Livv
Décisions

CA Nîmes, 5e ch. soc., 15 novembre 2022, n° 19/03826

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Naturex (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rouquette-Dugaret

Conseillers :

Mme Reyter Levis, Mme Dafre

Avocats :

Me Falzone-Soler, Me Le Danvic, Me Vajou, Me Darragi

Cons. Prud’h. d’Avignon, du 3 sept. 2019…

3 septembre 2019

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. [L] [B] a été engagé initialement par la SA Naturex suivant un contrat à durée déterminée du 23 juin au 25 juillet 2008 pour y exercer la fonction « d'ingénieur technico commercial ». Ce contrat a été renouvelé jusqu'au 30 septembre 2008. Le 1er octobre 2008, les parties convenait de la poursuite des relations contractuelles sous l'égide d'un contrat à durée indéterminée.

Par un avenant en date du 3 novembre 2008, M. [B] était détaché en Chine au sein de la filiale chinoise de la SA Naturex, pour une première période jusqu'au 31 décembre 2011 puis pour une seconde période jusqu'au 31 décembre 2014.

Par courrier en date du 09 décembre 2014, l'employeur proposait à M. [B] de réintégrer le siège de la société Naturex au poste de « regional sales director » en contrepartie d'une rémunération brute annuelle de 90.000 euros. Un avenant était conclu entre les deux parties.

Le 08 mars 2016, la société Naturex convoquait M. [B] à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé le 17 mars 2016.

Par lettre recommandée du 26 mars 2016, M. [B] était licencié pour faute grave dans les termes suivants :

« Nous avons eu à déplorer, de votre part, des manquements graves et répétés concernant des règles légales et fiscales ayant un impact sur la consolidation du chiffre d'affaires du Groupe et sur la conformité fiscale de nos déclarations relatives à des transactions passées par le bureau

commercial en Chine, alors même que vous en aviez la responsabilité en qualité de Directeur commercial de zone (Nord Est Asie).

Plus précisément, il ressort de l'audit interne (') plusieurs écarts dont nous avons été amenés à vérifier la véracité.

Tout d'abord, le 31 décembre 2014, vous avez facturé, via notre ERP, pour deux clients, deux ventes d'un montant total de 3.914.530,56 RMD HT (510.548,77€ HT taux de change moyen en vigueur en 2014) alors même que le transfert de propriété n'était pas encore réalisé au 31 décembre 2014, à savoir :

- Facture n°FVLLLL14120084 de 2.712.820,56 RMB, pour 2.300kg.

- Facture n°FVLLLL14120085 de 1.201.710 RMB, pour 1.000kg.

Pourtant, le 7 janvier 2015, vous avez reçu un mail du service comptabilité vous demandant, dans le cadre de la clôture annuelle des comptes 2014, des preuves de livraison pour les ventes du mois de décembre 2014, afin de pouvoir arrêter le chiffre d'affaires définitif. Dans cet échange, il était bien précisé que l'objectif était de confirmer « qu'elles soient bien rattachables à l'exercice 2014 ». Ledit mail précisait : « Nous avons besoin du document qui justifie du transfert de risque (que nous définissons comme le moment comptablement où il y a transfert de propriété) ».

Le 8 janvier 2015, vous avez confirmé au service comptabilité, par mail, la réalité des transactions en produisant des « delivery note » signées, par document scanné attestant de la livraison respectivement des commandes se rapportant aux factures n°FVLLLL14120084, le 30 décembre 2014 pour 2.300kg et n°FVLLLL14120085, le 27 décembre 2014, pour 1.000kg.

Or, il ressort de l'audit que les livraisons et donc les transfert de propriété ont eu lieu, conformément aux règles incoterm :

- Pour la commande n°FVLLLL14120084, les 12 janvier 2015 pour 1.100kg, 25 juin 2015 pour 400kg et 23 juillet 2015 pour 500kg, et 300kg jamais expédiés.

- Pour la commande n°FVLLLL14120085, le 14 janvier 2015.

Ces dates de livraisons ont par ailleurs été confirmées :

- Par des delivery note (bons de livraison) mentionnant les dates précitées.

- Dans le tableau de suivi de TVA (VAT invoices) transmis par [X] [A], mis à jour régulièrement.

- Par le Directeur commercial [V] [W] par mail le 3 mars 2016, à la responsable audit, concernant la facture n°FVLLLL14120084.

En outre, vous avez facturé via le n°FVLLLL14110046 une vente de 362,32Kg pour un montant de 427.351,80 RMB (55.819,93€) en novembre 2014 alors même que la commande n'a jamais été expédiée. De la même manière, cette vente n'aurait jamais dû faire l'objet d'un enregistrement comptable dans le CA de Naturex [Localité 4], et donc dans le CA de Naturex.

Sur la base des éléments que vous avez personnellement validés et communiqués, NATUREX a surévalué les résultats financiers de la filiale de [Localité 4] (566.368€ sur un CA de 3,8 millions d'euros (cf. reporting comptable 2014), ce qui pourrait engendrer un redressement fiscal de la filiale et une remise en cause de la fiabilité du montant du chiffre d'affaires du Groupe par l'autorité des marchés financiers.

Lors de notre entretien du 17 mars, vous avez indiqué utilisé surtout l'ERP et ne pas avoir noté de grandes différences entre les paiements clients et les livraisons, ce qui est inacceptable au regard de vos fonctions.

