Cass. com., 30 août 2023, n° 22-10.018
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Ponsot
Avocats :
SARL Ortscheidt, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 octobre 2021), le groupement foncier agricole du domaine de la Trésorière (le GFA) a été constitué entre MM. [G], [S] et [U] [E].
2. [S] [E] est décédé le 15 septembre 2009, en laissant pour lui succéder ses trois fils, MM. [Y], [D] et [O] [E]. [G] [E] est décédé le 18 août 2015, en laissant pour lui succéder son fils, M. [P] [E].
3. Lors d'une assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 25 juin 2017, MM. [D] et [O] [E] ont refusé d'agréer un tiers auquel M. [Y] [E] et d'autres associés s'étaient engagés à céder leurs parts dans le GFA.
4. Le 11 octobre 2017, M. [Y] [E] a assigné le GFA et M. [D] [E], son gérant, demandant l'annulation de l'assemblée générale du 25 juin précédent et la convocation d'une nouvelle assemblée générale ayant le même ordre du jour.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le GFA et M. [D] [E] font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'assemblée générale extraordinaire du GFA du 25 juin 2017 et le procès-verbal en découlant et, l'infirmant pour le surplus, de dire que M. [Y] [E] est associé au sein du GFA, de dire que les parts sociales de [S] [E] ont fait l'objet d'un partage amiable le 28 décembre 2009 entre ses héritiers à parts égales et pour la numérotation en suivant l'ordre alphabétique et de rejeter les demandes des parties, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que, dans le dispositif de leurs conclusions récapitulatives d'appel en date du 13 mars 2019, le GFA et M. [D] [E] ont conclu : "DIRE et JUGER Monsieur [Y] [E] dépourvu de toute qualité à agir et le déclarer irrecevable" ; qu'en relevant, pour considérer qu'elle n'était pas saisie de cette demande et refuser de statuer de ce chef, que cette demande figurait exclusivement dans la discussion mais non dans le dispositif des conclusions du GFA et de M. [D] [E], la cour d'appel les a dénaturées, méconnaissant l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°/ que si le dispositif des conclusions doit récapituler les prétentions, il ne doit pas comporter les moyens, lesquels sont développés dans la discussion ; qu'à supposer que la cour ait considéré qu'elle n'était pas saisie de l'irrecevabilité des demandes de M. [Y] [E] faute pour le GFA et M. [D] [E] d'avoir précisé, dans le dispositif de leurs conclusions, que cette irrecevabilité était fondée sur le défaut de mise en cause de M. [O] [E] à la procédure, quand ce moyen, qui figurait expressément dans la discussion, n'avait pas à être repris dans le dispositif et venait à l'appui d'une prétention d'irrecevabilité qui, elle, y figurait régulièrement, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel comprennent distinctement une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. La cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
7. Il ressort des conclusions litigieuses que si le GFA et M. [D] [E] ont, dans le corps de leurs écritures, consacré des développements distincts à deux fins de non-recevoir, l'une tenant au fait que M. [O] [E] n'était pas présent à la procédure, l'autre tirée du défaut de qualité pour agir de M. [Y] [E], seule la seconde a été reprise au dispositif desdites conclusions.
