Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 novembre 2022, n° 20/02478

PARIS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Balay

Conseillers :

Mme Lebée, M. Berthe

Avocats :

Me Jacquin, Me Lesenechal, Me Dumez

TGI Paris, du 10 déc. 2019, n° 15/15351

10 décembre 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant cession de fonds de commerce du 1er octobre 1998, la société Flam's [Localité 8] était devenue preneuse de locaux appartenant à la société les [Adresse 7] et situés [Adresse 7] à [Localité 2].

Par acte du 27 mars 2015, la bailleresse a fait délivrer à la preneuse un congé avec refus de renouvellement du bail pour le 30 septembre 2015, lui offrant le paiement d'une indemnité d'éviction et sollicitant le paiement de l'indemnité d'occupation.

En l'absence d'accord, la bailleresse a saisi le tribunal de grande instance de Paris, lequel a, par jugement avant dire droit du 22 novembre 2016, désigné M. [I] en qualité d'expert judiciaire avec mission de donner tous éléments permettant de déterminer les indemnités d'éviction et d'occupation.

Par jugement du 10 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a dit que les facteurs locaux de commercialité ont subi, au cours du bail expiré, une évolution notable, ayant eu une incidence favorable sur le commerce exercé par la société Flam's ; dit qu'en cas de renouvellement du bail, le loyer aurait été déplafonné ; dit que l'indemnité d'éviction doit être calculée en tenant compte pour l'évaluation du droit au bail, d'un loyer déplafonné ; dit que l'éviction entraîne la perte du fonds de commerce exploité par la société Flam's ; fixé l'indemnité d'éviction due par la société les [Adresse 7] à la somme de 1 114 500 €, soit : 814 700 € au titre de la valeur du fonds ; 81 470 € au titre des frais de remploi : 176 520 € au titre des frais de réinstallation ; 41 810 € au titre du trouble commercial ; outre les frais de licenciement fixés sur justificatifs ; dit que la société Flam's est redevable à l'égard de la société les [Adresse 7] d'une indemnité d'occupation, à compter du 1er octobre 2015 ; fixé le montant de cette indemnité à la somme annuelle de 117 900 € par an, outre les taxes et les charges prévues au bail ; dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation, s'opérera de plein droit ; condamné la société les [Adresse 7], aux entiers dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ; condamné la société les [Adresse 7] à payer à la société Flam's la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; débouté la société les [Adresse 7] de sa demande fondée sur le même article ; dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ; rejeté toutes autres demandes.

Par déclaration du 31 janvier 2020, la société Flam's [Localité 8] a interjeté appel total du jugement. Par conclusions déposées le 25 août 2020, la société les [Adresse 7] ont interjeté appel incident partiel du jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 07 septembre 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les conclusions déposées le 21 juillet 2022, par lesquelles la société Flam's [Localité 8], appelante à titre principal et intimée à titre incident, demande à la Cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel ; en conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, fixer l'indemnité d'éviction due par la société les [Adresse 7] à la somme de 2 226 000 € se décomposant de la manière suivante : indemnité principale (valeur du fonds) 1 599 305 € ; indemnités accessoires : frais de remploi : 159 931 € ; frais de réinstallation : 419 500 € HT ; trouble commercial : 47 304 € ; total : 2 226 040 €, arrondis à 2 226 000 €, outre les frais de licenciement du personnel, à parfaire, sur justificatifs ; fixer l'indemnité d'occupation due par elle, à compter du 1er octobre 2015, à la somme annuelle de 98 250 €, outre les taxes et charges prévues au bail expiré ; débouter la société les [Adresse 7] de ses demandes ; condamner la société les [Adresse 7] à lui payer une somme de 15 000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile ; la condamner aux entiers frais et dépens, tant de première instance que d'appel, en ce compris les frais d'expertise, qui seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du même code.