Par ailleurs, il ressort de cet audit, que sur 19 transactions auditées sur la période où vous aviez la responsabilité du périmètre (janvier 2014 à juin 2015), vous n'avez pas fait établir de factures locales dites « fapiao » sur 5 d'entre elles, ce qui s'analyse également comme un manquement aux règles commerciales et fiscales en vigueur en Chine, que vous n'ignorez pourtant pas, compte tenu de votre fonction.

(') D'ailleurs, sur la facture n°FVLLLL1500014 de janvier 2015, il est même indiqué en langue chinoise « ne pas faire de facture ».

Pourtant, vous connaissez les règles applicables en Chine, à savoir établir une facture locale produite par un ordinateur relié à l'administration Chinoise, pour chaque transaction réalisée, règles que vous avez rappelées à la comptabilité par mail du 8 janvier 2015.

De plus, s'agissant de la facture n°FVLLLL15010014, de 34.500 RMB, il a été constaté que le règlement avait été réalisé en espèce, ce qui pourrait être assimilé à de la fraude, de la corruption ou encore du blanchiment d'argent.

En cas de contrôle fiscal qui serait effectué par les autorités chinoises, les conséquences pourraient être extrêmement dommageable pour NATUREX, sans compter la forte détérioration de notre image.

Lors de notre entretien, vous n'avez pas été en mesure d'expliquer l'absence de ces factures locales (fapiao).

Vos différents manquements sont graves et inacceptables de la part d'un Directeur Commercial de zone. Vous n'avez pas jugé utile de mettre en place un processus permettant de vous assurer du respect des règles au sein du bureau dont vous étiez responsable. Ces manquement font

peser sur Naturex un risque de redressement fiscal important, et traduisent de votre part une gestion de stocks théorique, un manquement aux règles légales et standards du Groupe. Le rapport d'audit précise d'ailleurs que ces écarts pourraient être assimilables à une fraude fiscale. Par ailleurs, vous n'avez pas mis en place de processus vous permettant de vous assurer du respect des règles au sein du bureau.

Pourtant, par mail du 20 avril 2015 dont vous avez été destinataire, le Directeur Général du Groupe, Monsieur [R] [N] incitait l'ensemble des salariés du groupe à déclarer des actes ou manœuvres qui ne seraient pas légales.

Par le biais de ce mail, Monsieur [N] a clairement fait savoir qu'un comportement consistant à ne pas respecter la législation nationale en vigueur ferait l'objet d'une mesure disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement, quel que soit le rôle et la contribution dans l'entreprise du collaborateur fautif. Vous n'avez manifestement pas daigné prendre en considération cette mise en garde en ne respectant pas les consignes qui avaient été données ».

Contestant la légitimité de la mesure prise à son encontre, le 27 janvier 2017, M. [B] saisissait le conseil de prud'hommes d'Avignon en paiement d'indemnités de rupture et de diverses sommes lequel, par jugement contradictoire du 03 septembre 2019 , a :

- dit et jugé que le salaire moyen de référence sur 3 mois de M. [B] est fixé à 8 626,67 euros ;

- débouté M. [B] de sa demande de prononcer la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression ;

- dit et jugé que le licenciement de M. [B] n'est pas motivé par des faits fautifs mais par une insuffisance professionnelle, et, en conséquence, que le licenciement disciplinaire ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et s'analyse en un licenciement abusif;

- condamné la société Naturex à payer à M. [B] les sommes de :

* 80 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

* 23 220,00 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis;

* 24 768,00 euros à titre de l'indemnité conventionnelle;

* 2 322,00 euros à titre de congés payés.

- débouté M. [B] de ses demandes de paiements de rappels d'indemnité de préavis, d'indemnité conventionnelle et de congés payés;

- ordonné à la société Naturex de rembourser à Pôle-Emploi la somme de 28 632, 96 euros au titre des indemnités de chômage ;

- ordonné en conséquence la communication de la présente décision à Pôle-Emploi ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile ;

- condamné la société Naturex à payer à M. [B] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [B] du surplus de ses demandes

- débouté la société Naturex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société Naturex aux entiers dépens de l'instance.

Par acte du 03 octobre 2019 , M. [B] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 02 janvier 2020, M. [T] demande à la cour de :

Réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions déférées

En considération des augmentations antérieurement acquises :

A titre principal,

- condamner la société Naturex à :

* rappel de salaire brut du 1er juillet au 28 février 2016 12.600,00 euros

* rappel d'indemnité de préavis ( 3 mois * 1575 euros) 4.725,00 euros

* rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement (1575 *4/10*8) : 5.040,00 euros

* rappel d'indemnité de congés payés 1.732,50 euros

A titre subsidiaire,

- condamner la société Naturex à réparer le préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat en la condamnant au paiement de 24.097,50 euros

Au titre du temps de travail effectif non comptabilisé ni payé

A titre principal :

- dire et juger que la clause de forfait jours est nulle et subsidiairement dire et juger qu'elle est privée d'effet en raison du non respect des modalités de suivi

- condamner la société Naturex au paiement de :

* heures supplémentaires : 116.704,16 euros

* sommes équivalentes à la contrepartie en repos obligatoire : 58.565,84 euros

* rappel de congés payés y afférents 17.527,00 euros

- condamner la société au paiement d'une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 6 mois de salaires, soit 67.268,00 euros

A titre subsidiaire, à défaut de faire droit aux demandes au titre des heures supplémentaires,

- condamner la société Naturex à payer la somme de 192.797 euros à titre de dommages et intérêts.