8. La cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les conclusions dont elle était saisie ni méconnu le sens ou la portée du texte susvisé, en a exactement déduit qu'elle n'était pas saisie de la première de ces prétentions.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
10. Le GFA et M. [D] [E] font grief à l'arrêt de dire que M. [Y] [E] est associé au sein du GFA, de dire que les parts sociales de [S] [E] ont fait l'objet d'un partage amiable le 28 décembre 2009 entre ses héritiers à part égale et pour la numérotation en suivant l'ordre alphabétique et de rejeter leurs demandes, alors :
« 1°/ que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société ; que la qualité d'héritier d'un associé décédé ne confère pas de plein droit celle d'associé ; qu'en relevant, pour considérer que M. [Y] [E] est associé du GFA Domaine de la Trésorière, qu'il est le fils légitime de feu [S] [E] et doit en tant que tel hériter de la qualité d'associé, la cour d'appel a violé l'article 1844 du code civil ;
2°/ que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société ; qu'en se bornant à relever, pour en déduire la qualité d'associé de M. [Y] [E], qu'aux termes des articles 9.b et 10 des statuts du GFA, la transmission par décès, au profit des descendants légitimes, a lieu librement et la société continue entre les associés survivants et les ayants droits héritiers de l'associé décédé, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas de l'article 11, qui prévoit que "les copropriétaires indivis sont tenus de se faire représenter auprès de la société par un seul d'entre eux ou par un mandataire commun pris parmi les associés", que les statuts, qui imposaient aux propriétaires indivis d'être représentés, excluaient que les héritiers puissent être de plein droit associés du groupement, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de les articles 1134 devenu 1103 du code civil ;
3°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que, dans leurs écritures délaissées, les exposants, se fondant sur des décisions judiciaires définitives rendues entre eux et M. [Y] [E], faisaient valoir que les opérations de liquidation partage étaient en réalité toujours en cours de sorte que les parts sociales du GFA restaient incluses dans la masse indivise détenue par MM. [D], [O] et [Y] [E] et que ce dernier, qui n'était à titre personnel détenteur d'aucune part, ne pouvait prétendre à la qualité d'associé ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire qui était pourtant de nature à écarter la qualité d'associé de M. [Y] [E], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que, dans leurs écritures délaissées, le GFA et M. [D] [E], se fondant sur la pratique suivie conformément aux statuts par les héritiers de [S] [E] depuis son décès, faisaient valoir que postérieurement à 2009, c'est toujours l'hoirie [E], représentée par M. [D] [E], qui est convoquée et participe aux assemblées générales, et en justifiaient par la production des procès-verbaux d'assemblée générale du GFA des 28 novembre 2014 et du 29 décembre 2016 ; qu'il en résultait que les parts sociales du GFA restaient incluses dans la masse indivise détenue par MM. [D], [O] et [Y] [E] et que ce dernier, qui n'était à titre personnel détenteur d'aucune part, ne pouvait prétendre à la qualité d'associé ; qu'en ne répondant pas à ce moyen péremptoire qui était pourtant de nature à écarter la qualité d'associé de M. [Y] [E], la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. Les héritiers d'un associé d'une société de personne ont, lorsqu'il a été stipulé que la société continuerait avec eux, la qualité d'associé.
12. L'arrêt relève que les articles 9.b et 10 des statuts stipulent, d'une part, que la transmission par décès au profit des descendants légitimes aura lieu librement et ne sera pas soumise à un agrément, d'autre part, qu'en cas de décès d'un des associés, la société continuera entre les associés survivants et les ayants droits et héritiers de l'associé décédé.
13. Il en résulte que, quand bien même MM. [Y], [D] et [O] [E], fils et héritiers de [S] [E], n'auraient pas procédé à un partage amiable des parts provenant de sa succession, ils disposaient, en leur qualité de propriétaire indivis des parts du GFA, de la qualité d'associé, emportant le droit individuel de participer aux décisions collectives de ce groupement, sans toutefois pouvoir prendre part au vote sinon en étant représentés par un mandataire désigné à cet effet.
14. Dès lors, la cour d'appel, qui n'avait pas à répondre à des conclusions ni à se livrer à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a, à juste titre, retenu que M. [Y] [E] avait la qualité d'associé du GFA.
15. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur ce moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
16. Le GFA et M. [D] [E] font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, en retenant que la décision d'assemblée générale du 28 décembre 2009 a voté la répartition des parts de M. [S] [E] entre ses trois héritiers par un tiers chacun, quand cette dernière précision n'y figure nullement, la cour a méconnu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
17. Le moyen, qui, sous le couvert d'un grief de dénaturation, ne tend qu'à remettre en cause devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine des juges du fond, n'est pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.