Vu les conclusions déposées le 04 mai 2021, par lesquelles la société les [Adresse 7], intimée à titre principal et appelante à titre incident, demande à la Cour de la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée ; débouter la société Flam's de toutes ses demandes, fins et conclusions ; en conséquence, à titre principal, confirmer la décision déférée en ce qu'elle a fixé l'indemnité d'éviction comme suit, sauf à l'amender sur le poste frais de réinstallation le cas échéant : valeur du fonds : 814 700 € ; frais de remploi : 81 400 € ; frais de réinstallation : 176 520 € ou 165 200 € ; trouble commercial : 41 807 € ; total : 1 114 427 € ; 1 103 107 € ; subsidiairement, si la Cour devait considérer que l'indemnité d'éviction calculée en valeur de remplacement doit tenir compte d'un loyer plafonné si le bail avait été renouvelé, fixer l'indemnité d'éviction comme suit : valeur du fonds : 1 067 060 € ; frais de remploi : 106 706 € ; frais de réinstallation : 176 520 € ou 165 200 € ; trouble commercial : 41 807 € ; total : 1 392 093 € ou 1 380 773 € ; dans tous les cas, confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit que la société Flam's est redevable à l'égard de la société les [Adresse 7] d'une indemnité d'occupation à compter du 1er octobre 2015 et fixé cette indemnité à la somme annuelle de 117 900 €/an en principal, outre les taxes et charges prévues au bail expiré ; confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit que la compensation entre le montant de l'indemnité d'éviction et de l'indemnité d'occupation s'opérera de plein droit ; y rajoutant, dire que l'indemnité d'occupation sera assortie des intérêts légaux et ordonner la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ; condamner la société Flam's à lui payer la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du même code, comprenant les frais d'expertise judiciaire.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties. Cependant, pour une meilleure compréhension du présent arrêt, leur position sera synthétisée.

La société Flam's [Localité 8] ne conteste pas les surfaces à retenir et sollicite la fixation à une valeur de 176,52 m²p.

Il ne conteste pas non plus la valeur locative de marché retenue par l'expert à hauteur de 187 000 €.

Elle souligne qu'en cas de renouvellement, le loyer aurait été plafonné, invoquant l'absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une incidence favorable sur le commerce exercé en cours du bail expiré. Elle expose essentiellement la stagnation voire la baisse de la commercialité résultant de réaménagement et d'extension du [Adresse 6], situé à proximité immédiate des locaux ; l'absence de pertinence de l'augmentation de la fréquentation des transports en ce qu'elle n'est pas le signe d'une augmentation potentielle de la clientèle, étant observé l'absence d'incidence de ladite évolution sur le commerce considéré ; l'absence d'incidence de l'augmentation de la fréquentation du centre [M] [R] en ce que la clientèle se dilue dans les commerces environnants, le commerce litigieux se trouvant à 400 mètres de celui-ci ; le faible nombre de permis de construire ; l'absence d'incidence d'une clientèle avec un pouvoir d'achat plus important en ce que la moyenne d'un ticket est de 14 € ; la décroissance de la démographie de l'arrondissement ; la stagnation du chiffre d'affaires. Elle en conclue que la valeur locative de renouvellement doit donc correspondre au montant du loyer au 1er octobre 2015, résultant de l'application des indices, soit selon le calcul de l'expert : 48 814 x 108,38 / 95 = 55 689,07 euros.

Elle fait grief au Tribunal d'avoir retenu un coefficient de situation de 7 et expose que la situation des locaux justifie l'application d'un coefficient de 7,5 compte tenu de l'affluence touristique, qu'ainsi la valeur du droit au bail s'établit à (187 000 ' 55 689,07) x 7,5 = 984 831,97 euros, arrondis à 985.000 euros .

Elle fait valoir le bon état des locaux ainsi que leur caractère historique en ce qu'ils comportent une ancienne chapelle des Templiers du XIIIème siècle. Elle estime la valeur de son fonds à la somme de 1 495 675 € sur la base d'un chiffre d'affaire moyen de 1 246 396 € sur les trois derniers exercices (2017 à 2019) avec application d'un coefficient de 120 % du chiffres d'affaires moyen hors taxes des trois derniers exercices. Suivant la méthode de la rentabilité, elle valorise son fonds à la somme de 1 702 935 €, sur la base l'excédent brut d'exploitation moyen pondéré de 189 215 € des exercices 2017 à 2019 avec un coefficient multiplicateur de 9. La moyenne des deux méthodes aboutissent à la somme de 1 599 305 €, somme à retenir. Elle sollicite donc une indemnité d'éviction principale correspondant à la valeur du fonds de commerce dès lors que celle-ci est supérieure à celle du droit au bail.

