CA Versailles, 17e ch., 19 juillet 2023, n° 21/02819
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Leoni Wiring Systems France (Sté), Maison des lanceurs d’alerte
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prache
Conseillers :
M. Baby, Mme Gautier
Avocats :
Me Metin, Me Paetzold, Me Alibert
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [O] a été engagé en qualité de directeur de ressources humaines (DRH), par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 3 novembre 2008, par la société Leoni Wiring Systems France.
Cette société est spécialisée dans la fabrication et la vente de produits et solutions de câblage pour les constructeurs automobiles. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale de la métallurgie de la région parisienne et son avenant « ingénieurs et cadres ».
Le salarié était en dernier lieu responsable stratégique pour les questions RH internationales des Business Units (BU) PSA et Renault Nissan Volvo (RNV) et il était en charge des RH de la société Leoni Wiring Systems France et des sociétés de la Division WSD situées en France, Italie, Portugal et Maroc. Il percevait une rémunération brute mensuelle de 24 489,78 euros.
Par lettre du 18 janvier 2019, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 28 janvier 2019, avec mise à pied conservatoire.
M. [O] a été licencié par lettre du 1er février 2019 pour faute grave dans les termes suivants :
« Les observations recueillies ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation, et nous sommes contraints de prononcer votre licenciement pour faute grave pour les motifs suivants:
''Non-exécution des demandes, mauvaise volonté et désinvolture ostensibles, obstruction
''Comportement despotique, agressif et irrespectueux envers vos collègues
Vous avez été embauché par notre entreprise à compter du 3 novembre 2008 en qualité de Directeur des Ressources Humaines, Cadre Dirigeant, et occupez actuellement le poste de Global HR Business Partner en charge des BU PSA et RNV ainsi que du périmètre France, Italie, Portugal et Maroc.
A ce titre, vous êtes l'interlocuteur de référence pour toutes les questions RH au sein du périmètre ci-dessus, et votre mission consiste:
''à vous assurer de la prise en considération des besoins RH, en respectant les demandes et en donnant les retours requis en temps utile;
''à manager l'équipe RH, en veillant à encourager l'autonomie et l'assurance de vos subordonnés, et en adoptant à tout moment un comportement exemplaire.
Or nous devons constater de votre part un comportement d'obstruction récurrent face aux demandes :
- soit en faisant mine de ne pas comprendre les demandes pourtant claires,
- soit renvoyant d'autorité ces demandes à des collègues non placés sous votre autorité,
- soit en les ignorant purement et simplement,
- tout en adoptant en parallèle un comportement suivant les cas agressif, méprisant et/ou polémique à l'égard de vos interlocuteurs, en particulier lorsqu'ils ne se plient pas au exigences que vous croyez pouvoir formuler.
Pour exemple :
1. En janvier 2018, un des cadres de notre filiale marocaine, dont le service RH est placé sous votre responsabilité, a émis des doléances concernant la suppression d'une de ses primes.
Vous avez rédigé un audit en mars, puis avez donné instruction pour que le cadre concerné soit licencié, et avez interdit au Directeur Général de la filiale marocaine ' pourtant nullement sous votre responsabilité ' de faire au préalable appel à un avocat. Ce cadre a ensuite intenté une action prud'homale au Maroc, et il semblerait désormais que le risque financier associé soit important.
Par ailleurs, des anomalies ont été relevées dans la paie au Maroc, dont le service Compliance de notre groupe a été saisi. Vous vous êtes offusqué de l'intervention du service Compliance , en alléguant un « juridisme de comptoir », et en vous insurgeant que le service Compliance ne vous ait pas demandé votre avis.
Votre interlocuteur du service Compliance vous ayant rappelé à quel titre il intervenait et vous ayant courtoisement recommandé de modérer vos expressions, loin de vous excuser, vous avez mis en cause son travail (« manque de prudence et de discernement ») en vous prétendant « profondément choqué », sans aucune explication, et en exigeant que votre interlocuteur vienne vous auditionner.
Devant votre insistance, votre interlocuteur a organisé une conférence téléphonique ; mais vous le lui avez reproché avec des termes encore plus virulents, en mettant désormais en cause son « éthique », et en refusant au final de participer à la conférence téléphonique '
2. Toujours sur le même sujet de la paie au Maroc, au cours d'une conversation téléphonique de septembre 2018, votre responsable vous a demandé de travailler sur 5 points clés sur le sujet RH Maroc en vue de votre prochaine conférence téléphonique.
Vous n'avez alors pas formulé d'objection ni d'interrogation.
Mais à deux jours de la conférence téléphonique, vous avez écrit à votre responsable que vous ne pouviez plus « retrouver ces 5 points clés », en lui demandant de vous les rappeler « asap ».
Vous la sommiez également de vous transmettre le rapport Compliance interne susvisé.
Obligeamment, votre responsable vous a indiqué que la partie du rapport Compliance vous concernant vous serait adressé quand il serait achevé, et vous a renvoyé la liste des 5 points.
Vous avez alors exigé des « sujets plus clairs et plus précisés », pour être « sûr des attentes » de votre responsable ' pourtant déjà expliquées clairement lors de votre entretien précédent.
3. Pour mieux comprendre le dossier de ce cadre marocain, Monsieur [T], le service Compliance de LEONI vous a demandé en décembre 2018 un certain nombre de documents, dont ceux sur lesquels vous aviez basé votre audit en mars 2018, que vous auriez donc logiquement dû avoir en votre possession.
Dans un premier temps, vous vous êtes contenté de transférer cette demande au Directeur Général et au DRH de LEONI MAROC en leur donnant instruction « d'y répondre directement » car « vous n'aviez pas gardé en tête tous ces détails ».
Votre interlocuteur du Service Compliance s'en étant étonné, vous avez prétendu n'avoir conservé aucun document ; puis vous avez subitement indiqué vous rendre au Maroc pour réunir les documents demandés.
Un tel déplacement paraissait disproportionné pour simplement réunir des documents ; pourtant, vous avez insisté en prétextant désormais votre souhait de vous impliquer dans le contentieux lié au cadre licencié, et en vous empressant à cette occasion de mettre en cause les « intentions » de votre interlocuteur du service compliance .
En parallèle, vous avez sommé le Directeur Général de LEONI MAROC d'annuler un déplacement à Marrakech, lié à la venue de Madame la Chancelière allemande [D], pour vous aider à réunir les documents demandés, avec en prime des commentaires condescendants et désobligeants, du type :
« Je suis sûr que Madame [D] comprendra que vous deviez être à votre bureau »,
Ou encore :
« Mais il est vrai que c'est la semaine du festival de cinéma à Marrakech »
Au final, votre responsable a dû vous indiquer qu'elle ne validait pas votre déplacement au Maroc, peu justifié au vu des coûts.
Au lieu de simplement obtempérer, vous l'avez immédiatement sommée de vous donner « des explications », en lui reprochant dans plusieurs courriels successifs de vous « interdire d'exercer vos fonctions et responsabilités en violation avec votre statut ».
