CJUE, 9e ch., 21 septembre 2023, n° C-510/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Romaqua Group SA
Défendeur :
Societatea Națională a Apelor Minerale SA, Agenția Națională pentru Resurse Minerale
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Rossi
Juge :
Mme Rodin
Avocat général :
M. Collins
Avocats :
Me Retegan, Me Tîrnoveanu
LA COUR (neuvième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci après la « Charte »), des articles 49, 102, 106 et 119 TFUE ainsi que de l’article 3 de la directive 2009/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles (JO 2009, L 164, p. 45).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Romaqua Group SA à la Societatea Națională a Apelor Minerale SA (société nationale des eaux minérales, Roumanie) (ci-après la « SNAM ») et à l’Agenția Națională pentru Resurse Minerale (Agence nationale pour les ressources minérales, Roumanie) (ci après l’« ANRM ») au sujet du rejet de sa demande tendant à obtenir l’organisation d’un appel d’offres public en vue de l’attribution de deux concessions d’exploitation d’eaux minérales.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 3 de la directive 2009/54 dispose :
« Les sources d’eaux minérales naturelles doivent être exploitées et leurs eaux conditionnées conformément à l’annexe II. »
Le droit roumain
4 L’article 40, paragraphe 1, de la Legea nr. 219 privind regimul concesiunilor (loi no 219 sur le régime des concessions), du 25 novembre 1998 (Monitorul Oficial al României, no 459 du 30 novembre 1998), dans sa version applicable aux faits au principal, disposait :
« Les biens relevant de la propriété publique ou privée de l’État, du département, de la ville ou de la commune, ainsi que les activités et les services publics d’intérêt national ou local, sont attribués directement, par un contrat de concession, à des sociétés commerciales ou compagnies nationales ou à des sociétés nationales créées par la réorganisation de régies autonomes qui ont géré ces biens, activités ou services. Le contrat de concession est conclu avec l’autorité concédante compétente pour une durée à déterminer par décision du gouvernement ou du conseil départemental ou municipal qui crée la société commerciale concernée. »
5 L’article 46 de la Legea minelor nr. 61 (loi minière no 61), du 5 mars 1998 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 113 du 16 mars 1998), prévoyait :
« 1. Les établissements publics, les compagnies nationales minières et les sociétés commerciales ne continueront à fonctionner qu’au sein des emplacements dont la gestion leur a été confiée et dans lesquels, à la date de publication de la présente loi, ils exercent des travaux autorisés d’exploration, de développement ou d’exploitation.
2. Dans un délai de 90 jours à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les établissements publics, les compagnies nationales minières et les sociétés commerciales qui exercent des activités minières achèveront la délimitation des périmètres d’exploration, de développement et d’exploitation aux fins des objectifs visés au paragraphe 1 et demanderont à l’autorité compétente de leur attribuer ces périmètres en gestion ou en concession, conformément à la présente loi. »
6 La loi minière no 61 du 5 mars 1998 a été abrogée et remplacée par la Legea minelor nr. 85 (loi minière no 85), du 18 mars 2003 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 197 du 27 mars 2003). L’article 20, paragraphe 2, de cette dernière loi, telle que modifiée et complétée ultérieurement (ci-après la « loi minière no 85/2003), énonce :
« Le titre d’exploitation est accordé pour un maximum de 20 ans, avec droit de prolongation pour des périodes successives de 5 ans. »
7 L’article 32, paragraphe 1, des Normele pentru aplicarea Legii minelor nr. 85/2003 din 14.10.2003 (règles pour l’application de la loi minière no 85/2003 du 14 octobre 2003), telles qu’approuvées par la Hotărârea Guvernului nr. 1208/2003 (décision du gouvernement no 1208/2003, Monitorul Oficial al României, partie I, no 772 du 4 novembre 2003), dispose :
« Le titulaire du titre d’exploitation peut demander la prolongation de sa durée de validité, dans la limite du périmètre accordé, en présentant à l’ANRM les documents visés à l’article 20, paragraphe 1, de la loi minière [no 85/2003]. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Au cours de l’année 1997, le gouvernement roumain a créé la SNAM pour succéder à la Regia Autonomă a Apelor Minerale din România (Régie autonome des eaux minérales de Roumanie), qui a été dissoute.
9 Au cours de l’année 1999, le même gouvernement a approuvé l’attribution directe par l’ANRM à la SNAM de la concession de l’exploitation de l’ensemble des ressources d’eau minérale exploitées en Roumanie pour une période de 20 ans.