Sur les indemnités accessoires, elle estime que :

- 159 931 € au titre des frais de remploi est conforme aux usages, soit 10 % de la valeur de l'indemnité principale,

- 419 500 € HT correspondent à ses frais de réinstallation selon un calcul détaillé de son architecte et au motif qu'il n'existe aucune raison de retraiter l'indemnité de réinstallation en fonction des surfaces seulement accessibles à la clientèle, dès lors que le concept de la société FLAM'S [Localité 8] (décors, équipements spécifiques...) a vocation à être intégralement réinstallé sur un volume de surfaces équivalentes à l'assiette du bail, ce poste devant correspondre à la réalité des frais qu'elle devra exposer et n'ayant à souffrir aucun abattement pour vétusté,

- 47 304 € pour trouble commercial correspondant à 3 mois d'EBE pondéré,

et une indemnité de licenciement du personnel sur justificatifs.

Elle ajoute que l'éviction entraîne la perte du fonds de commerce qui doit être ainsi évaluée à 2 226 000 €, outre les indemnités de licenciement du personnel.

Sur l'indemnité d'occupation, elle estime que la valeur locative de renouvellement pondérée au 1er octobre 2015 doit faire l'objet d'un abattement pour précarité de 25 %, en raison de la durée particulièrement longue de la présente procédure, de l'obligation pour la concluante de limiter ses stocks et de différer ses investissements, et de l'impossibilité de céder son fonds dans des conditions avantageuses et propose la fixation d'une l'indemnité d'occupation de 98 250 € par an, outre les taxes et charges prévues au bail expiré.

La SNC les [Adresse 7] rappelle que l'emplacement des locaux est touristique, attractif, recherché et bien desservi.

Elle ne conteste pas non plus la surface de 176,52 m²p retenue par l'expert.

Elle invoque une modification notable des facteurs locaux de commercialité entre le 1er octobre 2006 et le 30 septembre 2015, soit une augmentation de la fréquentation des transports entraînant le recours à la restauration des voyageurs, l'augmentation des visites du Centre culturel [M] [R] voisin, la capacité d'accueil des locaux litigieux supérieure aux commerces concurrents, l'implantation d'une population à fort pouvoir d'achat, la création de stationnement et de moyens de locomotion terrestre témoignant d'une augmentation de la population active dans le secteur ; l'existence de deux références judiciaires ayant retenu un déplafonnement pour modification notable des facteurs locaux de commercialité.

Elle s'accorde avec l'expert en ce qu'il a retenu une valeur locative de marché à 187 000 € par an et une valeur locative en renouvellement de 131 000 € par an en cas de déplafonnement du loyer, étant retenu l'application d'un coefficient de situation de 7 eu égard à la distribution peu fonctionnelle des locaux et aboutissant au regard de l'économie de loyer actualisé à une valeur du droit au bail à la somme de 654 000 €.

Sur la valeur du fonds de commerce, elle retient un excédent brut d'exploitation pondéré de 39 224 €. Elle estime qu'un coefficient de capitalisation de 5 s'impose compte tenu des résultats de l'entreprise corrects mais un peu faibles, soit 196 120 €. Elle s'oppose au calcul effectué par la société preneuse en ce qu'il repose sur la valeur de l'excédent brut comptable capitalisé par un coefficient de 9.

Sur l'évaluation de la valeur du fonds selon la méthode du chiffre d'affaires, elle fait valoir que l'application d'un coefficient de 120 % du chiffre d'affaire moyen des trois dernières années est totalement inappropriée s'agissant d'un restaurant « grand public », situé sur une voie secondaire, présentant une configuration avec plusieurs escaliers étroits et raides, plusieurs

niveaux dont certains non accessibles à la clientèle PMR et vétustes pour la parties des locaux annexes et techniques et fait valoir les coefficients retenus par l'expert, soit 65% en cas de déplafonnement et 85% en cas de plafonnement. La fixation de la valeur du fonds à la somme de 814.700 € qu'a opéré le premier juge doit ainsi être confirmée.

Sur les indemnités accessoires, elle expose que :

- les frais de remploi doivent être fixés à 10 % de la valeur du fonds, conformément aux usages,

- le trouble commercial doit être estimé à 3 mois d'excédent brut d'exploitation,

- ne doivent être pris en compte au titre des frais de réinstallation que les seuls agencements des salles principales liés aux impératifs de l'enseigne déduction faite d'un coefficient de vétusté fonction de l'ancienneté des installations, soit 25%, que ces installations et agencements ont déjà amorties par la Société FLAM'S et qu'en outre l'indemnité principale valorise déjà ces aménagements ;que l'évaluation du premier juge devant ainsi être confirmée,

- les indemnités de licenciement du personnel ne devront être remboursées que sur justificatifs.