En tout état de cause :

- condamner la société Naturex à une indemnité de 3.000 euros pour non respect des durées maxi et repos minima obligatoires.

- condamner la société Naturex au paiement de la somme de 4.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Il soutient que :

- l'employeur n'a pas respecté l'article 5 de son contrat de travail qui prévoyait qu'il retrouverait un poste 'aussi compatible que possible avec l'importance des fonctions qu'il exerçait antérieurement à son retour'.

- le réel motif de son licenciement n'est autre que l'absence de poste compatible avec ses fonctions, ses responsabilités et son niveau de rémunération antérieurs.

- sa rémunération nette versée par la société Naturex depuis son retour (1er juillet 2015), était inférieure de presque 30 % par rapport à ce qui avait été convenu contractuellement. Il expose que, par suite des différentes augmentations, son salaire net acquis juste avant son retour en France était de 7216 euros mais à son retour il ne percevait que 5 824 euros alors que l'article 5 de son contrat prévoyait qu'il conserverait la rémunération acquise au cours de cette période, soit 7 ans.

- il a subi un préjudice du fait de cette attitude déloyale de la société Naturex.

- l'accord d'entreprise du 2 janvier 2007 n'est pas valable car d'une part, il ne prévoit aucune disposition relative à l'obligation de l'employeur d'assurer le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail ; d'autre part, il ne prévoit pas d'entretien annuel. Par conséquent, sa convention individuelle de forfait en jours est nulle.

- même à supposer que sa convention individuelle a été conclue en application d'un accord collectif valable, elle serait encore privée d'effet dans la mesure où l'employeur n'a mis en oeuvre aucune modalité de suivi et n'a organisé aucun entretien portant sur le forfait.

- sa convention individuelle étant nulle, il est fondé à demander un rappel de salaire pour heures supplémentaires de 116 704, 16 euros. Par ailleurs, n'ayant jamais bénéficié de la contrepartie obligatoire en repos , il doit recevoir une indemnité équivalente en espèce de 58 565,84 euros

- les pièces 8 et 9 qu'il verse aux débats permettent d'étayer de manière précise les heures supplémentaires qu'il a effectuées

- l'employeur n'apporte aucun élément à son tour pour justifier du décompte du temps de travail effectif

- son employeur s'est rendu coupable de travail dissimulé car il ne pouvait ignorer que la convention forfait jours était nulle, il n'a pas respecté les termes de l'accord contractuel concernant l'application du forfait jours et il n'a pas davantage respecté la convention individuelle de forfait ou les dispositions légales, qui lui imposaient l'organisation d'un entretien annuel.

- l'exécution du forfait jours par la société était déloyale puisque cette dernière n'a organisé aucun entretien avec lui alors qu'elle avait parfaitement conscience de sa charge de travail et de sa répartition au sein de la semaine.

- l'organisation de son travail entraînait de manière régulière le non respect du repos minimum quotidien en raison de l'organisation de rendez-vous, réunions etc... ne tenant pas compte du décalage horaire, il se pliait aux horaires de ses collègues en France et non l'inverse.

En l'état de ses dernières écritures en date du 28 juin 2021, contenant appel incident, la SA Naturex demande à la cour de :

Statuant sur l'appel formé par M. [L] [B] à l'encontre du jugement rendu le 3 septembre 2019 par le conseil de prud'hommes d'Avignon,

- confirmer le jugement en ce qu'il a : « débouté M. [B] de sa demande de prononcer la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression ; débouté M. [B] de ses demandes de paiements de rappels d'indemnité de préavis, d'indemnité conventionnelle et de congés payés; débouté M. [B] du surplus de ses demandes ».

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit et jugé que le licenciement de M. [B] n'est pas motivé par des faits fautifs mais par une insuffisance professionnelle, et, en conséquence, que le licenciement disciplinaire ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse et s'analyse en un licenciement abusif;

* l'a condamné à payer à M. [B] les sommes de :

° 80 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

° 23 220,00 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

° 24 768,00 euros à titre de l'indemnité conventionnelle;

° 2 322,00 euros à titre de congés payés.

* lui a ordonné de rembourser à Pôle-Emploi la somme de 28 632, 96 euros au titre des indemnités de chômage ;

* l'a condamné à payer à M. [B] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* l'a débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

* l'a condamné aux entiers dépens de l'instance.

En conséquence, statuant à nouveau :

- dire et juger le licenciement pour faute grave de M. [L] [B] comme étant parfaitement fondé

- dire et juger n'y avoir lieu à paiement d'heures supplémentaires

En conséquence :

- débouter M. [T] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

Elle fait valoir que :

- M. [B] a été licencié pour faute grave en raison de trois manquements qui lui étaient personnellement reprochés :

* émission de factures pour des marchandises qui n'étaient pas encore expédiées ou qui n'avaient été jamais expédiées, ce qui est contraire à la réglementation chinoise en la matière ; * le défaut d'établissement de factures locales dites « fapiao », ce qui est également contraire à la réglementation chinoise ;

* un règlement en espèce susceptible de s'apparenter à de la « fraude fiscale, de la corruption ou blanchiment d'argent ».

- c'est à la suite d'un audit qu'elle s'est rendue compte des différents manquements de M. [B] et ces manquements ont eu pour effet de fausser la consolidation du chiffre d'affaires du Groupe pour l'année 2014 et lui ont fait peser un risque de redressement fiscal.