Lors de notre entretien, vous avez reconnu n'avoir pas apprécié de vous voir refuser un déplacement au Maroc, tout en reconnaissant la connotation « sarcastique » de vos propos, et en prétextant qu'il s'agirait de votre « marque de fabrique ».
Mais en aucun cas vos collègues n'ont à faire les frais de vos sarcasmes déplacés et vexatoires.
4. De même, fin 2018, il vous a été demandé de régulariser la situation d'un salarié coréen qui devait être transféré de Slovaquie en République Tchèque, cette situation exposant le dirigeant local à une responsabilité personnelle et nécessitant donc une régularisation rapide.
D'après vos termes, il s'agit d'un sujet sur lequel votre assistance aurait été demandée « depuis 3 à 4 années », en vain.
Quoi qu'il en soit, en 2018, plusieurs rappels vous ont été faits à ce sujet, en vain.
Vous avez ensuite retransmis la demande à un collègue du service RH de notre maison-mère, en prétendant à tort que le problème ne relèverait pas de votre service alors que le salarié concerné relevait du Business Volvo, suivi en RH par [Localité 8], et en menaçant ce collègue, s'il n'obtempérait pas, d'« escalader le sujet aux niveaux supérieurs ».
Puis, quand ce collègue vous a rétorqué que ce sujet était de votre ressort, vous avez remonté ce sujet à la Direction, en vous plaignant de « considérations bureaucratiques sans fin », et en recommandant de simplement prolonger la situation actuelle, malgré le risque.
Le 21 novembre 2018, une conférence téléphonique a été organisée pour faire avancer ce sujet ; vous n'y avez pas participé, alléguant un arrêt maladie.
Une deuxième conférence téléphonique a été organisée le 28 novembre suivant, que vous n'aviez pas préparée ; vous avez indiqué que le sujet serait « trop compliqué » et avez pris l'initiative de raccrocher en plein milieu de la conférence, alors que rien n'avait été réglé. Là encore, lors de l'entretien préalable, vous avez reconnu les faits, en prétextant simplement « n'avoir plus eu de valeur ajoutée sur le sujet » '
Au final, votre interlocuteur a donc dû vous demander un travail plus professionnel.
Vous lui avez alors adressé un mail, en rajoutant en copie toute une série d'interlocuteurs du Business, en lui reprochant des « combats improductifs », et lui avez adressé en outre un courriel à sa seule attention, dans lequel vous prétendiez lui interdire tout commentaire sur « votre personnel », vous plaignant de prétendues « attaques personnelles. »
5. Votre responsable hiérarchique directe se trouve confrontée au même comportement de votre part :
- Elle a en effet le plus grand mal à vous joindre, malgré ses messages téléphoniques et en désespoir de cause ses emails, alors pourtant que vos horaires de travail vous laisseraient amplement le temps de donner suite à ses appels. Vous expliquez ensuite à qui veut l'entendre qu'elle serait « nulle » et « incompétente ».
- De même, de façon récurrente, vous refusez ou annulez unilatéralement et à la dernière minute des réunions et conférences téléphoniques parfois prévus de longue date, souvent sans la moindre explication ; voire même vous vous abstenez de la prévenir directement, ce qui serait la moindre des corrections.
Pour exemple, vous vous êtes donc abstenu, sans demande préalable ni explication, de participer, en personne, au Board Meeting du 13 décembre 2018. Pour rappel vos homologues du monde entier (américains, chinois, etc.) avaient, eux, fait le déplacement.
- Comme on l'a vu ci-dessus, vous prétendez subitement ne plus vous souvenir de ses demandes ; puis, quand elle vous rappelle ses demandes pourtant claires, vous faites mine de ne pas les comprendre.
- Si elle n'accède pas à vos desiderata pourtant non justifiés, vous l'accusez de vous empêcher d'exercer vos missions.
6. Au final, chaque échange avec vos collègues, même sur les sujets les plus anodins, tourne au rapport de force et de domination, au mépris affiché et à la polémique ; pour exemple :
- Vos refus ostensibles d'assister aux réunions et entretiens programmés, y compris lorsque vous les avez-vous-même réclamés ;
- Votre propension à reporter sur des collègues, d'autorité et sans le moindre respect des formes, des tâches qui font partie de vos missions, en exigeant qu'ils réorganisent leur planning en fonction de vos desiderata.
- Votre ton immédiatement polémique dès qu'un des collègues concernés se risque à ne pas suivre vos exigences, avec systématiquement des menaces et / ou des accusations personnelles vexatoires et déplacées.
De même, au sein de votre équipe, vous terrorisez vos subordonnés par une attitude cassante et irrespectueuse. Nous notons d'ailleurs que vous négligez fréquemment les « townhall meetings », pourtant importants pour la cohésion des équipes, et auxquels les responsables d'équipe doivent prendre part de façon active.
C'est dans ce contexte que nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec Monsieur [H].
Dès réception de cette convocation, vous vous êtes alors empressé d'adresser un SMS à M. [V] [H], vous targuant d'être « propre et intègre » et lui reprochant de mettre votre famille dans l'embarras « de façon criminelle » '
Là encore, lors de l'entretien préalable, loin de contester les faits ci-dessus, vous vous êtes contenté de prétendre que « l'interpellation ferait partie du rôle d'un cadre dirigeant ».
Votre comportement est en totale opposition avec votre descriptif de poste et va à l'encontre du c'ur même de vos missions, à savoir faciliter les besoins de vos collègues au niveau RH et soutenir votre équipe.
Ces faits sont d'autant plus graves au niveau de votre position de cadre dirigeant au sein de notre entreprise et de votre niveau de responsabilité et de rémunération.
Compte tenu de la gravité des faits votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible, et nous sommes au regret de vous licencier pour faute grave. Ce licenciement prendra effet à compter de la première présentation du présent courrier et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date.
Nous vous confirmons pour ces mêmes raisons la mise à pied conservatoire qui vous a été notifiée. »
Le 23 avril 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles aux fins de voir requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement nul à titre principal, et, à titre subsidiaire, en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 22 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Versailles (section encadrement) a :
- dit que le licenciement de M. [O] est bien fondé sur une faute grave et n'encourt aucune nullité,
- dit la demande reconventionnelle de la société société Leoni Wiring Systems France au titre de la non-restitution de matériels professionnels est mal fondée,
en conséquence,
- débouté M. [O] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la société Leoni Wiring Systems France de ses demandes reconventionnelles,
- rejeté les demandes plus amples ou contraires des parties,
- laissé les dépens à la charge respective des parties.
Par déclaration adressée au greffe le 28 septembre 2021, M. [O] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 21 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [O] demande à la cour de :
- recevoir M. [O] en ses demandes et l'y déclarer bien fondé,
sur la rupture du contrat de travail,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail,
statuant à nouveau,
à titre principal,
- juger que le licenciement est nul,
en conséquence,
- prononcer sa réintégration dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la cour d'appel se laissant le droit de liquider l'astreinte sur simple requête,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à lui verser une indemnité dont le montant est à parfaire et correspondant aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre le 2 février 2019 (date de la rupture effective de son contrat de travail) et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d'une rémunération mensuelle de 24 489,78 euros. A minima, au jour de la rédaction des présentes (soit au 1er novembre 2021), cette indemnité est égale à 888 979,01 euros,
à titre subsidiaire,
- juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à lui verser les sommes suivantes :
. 6 473,20 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire,
. 647,32 euros au titre des congés payés afférents,
. 146 938,67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (6 mois),
. 14 693,86 euros au titre des congés payés y afférents,
. 116 204 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
y ajoutant,
à titre principal,
- juger que doit être écarté le plafonnement prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable.