Elle sollicite le paiement d'une indemnité d'occupation calculée conformément au rapport d'expertise, soit la somme de 117 900 € / an.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Le refus de renouvellement signifié par le bailleur a ouvert droit au profit du locataire, d'une part, en vertu de l'article L 145-14 du code de commerce à une indemnité d'éviction et d'autre part selon l'article L 145-28 du même code au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de cette indemnité.

En outre, le maintien dans les lieux justifie, d'après l'article précité, le versement au propriétaire d'une indemnité d'occupation à compter du 1er octobre 2015.

Sur la fixation de l'indemnité d'éviction :

Aux termes de l'article L 145-14 du code de commerce, en cas de congé avec refus de renouvellement, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement, l'indemnité d'éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l'entier préjudice résultant du défaut de renouvellement. Elle comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

Il est par ailleurs usuel de mesurer les conséquence de l'éviction sur l'activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l'indemnité d'éviction prend le caractère d'une indemnité de transfert ou si l'éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l'indemnité d'éviction une valeur de remplacement.

Il est admis que l'indemnité d'éviction s'évalue à la date la plus proche de l'éviction et que la valeur du fonds de commerce est au moins égale à celle du droit au bail qui s'y trouve incluse.

I - L'indemnité principale :

Les locaux sont loués notamment à destination de l'activité de restauration.

L'expert judiciaire relève que les locaux bénéficient d'une bonne situation dans un quartier très animé à vocation commerciale et touristique à proximité du [Adresse 6] et du centre [R], toutefois sur une voie secondaire. Il fait état d'un immeuble de bonne qualité de construction, en état d'entretien apparent correct et comportant une ancienne chapelle templière

au second sous-sol avec voûtes sur croisée d'ogives en pierre, classée a l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Il relève la distribution peu fonctionnelle du bâtiment, en longueur sur quatre niveaux, avec des accès par de multiples escaliers, dont certains sont étroits ou raides et une accessibilité aux personnes a mobilité réduite difficile et impossible au sous-sol.

Il retient une surface utile de 413,22 m², dont 294,2 m² accessible au public et une surface pondérée de 176,52 m² qui n'est pas contestée par les parties.

La valeur locative de marché retenue par l'expert à hauteur de 187 000 € ne fait pas l'objet non plus de contestation par les parties.

A - sur la valeur du droit au bail :

La valeur du droit au bail se déduit par la différence entre la valeur locative de marché et la valeur du loyer si celui-ci avait été renouvelé, à laquelle il est d'usage d'appliquer un coefficient de capitalisation en fonction de l'attractivité commerciale de la zone où sont situés les locaux.

Il conviendra donc d'apprécier quel aurait été le montant du loyer si celui-ci avait été renouvelé et notamment s'il aurait été susceptible d'être déplafonné.

L'article L. 145-34 alinéa 1 dispose qu'à moins d'une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l'article L. 145-33 (caractéristiques du local considéré ; destination des lieux ; obligations respectives des parties ; facteurs locaux de commercialité), le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à neuf ans, ne peut excéder la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l'indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l'indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques. S'agissant des facteurs locaux de commercialité visés à l'article L. 145-33, 4°, l'article R. 145-6 du code de commerce précise que ceux-ci dépendent principalement de l'intérêt que représente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire. Il appartient enfin à la partie qui se prévaut d'une modification notable des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties ou des facteurs locaux de commercialité d'en rapporter la preuve.

Il n'est pas contesté que les critères fixés aux alinéa 1° à 3° L. 145-33 n'ont pas été soumis à une modification notable.

En ce qui concerne l'évolution des facteurs locaux de commercialité entre les années 2006 et 2015, il résulte des constatations de l'expert judiciaire :

- une hausse de fréquentation significative des transports en commun, notamment + 40,07% pour la station de métro des halles et + 74.98% pour le RER [Adresse 5],

- une augmentation de la fréquentation du centre [M] [R] voisin à hauteur de 19,04 %, soit près d'un demi million de visiteurs,

- des constructions de commerces et de bureau d'un volume de 206 m² dans le rayon de 400 mètres des lieux loués sans impact significatif sur la chalandise,

- une augmentation de 45,92% des prix de l'immobilier dans le 1er arrondissement de [Localité 8] reflétant une hausse du pouvoir d'achat de la population renouvelée.

