur la fin de non-recevoir, tiré d'un défaut d'intérêt à agir, qui au demeurant aurait pour conséquence de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par les premiers juges devant lesquels cette fin de non-recevoir n'a pas été soulevée.
Il appartient donc à la cour de statuer sur cette demande d'irrecevabilité.
Monsieur [U] invoquant le dol au soutien de sa demande, il a bien un intérêt à agir pour solliciter l'annulation de la vente qu'il a conclue avec Monsieur [W].
La fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir sera donc rejetée.
Sur l'irrégularité des conclusions d'appel incident des intimés.
Monsieur [U] soutient que l'absence des mentions légales prescrites (profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance) dans conclusions adverses les rend irrégulières et que celui lui fait grief. Il demande qu'il en soit tiré toutes conséquences de droit.
Il résulte de la combinaison des articles 954, 960 et 961 du code de procédure civile, que les conclusions des parties ne sont pas recevables tant que les indications relatives aux nom, prénom, profession, domicile, nationalité et date de naissance, n'ont pas été fournies.
Toutefois, l'article 961 précise dans son premier alinéa in fine, que cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu'au jour du prononcé de la clôture, ou en l'absence de mise en état, jusqu'à l'ouverture des débats.
Tel est précisément le cas en l'espèce, les conclusions récapitulatives en réponse N°2 des intimés du 7 septembre 2022 comportant ces informations.
Cette fin de non-recevoir sera donc rejetée.
Sur la demande d'annulation du jugement,
Monsieur [U] soutient que le jugement doit être annulé pour non-respect du principe du contradictoire, les juges ayant fondé leur décision sur des moyens de droit qui n'auraient pas été soulevés par les défendeurs alors même que ces derniers ont fait l'aveu judiciaire des manœuvres dolosives auxquelles ils se sont livrés et qui ont vicié son consentement.
Il est constant que le fait pour le tribunal de ne pas avoir retenu l'aveu selon lequel c'était à dessein que Monsieur [J] n'avait pas révélé que Monsieur [W] était le compagnon de la voisine de Monsieur [U], ne constitue pas une atteinte au principe du contradictoire, et ne justifie aucunement l'annulation du jugement, seule son infirmation pouvant être éventuellement envisagée.
Par ailleurs et dans la mesure où l'existence des relations existant entre Monsieur [W] et Madame [C] était dans le débat, il ne saurait être reproché aux premiers juges d'avoir porté atteinte au principe du contradictoire, en relevant que tant Monsieur [J], que Monsieur [W] n'avaient pas à les révéler à Monsieur [U] en sa qualité de vendeur, du fait du respect de vie privée, qu'il n'était pas démontré que cette information constituait pour lui une condition essentielle du contrat et que cette information si elle avait été connue de lui, l'aurait empêché de vendre le bien, ce qui au demeurant constitue bien une motivation au sens de l'article 455 du code de procédure civile, qui n'est pas purement hypothétique.
La demande d'annulation du jugement sera donc rejetée.
Sur la demande d'annulation de la vente pour dol
L'article 1130 du code civil dispose :
"L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné."
L'article 1131 du même code dispose :
"Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat".
L'article 1137 du code civil dispose :
"Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation."
L'article 1138 du même code dispose :
"Le dol est également constitué s'il émane du représentant, gérant d'affaires, préposé ou porte-fort du contractant.
Il l'est encore lorsqu'il émane d'un tiers de connivence."
L'article 1139 du code civil dispose :
"L'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable; elle est une cause de nullité alors même qu'elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat."
En l'espèce, Monsieur [U] reproche à Monsieur [J], qui est intervenu comme mandataire, d'avoir menti en accord avec son acquéreur, Monsieur [W], en ne lui révélant pas qu'il était en réalité son voisin comme étant le compagnon de Madame [C], et que cette acquisition n'était pas destinée à l'habitation mais à agrandir le commerce d'épicerie, bar, tabac de cette dernière, en faisant l'acquisition de la maison voisine, ceci afin d'éviter de faire monter le prix de vente qui n'aurait pas été le même s'il l'avait su.
