CJUE, 1re ch., 14 septembre 2023, n° C-27/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Volkswagen Group Italia SpA, Volkswagen Aktiengesellschaft
Défendeur :
Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, Associazione Cittadinanza Attiva Onlus
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Arabadjiev
Juges :
Me Danwitz, Me Kumin, Me Ziemele
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
Avocats :
Me Salonico, Me Brouwer, Me Sclafani
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. P. G. Xuereb (rapporteur), T. von Danwitz, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 janvier 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Volkswagen Group Italia SpA et Volkswagen Aktiengesellschaft, par Mes T. Salonico, avvocato, et O. W. Brouwer, advocaat,
– pour l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, par M. F. Sclafani, avvocato dello Stato,
– pour le Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons), par Mes G. Giuliano et C. Rienzi, avvocati,
– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman, M. A. M. de Ree et M. J. M. Hoogveld, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par MM. N. Ruiz García et A. Spina, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mars 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 (JO 2000, L 239, p. 19) (ci-après la « CAAS »), ainsi que de l’article 3, paragraphe 4, et de l’article 13, paragraphe 2, sous e), de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2005, L 149, p. 22).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Volkswagen Group Italia SpA (ci-après « VWGI ») et Volkswagen Aktiengesellschaft (ci-après « VWAG ») à l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie) (ci–après l’« AGCM ») au sujet de la décision de cette autorité d’infliger à ces sociétés une amende pour pratiques commerciales déloyales.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La CAAS
3 La CAAS a été conclue en vue d’assurer l’application de l’accord entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signé à Schengen le 14 juin 1985 (JO 2000, L 239, p. 13).
4 L’article 54 de la CAAS, figurant au chapitre 3, intitulé « Application du principe ne bis in idem », du titre III de celle-ci, lequel est intitulé « Police et sécurité », énonce :
« Une personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation. »
La directive 2005/29
5 Le considérant 10 de la directive 2005/29 énonce :
« Il est nécessaire de veiller à ce que la relation entre la présente directive et la législation communautaire existante soit cohérente, en particulier lorsque des dispositions détaillées concernant les pratiques commerciales déloyales s’appliquent à des secteurs spécifiques. [...] La présente directive ne s’applique, en conséquence, que lorsqu’il n’existe pas de dispositions communautaires spécifiques régissant des aspects particuliers des pratiques commerciales déloyales, telles que des prescriptions en matière d’information ou des règles régissant la présentation des informations au consommateur. Elle apporte une protection aux consommateurs lorsqu’il n’existe aucune législation sectorielle spécifique à l’échelon communautaire et interdit aux professionnels de donner une fausse impression de la nature des produits. Ceci est particulièrement important dans le cas de produits complexes comportant un niveau de risque élevé pour les consommateurs, comme certains produits liés à des services financiers. La présente directive complète par conséquent l’acquis communautaire applicable aux pratiques commerciales portant préjudice aux intérêts économiques des consommateurs. »
6 L’article 1er de cette directive prévoit :
« L’objectif de la présente directive est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs. »
7 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 4 :
« En cas de conflit entre les dispositions de la présente directive et d’autres règles communautaires régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s’appliquent à ces aspects spécifiques. »
8 Aux termes de l’article 13 de la même directive, intitulé « Sanctions » :
« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »
La directive (UE) 2019/2161
9 La directive (UE) 2019/2161 du Parlement européen et du Conseil, du 27 novembre 2019, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs (JO 2019, L 328, p. 7), a modifié, avec effet à compter du 28 mai 2022, l’article 13 de la directive 2005/29 comme suit :
« 1. Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces sanctions. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.
2. Les États membres veillent à ce que les critères suivants, non exhaustifs et indicatifs, soient pris en considération pour l’imposition de sanctions, le cas échéant :
a) la nature, la gravité, l’ampleur et la durée de l’infraction ;
b) toute mesure prise par le professionnel pour atténuer ou réparer les dommages subis par les consommateurs ;
c) les éventuelles infractions antérieures commises par le professionnel ;
d) les avantages financiers obtenus ou les pertes évitées par le professionnel du fait de l’infraction, si les données concernées sont disponibles ;
e) les sanctions infligées au professionnel pour la même infraction dans d’autres États membres dans les affaires transfrontalières pour lesquelles les informations relatives à ces sanctions sont disponibles grâce au mécanisme établi par le règlement (UE) 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil[, du 12 décembre 2017, sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs et abrogeant le règlement (CE) no 2006/2004 (JO 2017, L 345, p. 1)] ;
f) toute autre circonstance aggravante ou atténuante applicable au cas concerné.
3. Les États membres veillent à ce que lorsque des sanctions doivent être imposées conformément à l’article 21 du règlement (UE) 2017/2394, elles comprennent la possibilité soit d’infliger des amendes au moyen de procédures administratives, soit d’engager des procédures judiciaires en vue d’infliger des amendes, ou les deux, le montant maximal de ces amendes correspondant à au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel du professionnel dans l’État membre ou les États membres concernés. [...]
[...] »
Le droit italien
10 L’article 20, paragraphe 1, du decreto legislativo n. 206 – Codice del consumo, a norma dell’articolo 7 della legge 29 luglio 2003, no 229 (décret législatif no 206, portant code de la consommation en vertu de l’article 7 de la loi no 229, du 29 juillet 2003), du 6 septembre 2005 (supplément ordinaire à la GURI no 235, du 8 octobre 2005), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code de la consommation »), prévoit que les pratiques commerciales déloyales sont interdites.