- compte tenu de ses fonctions et de son ancienneté, M. [B] ne saurait valablement prétendre à une requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement pour insuffisance professionnelle du fait d'une prétendue absence de 'mauvaise volonté délibéré'.

- elle a conclu et signé avec M. [B] une convention de forfait en jours en date du 18 septembre 2008 et ce en parfaite conformité avec les règles en vigueur et les impératifs énoncés par la jurisprudence de la Cour de cassation.

- M. [B] n'apporte aucune preuve sérieuse relative à sa demande de nullité de la clause de forfait jour. Il ne démontre pas non plus qu'il a été soumis à une quelconque surcharge de travail anormale. Par ailleurs, jusqu'à ses premières conclusions récapitulatives de première instance, il n'a jamais sollicité le paiement d'heures supplémentaires.

- en tant que cadre de haut niveau, M. [B] bénéficiait d'une rémunération se situant parmi les plus élevées de l'entreprise. De ce fait, il était naturellement attendu de sa part, dans le respect des dispositions légales et conventionnelles, un investissement personnel conséquent.

- elle était dans l'impossibilité de suivre régulièrement les jours travaillés par M. [B] puisque ce dernier n'établissait pas de 'déclaration mensuelle de ses jours travaillés pour le mois échu' pourtant prévue dans la convention individuelle.

- M. [B] ne justifie de strictement aucun préjudice lui permettant de solliciter des dommages et intérêts pour inexécution déloyale de la convention de forfait jours.

- elle ne s'est pas rendue coupable de travail dissimulé dans la mesure où l'application d'un forfait en jours exclut le décompte en heures de travail. Par conséquent, le bulletin de paie n'avait pas à mentionner le nombre d'heures de travail réellement accompli, d'autant plus que M. [B] ne démontre pas avoir effectué des heures supplémentaires.

Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

Par ordonnance en date du 26 avril 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 23 août 2022. L'affaire a été fixée à l'audience du 07 septembre 2022.

MOTIFS

Sur le non respect du contrat de travail au retour en France

M. [B] expose que son contrat de travail prévoyait qu'il retrouverait un poste « aussi compatible que possible avec l'importance des fonctions qu'il exerçait antérieurement à son retour» mais qu'aucun effort n'a été entrepris pour lui confier un poste équivalent.

L'employeur ne développe aucun argument sur ce point sauf à rappeler dans le rappel des faits de ses écritures que par courrier en date du 09 décembre 2014, il a proposé à M. [B] de réintégrer le siège de la société Naturex au poste de « Regional Sales Director », statut cadre, coefficient 660 de la convention collective et qu'un avenant était signé en ce sens le 1er juillet 2015. Le dernier avenant avant son détachement à l'étranger positionnait M. [B] comme Ingénieur technico Commercial statut cadre, coefficient 350.

L'avenant du 1er juillet 2015 le positionnait comme Régional Sales Director statut cadre coefficient 660 pour une rémunération annuelle brute forfaitaire de 90.000 euros, un bonus annuel pouvant atteindre 40% de sa rémunération annuelle brute, soit 36.000 euros et un véhicule de fonction.

M. [B] soutient que son salaire juste avant son retour en France était de 7.216 euros.

Il produit en pièce n°5 une attestation du DRH rédigée en anglais dont il n'est pas précisé si les sommes sont en brut ou en net.

En tout état de cause, M. [B] a consenti à signer l'avenant du 1er juillet 2015 sans protestation ni réserve.

Ses demandes ont été justement rejetées par les premiers juges.

Sur la convention de forfait en jours

Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Et il appartient au juge de le vérifier, même d'office.

M. [B] soutient que la société Naturex ne peut s'appuyer sur les dispositions conventionnelles rappelant que les dispositions relatives au forfait jour de la convention collective nationale des industries chimiques ont été jugées non conformes par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 31 janvier 2012 n°10-19.807 a estimé que «ni les stipulations non étendues de l'article 12 de l'accord cadre du 8 février 1999 sur l'organisation et la durée du travail dans l'industrie chimique, qui, dans le cas de forfait en jours, ne déterminent pas les modalités et les caractéristiques principales des conventions susceptibles d'être conclues mais renvoient à la convention écrite conclue avec le salarié concerné le soin de fixer les modalités de mise en oeuvre et de contrôle du nombre de jours travaillés ainsi que la nécessité d'un entretien annuel d'activité du cadre avec sa hiérarchie, ni celles de l'accord d'entreprise du 3 février 2000, qui se bornent à affirmer que les cadres soumis à un forfait en jours sont tenus de respecter la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire, ne sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était privée d'effet et que le salarié pouvait prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont elle devait vérifier l'existence et le nombre, la cour d'appel a violé les textes susvisés».

L'accord d'entreprise relatif à l'aménagement du temps de travail a été conclu en date du 2 janvier 2007 sur la base duquel a été conclue la convention individuelle de forfait jours se borne à prévoir que « chaque salarié...devra assure le suivi du nombre de jours effectivement travaillés et du nombre de journées ou demi-journées de repos pris au titre du mois civil. Un récapitulatif devra être remis à la Direction à la fin de chaque mois civil, rappelant que le salarié s'est conformé aux dispositions des articles L.220-1, L.221-2 et L.211-4 du code du travail (respectivement respect du repos journalier de 11 heures entre deux jours de travail, interdiction de travailler plus de 6 jours par semaine, respect de la durée du repos hebdomadaire de 35 heures consécutives)».