Il n'est pas contesté par les intimés que Monsieur [J] qui était mandaté pour réaliser la vente, n'a pas révélé au vendeur, Monsieur [U], que l'acquéreur dont l'état civil était indiqué dans l'acte de vente, était le compagnon de sa voisine Madame [C], ceci afin d'éviter de faire monter le prix de vente l'immeuble au-delà de sa valeur réelle.
Pour autant, Monsieur [J] a donné la véritable identité de son mandant et il est justifié de ce que ce dernier était bien domicilié à l'adresse indiquée dans le compromis et l'acte de vente. Il n'y a donc pas eu de mensonges sur ces points.
Il n'avait aucune obligation de révéler les liens de Monsieur [W] avec Madame [C], ce qui relève de leur vie privée.
Il importe peu par ailleurs de savoir si Monsieur [W] parlait ou non correctement le français, ceci étant sans incidence sur le contrat.
En tout état de cause, il n'est pas démontré par Monsieur [U] que l'identité physique de l'acquéreur constituait une condition déterminante de son consentement en l'absence de toute mention à ce sujet tant dans le compromis que dans l'acte de vente.
Cette identité n'ayant pas été dissimulée, il lui appartenait s'il le souhaitait, de se renseigner plus précisément sur la personne de Monsieur [W].
Quant au prix de vente, il est constant que Monsieur [U], qui avait tout loisir de la refuser, a accepté l'offre d'achat présentée par Monsieur [J] pour le compte de Monsieur [W], pour un montant de 55.000,00 € dont il reconnaît d'ailleurs qu'il correspondait à la valeur de l'immeuble, même si elle se trouvait dans la fourchette basse.
Il n'est d'ailleurs pas démontré que Monsieur [W] aurait accepté d'acquérir l'immeuble à un prix plus élevé.
Il ne saurait enfin être reproché à ce dernier d'avoir modifié la destination de l'immeuble puisqu'en étant devenu propriétaire, il pouvait en faire l'usage qu'il souhaitait.
Le dol n'est donc pas constitué et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande tendant à l'annulation de la vente ainsi que de toutes ses demandes accessoires (indemnité au titre de perte de jouissance, expertise, frais de remise en état, frais d'annulation...).
Sur la demande de dommages-intérêts de Monsieur [U]
Monsieur [U] a été débouté par le tribunal de sa demande de dommages-intérêts.
Devant la cour, il demande à nouveau la condamnation de Messieurs [W] et [J] à lui payer une somme de 20.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel et moral, dans l'hypothèse où la vente ne serait pas annulée, et ce, à raison de leur comportement et du stratagème mis en place.
Comme il a été vu ci-dessus, d'une part, le comportement des intimés n'est pas constitutif d'une faute dolosive et d'autre part, Monsieur [U] ne justifie ni d'un préjudice matériel ni d'un préjudice moral.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts.
Sur la demande de dommages-intérêts des intimés
Messieurs [J] et [W] ont formé un appel incident sur le rejet de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il est constant que l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.
Tel n'est pas le cas en l'espèce, et il ne saurait être reproché à Monsieur [U] de soulever tous les moyens de droit qu'il estime nécessaires pour faire aboutir ses prétentions quand bien même ceux-ci seraient inopérants.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [U] de sa demande de dommages-intérêts.
Sur les frais irrépétibles et les dépens.
L'équité commande de débouter Monsieur [U] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et de le condamner à payer à Messieurs [W] et [J], la somme de 2.000,00 € à chacun sur ce fondement.
Succombant, il sera condamné aux dépens, le jugement étant confirmé en ce qu'il l'a condamné aux dépens de première instance.
Dispositif,
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 2 décembre 2020,
Y ajoutant,
DÉBOUTE Monsieur [P] [U] de toutes ses demandes,
CONDAMNE Monsieur [P] [U] à payer à Monsieur [X] [W], la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [P] [U] à payer à Monsieur [G] [J], la somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Monsieur [P] [U] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [P] [U] aux dépens.