11 L’article 20, paragraphe 2, du code de la consommation dispose :
« Une pratique commerciale est déloyale si elle est contraire à la diligence professionnelle, et elle altère ou est susceptible d'altérer dans une mesure appréciable le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse ou bien du membre moyen du groupe lorsqu'une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs. »
12 Selon l’article 20, paragraphe 4, de ce code, constituent, notamment, des pratiques commerciales déloyales, les pratiques trompeuses visées aux articles 21 à 23 dudit code et les pratiques agressives visées aux articles 24 à 26 du même code.
13 L’article 21, paragraphe 1, du code de la consommation énonce :
« Une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations ne correspondant pas à la réalité ou si, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen, même si les informations présentées sont factuellement correctes, en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects ci–après, et si, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement :
[...]
b) les caractéristiques principales du produit, telles que sa disponibilité, ses avantages, les risques qu’il présente, son exécution, sa composition, ses accessoires, le service après–vente et le traitement des réclamations, le mode et la date de fabrication ou de prestation, sa livraison, son aptitude à l’usage, son utilisation, sa quantité, ses spécifications, son origine géographique ou commerciale ou les résultats qui peuvent être attendus de son utilisation, ou les résultats et les caractéristiques essentielles des tests et contrôles effectués sur le produit ;
[...] »
14 L’article 23, paragraphe 1, sous d), de ce code est libellé comme suit :
« Les pratiques commerciales suivantes sont réputées trompeuses en toutes circonstances :
[...]
d) affirmer, contrairement à la réalité, qu’un professionnel, ses pratiques commerciales ou l’un de ses produits ont été agréés, autorisés ou approuvés par un organisme public ou privé ou que les conditions de l’agrément, de l’autorisation, ou de l’approbation reçue ont été respectées ».
15 L’article 27, paragraphe 9, dudit code prévoit :
« Par la mesure interdisant la pratique commerciale déloyale, l’[AGCM] impose en outre l’application d’une amende administrative pécuniaire pouvant aller de 5 000 euros à 5 000 000 euros, selon la gravité et la durée de l’infraction. En cas de pratiques commerciales déloyales au sens de l’article 21, paragraphes 3 et 4, la sanction ne peut être inférieure à 50 000 euros. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 Par une décision du 4 août 2016 (ci-après la « décision litigieuse »), l’AGCM a infligé solidairement à VWGI et à VWAG une amende d’un montant de cinq millions d’euros pour avoir mis en œuvre des pratiques commerciales déloyales, au sens de l’article 20, paragraphe 2, de l’article 21, paragraphe 1, sous b), et de l’article 23, paragraphe 1, sous d), du code de la consommation.
17 Ces pratiques commerciales déloyales concernaient la commercialisation en Italie, à partir de l’année 2009, de véhicules diesel dans lesquels avait été installé un logiciel permettant de fausser la mesure des niveaux d’émission d’oxydes d’azote (NOx) de ceux-ci lors des essais de contrôle des émissions polluantes dans le cadre de la procédure dite de « réception par type », par laquelle une autorité compétente en matière de réception certifie qu’un type de véhicule satisfait aux dispositions administratives et aux prescriptions techniques applicables. En outre, il était reproché à VWGI et à VWAG d’avoir diffusé des messages promotionnels qui, en dépit de l’installation dudit logiciel, contenaient des informations relatives, d’une part, à l’attention prétendument portée par ces sociétés au niveau des émissions polluantes et, d’autre part, à la prétendue conformité des véhicules en question aux normes légales en matière d’émissions.
18 VWGI et VWAG ont formé un recours contre la décision litigieuse devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie).
19 Alors que ce recours était pendant devant cette juridiction, le parquet de Braunschweig (Allemagne) (ci-après le « parquet allemand ») a, par décision du 13 juin 2018 (ci-après la « décision allemande »), infligé à VWAG une amende d’un montant d’un milliard d’euros, en raison de la mise en place d’une procédure ayant pour objet la manipulation des gaz d’échappement de certains moteurs diesel du groupe Volkswagen pour lesquels des enquêtes avaient fait apparaître que les normes en matière d’émissions avaient été contournées. Cette décision spécifiait qu’une partie de ce montant, correspondant à une somme de 5 millions d’euros, sanctionnait le comportement visé par ladite décision et que le reste dudit montant était censé priver VWAG de l’avantage économique qu’elle avait tiré de l’installation du logiciel visé au point 17 du présent arrêt.
20 La décision allemande était fondée sur le constat que VWAG avait violé les dispositions de l’Ordnungswidrigkeitengesetz (loi relative aux infractions administratives) qui sanctionnent le manquement, par négligence, au devoir de surveillance dans les activités des entreprises, en ce qui concerne le développement du logiciel visé au point 17 du présent arrêt et l’installation de ce logiciel sur 10,7 millions de véhicules vendus dans le monde entier, dont environ 700 000 véhicules en Italie, ce logiciel devant être considéré comme constituant un dispositif d’invalidation interdit par l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1).
21 Il ressort de cette décision que le parquet allemand a également constaté que l’absence de surveillance du développement et de l’installation dudit logiciel était l’une des causes ayant concouru à d’autres violations commises au niveau mondial par VWAG entre l’année 2007 et l’année 2015, en ce qui concerne la demande de réception, la promotion des véhicules et leur vente au détail, en raison notamment du fait que ces véhicules, en dépit de la présence en leur sein du même logiciel interdit, avaient été présentés au public comme étant des véhicules dotés d’une technologie diesel écologique, c’est-à-dire comme étant des véhicules à émissions particulièrement faibles.
22 La décision allemande est devenue définitive le 13 juin 2018, VWAG ayant payé l’amende qui y était prévue et ayant formellement renoncé à former un recours contre cette décision.