- condamner en conséquence la société Leoni Wiring Systems France à lui verser la somme de 587 700 euros nets de CSG/CRDS à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à lui verser 244 800 euros nets de CSG/CRDS une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail (plafonnée),
sur les autres demandes,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses autres demandes,
statuant à nouveau,
- ordonner le remboursement par la société Leoni Wiring Systems France aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage qui lui ont été versées, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de 6 mois d'indemnité de chômage, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,
- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 24 489,78 euros,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à lui verser la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir,
sur les demandes reconventionnelles de la société Leoni Wiring Systems France,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Leoni Wiring Systems France de ses demandes reconventionnelles.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 29 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Leoni Wiring Systems France demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [O] de toutes ses demandes,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles,
et par conséquent,
sur les demandes principales de M. [O],
- rejeter la demande de nullité du licenciement présentée par M. [O],
- rejeter les demandes subséquentes de réintégration sous astreinte et d'indemnité de M. [O].
- en tout état de cause, constater que M. [O] ne justifie pas des revenus qu'il a perçus entre la mise à pied conservatoire et la date à laquelle la cour statuera, et rejeter au plus fort la demande d'indemnité de M. [O],
- à défaut, déduire de l'indemnité sollicitée les revenus perçus par M. [O] entre le 18 janvier 2019, date de la mise à pied conservatoire, et la date à laquelle la cour statuera,
sur les demandes subsidiaires de M. [O],
- constater l'existence d'une faute grave, et à défaut d'une cause réelle et sérieuse,
- constater en tout état de cause que le quantum des demandes de M. [O] est infondé,
- par conséquent, débouter M. [O] de l'intégralité de ses demandes,
sur les demandes de la Maison des Lanceurs d' Alerte ,
- dires les demandes de la Maison des Lanceurs d' Alerte irrecevables et en tout état de causes infondées,
en tout etat de cause,
- condamner M. [O] à lui restituer, dans un délai de 8 jours à compter du prononcé de l'arrêt d'appel, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, en se réservant le droit de liquider l'astreinte ainsi fixée :
. le téléphone mobile avec câble d'alimentation et ses accessoires,
. l'ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement,
. les deux disques durs externes et leurs câbles,
- condamner M. [O] à verser une indemnité de 500 euros par mois de février 2018 à la date de prononcé du jugement au titre de la conversation du matériel,
- condamner in solidum M. [O] et la Maison des Lanceurs d' Alerte à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [O] et la Maison des Lanceurs d' Alerte aux entiers dépens de l'instance.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'association Maison des lanceurs d' alerte demande à la cour de :
- donner acte à la Maison des Lanceurs d' Alerte de son intervention volontaire,
- la déclarer recevable,
- faire droit aux demandes principales à savoir,
à titre principal,
- juger que le licenciement de M. [O] est nul,
en conséquence,
- prononcer la réintégration de M. [O] dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent, et ce dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous peine d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard, la cour d'appel se laissant le droit de liquider l'astreinte sur simple requête,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à verser à M. [O] une indemnité dont le montant est à parfaire et correspondant aux salaires qu'il aurait dû percevoir entre le 2 février 2019 (date de la rupture effective de son contrat de travail) et la date à laquelle le délibéré de la présente affaire sera prononcé, ce, sur la base d'une rémunération mensuelle de 24 489,78 euros. A minima, au jour de la rédaction des présentes (soit au 1er novembre 2021), cette indemnité est égale à 888 979,01 euros,
- faire droit aux demandes subsidiaires,
- condamner la société Leoni Wiring Systems France à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association Maison des lanceurs d' alerte
L'employeur conclut à l'irrecevabilité des demandes de l'association Maison des lanceurs d' alerte estimant que cette dernière ne justifie pas de son aptitude à représenter l'intérêt collectif de la défense des intérêts des lanceurs d' alerte .
L'association Maison des lanceurs d' alerte expose que son intervention volontaire est accessoire et qu'elle a intérêt à intervenir pour la conservation de ses droits, conformément à son objet statutaire.
***
Selon l'article 330 du code de procédure civile, l'intervention est accessoire lorsqu'elle appuie les prétentions d'une partie. Elle est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Même hors habilitation législative et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'association a pour objet, notamment, « l'accompagnement de lanceurs d'alertes et le suivi des alertes ayant trait à l'intérêt général. (') Le suivi de l' alerte pourra (') comprendre (') l'action en justice afin d'obtenir la cessation du dysfonctionnement à l'origine de l' alerte ou le respect des droits du lanceur d' alerte ainsi que la réparation du préjudice subi par ce dernier ».
Le présent litige concerne l'application de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dans une instance impliquant un salarié qui revendique le statut de lanceur d' alerte , de sorte que l'association Maison des lanceurs d' alerte a intérêt à soutenir le salarié.
Par conséquent, l'intervention volontaire de l'association Maison des lanceurs d' alerte au présent litige est recevable.
Sur la demande de nullité du licenciement
Le salarié se fonde sur les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail et revendique le statut de lanceur d' alerte . Il se fonde également sur l'article L. 1132-4 du code du travail pour conclure à la nullité de son licenciement. Il fait valoir qu'il a dénoncé de bonne foi des faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit dont il a eu personnellement connaissance et que son licenciement résulte de cette dénonciation.
L'association Maison des lanceurs d' alerte soutient la demande du salarié, exposant que celui-ci doit bénéficier du statut de lanceur d' alerte .
Au contraire, l'employeur conteste le statut de lanceur d' alerte que revendique le salarié et affirme que le licenciement est justifié par une faute grave.
***
L'article L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au présent litige, en vigueur du 11 décembre 2016 au 01 septembre 2022, dispose qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.
Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Les articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 sont ainsi rédigés :
. article 6 :
« Un lanceur d' alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance.
Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l' alerte défini par le présent chapitre. »
. article 7 : « Le chapitre II du titre II du livre Ier du code pénal est complété par un article 122-9 ainsi rédigé : « N'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d' alerte prévus à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »
. article 8 :
« I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.
En l'absence de diligences de la personne destinataire de l' alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.
En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.
III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l' alerte . »
L'article L. 1132-4 dispose que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.
En l'espèce, le salarié présente les éléments de fait suivants qui, selon lui, permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016.
Les faits soumis à la cour par le salarié concernent les liens entretenus à partir de 2014 entre « Léoni Maroc » et son ancien directeur financier, parti en retraite, M. [A] [U], ainsi que M. [B], « chef de l'exploitation et directeur général ' région Maroc » de cette société.