La SNC les [Adresse 7] justifie par ailleurs de l'augmentation du chiffre d'affaire de restaurants « grand public » voisins allant de 15 à 25 % entre 2006 et 2014 et du déplafonnement judiciaire de deux loyers commerciaux à proximité à raison de la modification notable des facteurs locaux de commercialité.

S'il n'est pas contestable que la politique de la ville de [Localité 8] a consisté à faire baisser le trafic automobile, il en résulte toutefois une hausse très significative du flux de chalands sur la zone et la période considérée. Il ne s'infère par ailleurs pas des éléments produits de modification notable de la population du quartier mais en revanche une appréciation de son pouvoir d'achat. Si le centre [M] [R] a connu une baisse de fréquentation entre les années 2013 à 2015, c'est cependant la hausse massive de fréquentation sur l'entière période de 2006 à 2015 qui doit être appréciée.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments une évolution notable des facteurs locaux de commercialité ayant une incidence sur le fonds concerné pendant la durée du bail échu. Il sera donc considéré qu'en cas de renouvellement le loyer aurait été déplafonné.

L'expert judiciaire, conformément aux dispositions de l'article R 145-7 du code de commerce se

réfère, pour évaluer la valeur locative en renouvellement au 1er octobre 2015, aux loyers du voisinage, soit les prix de marché des nouvelles locations, les loyers en renouvellement et les décisions judiciaires. L'expert judiciaire évalue la valeur locative de renouvellement à 700 € par m² pondéré et l'expert amiable [K] à 600 € par m² pondéré. Le premier expert propose d'appliquer au loyer une majoration de 6% compte-tenu du bénéfice pour le commerce considéré d'une terrasse couverte et fermée comprenant 32 places assises dont le principe n'est pas contesté par les parties. Eu égard aux référence produites, la valeur locative de renouvellement doit être estimée à 650 € par m² pondéré soit l76,52rn2 p x 650€ = 114 738 € à laquelle il sera ajouté une majoration de 6%, soit une valeur locative en renouvellement de 121 622,28 € qui sera arrondie à 121 600 € par commodité.

Le coefficient de situation de 7 retenu par l'expert judiciaire - qui tient compte de la bonne situation de l'établissement dans un quartier touristique - apparaît justifié et pertinent. La valeur du droit au bail doit donc être estimée à (187 000 -121 600 x 7) = 457 800 €, soit la valeur locative de marché moins la valeur locative de renouvellement augmentée du coefficient de situation.

Toutefois, le décret du 3 novembre 2014 dispose que le loyer d'une année N ne peut excéder 110% du loyer acquitté 1'année N-1, instaurant ainsi des « paliers » jusqu'à atteindre la valeur locative, ce qui a pour effet de générer une économie de loyer au bénéfice du locataire, cette économie devant être annuellement actualisée et s'ajouter à la valeur initiale du droit au bail.

Compte tenu d'un taux de décôte annuel de 5% de l'économie réalisée, qui n'est pas contesté, l'économie globale actualisée sur les sept années nécessaires pour atteindre la valeur locative de renouvellement s'élève à 213 390 €. La valeur totale du droit au bail est donc de 671 190 €, soit la valeur initiale du droit au bail (457 800 €) augmentée de l'économie globale actualisée (213 390 €) .

B - sur la valeur du fonds de commerce :

L'expert relève que le transfert du fonds de commerce apparaît peu probable et ce point n'est pas discuté. L'indemnité principale sera donc estimée en tenant compte de la valeur marchande du fonds de commerce.

1° L'évaluation de la valeur du fonds de commerce selon l'excédent brut d'exploitation :

L'estimation par la rentabilité consiste à déterminer la capacité du fonds à dégager du profit puis à appliquer à ce résultat un coefficient multiplicateur. La capacité à dégager du profit est généralement calculée à partir de la moyenne de l'excédent brut d'exploitation comptable relevé sur les trois exercices les plus récents, le cas échéant en procédant à une pondération de cette moyenne. Cette dernière a pour effet et pour objet de donner plus de poids aux résultats récents, plus représentatifs de la réalité actuelle de l'entreprise. Elle s'opère en affectant un coefficient multiplicateur de 3 à l'exercice N, de 2 à celui de l'exercice N-1 et de 1 à celui de l'exercice N-2, la somme des trois résultats se divisant ensuite par six afin d'obtenir l'excédent brut d'exploitation moyen pondéré représentatif de la période des trois années écoulées.

