CA Paris, Pôle 4 ch. 4, 29 mars 2011, n° 08/04634
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Sagevi Gestion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Remond
Conseillers :
Mme Kermina, Mme Joly
Avoués :
SCP Baskal - Chalut-Natal, SCP Blin
Avocats :
Me Charriere, Me Jammet
La Cour est saisie de l'appel interjeté par monsieur Marcel MORDOH et par madame Odette MORDOH, née DE PICCIOTTO, (ci-après les époux MORDOH), d'un jugement rendu le 5 février 2008, par le Tribunal d'Instance de PARIS 16ème arrondissement, qui a :
- ordonné la jonction des dossiers enrôlés sous les numéros 07/733 et 07/772 ;
- débouté les époux MORDOH de toutes leurs demandes ;
- validé le congé délivré le 18 octobre 2006, avec effet au 30 juin 2007 ;
- dit monsieur et madame MORDOH occupants sans droit, ni titre depuis le 1er juillet 2007 ;
- ordonné l'expulsion de monsieur et de madame MORDOH et celle de tous occupants de leur chef, hors des lieux loués, avec, au besoin, le concours de la force publique, dans les conditions prévues par la loi du 9 juillet 1991 ;
- dit que monsieur et madame MORDOH bénéficieront d'un délai de six mois à compter de la signification du jugement pour quitter les lieux ;
- ordonné le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux selon les dispositions de la loi du 9 juillet 1991, aux frais et risques de la personne expulsée, en garantie de toutes les sommes susceptibles d'être dues ;
- condamné monsieur et madame MORDOH à payer à madame KRITIKOS une somme mensuelle égale au montant du loyer et des charges en cours, à titre d'indemnité d'occupation à compter du 1er juillet 2007 jusqu'à la libération effective des lieux ;
- condamné monsieur et madame MORDOH à 2 000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- débouté les parties de toute autre demande ;
- condamné monsieur et madame MORDOH aux dépens ;
- ordonné l'exécution provisoire.
Cet appel a été interjeté à l'encontre de madame KRITIKOS et de la société SAGEVI Gestion sa mandataire.
*
* *
Les faits et les demandes des parties
Par acte sous seing privé daté du 12 novembre 1996, madame Athéna KRITIKOS a loué aux époux MORDOH, pour une durée de six années renouvelable, un appartement sis à [...] (bâtiment A, 5ème étage, porte droite), moyennant un loyer mensuel de 1 303,44 € (8 550 Frs) et une provision sur charges de 167,69 € (1 100 Frs) ; cette location, qui a donné lieu au versement d'un dépôt de garantie de 2 606,88 € (17 100 Frs), était soumise à la loi n°89-462 modifiée du 6 juillet 1989.
Suivant acte d'huissier daté du 18 octobre 2006, madame KRITIKOS a fait délivrer aux époux MORDOH un congé pour vendre, à effet du 30 juin 2007 et au prix de 650 000 €.
Par acte d'huissier daté du 26 juin 2007, les époux MORDOH ont fait citer madame KRITIKOS devant le Tribunal d'Instance, aux fins, notamment, de voir déclarer le congé nul et de nul effet pour absence de mentions des conditions de la vente, du droit de préemption des locataires, erreurs d'adresse et fausse motivation.
Par acte d'huissier daté du 6 juillet 2007, madame KRITIKOS a fait assigner les époux MORDOH devant le Tribunal d'Instance, aux fins, notamment, voir valider le congé, avec toutes conséquences de droit: expulsion, séquestration du mobilier, indemnité d'occupation ....
Le 5 février 2008, le Tribunal d'Instance a rendu le jugement dont monsieur et madame MORDOH ont relevé appel.