Le groupe Léoni au Maroc (que les parties appellent par raccourci « Léoni Maroc ») comporte trois filiales : LWS Bouskoura, LWS Sebaa et LWS Berrechide.
Les faits soumis par le salarié concernent des liens se caractérisant par :
. un contrat de consultant externe entre une LWS Bouskoura et M. [U] après son départ à la retraite, conclu le 2 janvier 2014 pour 6 mois renouvelable, prévoyant une rémunération mensuelle de 116 000 dirhams (soit plus de 10 000 euros par mois), outre plusieurs avantages en nature (une voiture, un téléphone portable et une puce, une carte de carburant et une carte d'autoroute). La réalité de ce contrat est établie par la pièce 18 c du salarié,
. un avenant à ce contrat de consultant à effet au 1er juillet 2015 prévoyant notamment (pièce 18 b du salarié) :
. que M. [U] « [continuerait] à assurer la fonction de directeur financier pour Leoni Région Maroc au sein de la société Leoni Wiring Systems Maroc »,
. que sa rémunération serait majorée d'une prime annuelle de 150 000 dirhams pour des objectifs atteints à 100 %,
. une durée du contrat de 5 ans renouvelable par tacite reconduction.
. un contrat de transport conclu en avril 2017 (pièce 18 L du salarié) entre la société Leoni Wiring Sebaa et la société KLMS, immatriculée le 9 mars 2017, et dont M. [U] était l'un des trois gérants (pièce 18 m du salarié), les deux autres gérants faisant partie de sa famille.
Des échanges de courriels entre M. [J] (salarié d'une des filiales marocaines du groupe la cour ignorant laquelle) et le salarié, il ressort que ce dernier a cherché à se renseigner ' courant avril 2018 ' sur la légalité de ces divers contrats en consultant un avocat marocain, Maître Ez-zahraoui (pièces 18 a et 18 d).
Au surplus, de l'échange de courriels du 5 avril 2018 entre M. [J] et Maître Ez-zahraoui, il découle que le premier a expliqué au second que « en terme de rémunération, M. [U] reçoit l'argent en nette, et le coût relatif à l'IR (note de la cour : impôt sur le revenu) il est pris en charge a 100 % par Leoni qui se charge de payer directement l'administration des impôts » (sic). Cette information a amené l'avocat de la société à répondre qu'il « s'agit d'une situation extraordinaire car il n'est pas d'usage qu'une entreprise supporte le coût fiscal, que le bénéficiaire soit prestataire ou salarié ».
M. [O] démontre (cf. sa pièce 22) qu'il alerté de manière formelle, par courriel du 6 avril 2018, le service de compliance de la société en lui soumettant les éléments ci-dessus tout en soulignant, à juste titre, que ces éléments étaient caractéristiques d'une « situation inhabituelle », ce d'autant qu'il faisait part au service de la compliance de ses interrogations sur la réalité des missions confiées à M. [U] (« Plusieurs questions nous interpellent : (') quel contenu aujourd'hui a ce « job » en « presta » (') ' »).
Le salarié démontre encore qu'il a, plus tard, porté de nouveaux faits à la connaissance du service de compliance , notamment :
. le 2 mai 2018, en interrogeant ce service sur le point de savoir s'il était « conforme aux pratiques et règles de la société Leoni de prendre en charge la rémunération d'un chauffeur à des fins privées (') » (pièce 24), le salarié évoquant cette fois la situation de M. [B], par ailleurs signataire, pour Leoni Maroc, de l'avenant conclu avec M. [U] en juillet 2015.
La dénonciation en question est la conséquence d'une révélation de M. [P] qui, dans une attestation du 2 mai 2018, a témoigné ainsi : « j'assure la fonction de chauffeur personnel (famille [Y] [B]) à partir du 12 septembre 2012 sous [contrat] d'intérimaire avec la société DAMA RH qui est payée par Leoni Ain Sebaa (note de la cour : une des trois filiales marocaines du groupe Leoni). Les principales tâches assurée au quotidien sont : prise en charge des enfants ([X], [I] et [N]) aller-retour à l'école, à préciser que je dois être présent à domicile chaque jour à 7 heures du matin ; assurer le transport des enfants pour faire leurs activités (Théâtre, les heures supplémentaires et de renforcement chez des professeurs des enfants') ; chauffeur pour assurer les différents déplacements de Mme [B] (shopping, les courses, le marché de légumes (Souk), dentiste et visites d'amies') ; le transport de M. [B] et ses enfants de et vers l'aéroport [7] à l'occasion de différents voyages à l'étranger ; assurer le transport en faveur des membres de familles [B] une fois qu'ils sont au Maroc (vacances') ; Je reconnais que l'ensemble de ces activités sont assurée par le véhicule mis à ma disposition par la société Leoni Ain Sebaa (') » (pièce 19 a).
S'il est vrai que l'attestation en question n'est pas conforme aux prescriptions de l'article 202 du code de procédure civile puisque, notamment, elle n'est pas accompagnée d'une pièce d'identité, il demeure qu'au moment où elle a été rédigée puis transmise au salarié (le 2 mai 2018), elle avait pour lui la valeur d'une révélation qui, indépendamment de tout procès, contribuait à accroître la conviction qu'il avait de pratiques contraires à l'objet social de nature délictuelle ;
. le 12 juin 2018 en demandant un « audit interne approfondi sur la rémunération indirecte nommée « chèques-cadeaux » » qui, entre 2012 et 2018, avaient représenté une somme totale de plus de 5,3 millions de dirhams.
Les faits dénoncés par le salarié dans ces trois courriels concernent la légalité ou la régularité douteuse de pratiques en usage au sein de filiales marocaines du groupe Leoni.
La société estime que le salarié ne démontre pas que les faits qu'il a dénoncés seraient de nature à caractériser un délit ou un des éléments visés par la loi Sapin et lui reproche de ne pas qualifier les faits que ce soit au regard de la loi pénale française ou de la loi pénale marocaine.
Néanmoins, la loi relative aux lanceurs d' alerte n'impose pas au salarié de qualifier les faits qu'il dénonce. Le salarié doit avoir relaté ou témoigné de faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit ou d'un crime.
Or, le fait qu'une filiale marocaine ait entendu prendre en charge le paiement de l'impôt sur le revenu de M. [U] ou qu'elle finance le chauffeur affecté au service de la famille du dirigeant de l'une de ses filiales sont à eux seuls susceptibles de recevoir une qualification pénale ' le délit d'abus de biens sociaux ' à tout le moins au regard du droit français (article L. 445-1 du code pénal français).
La société expose que s'agissant d'une situation purement marocaine, le code pénal français est inapplicable.
Cependant les textes précités régissant le statut de lanceur d' alerte ne lui imposent pas de s'interroger sur la territorialité d'une loi pénale. De plus, ces mêmes textes régissant le statut de lanceur d' alerte n'imposent pas que les faits qu'il dénonce soient également prévus et réprimés par la législation du pays dans lesquels leur commission est alléguée.
Le lanceur d' alerte peut donc, au regard de la loi réprimant de tels faits dans la législation nationale de la société pour le compte de laquelle il travaille, dénoncer en toute bonne foi ce qu'il tient pour des délits ou des crimes réprimés par la loi qu'il connaît ou qui est applicable à son employeur.