Ces dispositions qui transfèrent sur le salarié seul l'obligation de veiller au respect de la réglementation relative au respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires et de s'assurer du caractère raisonnable de l'amplitude et de la charge de travail et une bonne répartition du travail dans le temps ne répondent pas aux exigences de la jurisprudence.

Une convention individuelle conclue sur un tel accord est donc nulle et l'employeur ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L.3121-65 inexistantes lors de la conclusion de la convention individuelle.

La convention de forfait jours étant nulle, M. [B] est en droit de demander le paiement de la totalité de ses heures travaillées, la contrepartie en repos lorsque le contingent est dépassé ainsi que les congés payés afférents.

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, M. [B] produit les éléments permettant d'étayer sa demande:

- un tableau récapitulatif de ses heures de travail comprenant les horaires précis de début et fin de journée,

- l'ensemble des courriels et messages adressés par lui et attestant des heures de travail au delà de 35 h,

- le décompte des heures supplémentaires au delà de 35 h par semaine civile.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'apporter ses propres éléments. Or ce dernier se borne à opposer à M. [B] l'existence d'une convention de forfait et le fait que le salarié ne se soit jamais plaint de sa situation et n'ait jamais réclamé le paiement d'heures supplémentaires.

Il convient en conséquence de faire droit aux prétentions de M. [B] sur la base d'un taux horaire de 53,76 euros en 2013, de 59,83 euros en 2014 et 2015 et de 49,45 euros en 2016 :

- 2013 : 251,61 H à 25%, soit 17.245,08 euros et 181,2 HS à 50%, soit 14.612,72 euros = 31.857,8 euros

- 2014: 313,08 H à 25%, soit 23 .415,97 euros et 186,02 H à 50%, soit 16.695,44 euros = 40.111,42 euros

- 2015 : 306,83 H à 25%, soit 22.948,52 euros et 156,3 H à 50%, soit 14.028,05 euros = 36.976,57 euros

- 2016 : 92,42 H à 25%, soit 5.712,65 euros et 27,58 H à 50%, soit 2.045,72 euros = 7.758,37 euros.

Soit un rappel de salaire pour heures supplémentaires de 116.704,16 euros

Sur le rappel de salaire équivalent à la contrepartie en repos pour heures supplémentaires au delà du contingent

Selon les articles L.3121-11 et D.3121-14-1 du code du travail, les heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent annuel donnent lieu à une contrepartie obligatoire en repos d'une durée égale à 50% de ces heures dans les entreprises de moins de 20 salariés ou de 100% dans les autres entreprises, comme la société Naturex .

M. [B] rappelle que le contingent annuel est fixé par la CCN à 130 H.

- En 2013, il a effectué 437,73 HS soit, 307,73 HS au delà du contingent. (16.548,72 euros)

- En 2014 il a effectué 499,1 HS, soit 369,1 HS au delà du contingent. (22084,67 euros )

- En 2015, il a effectué 463,13 HS, soit 333,13 HS au delà du contingent (19932,45 euros)

Il précise sans être utilement contredit n'avoir jamais bénéficié de la contrepartie obligatoire en repos.

Il lui sera alloué une indemnité équivalente en espèce de 58.565,84 euros outre un rappel de congés payés afférent au rappel de salaire pour heures supplémentaires et somme équivalente à la contrepartie en repos soit la somme de (116.704,16 + 58.565,84 ) * 10%) = 17.527 euros.

Sur l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

En vertu de l'article L.8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, l'employeur qui s'est rendu coupable des faits prévus à l'article L. 8221-5 doit être condamné à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'article L.8221-5, 2°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ; toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Toutefois, le caractère intentionnel ne peut se déduire de la seule application d'une clause de forfait illicite ou déclarée inopposable. Il ne peut être soutenu que la nullité du forfait jours était connue de l'employeur, cette seule connaissance, à la supposer établie, n'emporte pas connaissance des heures supplémentaires réalisées.

M. [B] a été débouté à bon droit de ses prétentions à ce titre.

Sur le non respect des règles relatives aux maxima de durée du travail et minima de repos

M. [B] rappelle qu'il appartient à l'employeur de prouver le respect des seuils et plafonds de durée quotidienne et hebdomadaire maximale de travail et que le salarié qui a été privé de tout ou partie de son repos journalier peut prétendre à des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Il observe que la société Naturex ne rapporte pas cette preuve et qu'elle ne s'est jamais préoccupée ni de sa charge de travail ni des mesures de prévention à prendre pour respecter les règles impératives en matière de durée du travail.

L'employeur ne formule aucune observation sur ce point.

Il sera alloué la somme de 1.000,00 euros en l'absence de preuve d'un préjudice objectivé.

Sur le licenciement

M. [B] a été licencié pour faute grave en raison de trois manquements :

- émission de factures pour des marchandises qui n'étaient pas encore expédiées ou qui n'avaient été jamais expédiées, ce qui est contraire à la réglementation chinoise en la matière ;

- défaut d'établissement de factures locales dites « fapiao », ce qui est également contraire à la réglementation chinoise ;

- règlement en espèce susceptible de s'apparenter à de la « fraude fiscale, de la corruption ou blanchiment d'argent ».