Par ordonnance rendue le 2 juillet 2008 (1ère Chambre, section P), le Magistrat délégataire du Premier Président a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement du 5 février 2008, et ce, aux motifs que monsieur et madame MORDOH justifiaient des difficultés de santé de l'époux, qui depuis plusieurs mois le mettaient dans une situation fragile, qui se sont aggravées ces derniers temps, le conduisant à une invalidité nécessitant des soins réguliers, dans le même environnement, selon un certificat médical du 23 mai 2008 ; que leur départ, voire leur expulsion, auraient dès lors des conséquences manifestement excessives.
Le 5 juin 2008, madame KRITIKOS, épouse de monsieur Georges YENNIMATAS, a vendu l'appartement sus-visé, au prix de 650 000 €, à la SCI JULIEN, société constituée le 26 octobre 2001, entre madame Audrey SALAS (gérante), monsieur Henri SALAS et madame Josette BEUNAICHE (nom d'usage SALAS), et qui a pour objet la propriété par voie d'acquisition, d'échange, d'apport ou autrement, de tous biens et droits immobiliers, l'aménagement, la mise en location, la gestion de tous biens immobiliers.
La clôture a été prononcée le 28 septembre 2010.
Dans leurs dernières conclusions n°2 signifiées le 16 juin 2010, monsieur Marcel MORDOH et madame Odette MORDOH, née DE PICCIOTTO, demandent à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné l'expulsion des époux MORDOH et de :
- constater l'impossibilité d'expulser les époux MORDOH, compte tenu de leur âge et de leur état de santé ;
- à titre subsidiaire, accorder aux époux MORDOH un délai de trois ans à compter de l'arrêt à intervenir, avant qu'il puisse être procédé à leur expulsion ;
- à titre infiniment subsidiaire, nommer un médecin-expert, avec pour mission d'évaluer l'état de santé de monsieur et de madame MORDOH et estimer s'ils sont aptes à subir les contraintes d'un déménagement ;
- fixer la provision à consigner et le délai du dépôt du rapport de l'expert ;
- surseoir à statuer en attendant le dépôt du rapport de l'expert ;
- en toute hypothèse, débouter la SCI JULIEN de sa demande de dommages et intérêts ;
- débouter la SCI JULIEN de l'ensemble de ses autres demandes ;
- condamner la SCI JULIEN à payer aux époux MORDOH la somme de 5 000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner la SCI JULIEN en tous les dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 4 décembre 2008, la SCI JULIEN, intervenante volontaire, demande à la Cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté la défenderesse de sa demande d'octroi d'une indemnité compensatrice pour le préjudice causé, et en conséquence, de :
- débouter monsieur et madame MORDOH de toutes leurs demandes ;
- ordonner l'expulsion de monsieur et de madame MORDOH et celle de tous occupants de leur chef hors des lieux loués, avec, au besoin, le concours de la force publique, sans délai supplémentaire par disposition spéciale conformément à l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 ;
- ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux loués, aux frais et risques de la personne expulsée, en garantie de toutes les sommes susceptibles d'être dues ;
- condamner monsieur et madame MORDOH à payer à la SCI JULIEN une indemnité compensatrice de 12 000 €, pour le préjudice causé ;
- condamner monsieur et madame MORDOH à payer à la SCI JULIEN la somme de 2 000 €, sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamner monsieur et madame MORDOH aux dépens, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Par conclusions signifiées le 17 juin 2008 madame KRITIKOS et la société SAGEVI Gestion ont indiqué ne plus avoir qualité pour être partie dans le litige en raison de la vente à la SCI JULIEN des locaux qui avaient été loués aux époux MORDOH.
*
* *
SUR CE, LA COUR
* sur le congé
Il apparaît qu'en cause d'appel, la validité du congé n'est plus critiquée par les époux MORDOH.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a validé le congé délivré le 18 octobre 2006, avec effet au 30 juin 2007, en ce qu'il a déclaré monsieur et madame MORDOH occupants sans droit, ni titre, et en ce qu'il les a condamnés au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation.
Il en sera de même de la disposition du jugement ordonnant l'expulsion des occupants, mesure dont il n'est pas démontré par les époux MORDOH que l'exécution en serait rendue impossible du fait de leur âge et de leur état de santé.