Il n'est pas contesté que l'excédent bruts d'exploitation de la société Flam's [Localité 8] s'est élevé à 165 794 € en 2017, 177750 € en 2018 et 204 666 € en 2019.

Il y a lieu de pondérer la moyenne de ces excédents brut d'exploitation pour aboutir à un montant pondéré de 189 215,33 € qui sera arrondi à 189 215 € par commodité. Il convient toutefois de déduire de l'excédent brut d'exploitation ainsi retenu la valeur locative de marché de laquelle est retranché le loyer effectivement supporté par le locataire afin de déterminer la rentabilité intrinsèque du fond, ce qui aboutit à une rentabilité de 61 208 €, soit 189 215 € - (187 000 € -58 993 €).

Le coefficient de capitalisation de 5 retenu par l'expert se justifie eu égard à l'activité de restauration « grand public » de l'établissement, ce qui aboutit à une capitalisation de la partie générée par l'exploitation s'élevant à la somme de 306 040 € (61 208 € x 5).

La valeur du fond selon la méthode de l'excédent brut d'exploitation conduit ainsi à une valorisation totale de 977 230 € arrondi par commodité à 977 200 € résultant de l'addition de la valeur du droit au bail (671 190 €) et de la capitalisation de la partie générée par l'exploitation (306 040 €).

2° L'évaluation de la valeur du fonds de commerce à partir de son chiffre d'affaire :

L'estimation par le chiffre d'affaires s'effectue en affectant un coefficient ou un taux à la moyenne des chiffres d'affaires des trois dernières années. Ce coefficient varie en fonction des caractéristiques propres du fonds et notamment de la ou des activités contractuellement admises qui y sont effectivement exercées. Dès lors que le loyer est déplafonné, l'expert estime à juste titre qu'il convient de retenir un taux de 65% pour le restaurant considéré.

La société Flam's [Localité 8] justifie d'un chiffre d'affaire de 1 197 813 € en 2017, 1 269 438 € en 2018 et 1 247 228 € en 2019, soit un chiffre d'affaire moyen de 1 238 160 € sur la période.

Le fond de commerce, selon cette méthode, s'évalue par conséquent à la somme de 804 803,78 € arrondi par commodité à 804 800 € ( 1 238 160 € x 0,65).

3° L'évaluation du fond de commerce :

L'expert et les parties propose de tenir compte des deux méthodes en réalisant la moyenne des évaluations selon les deux méthodes, ce qui sera retenu par la cour. Il en résulte une valorisation du fond de commerce à la somme de 891 000 € (977 200 € + 804 800 € /2) qui correspondra ainsi à l'indemnité principale d'éviction.

II - Sur les indemnités accessoires :

Frais de remploi ou d'agence :

Ces frais comprennent les frais et droits que doit supporter le locataire évincé pour se réinstaller.

Les parties s'accordent avec 1'expert pour les estimer, conformément aux usages, à 10% de la valeur du fonds de commerce soit : 891 000 € /10 = 89 100 euros.

Les frais de réinstallation :

Les frais de réinstallation sont ceux que supporte le locataire évincé pour mettre en place dans ses nouveaux locaux des aménagements semblables à ceux qu'i1 perd. Ils ne sont dus que s'il est démontré que le preneur doit faire face a des frais d'installations spécifiques ou qu'il a dû supporter des frais d'installation non amortis. Cette indemnité doit en outre concerner la partie du local accessible à la clientèle.

S'il est exact que la société FLAM'S a l'ob1igation de respecter une identité visuelle spécifique à sa chaîne, l'indemnité doit cependant correspondre à la seule superficie de 294,2 m² accessible au public. L'expert judiciaire valorise à juste titre les frais de réinstallation à la somme de 800 € par mètre carré. En outre, les installations indemnisables se trouvent partiellement amorties, ce qui justifie l'application d' un coefficient de vétusté de 25% qui sera appliqué an montant de 800 euros/m².

Le montant des frais de réinstallation sera donc fixé à la somme de 176 520 €, soit 294,2 m² x (800 x 0,75).

Trouble commercial :

Cette indemnité compense la perte de temps générée par l'éviction, soit le moindre investissement dans le commerce et le temps de la recherche d'un nouvel emplacement.