M. [B] prétend que la lettre de licenciement n'indique pas expressément qu'il est l'auteur des « anomalies constatées » et qu'il aurait était licencié simplement « parce qu'on lui reproche de ne pas avoir mis en place les outils lui permettant de s'assurer du respect des règles mais également parce qu'il n'aurait pas respecté les consignes de dénonciation de tout acte ou manœuvre illégal qui avaient été données par le directeur général en avril 2015 »

Or, la le lecture de la lettre de licenciement confirme que l'employeur lui impute personnellement les manquements reprochés.

La matérialité des anomalies relevées n'est pas discutée et résulte de l'extrait d'audit (pièce n°10 de l'intimée) produit au débat.

- M. [B] conclut à la nullité de son licenciement car il lui serait reproché de ne pas avoir dénoncé des agissements illégaux alors qu'a été instauré un dispositif de « lanceurs d'alerte» qui nécessite, en France, une déclaration à la CNIL. Il ajoute que ce dispositif ne pouvait qu'offrir une faculté d'alerte et non une obligation. Il considère qu'imposer le signalement de faits anormaux aux salariés se heurte à la liberté d'expression reconnue aux salariés.

Or le courriel querellé de M. [N] du 20 avril 2015 indiquait :

« Au cours des derniers mois, un certain nombre de pratiques inacceptables au sein de nos services ont été dévoilées par l'équipe d'audit interne.

Nous tenons à vous rappeler que le CODIR et le Conseil d'Administration de Naturex insiste pour que tous les services du groupe Naturex appliquent la législation nationale en vigueur et que les standards éthiques les plus élevés soient respectés dans nos relations d'affaires à travers le monde. Cet engagement sera indiqué dans un certain nombre de politiques, notamment dans notre Code de bonne Conduite qui sera publié d'ici fin avril.

Voici quelques exemples de pratiques inacceptables : paiement de pots-de-vin ou paiements illicites non pris en charge par le contrat ; conflits d'intérêt entre des intérêts personnels, directs et indirects et les intérêts de l'entreprise ; paiements incitatifs versés aux clients ou reçus de la part de fournisseurs en échange de contrats ; violations des lois sur la concurrence.

De plus, TOUS les mouvements d'argent liquide doivent être correctement justifiés conformément aux politiques du Groupe et doivent être consignés dans les comptes officiels, qu'ils soient de gestion ou statutaires.

Les récentes découvertes de l'audit indiquent que certaines pratiques qui violent les standards susmentionnés existent peut-être encore dans certains services de l'organisation. Celles-ci ne seront plus tolérées.

Les excuses de type « mon responsable est au courant » ou « on a toujours agi comme ça dans le passé » ne peuvent et ne doivent pas justifier de telles pratiques.

La prochaine fois qu'un tel comportement est détecté, les individus incriminés feront l'objet d'une mesure disciplinaire, notamment d'un licenciement, quel que soit leur rôle et contribution dans l'entreprise.

Nous devons à présent résoudre tout litige passé et nous tourner vers l'avenir en conformité avec les exigences légales et une conduite éthique. Pour ce faire, nous avons décidé d'adopter l'approche d'amnistie suivante pour donner aux personnes concernées l'opportunité

de m'informer volontairement des problèmes :

- d'ici la semaine prochaine (je vous demande de communiquer toute pratique déplacée existante ou ayant existé dont vous avez connaissance pour votre service à [M] [D] ou à moi-même). N'hésitez pas à vous adresser à nous en cas de doute sur une

pratique actuelle afin que nous vérifiions sa conformité. Cette fois-ci, à condition qu'une divulgation complète ait lieu, nous proposons de résoudre les problèmes sous forme d'amnistie et de ne pas appliquer de mesure disciplinaire. Vous êtes responsables de tous vos services, régions ou activités. Par conséquent, c'est à vous de transmettre ce message à vos collaborateurs.

- Suite à cela, un audit complet de tous les services et filiales aura lieu à notre demande. Il sera réalisé par des auditeurs internes et externes pour vérifier la conformité. Toute fraude ou pratique inacceptable découverte au cours de cet audit et qui n'aura pas été dénoncée

volontairement dans le cadre de cette amnistie entraînera des mesures disciplinaires.

Cette amnistie est accordée comme une mesure exceptionnelle en réponse aux récentes découvertes de l'audit et ne se base aucunement sur des allégations spécifiques à l'encontre d'un individu ou d'une activité »

Il convient de relever que ce courriel est postérieur aux faits reprochés à M. [B] car il a été rédigé au constat du rapport d'audit qui a révélé les manquements reprochés au salarié en sorte que l'appelant ne peut utilement l'invoquer pour sa défense consistant à soutenir qu'il n'était pas tenu de dénoncer les faits illicites dont il avait connaissance. Par ailleurs M. [B] ne peut invoquer à son profit le statut de lanceur d'alerte alors qu'il n'est pas à l'origine de la diffusion des informations ayant donné lieu à cet audit mais au contraire mis en cause par ce rapport. En effet, seul le lanceur d'alerte qui dénonce des faits illicites aux autorités bénéficie d'une immunité disciplinaire étant au demeurant rappelé que cette immunité n'existait pas à l'époque des faits, la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 qui a modifié l'article L.1132-1 du code du travail n'est entrée en vigueur que le 1er septembre 2022.

Enfin, ne saurait être considérée comme attentatoire à la liberté d'expression la demande faite par un employeur de lui signaler tout agissement illégal commis dans le cadre d'une activité professionnelle.