23 Dans le cadre de la procédure pendante devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium), VWGI et VWAG ont, notamment, invoqué l’illégalité, intervenue postérieurement, de la décision litigieuse pour violation du principe ne bis in idem visé à l’article 50 de la Charte et à l’article 54 de la CAAS.
24 Par jugement du 3 avril 2019, cette juridiction a rejeté le recours formé par VWGI et VWAG, au motif, notamment, que le principe ne bis in idem ne s’opposerait pas au maintien de l’amende prévue par la décision litigieuse.
25 VWGI et VWAG ont interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), la juridiction de renvoi.
26 La juridiction de renvoi considère que la question de savoir si le principe ne bis in idem s’applique en l’occurrence doit être tranchée à titre liminaire.
27 Elle rappelle, à cet égard, qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, et notamment de son arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a. (C 537/16, EU:C:2018:193, point 63), que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet de poursuivre une procédure de sanction administrative pécuniaire de nature pénale contre une personne en raison d’agissements illicites constitutifs de manipulations de marché pour lesquels une condamnation pénale définitive a déjà été prononcée contre elle, dans la mesure où cette condamnation est, compte tenu du préjudice causé à la société par l’infraction commise, de nature à réprimer cette infraction de manière effective, proportionnée et dissuasive.
28 S’agissant, en premier lieu, de la sanction infligée par la décision litigieuse, la juridiction de renvoi s’interroge sur sa qualification. Elle estime que cette sanction peut être qualifiée de sanction administrative pécuniaire de nature pénale. Il ressortirait, en effet, de la jurisprudence de la Cour qu’une sanction administrative est pourvue d’une telle nature lorsque, comme cela serait le cas en l’occurrence, elle a non seulement pour objet de réparer le préjudice causé par l’infraction mais a également une finalité répressive.
29 En deuxième lieu, après avoir rappelé la jurisprudence de la Cour relative au principe ne bis in idem, la juridiction de renvoi indique que ce principe vise à prévenir qu’une entreprise soit condamnée ou poursuivie une nouvelle fois, ce qui suppose que cette entreprise a été condamnée ou déclarée non responsable par une décision antérieure qui n’est plus susceptible de recours. À cet égard, s’agissant de la question de savoir si la décision litigieuse et la décision allemande concernent les mêmes faits, la juridiction de renvoi fait mention de la « similitude, sinon [de] l’identité » ainsi que du « caractère analogue » des comportements visés par ces deux décisions.
30 La juridiction de renvoi souligne également qu’il y a lieu de prendre en compte le fait que, bien que la sanction prévue par la décision litigieuse ait été imposée avant la sanction prévue par la décision allemande, cette dernière serait devenue définitive avant la première.
31 En troisième et dernier lieu, la juridiction de renvoi rappelle qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’une limitation de l’application du principe ne bis in idem garanti à l’article 50 de la Charte peut être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci. Elle estime donc que se pose également la question de savoir si les dispositions du code de la consommation appliquées dans la décision litigieuse, qui transposent la directive 2005/29 et qui visent à protéger le consommateur, peuvent être pertinentes au regard de cet article 52.
32 La juridiction de renvoi rappelle à cet égard que, selon cette jurisprudence, d’éventuelles limitations de l’article 50 de la Charte ne sont permises que si elles répondent à un certain nombre de conditions. En particulier, de telles limitations devraient tendre vers un objectif d’intérêt général de nature à justifier le cumul des sanctions, être prévues par des règles claires et précises, assurer une coordination entre les procédures et respecter le principe de proportionnalité de la peine. Or, il semblerait que, en l’occurrence, il n’y ait pas de règle claire et certaine qui rendrait prévisible le cumul des sanctions, qu’aucune coordination ne soit prévue entre les procédures en cause et que la sanction maximale ait été infligée dans le cadre de ces procédures.
33 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les sanctions infligées en matière de pratiques commerciales déloyales, en vertu de la réglementation nationale transposant la directive [2005/29], peuvent–elles être qualifiées de sanctions administratives de nature pénale ?
2) L’article 50 de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet de confirmer, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, et de rendre définitive une sanction administrative pécuniaire de nature pénale à l’égard d’une personne morale en raison d’agissements illicites constitutifs de pratiques commerciales déloyales, pour lesquels une condamnation pénale définitive a déjà été prononcée entre-temps à son encontre dans un autre État membre, lorsque la seconde condamnation est devenue définitive avant le passage en force de chose jugée d’une décision sur le recours juridictionnel formé contre la première sanction administrative pécuniaire de nature pénale ?
3) Les dispositions de la directive 2005/29, et en particulier l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de celle-ci, peuvent-elles justifier une dérogation au principe “ne bis in idem” énoncé à l’article 50 de la [Charte] et à l’article 54 de la [CAAS] ? »
Sur la compétence de la Cour et la recevabilité des questions préjudicielles
34 L’AGCM fait valoir que les questions préjudicielles doivent être rejetées comme étant irrecevables dès lors qu’elles ne seraient pas utiles aux fins de la résolution du litige au principal. D’une part, l’article 50 de la Charte et l’article 54 de la CAAS ne seraient pas applicables en l’occurrence dès lors que la législation allemande relative à la responsabilité des personnes morales, sur la base de laquelle la décision allemande a été adoptée, ne découlerait pas du droit de l’Union. D’autre part, tandis que le principe ne bis in idem interdit le cumul de poursuites et de sanctions pour les mêmes faits, l’identité des faits serait, en l’occurrence, inexistante, étant donné que la décision litigieuse et la décision allemande viseraient des personnes et des comportements différents. En tout état de cause, l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2005/29 exclurait une telle identité.