Au surplus, l'association Maison des lanceurs d' alerte soutient à raison que certains des faits rapportés par le salarié sont susceptibles de recevoir une qualification pénale au regard des articles 574-1, 574-2, 574-3 et 574-4 du code pénal marocain qui, inscrits dans la section consacrée au blanchiment des capitaux (elle-même incluse dans le chapitre IX intitulé « des crimes et délits contre les biens »), prévoient :
* Article 574-2 : « La définition prévue à l'article 574-1 ci-dessus est applicable aux infractions suivantes, même lorsqu'elles sont commises à l'extérieur du Maroc :
- (')
- la corruption, la concussion, le trafic d'influence et le détournement de biens publics et privés; »
Selon l'article 574-1 précité : « Constituent un blanchiment de capitaux, les infractions ci-après, lorsqu'elles sont commises intentionnellement en connaissance de cause :
le fait d'acquérir, de détenir ou d'utiliser des biens ou leurs produits dans l'intérêt de l'auteur ou d'autrui sachant qu'ils sont les produits de l'une des infractions prévues à l'article 574-2 ci-[dessous] ;
le fait de convertir, de transférer ou de transporter des biens ou leurs produits dans l'intérêt de l'auteur ou d'autrui, sachant qu'ils sont les produits de l'une des infractions prévues à l'article 574-2 ci-dessous ;
le fait de dissimuler ou de déguiser la nature véritable, l'origine, l'emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des ou des droits y relatifs dans l'intérêt de l'auteur ou d'autrui, sachant qu'ils sont les produits de l'une des infractions prévues à l'article 574-2 ci-[dessous] ;
le fait d'aider toute personne impliquée dans la commission de l'une des infractions prévues à l'article 574-2 ci-dessous à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ;
le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des produits de l'auteur de l'une des infractions visées à l'article 574-2 ci-dessous, ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ;
le fait d'apporter un concours ou de donner des conseils à une opération de garde, de placement, de dissimulation, de conversion, de transfert ou de transport du produit direct ou indirect, de l'une des infractions prévues à l'article 574-2 ci-dessous. »
Le salarié a en définitive dénoncé des faits susceptibles de recevoir une qualification délictuelle tant au regard de la loi pénale française qu'à celui de la loi pénale marocaine.
La société expose par ailleurs que l' alerte du salarié n'a pas été faite de bonne foi.
La notion de bonne foi, appliquée au lanceur d' alerte , suppose la démonstration de la connaissance, par le salarié, de la fausseté des faits dénoncés, la mauvaise foi ne pouvant être déduite du seul fait que les faits dénoncés ne sont pas établis.
La bonne foi étant présumée, il revient à l'employeur d'établir que le salarié savait qu'il dénonçait faussement des agissements.
Au cas d'espèce, l'employeur tire d'abord argument du fait que le salarié avait, en 2016, posé sa candidature au poste occupé par M. [B] pour lui dénier sa bonne foi. Toutefois, cet argument, qui est indifférent au regard de la connaissance, par le salarié, de la fausseté des faits dénoncés, est inopérant et ne caractérise pas sa mauvaise foi.
L'employeur expose ensuite que « l' alerte de M. [O] datait d'après trois alertes remontées par le service RH local et faisait suite non pas à des découvertes fortuites, mais à plusieurs demandes expresses de M. [O] d'enquêter sur la Direction marocaine ». Toutefois, il est indifférent à la solution du litige que les faits dénoncés par le salarié aient été découvert fortuitement ou après une investigation sollicitée consécutivement à sa connaissance personnelle des faits en question.
L'employeur soutient en outre que le salarié a, de façon récurrente, cherché à « saper l'autorité de la direction marocaine » de la filiale marocaine en demandant une procédure de risk management ou un audit. Toutefois, si le salarié était convaincu que les pratiques de la direction marocaine étaient douteuses et constitutives de faits criminels ou délictuels, il était dans son rôle en cherchant à mettre en œuvre une procédure de risk management ou encore à demander à la compliance un audit financier interne approfondi.
Ces éléments, loin de caractériser la mauvaise foi du salarié, montrent au contraire qu'il demandait à faire la lumière sur des faits, qu'à raison, il trouvait douteux. De même en est-il lorsque le salarié a demandé à ses N+1 et N+2 d'appuyer sa position concernant M. [B] et son nécessaire départ.
L'employeur soutient enfin que les enquêtes réalisées n'ont pas permis de caractériser d'infraction pénale mais en outre que le salarié a cherché à « instrumentaliser tous ses interlocuteurs dans le cadre d'une guerre de clans locale ». Néanmoins, l'instrumentalisation alléguée n'est pas établie et, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, le fait qu'aucune infraction pénale n'ait en définitive été caractérisée ne permet pas de démontrer que le salarié était de mauvaise foi en dénonçant les faits qui lui avaient été rapportés.
L'employeur ne démontrant en définitive pas la connaissance, par le salarié, de la fausseté des faits dénoncés, sa mauvaise foi ne peut être retenue.
N'ayant tiré ou voulu tirer aucun bénéfice de sa dénonciation, le salarié doit être considéré comme ayant agi de manière désintéressée.
En définitive, le salarié a, par plusieurs courriels courant 2018, relaté ou témoigné des faits susceptibles d'être constitutifs d'un délit réprimé par la loi pénale tant française que marocaine, et l'employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par ces courriels, le salarié dénonçait de tels faits.
Ces éléments de fait permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime.
Il incombe en conséquence à l'employeur de prouver que sa décision de procéder au licenciement du salarié est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.
Après une procédure de licenciement engagée le 18 janvier 2019, le salarié a été licencié pour faute grave par lettre du 1er février 2019.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.
En l'espèce, sont reprochés au salarié : la non-exécution des demandes, sa mauvaise volonté et sa désinvolture ostensibles, son obstruction, un comportement despotique, agressif et irrespectueux envers ses collègues et sa hiérarchie. La société prend cinq exemples pour illustrer les griefs.
Pour plusieurs griefs, le salarié invoque la prescription.
En application de l'article L. 1332-4 du code du travail aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois et courant à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés, à moins que ces faits aient donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Un fait fautif dont l'employeur a eu connaissance plus de deux mois avant l'engagement des poursuites peut néanmoins être pris en considération lorsque le même comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou répété dans ce délai.
Au titre du premier grief, la société reproche d'abord au salarié d'avoir, début 2018, donné pour instruction de licencier un salarié (en l'occurrence M. [R]) et d'avoir interdit le 20 avril 2018 à M. [B], de faire au préalable appel à un avocat pour conseiller la société sur le licenciement de ce salarié.
Ces faits sont antérieurs de plus de deux mois à l'engagement des procédures disciplinaires. Ils ne sont pas de même nature que les griefs suivants, relatifs à un comportement fautif, puisqu'il s'agit ici seulement de reprocher au salarié une ingérence inappropriée. Ce fait est donc prescrit.
La société fait ensuite reproche au salarié de s'être mal comporté avec le service de compliance relativement au licenciement d'un autre salarié, M. [S], en début d'année 2018.