La demande de nullité du licenciement sur le fondement de l'article L.1221-1 du code du travail qui prévoit que «Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché» a été justement rejetée par les premiers juges.

- M. [B] soutient ensuite que son licenciement serait fondé non pas sur un motif disciplinaire mais sur une insuffisance professionnelle en sorte qu'il serait dénué de cause réelle et sérieuse.

Il est acquis que si l'employeur s'est placé sur le seul terrain disciplinaire, le juge doit se limiter à rechercher si les faits reprochés au salarié constituent une faute sans possibilité de dénaturer le motif disciplinaire de ce licenciement.

Aussi, un licenciement prononcé pour faute est sans cause réelle et sérieuse si les manquements reprochés relèvent en réalité de l'insuffisance professionnelle sauf s'ils procèdent soit d'une mauvaise volonté délibérée du salarié, soit de la négligence ou d'une abstention volontaire.

La lettre de licenciement vise les faits suivants :

- vous avez facturé, via notre ERP, pour deux clients, deux ventes... alors même que le transfert de propriété n'était pas encore réalisé...

...Sur la base des éléments que vous avez personnellement validés et communiqués, Naturex a surévalué les résultats financiers de la filiale de [Localité 4]...ce qui pourrait engendrer un redressement fiscal de la filiale et une remise en cause de la fiabilité du montant du chiffre d'affaires du Groupe par l'autorité des marchés financiers.

- sur 19 transactions auditées sur la période où vous aviez la responsabilité du périmètre (janvier 2014 à juin 2015), vous n'avez pas fait établir de factures locales dites « fapiao » sur 5 d'entre elles, ce qui s'analyse également comme un manquement aux règles commerciales et fiscales en vigueur en Chine, que vous n'ignorez pourtant pas, compte tenu de votre fonction.

- s'agissant de la facture n°FVLLLL15010014, de 34.500 RMB, il a été constaté que le règlement avait été réalisé en espèce, ce qui pourrait être assimilé à de la fraude, de la corruption ou encore du blanchiment d'argent.

En cas de contrôle fiscal qui serait effectué par les autorités chinoises, les conséquences pourraient être extrêmement dommageable pour Naturex , sans compter la forte détérioration de notre image.

- Le rapport d'audit précise d'ailleurs que ces écarts pourraient être assimilables à une fraude fiscale. Par ailleurs, vous n'avez pas mis en place de processus vous permettant de vous assurer du respect des règles au sein du bureau...

M. [B] connaissait parfaitement les règles applicables sur son secteur (Nord Est Asie) ce qu'il rappelle lui-même dans un courriel du 8 janvier 2015:

« En Chine, le processus d'émission de factures officielles est plus compliqué qu'en France.

Pour simplifier :

' Elles ne peuvent être émises qu'avec un ordinateur paramétré par l'administration Chinoise

' Nous sommes limités en nombre de factures (actuellement 50 par mois) et en valeur maximale de facture (actuellement 100,000RMB). Le quota de 50 factures a été atteint en décembre 2014.

' La première semaine de chaque mois l'administration fiscale vérifie nos factures et nous ne pouvons pas en emmètre pendant cette période

' Nous devons payer la TVA en fonction des factures émises et non pas en fonction des factures payées.

' La procédure pour annuler/modifier une facture est lourde administrativement parlant, donc généralement nous attendons que le client confirme la bonne réception de la marchandise pour émettre la facture TVA Chinoise. »

Le non respect des procédures et législations s'analyse non en une insuffisance professionnelle mais, eu égard au statut de cadre de haut niveau et aux responsabilités confiées au salarié, bien en des fautes justifiant une sanction disciplinaire.

- Sur les griefs énoncés dans la lettre de licenciement :

- Sur la facturation :

M. [B] prétend qu'il n'était pas responsable de l'émission de factures chinoises, charge incombant à M. [Y]. Or ce dernier atteste : « Depuis Janvier 2012, je suis en charge des achats gérés par le bureau d'achat de Shanghai, c'est-à-dire couvrant le périmètre Chine et Asie de l'Est. A ce titre je gère une équipe de 2 acheteurs, 2 assistantes, et un laboratoire d'analyse composé d'un responsable de laboratoire et de deux techniciens.

Par ailleurs le site de Shanghai abrite également un bureau de vente sous la responsabilité du Directeur Commercial, en l'occurrence Monsieur [L] [B] pendant la période concernée.

Je suis également en charge des aspects globaux du site de Shanghai, à ce titre une assistante administrative et comptable m'est rattachée bien que ses responsabilités soient variées et ne recouvrent pas uniquement les achats. Cette personne gère notamment la facturation client, sous les instructions de l'équipe commerciale.

La facturation client naturellement est partie prenante du processus de vente, responsabilité exclusive du Directeur commercial.

Enfin, il n'y a jamais eu de lien hiérarchique entre Monsieur [B] et moi-même».

Mme [U], qui a réalisé l'audit, atteste : « Dans le cadre de ces tests j'ai identifié plusieurs transactions présentant des anomalies de facturation (facturation anticipée par rapport à l'expédition physique réelle des biens).

Par entretien, j'ai voulu comprendre auprès de l'assistante logistique locale Susan [P] et du Directeur Commercial, M. [V], pourquoi ces factures avaient été émises et validées avant l'expédition réelle. Ces explications étaient d'autant plus nécessaires que M. [L] [B], Directeur Commercial Régional en charge de la Chine au moment des faits, avait apporté au service comptabilité des preuves de livraison pour lesdites transactions. J'en ai déduit que ces preuves de livraison étaient des faux ce qui m'a été confirmé par M. [V] et Mme [P] ...