35 S’agissant du premier de ces arguments, qui a trait, en réalité, à la compétence de la Cour pour statuer sur la demande de décision préjudicielle, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, premier alinéa, TFUE que la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation du droit de l’Union ou sur la validité des actes pris par les institutions de l’Union (arrêt du 10 mars 2021, Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N., C 949/19, EU:C:2021:186, point 23).
36 En ce qui concerne, premièrement, l’interprétation de l’article 50 de la Charte, il importe de rappeler que le champ d’application de celle-ci, pour ce qui est de l’action des États membres, est défini à l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci, aux termes duquel les dispositions de la Charte s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, cette disposition confirmant la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en-dehors de celles-ci (arrêt du 23 mars 2023, Dual Prod, C 412/21, EU:C:2023:234, point 22 et jurisprudence citée). Lorsque, en revanche, une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence (arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C 617/10, EU:C:2013:105, point 22).
37 En l’occurrence, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que la décision litigieuse a été adoptée sur le fondement de la législation italienne transposant la directive 2005/29 et constitue donc une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. Il s’ensuit que la Charte a vocation à s’appliquer au litige au principal.
38 Deuxièmement, s’agissant de l’interprétation de l’article 54 de la CAAS, il importe de rappeler que la CAAS fait partie intégrante du droit de l’Union en vertu du protocole (n° 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne, annexé au traité de Lisbonne (JO 2010, C 83, p. 290) (arrêt du 10 mars 2021, Konsul Rzeczypospolitej Polskiej w N., C 949/19, EU:C:2021:186, point 24).
39 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour statuer sur la demande de décision préjudicielle.
40 S’agissant du second des arguments mentionnés au point 34 du présent arrêt, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas d’éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 6 octobre 2022, Contship Italia, C 433/21 et C 434/21, EU:C:2022:760, point 24 ainsi que jurisprudence citée).
41 En l’occurrence, l’AGCM n’a pas démontré que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union par la juridiction de renvoi, dans le cadre de ses questions préjudicielles, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou concerne un problème de nature hypothétique. Certes, il incombe à cette juridiction de vérifier si la décision litigieuse et la décision allemande concernent les mêmes faits et les mêmes personnes. Cela étant, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, ladite juridiction estime qu’il y a une « similitude, sinon [une] identité » des comportements visés par la décision litigieuse et la décision allemande. Par ailleurs, cette même juridiction vise, par sa deuxième question, une situation dans laquelle une personne morale fait l’objet de sanctions de nature pénale pour les mêmes faits dans le cadre de deux procédures distinctes. Ainsi, il semble que la juridiction de renvoi considère que, en l’occurrence, cette personne est poursuivie et sanctionnée pour la même infraction.
42 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les questions préjudicielles sont recevables.
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
43 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une amende administrative pécuniaire prévue par la réglementation nationale, infligée à une société par l’autorité nationale compétente en matière de protection des consommateurs, pour des pratiques commerciales déloyales, bien que qualifiée de sanction administrative par cette réglementation, constitue une sanction pénale, au sens de cette disposition.
44 L’article 50 de la Charte dispose que « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ainsi, le principe ne bis in idem interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale, au sens de cet article, pour les mêmes faits et contre une même personne (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 24 et jurisprudence citée).
45 En ce qui concerne l’appréciation de la nature pénale des poursuites et des sanctions en cause au principal, il ressort de la jurisprudence que trois critères sont pertinents dans le cadre de cette appréciation. Le premier est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le deuxième la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C 97/21, EU:C:2023:371, point 38 et jurisprudence citée).
46 S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière de ces critères, si les poursuites et les sanctions pénales et administratives en cause au principal présentent une nature pénale, au sens de l’article 50 de la Charte, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut toutefois apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation (arrêt du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a., C 537/16, EU:C:2018:193, point 29 ainsi que jurisprudence citée).
47 En l’occurrence, s’agissant du premier critère, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation, la sanction et la procédure conduisant à l’imposition d’une telle sanction sont qualifiées d’administratives.
48 Néanmoins, l’application de l’article 50 de la Charte ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant une nature pénale sur le fondement des deux autres critères visés au point 45 du présent arrêt (arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C 97/21, EU:C:2023:371, point 41 et jurisprudence citée).
49 S’agissant du deuxième critère, relatif à la nature même de l’infraction, il implique de vérifier que la sanction en cause poursuit, notamment, une finalité répressive, sans égard à la circonstance qu’elle poursuive également une finalité préventive. En effet, il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale (arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C 97/21, EU:C:2023:371, point 42).
50 En l’occurrence, il semble ressortir du libellé de l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation que la sanction que cette disposition prévoit s’ajoute, de manière obligatoire, aux autres mesures que l’AGCM peut prendre à l’égard de pratiques commerciales déloyales et qui comprennent notamment, ainsi que le gouvernement italien l’a relevé dans ses observations écrites, l’interdiction de poursuivre ou de répéter les pratiques en cause.
51 Bien que, dans ses observations écrites, ce gouvernement fasse valoir que la répression de pratiques commerciales déloyales est garantie par cette interdiction et que, en conséquence, la sanction prévue à l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation viserait non pas à réprimer un comportement illégal mais à priver l’entreprise concernée de l’avantage concurrentiel indu qu’elle a acquis du fait de son comportement fautif à l’égard des consommateurs, il convient de relever que ce but éventuel n’est aucunement mentionné dans la disposition en cause.