Ce fait n'est pas prescrit car il est quant à lui de même nature que le grief général imputé au salarié du chef du comportement qu'il a adopté jusqu'en janvier 2019, à l'égard de ses collègues et de sa hiérarchie. Procédant de la répétition ou de la poursuite d'un même comportement fautif, il peut donc être pris en considération.
Pour l'établir, la société produit le courriel que le salarié a adressé à ce service le 30 mars 2018 duquel il ressort qu'il adresse divers reproches à M. [C] [L] relatifs à un travail incomplet, partial, un manque de prudence et de discernement. La société établit que le salarié a entendu exercer des pressions sur M. [L] en lui demandant une audition et en lui faisant savoir que s'il ne la lui accordait pas, il la demanderait à la hiérarchie de l'intéressé. Toutefois, dans le cadre de ces échanges, le salarié n'a pas excédé les limites de son droit d'expression, étant précisé qu'il soupçonnait alors que le service de compliance ne soit pas suffisamment ferme à l'égard de ce qu'il commençait à identifier, au sein des filiales marocaines du groupe, comme des pratiques anormales.
En revanche, il est établi que le service compliance a proposé au salarié plusieurs réunions par visio conférence ou conférence téléphonique que le salarié a refusées de façon catégorique (cf. pièce 27 S « Allez-vous faire là aussi une telco prochainement pour en discuter ' Où en êtes-vous de vos investigations ' Faut-il finalement saisir la direction du groupe ' Ou encore les actionnaires ' »), dont il se déduit qu'il préférait non pas une réunion physique, mais voulait que le service de compliance prenne enfin une décision.
En définitive au titre de ce premier grief, seul est établi le refus du salarié d'assister aux conférences téléphoniques proposées par M. [L].
La société reproche ensuite au salarié, dans le cadre du deuxième grief, son comportement, courant septembre 2018, vis à vis de sa supérieure hiérarchique à propos d'une conférence téléphonique concernant la paie au Maroc.
Le salarié soutient que ce grief est prescrit. Mais, pour la même raison que celle précisée plus haut, le grief ici examiné tient au comportement adopté par le salarié jusqu'à l'engagement de la procédure disciplinaire, par lettre du 18 janvier 2019 de convocation à l'entretien préalable, et n'est donc pas prescrit.
Le salarié n'établit pas avoir avisé sa supérieure hiérarchique ' Mme [F] [M] ' de faits susceptibles d'être délictueux concernant la direction de la filiale Léoni Maroc dès juillet 2017. Les premières dénonciations du salarié ne datent que du 6 avril 2018. Mais en tout état de cause, au mois de septembre 2018, Mme [M] savait que le salarié avait dénoncé plusieurs faits dont certains pouvaient recevoir une qualification pénale soit au regard du droit français, soit au regard du droit marocain.
Il ressort des débats qu'une enquête a été menée sur ces faits par une société tierce ' le cabinet Baker McKenzie ' à la demande de la compliance dans le courant du mois de juillet 2018. Ce rapport, daté du 31 juillet 2018 a été rédigé à l'attention de Mme [M].
Si effectivement Mme [M] avait demandé au salarié de travailler sur « 5 points clés sur le sujet RH Maroc en vue de votre prochaine conférence téléphonique », il demeure que celui-ci a demandé à sa supérieure de lui fournir le rapport de la compliance dont il ne disposait pas. Compte tenu du sujet devant être évoqué ' la « RH Maroc » pour lequel 5 points devaient être abordés (« Relation FB et YY ' Compliance ' Organisation RH ' Position Berechid RH ' Soutien SSH ») ' et compte tenu de ce que le salarié avait lancé une alerte à propos de délits susceptibles d'avoir été commis au sein des filiales marocaines du groupe, il n'est pas fautif, pour le salarié d'avoir demandé à disposer du rapport de compliance avant l'entretien.
Au surplus, les « 5 points clés » qui devaient être abordés manquaient de clarté de sorte qu'il ne peut être reproché au salarié d'avoir demandé des éclaircissements à leur propos.
Au titre du troisième grief, la société reproche au salarié d'avoir, courant décembre 2018, prétendu au service de compliance qu'il n'avait conservé aucun document de son audit de mars 2018 et d'avoir insisté pour se rendre au Maroc pour réunir les documents demandés par ce service tout en mettant en cause les intentions dudit service.
L'audit du mois de mars 2018 réalisé par le salarié concerne M. [R] et son licenciement. Sur ce point, il ne peut être qualifié de fautif le fait, pour le salarié, de vouloir se rendre au Maroc pour réunir les documents demandés par la compliance , qu'il n'avait pas en sa possession lesdits documents du fait de la saisine par M. [R] des juridictions marocaines d'un litige l'opposant à son employeur (Léoni Maroc) de sorte que l'avocat marocain de la société était en possession des documents.
Quant à la « remise en cause des intentions de [l'interlocuteur du salarié au] service de compliance », que l'employeur situe au mois de décembre 2018 dans la lettre de licenciement, il ressort des nombreux courriels versés au dossier qu'effectivement le salarié remettait régulièrement en cause les actions ou inactions du service de compliance . Cela est par exemple illustré par la pièce 35 du salarié : un courriel du salarié adressé à M. [H], son supérieur hiérarchique à qui il confie que « dans l'affaire en référence (Leoni c/ [R]), M. [G] investigue 11 mois après les faits d'une façon très étrange, avec entre autres étrangetés ' en accord avec [M] ' le fait que je n'ai pu me rendre au Maroc les 11/12/13 décembre dernier pour faire mon travail, notamment aux motifs que ce n'était pas nécessaire ('') et que nous sommes en restrictions de coûts de voyages' (') » et s'interroge sur le point de savoir « quand enfin la (les) vérité(s) va-t-elle être établie ' ».
Pour autant, les courriels en question ' autant que celui cité ci-dessus ' ne dépassent jamais les limites de la liberté d'expression dès lors qu'ils ne sont jamais excessifs, injurieux ou diffamatoires et dès lors qu'il était légitime, dans le contexte de la présente affaire, que le salarié s'interroge, en décembre 2018, sur les alertes qu'il avait lancées plusieurs mois auparavant.
La société reproche en outre (toujours troisième grief) au salarié d'avoir « sommé le Directeur Général de LEONI MAROC d'annuler un déplacement à Marrakech, lié à la venue de Madame la Chancelière allemande [D], pour vous aider à réunir les documents demandés, avec en prime des commentaires condescendants et désobligeants, du type :
« Je suis sûr que Madame [D] comprendra que vous deviez être à votre bureau »,
Ou encore :
« Mais il est vrai que c'est la semaine du festival de cinéma à Marrakech »
Le salarié ne conteste pas avoir tenu ces propos à l'endroit de M. [B] estimant qu'ils ne sont pas condescendants ou désobligeants. La réalité de ces propos, tenus par courriels, est du reste établie par les pièces 16 et 17 de l'employeur (courriels de décembre 2018).
