Cass. 3e civ., 17 novembre 2016, n° 15-12.136
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
SCP Boullez, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Didier et Pinet, SCP Hémery et Thomas-Raquin
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 novembre 2014), que, par un contrat du 11 mars 1999 qui a succédé à un bail commercial amiablement résilié, la Société foncière de la Roubineyre (la société Safor) a donné en location à la société So.Cam un terrain sur lequel ont été aménagés des installations sportives ; que, le 14 décembre 2010, la locataire a assigné la société Safor en reconnaissance du statut des baux commerciaux et en renouvellement du bail avec fixation du prix du bail renouvelé ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société So.Cam fait grief à l'arrêt de déclarer son action prescrite, de la déclarer occupante sans droit ni titre et de la condamner à payer à la société SAFOR une indemnité d'occupation ainsi que des dommages-intérêts, alors, selon le moyen :
1°/ que, d'une part, l'action en justice du preneur tendant à obtenir le renouvellement de son bail commercial ou, à défaut, le versement d'une indemnité d'éviction, n'étant pas une action en requalification du bail litigieux, la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce ne court à l'encontre du preneur qu'à compter du refus de renouvellement opposé par le bailleur et non à compter de la conclusion du contrat de bail ; qu'il importe peu à cet égard que le bailleur tente de s'opposer au renouvellement du bail en remettant en cause la qualification commerciale de celui-ci, l'invocation de ce moyen de défense n'ayant aucune incidence sur la nature de l'action en justice engagée par le preneur ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a elle-même relevé, par acte du 19 octobre 2010, la société So.Cam a sollicité, en application de l'article L. 145-10 du code de commerce, le renouvellement de son bail commercial ; que par lettre du 1er décembre 2010, le bailleur, la société SAFOR, s'y est opposée en prétendant que le bail litigieux ne serait pas soumis au statut des baux commerciaux ; que par acte du 14 décembre 2010, la société So.Cam a assigné la société SAFOR afin d'obtenir le renouvellement de son bail ou, à défaut, le versement d'une indemnité d'éviction, sollicitant également du juge qu'il constate que le bail litigieux était bien soumis au statut des baux commerciaux contrairement aux prétentions avancées par le bailleur ; que l'action en justice ainsi engagée par la société So.Cam n'était nullement une action tendant à la « requalification du bail » mais bien une action en renouvellement d'un bail commercial dont le bailleur tentait de contester la nature afin d'échapper à ses obligations ; qu'en retenant cependant que, du seul fait que la qualification civile ou commerciale du bail du 11 mars 1999 conditionnait le bien-fondé de l'action en justice diligentée par la société So.Cam afin d'obtenir le renouvellement de son bail, cette action constituait par conséquent une action en requalification du bail litigieux soumise à la prescription biennale courant à compter de la date de conclusion du contrat, la cour d'appel a violé les articles L. 145-2, L. 145-10 et L. 145-60 du code de commerce ;
2°/ que, d'autre part, la fraude commise par le bailleur, dans le but d'éluder le statut des baux commerciaux, suspend l'écoulement du délai de prescription biennale pendant toute la durée du bail ; qu'en l'espèce, la société So.Cam faisait expressément valoir dans ses conclusions d'appel que « le bailleur ne doit pas agir dans le but de faire échec à l'application du statut des baux commerciaux, c'est-à-dire en fraude des droits du locataire », que la volonté de la SAFOR « de soustraire le bail en question au statut des baux commerciaux est, elle, évidente » et que la société So.Cam n'a pas « eu conscience de la manoeuvre à laquelle la soumettait la SAFOR » ; qu'en ne recherchant cependant pas si, du fait de la fraude ainsi invoquée, la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce n'avait pas été suspendue pendant toute la durée du bail litigieux, la cour d'appel a en tout état de cause privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145- 60 du code de commerce, ensemble l'adage selon lequel la fraude corrompt tout ;
3°/ qu'en outre, la renonciation à un droit ne se présumant pas, le bailleur doit démontrer la volonté non équivoque du locataire de renoncer au statut des baux commerciaux ; qu'une telle volonté ne saurait résulter d'une clause dont les termes ambigus ne permettent de déterminer ni si le preneur avait connaissance de son droit à bénéficier du statut des baux commerciaux, ni s'il y a renoncé en pleine connaissance de cause ; qu'en l'espèce, le contrat de bail du 11 mars 1999, qui faisait suite à un bail dont la nature commerciale n'était pas contestée par le bailleur, se bornait à indiquer qu' « un terrain à usage de sport n'est ni à usage d'habitation, ni à usage professionnel, mais l'est à « destination spéciale », non soumis à une législation dérogatoire du droit commun (…). Il n'est pas non plus soumis à la législation des baux ruraux (…). Le bail d'un terrain de sport et notamment d'un terrain de golf n'est pas non plus un bail commercial » ; que cette clause, qui ne comportait en elle-même ni l'indication que le preneur avait droit au statut des baux commerciaux, ni celle qu'il y renonçait en pleine connaissance de cause, était d'autant plus ambiguë que le nouveau bail portait sur les mêmes locaux que ceux faisant l'objet du bail commercial antérieurement signé entre les parties, était intitulé de la même manière que ce dernier et prévoyait un loyer d'un montant de 100 000 francs HT, « augmenté d'une redevance variable valant 2 % du chiffre d'affaires HT réalisé par le preneur dans les lieux loués » ; qu'en affirmant cependant que la société So.Cam, qui avait conclu le 1er septembre 1994 un bail commercial aurait expressément renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux en concluant le 11 mars 1999 un nouveau bail contractuellement non soumis à un tel statut, sans caractériser l'existence d'une volonté claire et non équivoque de la société exposante de renoncer au statut des baux commerciaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
4°/ qu'enfin, la fraude commise lors de la conclusion d'un bail interdit en tout état de cause au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au statut des baux commerciaux ; que la société So.Cam faisait expressément valoir dans ses conclusions d'appel que « le bailleur ne doit pas agir dans le but de faire échec à l'application du statut des baux commerciaux, c'est-à-dire en fraude des droits du locataire », que la volonté de la société SAFOR « de soustraire le bail en question au statut des baux commerciaux est, elle, évidente » et que la société So.Cam n'a quant à elle pas « eu conscience de la manoeuvre à laquelle la soumettait la société SAFOR » ; qu'en retenant cependant que la société So.Cam aurait renoncé au bénéfice du statut des baux commerciaux, sans répondre aux conclusions de celle-ci qui faisait valoir que le bail du 11 mars 1999 avait été conclu en fraude de ses droits, ce qui interdisait au bailleur de se prévaloir d'une quelconque renonciation au détriment de son preneur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le contrat indiquait que le bail d'un terrain à usage de sport n'était pas un bail commercial soumis au décret du 30 septembre 1953, qu'il stipulait que les parties excluaient toute tacite reconduction et que le preneur, ne disposant pas d'un droit au maintien dans les lieux, s'obligeait à les quitter à la fin du bail, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à de simples allégations dépourvues d'offre de preuve, a pu retenir que l'action en renouvellement de ce bail supposait au préalable la requalification de celui-ci en bail commercial, ce dont elle a exactement déduit, abstraction faite d'un motif surabondant, que la demande était soumise à la prescription biennale qui courait à compter de la date de conclusion du contrat ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.