52 En outre, si le but de cette disposition était de priver l’entreprise concernée de l’avantage concurrentiel indu, il n’en reste pas moins que l’amende varie selon la gravité et la durée de l’infraction en cause, ce qui atteste d’une certaine gradation et progressivité dans la détermination des sanctions qui peuvent être infligées. Par ailleurs, si tel était le but de cette même disposition, le fait que celle-ci semble prévoir que l’amende pourrait atteindre un montant maximal de cinq millions d’euros serait susceptible d’avoir pour conséquence que ce but n’est pas atteint lorsque l’avantage concurrentiel indu dépasse ce montant. À l’inverse, le fait qu’il semble que, selon l’article 27, paragraphe 9, seconde phrase, du code de la consommation, le montant de l’amende ne puisse être inférieur à 50 000 euros en ce qui concerne certaines pratiques commerciales déloyales signifierait que l’amende est, pour ces pratiques, susceptible de dépasser le montant de l’avantage concurrentiel indu.
53 En ce qui concerne le troisième critère, à savoir le degré de sévérité des mesures en cause au principal, il convient de rappeler que le degré de sévérité est apprécié en fonction de la peine maximale prévue par les dispositions pertinentes (arrêt du 4 mai 2023, MV – 98, C 97/21, EU:C:2023:371, point 46).
54 À cet égard, il suffit de relever qu’une sanction administrative pécuniaire pouvant atteindre un montant de cinq millions d’euros présente un degré de sévérité élevé qui est susceptible de conforter l’analyse selon laquelle cette sanction est de nature pénale, au sens de l’article 50 de la Charte.
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’une amende administrative pécuniaire prévue par la réglementation nationale, infligée à une société par l’autorité nationale compétente en matière de protection des consommateurs, pour des pratiques commerciales déloyales, bien que qualifiée de sanction administrative par la réglementation nationale, constitue une sanction pénale, au sens de cette disposition, lorsqu’elle poursuit une finalité répressive et présente un degré de sévérité élevé.
Sur la deuxième question
56 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet le maintien d’une amende de nature pénale imposée à une personne morale pour pratiques commerciales déloyales dans le cas où cette personne a fait l’objet d’une condamnation pénale pour les mêmes faits dans un autre État membre, même si cette condamnation est postérieure à la date de la décision imposant cette amende mais est devenue définitive avant que l’arrêt sur le recours juridictionnel formé contre cette décision n’ait acquis force de chose jugée.
57 Il ressort de la jurisprudence que l’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’existe une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition « idem ») (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 28).
Sur la condition « bis »
58 En ce qui concerne la condition « bis », pour qu’une décision judiciaire puisse être regardée comme ayant définitivement statué sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire non seulement que cette décision soit devenue définitive, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 29).
59 Si, certes, l’application du principe ne bis in idem présuppose l’existence d’une décision antérieure définitive, il ne s’ensuit pas nécessairement que les décisions ultérieures auxquelles ce principe s’oppose ne puissent être que celles adoptées postérieurement à cette décision antérieure définitive. En effet, ce principe exclut que, dès lors qu’une décision définitive existe, une poursuite pénale pour les mêmes faits puisse être entamée ou maintenue.
60 En l’occurrence, d’une part, il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la décision allemande est devenue définitive le 13 juin 2018, c’est-à-dire postérieurement à la décision litigieuse. Si cette décision ne pouvait pas être invoquée pour s’opposer, au regard du principe ne bis in idem, à la procédure menée par l’AGCM et à la décision litigieuse, aussi longtemps qu’elle n’était pas devenue définitive, il en a été autrement dès lors que ladite décision est devenue définitive à un moment où la décision litigieuse ne l’était pas encore.
61 Contrairement à ce que l’AGCM fait valoir dans ses observations écrites, le fait que la décision allemande soit devenue définitive après que VWAG a payé l’amende que cette décision prévoyait et a renoncé à la contester n’est pas susceptible de remettre en cause cette appréciation. En effet, le principe ne bis in idem consacré par l’article 50 de la Charte s’applique dès lors qu’une décision de nature pénale est devenue définitive, indépendamment de la manière dont cette décision a acquis un caractère définitif.
62 D’autre part, il semble, sous réserve de vérification par cette juridiction, que cette décision ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire.
63 Dans ces conditions et sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il apparaît ainsi que la procédure aboutissant à l’adoption de la décision allemande a été clôturée par une décision définitive, au sens de la jurisprudence rappelée au point 58 du présent arrêt.
Sur la condition « idem »
64 S’agissant de la condition « idem », il découle des termes mêmes de l’article 50 de la Charte que celui-ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 31).
65 Ainsi que l’indique la juridiction de renvoi dans sa demande de décision préjudicielle, tant la décision litigieuse que la décision allemande visent la même personne morale, à savoir VWAG. Le fait que la décision litigieuse concerne, en outre, VWGI n’est pas susceptible de remettre en cause ce constat.
66 Selon une jurisprudence établie, le critère pertinent afin d’apprécier l’existence d’une même infraction est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée. Ainsi, l’article 50 de la Charte interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 33 et jurisprudence citée).
67 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualification juridique des faits en droit national et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 34 et jurisprudence citée).
68 En l’occurrence, et ainsi qu’il a déjà été relevé au point 41 du présent arrêt, la juridiction de renvoi vise, par sa deuxième question, une situation dans laquelle une personne morale fait l’objet de sanctions de nature pénale pour les mêmes faits dans le cadre de deux procédures distinctes. Il s’ensuit que cette juridiction semble considérer que, s’agissant du litige au principal, la condition « idem » est remplie.