Ces propos sont effectivement désobligeants du fait de leur nature ironique, même dans le contexte dans lequel ils ont été écrits par le salarié, c'est-à-dire un contexte marqué par le fait qu'alors que le salarié jugeait nécessaire de travailler sur le dossier de M. [R] avec M. [B], ce dernier lui a fait savoir qu'il était indisponible en raison de la venue de la chancelière allemande.
Ils sont aussi condescendants car ils laissent entendre à M. [B] qu'il devait revoir ses priorités alors qu'il lui était pourtant loisible de les fixer sans que le salarié puisse lui imposer un arbitrage.
Le quatrième grief reproche au salarié d'avoir, fin 2018, commis plusieurs manquements dans le traitement d'un dossier relatif à la situation d'un salarié coréen qui devait être transféré de Slovaquie en République Tchèque.
Comme rappelé dans les faits constants, au titre de sa dernière fonction, le salarié était notamment le responsable stratégique pour les questions RH internationales de la Business Unit Volvo.
Il ressort des débats et des pièces que M. [K], d'origine coréenne, était lié à l'une des sociétés du groupe Leoni par un contrat de travail en tant qu'expatrié depuis mai 2016 au sein de la Business Unit Volvo. Ce contrat prévoyait une expatriation en Slovaquie, et non en République Tchèque où il travaillait habituellement pour le compte de Léoni. Selon un courriel du salarié du 28 novembre 2018, le contrat de travail « se terminait le 31 décembre 2018 » et il avait demandé « le soutien habituel de la part d'IAM le 5 septembre 2018 », mais qu'à « ce jour, il n'y a pas de solution valide », ce qui déterminait alors le salarié à écrire à M. [H] pour lui demander son aide.
La veille ' 27 novembre 2018 ' le salarié avait écrit que « (') le risque sera escaladé dans le Risk Management System car au lieu d'avoir le support attendu, comme demandé de notre part depuis 2 ans, et plus particulièrement depuis 4 mois concernant M. [K], nous subissons des considérations bureaucratiques sans fin, sans résultats. A partir de MLD, nous ne gérons pas de sujets d'expatriation en tant que problématiques RH locales régionales, conformément à l'organisation RH définie. Néanmoins, nous essayons de piloter nos problématiques RH business comme défini dans l'organisation RH WSD ».
Les échanges susvisés et plus généralement tous ceux qui apparaissent dans la pièce 19 de l'employeur, montrent que, même si le salarié considérait que le problème résultant de l'erreur de pays (Slovaquie au lieu de République Tchèque) ne relevait pas de la responsabilité de son service, il avait au contraire pris en charge ledit problème, mais en exposant qu'il avait demandé du soutien « pendant plusieurs mois ».
En tout état de cause, la cour relève que même si le salarié estime que la difficulté ne relevait pas de ses compétences, ses services l'ont tout de même traitée de sorte que M. [E], du service RH de la maison mère, a écrit au salarié, le 29 novembre 2018 : « Nous avons reçu l'information du changement en septembre cette année et mon équipe vous a indiqué de traiter directement le sujet. Le service RH France a cessé de travailler sur une solution alors que vous étiez dans les discussions depuis bien plus longtemps ».
En outre, il est établi par le même courriel de M. [E], écrit de manière spontanée ce qui lui confère du crédit, que le salarié lui a indiqué que le sujet était « trop compliqué ». M. [E] ajoute qu'il a été informé que le salarié ne voulait plus suivre le dossier de M. [K], lui reprochant d'avoir suggéré de s'affranchir des lois qu'il comparait à des considérations bureaucratiques. M. [E] reprochait en outre au salarié ' toujours dans le courriel du 29 novembre 2018 ' de ne pas avoir averti le groupe de son absence (pour maladie) à une conférence organisée sur le sujet et d'avoir mis à deux reprises un terme à des conversations téléphoniques en raccrochant le téléphone, ce dont il concluait, à raison, que le salarié ne voulait pas travailler. M. [E] ajoutait enfin : « Au vu de votre expérience internationale je vous suggère un travail plus professionnel, aussi bien en interne au sein du service RH qu'à l'égard de notre business. »
Sans contester le fond de ces reproches, le salarié répliquait ainsi : « (') je vous prie de ne plus jamais faire de commentaire sur ma personne. (note de la cour, souligné dans le texte) Ce n'est pas la première fois. D'autres ont essayé et ça ne marche pas du tout sur moi' Grâce à mon professionnalisme, mon ancienneté, mon expérience internationale, etc. etc. Malgré la polémique actuelle je vous aime bien et il n'y a AUCUN « honneur » dans des attaques personnelles. Jamais. (') », ce que la cour retient comme étant des propos excessifs, compte tenu de ce que les reproches étaient fondés.
En définitive le quatrième grief ' un manque de réactivité dans le traitement d'un dossier et un problème d'ordre comportemental (de l'agressivité alors que le reproche qui lui était adressé par M. [E] était justifié) dans le traitement de ce dossier ' est établi.
Au titre du cinquième grief, la société reproche par ailleurs au salarié son comportement vis à vis de sa responsable hiérarchique, Mme [M].
Le salarié soutient à tort que le grief ici étudié est imprécis.
Au titre des griefs que l'employeur impute au salarié du chef de son comportement à l'égard de Mme [M], il revient, dans ses conclusions, sur la question des « 5 points » devant être évoqués en septembre 2018. Cette question a déjà été étudiée au titre du deuxième grief et ne sera donc pas ici réétudiée.
Il est en revanche établi que le salarié a évoqué en janvier 2019 (pièce 36 du salarié), après le départ de Mme [M], le « caractère toxique du management de cette dernière ».
Il est également établi que peu avant le départ de Mme [M], le salarié, s'adressant à M. [H], a tenu des propos excessifs : dans un courriel du 26 novembre 2018, le salarié a en effet écrit, à propos d'un désaccord entre lui et Mme [M] sur un recrutement que : « Je ne partage pas le point de vue de cette personne (Mme [M]) qui quitte le groupe dans moins d'un mois et qui laisse son organisation globale dans un chaos indescriptible » (pièce 50 de l'employeur ' courriel du 26 novembre 2018). Plus généralement, les pièces du dossier établissent que le salarié a adopté à l'égard de Mme [M] un comportement hostile, même si l'employeur n'établit pas qu'il l'a traitée de « nulle » est « d'incompétente » comme cela lui est reproché dans la lettre de licenciement.
Il est aussi établi que Mme [M] a reproché au salarié d'être injoignable, le fait qu'elle lui avait laissé un message sur son téléphone sans qu'il prenne la peine de la rappeler et le fait qu'elle lui avait écrit plusieurs courriels sans qu'il lui réponde (pièce 23 de l'employeur ' courriels du 30 novembre 2018).
Dès lors, s'il n'est pas démontré que le salarié a excédé les limites de son droit d'expression, il demeure qu'au caractère répété des remarques acrimonieuses du salarié à l'endroit de Mme [M], sa supérieure hiérarchique, s'est ajouté le fait qu'il n'a pas répondu à ses demandes, en novembre 2018 après plusieurs relances, ce qui est fautif. A cela s'ajoute le fait ' établi ' que le salarié a refusé d'assister à plusieurs réunions et notamment au « Board Meeting du 13 décembre 2018 » auquel avaient assisté tous ses homologues du monde entier, d'où l'importance de la réunion. Si le salarié explique tantôt son absence par le fait qu'il était au chevet de son père tantôt par le fait qu'il a assisté à la réunion par conférence téléphonique, il ne l'établit pas.