Les parties s'accordent avec 1'expert pour les estimer, conformément aux usages à 3 mois d'excédent brut d'exploitation pondéré. L'excédent brut d'exploitation pondéré de la société FLAM'S [Localité 8] ayant été déterminé ci-dessus à la somme de 189 215 €, l'indemnité pour trouble commercial sera donc fixée à 47 303,75 € arrondi par commodité à 47 300 € (soit 189 215 €/4).

Les frais de licenciement du personnel :

Les parties s'accordent pour considérer que les indemnités de licenciement du personnel seront remboursées sur présentation de justificatifs.

***

Il ressort de1'ensemble des éléments ci-dessus exposés que l'indemnité d'éviction totale due à la société FLAM'S [Localité 8] s'élève à la somme de :

- indemnité principale : 891 000 €,

- frais de remploi : 89 100 €,

- frais de réinstallation : 176 520 €,

- trouble commercial : 47 300 €,

TOTAL : 1 203 920 €, outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs.

Sur l'indemnité d'occupation :

En application de l'article L 145-28 du code de commerce, le locataire évincé, qui se maintient dans les lieux, est redevable d'une indemnité d'occupation calculée d'après la valeur locative, compte tenu de tous éléments d'appréciation.

La valeur locative en renouvellement a ci-dessus été déterminée à la somme annuelle de 121 600 € HT/HC. Le preneur n'apporte pas la preuve de circonstances particulières de précarité attachées à l'éviction qu'il subit et la durée de la procédure n'apparaît pas imputable au bailleur ni manifestement déraisonnable à ce stade. L'abattement de précarité d'usage de 10% sera donc appliqué à la valeur locative en renouvellement de 121 600 € pour fixer l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 109 440 € outre les taxes et charges à compter du 1er octobre 2015. En outre, il y aura lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que cette indemnité d'occupation se compensera de plein droit avec le montant de l'indemnité d'éviction.

Par ailleurs, le droit de repentir du bailleur étant légalement susceptible d'être exercé, il apparaît légitime que l'indemnité d'occupation soit assortie des intérêts légaux qui courront à compter de sa fixation judiciaire par le présent arrêt et que ces intérêts seront, le cas échéant et conformément à l'article 1343-2 du code civil, capitalisés s'ils sont dûs pour une année entière.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

L'instance ayant eu pour cause la délivrance par la SNC LES [Adresse 7] d'un congé refusant le renouvellement, il lui appartient d'en assumer les dépens. Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles. En ce qui concerne les dépens et frais irrépétibles de l'appel et pour les mêmes motifs, la SNC LES [Adresse 7] sera condamnée aux dépens de l'appel avec distraction au profit de la SAS JACQUIN MARUANI &MARUANI, société d'avocats, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ainsi qu'à payer à la la société FLAM'S [Localité 8] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme partiellement le jugement du 10 décembre 2019 du tribunal de grande instance de Paris en ses dispositions sur la fixation des montants de l'indemnité d'éviction et l'indemnité d'occupation, et sur le refus d'assortir l'indemnité d'occupation des intérêts légaux avec leur capitalisation,

Le confirme pour le surplus,

et statuant de nouveau sur ces chefs,

Fixe à la somme globale de 1 203 920 € l'indemnité d'éviction dont est redevable la SNC LES [Adresse 7] à l'égard de la S.A. FLAM'S [Localité 8] qui se décompose ainsi :

- indemnité principale : 891 000 € au titre de la valeur du fonds,

- frais de remploi : 89 100 €,

- frais de réinstallation : 176 520 €,

- trouble commercial : 47 300 €,

outre les frais de licenciement qui seront payés sur justificatifs.

Fixe le montant de l'indemnité d'occupation dont est redevable la S.A. FLAM'S [Localité 8] à l'égard de la SNC LES [Adresse 7] à la somme annuelle de 109 440 € outre les taxes et les charges prévues au bail,

Dit que l'indemnité d'occupation sera assortie des intérêts légaux qui courront à compter de la date du présent arrêt et précise que ces intérêts seront, le cas échéant et dans les termes de l'article 1343-2 du code civil, capitalisés s'ils sont dûs pour une année entière,

Condamne la SNC LES [Adresse 7] à payer à la S.A. FLAM'S [Localité 8] la somme de 3 000€ en indemnisation de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SNC LES [Adresse 7] aux dépens de l'appel et autorise SAS JACQUIN MARUANI &MARUANI, société d'avocats, à recouvrer directement ceux dont elle a fait l'avance sans recevoir de provision en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.