10 Par l’arrêt no 136/2001 du 3 mai 2001, la Curtea Constituțională (Cour constitutionnelle, Roumanie) a jugé que les dispositions de l’article 40, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 219 sur le régime des concessions étaient inconstitutionnelles dans la mesure où elles imposaient aux autorités publiques locales d’attribuer directement, par un contrat de concession, les biens appartenant au secteur public ou les activités et services publics d’intérêt local à des personnes morales nommément désignées.
11 Le 19 juillet 2016, Romaqua Group a demandé à l’ANRM, d’une part, de transférer immédiatement les titres d’exploitation pour les périmètres Borsec et Stânceni (Roumanie) et, d’autre part, de ne pas renouveler, lors de leur expiration prévue pour la fin de l’année 2018, les titres précédemment attribués directement à la SNAM et d’organiser un appel d’offres public pour l’octroi de nouveaux titres.
12 L’ANRM a refusé d’accéder à ces demandes en faisant valoir, d’une part, que le transfert des titres de concession ne pourrait être effectué que par le concessionnaire (la SNAM), avec l’accord préalable du concédant (l’ANRM), conformément à l’article 24 de la loi minière no 85/2003, et que, d’autre part, l’organisation d’un appel d’offres public pour la désignation de nouvelles sociétés concessionnaires ne serait possible que si la SNAM ne demandait pas, comme elle en a la possibilité tous les cinq ans, la prolongation des titres en cours, le concédant ne pouvant pas s’opposer à une telle demande.
13 La SNAM a fait savoir de son côté qu’elle ne souhaitait pas transférer les droits et les obligations attachés à ses titres d’exploitation.
14 Par une requête enregistrée le 2 novembre 2016, Romaqua Group a demandé à la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie) de constater que le refus de l’ANRM de donner suite à sa demande était injustifié et d’ordonner à celle-ci d’organiser, à l’expiration des titres de concession, un appel d’offres public en vue d’attribuer ces concessions pour la période suivante.
15 Par jugement du 11 juin 2019, cette juridiction a rejeté le recours de Romaqua Group.
16 Romaqua Group a formé un pourvoi devant l’Înalta Curte de Casaţie şi Justiţie (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie), la juridiction de renvoi, en invoquant l’incompatibilité avec plusieurs dispositions du droit de l’Union de la réglementation nationale qui prévoit le maintien, de fait, sans limitation dans le temps, par des prorogations successives à la disposition du bénéficiaire de l’attribution directe, d’un droit exclusif octroyé à une société dont le capital est entièrement détenu par l’État.
17 Dans ces conditions, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 106, paragraphe 1, TFUE doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des réglementations nationales telles que celles en cause au principal qui maintiennent une attribution directe, initiale et non concurrentielle de titres d’exploitation de sources d’eaux minérales à une société dont le capital est entièrement détenu par l’État, par des prorogations successives et illimitées des titres exclusifs (à la disposition de la société publique) ?
2) L’article 16 de la [Charte], l’article 49 TFUE, l’article 119 TFUE et l’article 3 de la directive [2009/54] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des réglementations nationales telles que celles en cause au principal et mentionnées ci-dessus qui établissent une restriction injustifiée à la liberté d’entreprise, notamment à la liberté d’établissement ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
Sur la recevabilité
18 Selon le gouvernement roumain, il ressort de la demande de décision préjudicielle dans son ensemble que, dans sa première question, la juridiction de renvoi a entendu se référer non pas à l’article 106, paragraphe 1, TFUE pris isolément, lequel n’a d’ailleurs pas de portée autonome, mais à cet article lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, lequel interdit l’exploitation abusive d’une position dominante dans une partie substantielle du marché intérieur, si elle est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Or, la juridiction de renvoi n’aurait pas fourni à la Cour les informations indispensables pour lui permettre d’apprécier l’existence d’un tel abus de position dominante au cas d’espèce.
19 À cet égard, il convient de rappeler qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C 62/14, EU:C:2015:400, point 24, ainsi que du 7 février 2018, American Express, C 304/16, EU:C:2018:66, point 31).
20 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C 62/14, EU:C:2015:400, point 25, ainsi que du 7 février 2018, American Express C 304/16, EU:C:2018:66, point 32).
21 En l’occurrence, il est vrai que la Cour ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour apprécier si la situation de la SNAM caractérise un abus de position dominante incompatible avec l’article 102 TFUE.
22 Toutefois, il convient de relever que la première question préjudicielle ne porte pas sur la situation de la SNAM, qu’il n’entre d’ailleurs pas dans la compétence de la Cour d’apprécier dans le cadre d’une procédure préjudicielle. Il ressort, en effet, de la motivation de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi interroge, en substance, la Cour sur la question de savoir si l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation nationale applicable à cette entreprise. S’il n’appartient pas non plus à la Cour, statuant à titre préjudiciel, de se prononcer elle-même sur l’éventuelle incompatibilité de la réglementation nationale en cause au principal avec ces articles du traité FUE, elle est en revanche compétente pour les interpréter.