Si c'est à juste titre que le salarié rappelle le contexte caractérisé par des tensions entre lui et Mme [M] du fait des alertes qu'il avait lancées à propos de certaines pratiques au Maroc et du fait qu'il reprochait à Mme [M] son manque de réaction relativement à ses alertes ' voire le fait qu'elle « protégeait M. [B] » (pièce 36 du salarié ' courriel du 3 janvier 2019) ' il demeure qu'au regard des éléments ressortant des débats, les reproches du salarié étaient excessifs et ne justifiaient pas son attitude acrimonieuse envers Mme [M] et son refus de lui répondre lorsqu'elle le relançait. En effet, d'une part il n'est pas démontré que Mme [M] « protégeait M. [B] », d'autre part et surtout, l' alerte lancée par le salarié avait été prise en compte par un autre service, le service de la compliance , et par une société tierce, le cabinet Baker McKenzie.
La société reproche enfin au salarié (sixième grief) d'instaurer systématiquement un rapport de force et de domination avec ses collègues, même sur les sujets les plus anodins.
La cour observe que, sous couvert de ce nouveau grief, l'employeur invoque des faits qu'il a déjà retenus au titre des cinq premiers griefs.
Ainsi en est-il de :
. « Vos refus ostensibles d'assister aux réunions et entretiens programmés, y compris lorsque vous les avez-vous-même réclamés ; », faits ayant trait au dossier de M. [K],
. « Votre propension à reporter sur des collègues, d'autorité et sans le moindre respect des formes, des tâches qui font partie de vos missions, en exigeant qu'ils réorganisent leur planning en fonction de vos desiderata. » faits ayant trait, là encore, au dossier de M. [K],
. « Votre ton immédiatement polémique dès qu'un des collègues concernés se risque à ne pas suivre vos exigences, avec systématiquement des menaces et / ou des accusations personnelles vexatoires et déplacées » faits déjà analysés au titre de tous les griefs précédemment étudiés.
L'employeur invoque toutefois, au titre du sixième grief, un fait qui n'a pas été précédemment étudié : « De même, au sein de votre équipe, vous terrorisez vos subordonnés par une attitude cassante et irrespectueuse. Nous notons d'ailleurs que vous négligez fréquemment les « townhall meetings », pourtant importants pour la cohésion des équipes, et auxquels les responsables d'équipe doivent prendre part de façon active. »
Ce fait n'est pas établi.
L'employeur reproche enfin au salarié de s'être « empressé d'adresser un SMS à M. [V] [H], [se] targuant d'être « propre et intègre » et lui reprochant de mettre votre famille dans l'embarras « de façon criminelle ». »
Par sa pièce 30, l'employeur établit que le salarié a, après son entretien préalable, adressé à M. [H] un SMS dans lequel il lui a écrit : « (') triste jour que celui d'aujourd'hui pour les gens propres et intègres. Pour tous ceux qui croient en la vérité et en une réelle justice. Et tu ne m'as rien dit' Je préfère être à ma place qu'à la vôtre même si vous mettez ma famille de façon criminelle dans un immense embarras ».
Ce fait, qui fait immédiatement suite à l'entretien préalable du salarié, n'est pas fautif.
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En définitive, la cour a retenu les faits fautifs suivants :
. le fait que le salarié a refusé d'assister à des conférences téléphoniques proposées par M. [L],
. le fait d'avoir tenu des propos condescendants et désobligeants à l'égard de M. [B], directeur général de Leoni Maroc,
. le fait que le salarié a, dans un premier temps, mal géré le dossier d'un salarié coréen qui devait être transféré de Slovaquie en République Tchèque, puis, dans un deuxième temps, refusé de traiter le dossier et enfin, dans un troisième temps, adopté envers M. [E] un comportement agressif et injustifié,
. le fait que le salarié a négligé de répondre à plusieurs de ses relances alors que la situation, même après son lancement d' alerte , ne justifiait pas un tel comportement.
Compte tenu de ce que le salarié était cadre dirigeant et donc tenu d'un devoir d'exemplarité, les faits fautifs retenus à son encontre caractérisent la faute grave qui lui est reprochée.
Il en résulte que l'employeur justifie par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage du salarié sa décision de le licencier.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement est fondé sur une faute grave et n'encourt aucune nullité.
Sur les demandes reconventionnelles
La société demande la restitution d'un téléphone mobile avec câble et ses accessoires, un ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement, deux disques durs externes et leurs câbles. Elle demande également une indemnité de 500 euros par mois de février 2019 à la date du prononcé de l'arrêt d'appel en raison de ce que le salarié a conservé le matériel litigieux.
Le salarié qui ne conteste pas s'être vu remettre les matériels litigieux, affirme qu'il les a restitués en même temps qu'il a restitué son véhicule de fonction.
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Dès lors que le salarié ne conteste pas s'être vu remettre un téléphone mobile avec câble et ses accessoires, un ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement, deux disques durs externes et leurs câbles, il lui appartient d'établir qu'il les a restitués au terme de son contrat de travail.
En l'espèce, le salarié, qui avait émis le souhait (cf. courriel du 10 février 2019 ' pièce 39 de l'employeur) de conserver le « vieux tél portable que j'utilise comme le vieux PC HP », ne démontre pas avoir restitué le matériel litigieux, propriété de la société. En effet, le seul fait qu'il a acheté en mars 2019 et en avril 2019 un téléphone portable et un PC portable (pièces 69 et 70 du salarié) ne sont pas de nature à établir qu'il a effectivement restitué le matériel qu'il prétend avoir remplacé.
Il conviendra en conséquence, par voie d'infirmation, de lui donner injonction de restituer le matériel litigieux En revanche, la demande d'astreinte sera rejetée.
En revanche, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société de sa demande de dommages-intérêts, celle-ci n'établissant pas le préjudice qui résulte de la conservation, par le salarié, du matériel litigieux.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, le salarié sera condamné aux dépens de la procédure d'appel.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu à aucune condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il déboute la SAS Léoni Wiring Systems France de sa demande de restitution du téléphone mobile avec câble d'alimentation et ses accessoires, de l'ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement, de deux disques durs externes et leurs câbles,
STATUANT à nouveau du seul chef infirmé, et y ajoutant,
DÉCLARE recevable l'intervention volontaire de l'association Maison des lanceurs d' alerte ,
ORDONNE la restitution, par M. [O] à la SAS Leoni Wiring Systems France :
. du téléphone mobile avec câble d'alimentation et ses accessoires,
. de l'ordinateur portable avec câble d'alimentation, souris et sacoche de rangement,
. de deux disques durs externes et leurs câbles,
REJETTE la demande d'astreinte,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n'y avoir lieu à aucune condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [O] aux dépens de la procédure d'appel.