Il n'y a en revanche pas lieu de supprimer le délai de deux mois prévu par l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991.
Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a statué sur le sort des meubles trouvés dans les lieux.
* sur la demande de délais
Selon l'article L.613-1 du Code de la Construction et de l'Habitation, il peut être accordé, par dérogation aux dispositions des articles 1244-1 à 1244-3 du Code Civil, des délais renouvelables aux occupants des locaux d'habitation ou à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales, sans que lesdits occupants aient à justifier d'un titre à l'origine de l'occupation.
Outre que le fait d'adresser aux appelants une sélection d'annonces de location les invitant à prendre contact avec l'agence dont elles émanent ne peut correspondre à une offre de relogement, il est constant que monsieur et madame MORDOH sont âgés respectivement de 96 ans et de près de 89 ans comme étant nés, l'époux, le 11 janvier 1915 et, l'épouse, le 15 juin 1922 ; il ressort également d'un nouveau certificat médical, établi le 27 septembre 2010 par leur médecin traitant, que ses 'patients présentent de graves pathologies évolutives et invalidantes nécessitant des soins médicaux très réguliers' et qu''il est bien sûr impossible devant leur état clinique d'envisager un déménagement'.
Les conditions d'application du texte sus-visé étant réunies, il y a lieu d'accorder aux appelants un délai supplémentaire d'un an à compter de la signification du présent arrêt, pour libérer les lieux.
Les époux MORDOH seront déboutés du surplus de leur demande de ce chef.
* sur la demande en paiement d'une indemnité compensatrice
En raison de la nature mixte, compensatoire et indemnitaire de l'indemnité d'occupation, il appartient à la SCI JULIEN de rapporter la preuve de l'existence d'un préjudice distinct de celui réparé par l'indemnité d'occupation, laquelle constitue une dette de jouissance correspondant à la valeur équitable des lieux et assure en outre la réparation du préjudice résultant d'une occupation sans bail.
Tel n'est pas le cas en l'espèce.
En effet, l'éventualité de faire habiter l'appartement acquis, après travaux, par mademoiselle SALAS, associée gérante de la société repose uniquement sur une lettre, datée du 24 juin 2008 et adressée par cette même gérante à la société SAGEVI Gestion, ancienne mandataire de madame KRITIKOS ; nul ne pouvant se constituer une preuve à soi-même, cette pièce ne peut être retenue.
Aucun élément ne vient en outre étayer l'affirmation selon laquelle la société intimée devrait supporter, en sus du loyer de l'appartement sis dans le [...] (bail du 13 juin 1996, à effet du 1er juillet 1996, signé par madame BEUNAICHE), le remboursement d'un emprunt du fait du maintien dans les lieux des époux MORDOH, lesquels font valoir, sans être contredits sur ce point, que la société intimée a réalisé une opération immobilière lucrative en acquérant le bien concerné au prix de 650 000 €, alors que l'appartement situé à l'étage supérieur (et qui présente les mêmes caractéristiques que celui occupé par les époux MORDOH) a été vendu 940 000 € en 2008.
La SCI JULIEN sera en conséquence déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité compensatrice.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de Procédure Civile en faveur de l'une ou de l'autre partie.
Les époux MORDOH et la SCI JULIEN seront en conséquence déboutés de leurs demandes respectives en paiement de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Accorde à monsieur Marcel MORDOH et à madame Odette MORDOH, née DE PICCIOTTO, un délai supplémentaire d'un an à compter de la signification du présent arrêt, pour libérer les lieux ;
Déboute monsieur Marcel MORDOH et madame Odette MORDOH, née DE PICCIOTTO, du surplus de leurs demandes ;
Déboute la SCI JULIEN du surplus de ses demandes ;
Laisse à la charge de monsieur Marcel MORDOH et de madame Odette MORDOH, née DE PICCIOTTO, les dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit des avoués de la cause, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.