69 Toutefois, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, et comme il a été relevé au point 29 du présent arrêt, cette juridiction fait également référence à la « similitude » et au « caractère analogue » des faits en cause.
70 À cet égard, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 66 du présent arrêt, que le principe ne bis in idem visé à l’article 50 de la Charte ne peut s’appliquer que si les faits visés par les deux procédures ou les deux sanctions en cause sont identiques. Il ne suffit donc pas que ces faits soient similaires (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 36).
71 S’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, à la lumière du point 66 du présent arrêt, si les poursuites menées par le parquet allemand et par l’AGCM ainsi que les sanctions infligées à VWAG dans la décision allemande et dans la décision litigieuse concernent les mêmes faits et, partant, la même infraction, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut toutefois apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son interprétation.
72 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, ainsi que le gouvernement néerlandais le fait dans ses observations écrites, que le relâchement dans la surveillance des activités d’une organisation établie en Allemagne, visé par la décision allemande, est un comportement qui se distingue de la commercialisation en Italie de véhicules équipés d’un dispositif d’invalidation illégal, au sens du règlement no 715/2007, et de la diffusion de publicité trompeuse dans cet État membre qui sont visés par la décision litigieuse.
73 Deuxièmement, pour autant que la décision allemande vise la commercialisation de véhicules revêtus d’un tel dispositif d’invalidation illégal, y compris en Italie, ainsi que la diffusion de messages promotionnels incorrects relatifs aux ventes de ces véhicules, il convient de rappeler que la seule circonstance qu’une autorité d’un État membre mentionne, dans une décision constatant une infraction au droit de l’Union ainsi qu’aux dispositions correspondantes du droit de cet État membre, un élément de fait se rapportant au territoire d’un autre État membre ne saurait suffire pour considérer que cet élément de fait est à l’origine des poursuites ou a été retenu par cette autorité parmi les éléments constitutifs de cette infraction. Il convient encore de vérifier si ladite autorité s’est effectivement prononcée sur ledit élément de fait afin de constater l’infraction, d’établir la responsabilité de la personne poursuivie dans cette infraction et, le cas échéant, de lui imposer une sanction, de telle sorte que ladite infraction soit à considérer comme englobant le territoire de cet autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, Nordzucker e.a., C 151/20, EU:C:2022:203, point 44).
74 Troisièmement, il ressort néanmoins de la décision allemande que les ventes de tels véhicules dans d’autres États membres, y compris la République italienne, ont été prises en compte par le parquet allemand lors du calcul de la somme de 995 millions d’euros, imposée à VWAG à titre de prélèvement sur l’avantage économique tiré de son comportement illégal.
75 Quatrièmement, le parquet allemand a explicitement indiqué, dans la décision allemande, que le principe ne bis in idem, tel que consacré dans la constitution allemande, s’opposerait à l’imposition de sanctions pénales ultérieures au groupe Volkswagen, en Allemagne, s’agissant du dispositif d’invalidation en cause et de son utilisation. En effet, selon l’avis de ce parquet, les faits visés par cette décision seraient les mêmes faits que ceux concernés par la décision litigieuse, au sens de la jurisprudence de la Cour, l’installation dudit dispositif, l’obtention de la réception ainsi que la promotion et la vente des véhicules concernés constituant un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles.
76 Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi jugerait que les faits ayant fait l’objet des deux procédures en cause au principal sont identiques, le cumul des sanctions infligées à VWAG serait constitutif d’une limitation de l’application du principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte.
77 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que le principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet le maintien d’une amende de nature pénale imposée à une personne morale pour des pratiques commerciales déloyales dans le cas où cette personne a fait l’objet d’une condamnation pénale pour les mêmes faits dans un autre État membre, même si cette condamnation est postérieure à la date de la décision imposant cette amende mais est devenue définitive avant que l’arrêt sur le recours juridictionnel formé contre cette décision n’ait acquis force de chose jugée.
Sur la troisième question
78 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande à la Cour d’interpréter l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de la directive 2005/29 ainsi que l’article 50 de la Charte et l’article 54 de la CAAS en vue de répondre à la question de savoir dans quelles conditions des limitations à l’application du principe ne bis in idem peuvent être justifiées.
79 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia, C 497/20, EU:C:2021:1037, point 42 et jurisprudence citée).
80 En l’occurrence, il y a lieu de constater que l’article 54 de la CAAS ainsi que l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de la directive 2005/29, qui sont expressément visés par la troisième question, sont dépourvus de pertinence aux fins de la résolution du litige au principal.
81 En premier lieu, il ressort de la jurisprudence que l’article 54 de la CAAS a pour but de garantir à une personne, qui a été condamnée et a purgé sa peine, ou, le cas échéant, qui a été définitivement acquittée dans un État membre, qu’elle peut se déplacer à l’intérieur de l’espace Schengen sans avoir à craindre des poursuites, pour les mêmes faits, dans un autre État membre [voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2016, Kossowski, C 486/14, EU:C:2016:483, point 45, et du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem), C 435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 78].
82 Or, cette possibilité de se déplacer librement n’étant pas en cause dans l’affaire au principal, dès lors que celle-ci concerne deux entreprises établies l’une en Allemagne et l’autre en Italie, une interprétation de l’article 54 de la CAAS n’est pas nécessaire aux fins de la résolution du litige au principal.