23 Or, il n’est pas nécessaire que la Cour dispose à cette fin d’une information complète sur la situation concrète de la SNAM.
24 Il s’ensuit que l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement roumain doit être rejetée.
Sur le fond
25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui accorde au titulaire d’un droit d’exploitation exclusif d’une source d’eau minérale la possibilité d’obtenir, sans mise en concurrence, la prolongation de son titre d’exploitation pour des périodes successives de cinq ans.
26 Au préalable, il y a lieu de rappeler que l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, n’est susceptible de s’opposer à une telle réglementation nationale que si celle-ci entre dans le champ d’application de ces deux articles.
27 À cet égard, s’agissant de l’article 106, paragraphe 1, TFUE, celui-ci fait obligation aux États membres de n’édicter ni de maintenir aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celle prévue à l’article 102 TFUE, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs.
28 À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’une mesure étatique peut être considérée comme attribuant un droit spécial ou exclusif au sens de l’article 106, paragraphe 1, TFUE lorsqu’elle confère une protection à un nombre limité d’entreprises et qu’elle est de nature à affecter substantiellement la capacité des autres entreprises à exercer l’activité économique en cause sur le même territoire, dans des conditions substantiellement équivalentes (arrêt du 27 mars 2019, Pawlak, C 545/17, EU:C:2019:260, point 43 et jurisprudence citée).
29 En l’occurrence, dès lors que, selon les indications de la juridiction de renvoi, la réglementation nationale en cause au principal confère à certaines entreprises un droit d’exploitation exclusif de sources d’eau minérale situées sur le territoire de la Roumanie, il y a lieu de considérer qu’elle entre dans le champ d’application de l’article 106, paragraphe 1, TFUE.
30 En second lieu, en ce qui concerne l’article 102 TFUE, celui-ci interdit des pratiques consistant à exploiter de manière abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.
31 Selon l’article 102 TFUE, un abus de position dominante suppose la réunion de trois conditions.
32 Premièrement, l’entreprise concernée doit occuper une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. À cet égard, il convient de rappeler qu’une entreprise peut être mise dans une telle position dominante lorsqu’elle se voit accorder des droits spéciaux ou exclusifs lui permettant de déterminer si et, le cas échéant, sous quelles conditions d’autres entreprises peuvent accéder au marché en cause et y exercer leurs activités (arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, point 38). Néanmoins, la Cour a aussi jugé que l’existence de droits spéciaux ou exclusifs n’implique pas nécessairement celle d’une position dominante sur le marché pertinent (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2007, United Pan-Europe Communications Belgium e.a., C 250/06, EU:C:2007:783, point 21). En tout état de cause, la délimitation du marché pertinent, tant du point de vue du produit ou du service concerné que du point de vue géographique, est nécessaire pour apprécier l’existence d’une position dominante (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, point 31 et jurisprudence citée). Il appartient à la juridiction de renvoi de s’acquitter d’un tel examen sur la base des éléments de fait et de droit dont elle dispose.
33 Deuxièmement, la position dominante doit être exploitée de manière abusive. Tel est le cas lorsque l’entreprise en position dominante rend plus difficile la pénétration ou le maintien sur le marché en cause de concurrents aussi efficaces en recourant à des moyens autres que ceux relevant d’une concurrence fondée sur les mérites. Notamment, elle doit s’abstenir d’utiliser sa position dominante pour s’étendre sur un autre marché autrement que par des moyens relevant d’une concurrence fondée sur les mérites. Doit être considérée comme constituant un moyen autre que ceux relevant d’une concurrence fondée sur les mérites toute pratique pour la mise en œuvre de laquelle une entreprise dominante n’a pas d’intérêt économique si ce n’est celui d’éliminer ses concurrents pour pouvoir, ensuite, relever ses prix en tirant profit de sa situation monopolistique (arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a., C 377/20, EU:C:2022:379, points 76 et 77).
34 De plus, la Cour a déjà jugé qu’un État membre enfreint les interdictions édictées à l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, lorsqu’il prend une mesure législative, réglementaire ou administrative qui crée une situation dans laquelle une entreprise publique ou une entreprise à laquelle il a conféré des droits spéciaux ou exclusifs est amenée, par le simple exercice des droits privilégiés qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle cette entreprise est amenée à commettre de tels abus (voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C 179/90, EU:C:1991:464, point 17, et du 26 octobre 2017, Balgarska energiyna borsa, C 347/16, EU:C:2017:816, point 54). À cet égard, il n’est pas nécessaire qu’un abus se produise réellement (arrêts du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, point 49, et du 17 juillet 2014, Commission/DEI, C 553/12 P, EU:C:2014:2083, point 41).