... Les faits constatés remontent à fin 2014, début 2015. Un rapport d'audit

mentionnant ces anomalies a été rédigé à l'attention du Directeur Financier du Groupe, du Directeur Général et du Comité d'audit, ce qui est la procédure habituelle de clôture des audits. Les anomalies identifiées ont eu un impact significatif pour le groupe dans la mesure où elles ont conduit à des erreurs comptables. Le service comptable Groupe n'avait pas la possibilité d'identifier ces anomalies dans la mesure où de fausses preuves de livraison lui avaient été apportées. »

M. [B] ne s'explique pas sur le contenu du courriel adressé le 8 janvier 2015 confirmant la livraison en 2014 de marchandises effectivement livrées en 2015 alors que le courriel du service comptabilité de la veille insistait sur le point de savoir si ces ventes étaient rattachables à l'exercice 2014 et précisait: « Nous avons besoin du document qui justifie du transfert de risque (que nous définissons comme le moment comptablement où il y a transfert de propriété)».

La lettre de licenciement reproche au salarié d'avoir personnellement validé des éléments inexacts.

Sur ces éléments précis, M. [B] ne fournit aucune explication circonstanciée. Les déclarations de M. [V] en faveur de l'appelant qui a indiqué dans une attestation du 7 septembre 2019 vouloir retirer «l'attestation faite à la date du 6 juillet 2017» ne peuvent être sérieusement prises en considération.

L'employeur verse, en guise d'exemple, un contrat passé avec un client dénommé « ZHEJIANG », sur lequel figure une date de signature au 23 janvier 2015 mais qui lui a été communiqué le 30 décembre 2014, M. [B] ayant affirmé à son employeur avoir expédié la marchandise le 30 décembre 2014, alors qu'en réalité la transaction n'a été conclue que le 23 janvier 2015.

L'envoi de documents que le salarié savait erronés est donc établi.

- Sur les factures «fapiao» :

Il est reproché à M. [B] de ne pas avoir émis à cinq reprises des factures «fapiao», factures éditées sur un support spécial délivré par l'administration chinoise qui trace en quelque sorte l'activité des entreprises enregistrées pour l'exercice d'une activité précise. M. [B] se défausse sur ses collègues dont il a été rappelé plus avant qu'ils n'avaient pas la responsabilité de ce service et de cette tâche.

- Sur les règlements en espèces :

M. [B] justifie s'être trouvé en congé le jour du paiement. La société Naturex ne développe au demeurant aucun argument.

Il résulte de tout ce qui précède que le fait pour M. [B] de ne pas s'être conformé aux exigences locales en matière de facturation et d'avoir sciemment communiqué des éléments qu'il savait erronés constituait une faute qui pour autant ne justifiait pas son départ immédiat de l'entreprise.

En effet, d'une part M. [B] n'exerçait plus à l'étranger, d'autre part dans son courriel du 20 avril 2015 M. [N] avait précisé «Les récentes découvertes de l'audit indiquent que certaines pratiques qui violent les standards susmentionnés existent peut-être encore dans certains services de l'organisation. Celles-ci ne seront plus tolérées. Les excuses de type « mon responsable est au courant » ou « on a toujours agi comme ça dans le passé » ne peuvent et ne doivent pas justifier de telles pratiques. La prochaine fois qu'un tel comportement est détecté, les individus incriminés feront l'objet d'une mesure disciplinaire, notamment d'un licenciement, quel que soit leur rôle et contribution dans l'entreprise» admettant ainsi une certaine tolérance antérieure faisant obstacle à la qualification de faute grave.

Le jugement qui a condamné la société Naturex à payer à M. [B] les sommes de 23 220,00 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis, 24 768,00 euros à titre de l'indemnité conventionnelle et 2 322,00 euros à titre de congés payés, non contestées en leur quantum ne serait-ce qu'à titre subsidiaire par l'employeur, sera donc confirmé.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Naturex à payer à M. [B] la somme de 2.000,00 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort

- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit et jugé que le salaire moyen de référence sur 3 mois de M. [B] est fixé à 8 626,67 euros ;

- débouté M. [B] de sa demande de prononcer la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression ;

- condamné la société Naturex à payer à M. [B] les sommes de :

23 220,00 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

24 768,00 euros à titre de l'indemnité conventionnelle ;

2 322,00 euros à titre de congés payés.

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile ;

- condamné la société Naturex à payer à M. [B] la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [B] de ses demandes concernant le non-respect du contrat de travail au retour en France et l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

- débouté la société Naturex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la société Naturex aux entiers dépens de l'instance.

- Réforme pour le surplus et statuant à nouveau des chefs réformés,

- Dit le licenciement de M. [B] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- Condamne la société Naturex à payer à M. [B] les sommes suivantes :

116.704,16 euros au titre des heures supplémentaires

58.565,84 euros au titre des sommes équivalentes à la contrepartie en repos obligatoire

17.527,00 euros au titre du rappel de congés payés y afférents

1.000,00 euros pour non-respect des durées maximales de travail et non respect des repos obligatoires

- Déboute M. [B] de ses autres demandes,

- Condamne la société Naturex à payer à M. [B] la somme de 2.000,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne la société Naturex aux dépens d'appel.