83 En deuxième lieu, l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2005/29 prévoit que, en cas de conflit entre les dispositions de cette directive et d’autres règles de l’Union régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s’appliquent à ces aspects spécifiques. Il ressort du libellé même de cette disposition, ainsi que du considérant 10 de la directive 2005/29, que, d’une part, cette directive ne s’applique que lorsqu’il n’existe pas de dispositions de l’Union spécifiques régissant des aspects particuliers des pratiques commerciales déloyales et, d’autre part, que cette disposition vise expressément des conflits entre des règles de l’Union et non entre des règles nationales (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Wind Tre et Vodafone Italia, C 54/17 et C 55/17, EU:C:2018:710, points 58 et 59 ainsi que jurisprudence citée).
84 Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi qu’il existe en l’occurrence un conflit entre des règles de l’Union. En tout état de cause, dès lors que l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2005/29 vise spécifiquement à éviter un cumul de procédures et de sanctions, cette disposition est sans pertinence en vue de répondre à la question de savoir dans quelles circonstances des dérogations au principe ne bis in idem sont possibles.
85 En troisième lieu, l’article 13, paragraphe 2, sous e), de cette directive n’est pas applicable ratione temporis au litige au principal, cette disposition ayant été introduite dans la directive 2005/29 par la directive 2019/2161 et n’étant applicable qu’à partir du 28 mai 2022.
86 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, dans quelles conditions des limitations de l’application du principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, peuvent être justifiées.
87 Une limitation de l’application de ce principe peut être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 40 et jurisprudence citée).
88 Conformément à la première phrase du paragraphe 1 de l’article 52 de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés. Selon la deuxième phrase dudit paragraphe, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
89 En l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, comme il paraît résulter des éléments du dossier dont dispose la Cour, l’intervention de chacune des autorités nationales concernées, dont il est soutenu qu’elle a donné lieu à un cumul de poursuites et de sanctions, était prévue par la loi.
90 Une telle possibilité de cumuler les poursuites et les sanctions respecte le contenu essentiel de l’article 50 de la Charte, à la condition que les réglementations nationales concernées ne permettent pas de poursuivre et de sanctionner les mêmes faits au titre de la même infraction ou afin de poursuivre le même objectif, mais prévoient uniquement la possibilité d’un cumul des poursuites et des sanctions au titre de réglementations différentes (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 43).
91 En ce qui concerne la question de savoir si la limitation de l’application du principe ne bis in idem répond à un objectif d’intérêt général, il y a lieu de constater que les deux réglementations nationales en cause au principal poursuivent des objectifs légitimes qui sont distincts.
92 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 88 de ses conclusions, la disposition nationale sur le fondement de laquelle la décision allemande a été adoptée vise à ce que les entreprises et leurs salariés agissent dans le respect de la loi et, de ce fait, sanctionne le manquement, par négligence, au devoir de vigilance dans le cadre d’une activité commerciale, tandis que les dispositions du code de la consommation appliquées par l’AGCM transposent la directive 2005/29, leur finalité étant d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, conformément à l’article 1er de cette directive, ainsi que de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur.
93 S’agissant du respect du principe de proportionnalité, celui-ci exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par la réglementation nationale ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 48 et jurisprudence citée).
94 À cet égard, il convient de souligner que les autorités publiques peuvent légitimement opter pour des réponses juridiques complémentaires face à certains comportements nuisibles pour la société au moyen de différentes procédures formant un tout cohérent de manière à traiter sous ses différents aspects le problème social en question, pourvu que ces réponses juridiques combinées ne représentent pas une charge excessive pour la personne en cause. Dès lors, le fait que deux procédures poursuivent des objectifs d’intérêt général distincts qu’il est légitime de protéger de manière cumulée peut être pris en compte, dans le cadre de l’analyse de la proportionnalité d’un cumul de poursuites et de sanctions, en tant que facteur tendant à justifier ce cumul, à condition que ces procédures soient complémentaires et que la charge supplémentaire que représente ledit cumul puisse être justifiée ainsi par les deux objectifs poursuivis (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 49).
95 Quant au caractère strictement nécessaire d’un tel cumul de poursuites et de sanctions, il convient d’apprécier s’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, si les deux procédures ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et si la sanction le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique a été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C 117/20, EU:C:2022:202, point 51 et jurisprudence citée).
96 Il s’ensuit qu’un cumul de procédures ou de sanctions pour les mêmes faits doit, pour être considéré comme justifié, notamment répondre à trois conditions, à savoir, premièrement, que ce cumul ne représente pas une charge excessive pour la personne en cause, deuxièmement, qu’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul et, troisièmement, que les procédures en cause ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps.
97 S’agissant de la première de ces conditions, il y a lieu de rappeler que la décision litigieuse prévoit une amende de cinq millions d’euros qui s’ajouterait à l’amende d’un milliard d’euros infligée à VWAG par la décision allemande. Eu égard au fait que VWAG a accepté cette dernière amende, il n’apparaît pas que l’amende infligée par la décision litigieuse, dont le montant correspond à seulement 0,5 % de l’amende prévue par la décision allemande, ait eu pour conséquence que le cumul de ces sanctions représente une charge excessive pour cette société. Dans ces circonstances, est dénué de pertinence le fait que, selon la juridiction de renvoi, ait été imposée la sanction maximale prévue par la législation pertinente.
98 Deuxièmement, quant à la deuxième condition, si la juridiction de renvoi n’a pas fait état de dispositions allemandes ou italiennes qui prévoiraient spécifiquement la possibilité qu’un comportement tel que celui visé par la décision litigieuse et la décision allemande, à supposer qu’il s’agisse du même comportement, puisse faire l’objet d’un cumul de procédures ou de sanctions dans des États membres différents, rien ne permet de considérer que VWAG n’aurait pas pu prévoir que ce comportement était susceptible de donner lieu à des procédures et à des sanctions dans au moins deux États membres, qui seraient fondées soit sur les règles applicables aux pratiques commerciales déloyales soit sur d’autres règles, telles que celles prévues par la loi relative aux infractions administratives, dont la clarté et la précision respectives ne semblent, au demeurant, pas avoir été remises en cause.