35 Troisièmement, l’abus de position dominante doit affecter le commerce entre les États membres. Cette condition ne peut être satisfaite que si, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de fait et de droit, il est possible de prévoir avec un degré de probabilité suffisant que le comportement de l’entreprise en position dominante peut exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre les États membres et cela de manière à faire craindre que la réalisation d’un marché unique entre les États membres s’en trouve entravée. Des effets purement hypothétiques que peut avoir le comportement de cette entreprise ne satisfont pas à ce critère. De même, l’effet sur les échanges intracommunautaires ne doit pas être insignifiant (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2008, MOTOE, C 49/07, EU:C:2008:376, point 39 et jurisprudence citée). Par ailleurs, le gouvernement roumain relève à juste titre que, pour établir avec certitude l’existence d’un tel effet sur le commerce entre les États membres, il est également nécessaire de déterminer au préalable le marché concerné (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 1991, Merci convenzionali porto di Genova, C 179/90, EU:C:1991:464, points 15 et 20).
36 Au vu des considérations qui précédent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui accorde au titulaire d’un droit d’exploitation exclusif de sources d’eau minérale la possibilité d’obtenir, sans mise en concurrence, la prolongation de son titre d’exploitation pour des périodes successives de cinq ans, lorsque cette réglementation conduit ce titulaire, par le simple exercice des droits privilégiés qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive sur une partie substantielle du marché intérieur ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle ledit titulaire est amené à commettre de tels abus, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier sur la base des éléments de fait et de droit dont elle dispose.
Sur la seconde question
37 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si l’article 16 de la Charte, les articles 49 et 119 TFUE ainsi que l’article 3 de la directive 2009/54 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal.
38 Au préalable, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 94, sous c), du règlement de procédure de la Cour, la demande préjudicielle doit comporter, à peine d’irrecevabilité, l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal.
39 En premier lieu, la juridiction de renvoi invoque l’article 49 TFUE sans indiquer en quoi l’interprétation de cet article pourrait être utile à la solution du litige au principal, comme l’exige l’article 94, sous c), du règlement de procédure. En outre, les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement ne trouvent pas à s’appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 20 mars 2014, Caixa d’Estalvis i Pensions de Barcelona, C 139/12, EU:C:2014:174, point 42). Or, le litige au principal, qui concerne l’exploitation de deux sources d’eau minérale situées en Roumanie et dont les parties sont deux sociétés roumaines et l’autorité roumaine compétente, ne paraît pas présenter d’élément transfrontalier justifiant qu’il puisse être rattaché à la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE. Il s’ensuit que la seconde question préjudicielle, en ce qu’elle porte sur l’interprétation de l’article 49 TFUE, est irrecevable.
40 En deuxième lieu, la juridiction de renvoi ne fournit pas davantage d’explications sur les raisons qui l’ont conduite à interroger la Cour sur l’interprétation de l’article 119 TFUE et de l’article 3 de la directive 2009/54, cette dernière n’édictant au demeurant aucune règle relative à l’octroi par les autorités nationales de titres d’exploitation des ressources d’eau minérale dans les États membres. En tant qu’elle se réfère à ces articles, la seconde question préjudicielle ne satisfait donc pas non plus aux exigences de l’article 94, sous c), du règlement de procédure et doit donc être également rejetée comme irrecevable.
41 En troisième et dernier lieu, l’invocation de l’article 16 de la Charte, qui garantit la liberté d’entreprise, n’est également assortie d’aucune explication. Partant, cette seconde question est également irrecevable en ce qu’elle porte sur l’interprétation de cet article.
42 Il résulte de tout ce qui précède que la seconde question préjudicielle est irrecevable.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
L’article 106, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 TFUE, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui accorde au titulaire d’un droit d’exploitation exclusif de sources d’eau minérale la possibilité d’obtenir, sans mise en concurrence, la prolongation de son titre d’exploitation pour des périodes successives de cinq ans, lorsque cette réglementation conduit ce titulaire, par le simple exercice des droits privilégiés qui lui ont été conférés, à exploiter sa position dominante de façon abusive sur une partie substantielle du marché intérieur ou lorsque ces droits sont susceptibles de créer une situation dans laquelle ledit titulaire est amené à commettre de tels abus, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier sur la base des éléments de fait et de droit dont elle dispose.