99 S’agissant, troisièmement, de la condition ayant trait à la coordination des procédures, mentionnée au point 96 du présent arrêt, il apparaît, eu égard également aux informations qui ont été fournies par VWAG lors de l’audience devant la Cour, qu’aucune coordination n’a eu lieu entre le parquet allemand et l’AGCM, bien que les procédures en cause semblent avoir été menées en parallèle pendant quelques mois et que, selon ces informations, le parquet allemand avait connaissance de la décision litigieuse au moment où il a adopté sa propre décision.
100 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 107 de ses conclusions, que, si le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 27 octobre 2004, relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs (« Règlement relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs ») (JO 2004, L 364, p. 1), qui a été remplacé par le règlement 2017/2394, prévoyait un mécanisme de coopération et de coordination entre les autorités nationales chargées d’appliquer la législation en matière de protection des consommateurs, le parquet allemand ne faisait pas, à la différence de l’AGCM, partie de ces autorités.
101 D’autre part, si, ainsi qu’il ressort des informations qui ont été fournies par VWAG lors de l’audience devant la Cour, le parquet allemand semble avoir entrepris des démarches auprès de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust), aux fins d’éviter un cumul de procédures pénales contre VWAG dans plusieurs États membres, s’agissant des faits visés par la décision allemande, il découle de ces informations que les autorités italiennes n’ont pas renoncé aux poursuites pénales contre cette société et que l’AGCM n’a pas pris part à cette tentative de coordination dans le cadre d’Eurojust.
102 Dans la mesure où le gouvernement italien indique, en substance, que, dans une situation telle que celle en cause au principal, il serait seulement nécessaire, pour considérer un cumul de procédures et de sanctions pour les mêmes faits comme étant justifié, de vérifier que le principe ne bis in idem est respecté dans sa « dimension matérielle », selon les termes employés par ce gouvernement, à savoir de vérifier que la sanction globale qui résulte des deux procédures en cause n’est pas manifestement disproportionnée, et ce sans qu’une coordination entre ces procédures soit nécessaire, il y a lieu de rappeler que les conditions, telles qu’elles ont été posées par la jurisprudence visée au point 95 du présent arrêt, dans lesquelles un tel cumul peut être considéré comme étant justifié, encadrent la possibilité de limiter l’application dudit principe. Par conséquent, ces conditions ne peuvent varier d’un cas à l’autre.
103 Certes, la coordination de procédures ou de sanctions concernant les mêmes faits peut s’avérer plus difficile lorsque les autorités en cause relèvent, comme en l’occurrence, d’États membres différents. S’il convient de prendre en compte les contraintes pratiques propres à un tel contexte transfrontalier, celles-ci ne sauraient justifier de relativiser ou de faire abstraction de ladite exigence, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 114 et 115 de ses conclusions.
104 Une telle coordination de procédures ou de sanctions peut être expressément organisée par le droit de l’Union, ainsi que le démontrent, bien que limités aux poursuites visant les pratiques commerciales déloyales, les systèmes de coordination qui étaient prévus par le règlement no 2006/2004 et qui le sont dorénavant par le règlement 2017/2394.
105 S’agissant du risque, évoqué par la Commission européenne dans ses observations écrites et lors de l’audience, qu’un justiciable cherche à obtenir une condamnation pénale au sein d’un État membre aux seules fins de se prémunir de poursuites et de sanctions relatives aux mêmes faits dans un autre État membre, aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet d’affirmer qu’un tel risque pourrait se matérialiser dans le cadre du litige au principal. En particulier, les circonstances qui sont mentionnées au point 97 du présent arrêt ne permettent pas de soutenir une telle allégation.
106 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il autorise la limitation de l’application du principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, de sorte à permettre un cumul de procédures ou de sanctions pour les mêmes faits, dès lors que les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, telles qu’elles sont précisées par la jurisprudence, sont remplies, à savoir, premièrement, que ce cumul ne représente pas une charge excessive pour la personne en cause, deuxièmement, qu’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul et, troisièmement, que les procédures en cause ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps.
Sur les dépens
107 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
1) L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’une amende administrative pécuniaire prévue par la réglementation nationale, infligée à une société par l’autorité nationale compétente en matière de protection des consommateurs, pour des pratiques commerciales déloyales, bien que qualifiée de sanction administrative par la réglementation nationale, constitue une sanction pénale, au sens de cette disposition, lorsqu’elle poursuit une finalité répressive et présente un degré de sévérité élevé.
2) Le principe ne bis in idem consacré à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet le maintien d’une amende de nature pénale imposée à une personne morale pour des pratiques commerciales déloyales dans le cas où cette personne a fait l’objet d’une condamnation pénale pour les mêmes faits dans un autre État membre, même si cette condamnation est postérieure à la date de la décision imposant cette amende mais est devenue définitive avant que l’arrêt sur le recours juridictionnel formé contre cette décision n’ait acquis force de chose jugée.
3) L’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens qu’il autorise la limitation de l’application du principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de cette charte, de sorte à permettre un cumul de procédures ou de sanctions pour les mêmes faits, dès lors que les conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de ladite charte, telles qu’elles sont précisées par la jurisprudence, sont remplies, à savoir, premièrement, que ce cumul ne représente pas une charge excessive pour la personne en cause, deuxièmement, qu’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul et, troisièmement, que les procédures en cause ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps.