Cass. crim., 15 novembre 2000, n° 99-86.211
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Challe
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocat :
Me Foussard
Statuant sur les pourvois formés par :
- E... Jean,
- F... Hiti,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 8 septembre 1999, qui les a condamnés, le premier, pour trafic d'influence, à 3 ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et 1 million de francs d'amende, le second, pour complicité de trafic d'influence et de corruption, à 2 ans d'emprisonnement dont 1 an avec sursis et 500 000 francs d'amende, et a prononcé à leur encontre 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I-Sur le pourvoi de Hiti F... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;
II-Sur le pourvoi de Jean E... :
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 178 ancien du Code pénal, 432-11 nouveau du Code de procédure pénale, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a ordonné la disjonction des poursuites contre Mitsuhiro B... ;
" aux motifs qu'à l'ouverture des débats devant la Cour, le conseil de Mitsuhiro B... a justifié que son client, hospitalisé à Tokyo, était dans l'impossibilité de comparaître ; que le conseil d'Alexandre A..., auquel se sont joints ses confrères, a alors sollicité le renvoi de l'affaire à une date ultérieure pour tous les prévenus ; qu'il n'a pas été fait droit à cette demande et l'affaire a été retenue contre les prévenus présents, les poursuites contre Mitsuhiro B... étant disjointes ; que cette décision est, par nature, de pure administration judiciaire ; que Mitsuhiro B..., qui n'est pas un accusateur mais un co-prévenu, a toujours, par ses déclarations, contesté l'infraction de corruption active qui lui est reprochée et, dans la logique de sa thèse, mis hors de cause les personnes auxquelles une participation à une telle manoeuvre est reprochée ; qu'il en est résulté une concordance de dénégation entre Mitsuhiro B..., Alexandre A... et Jean E... au terme d'une information au cours de laquelle chacun a pu faire valoir son point de vue et faire poser aux autres toutes les questions qui lui paraissaient utiles au soutien de sa défense ; qu'en outre, devant les premiers juges, tous les prévenus étaient présents et ont répondu aux questions qui leur étaient posées ; qu'il en résulte que la disjonction devant la Cour ne leur fait pas grief ; qu'une décision de condamnation des
prévenus corrupteurs passifs ou receleurs de corruption ne saurait préjuger de la culpabilité de Mitsuhiro B..., poursuivi pour corruption active et dont le cas a été disjoint ; que si le délit de corruption passive suppose une corruption active, il suffit pour asseoir la culpabilité des corrupteurs passifs, des complices et des receleurs, d'établir l'existence du pacte de corruption, l'identité de l'auteur de la corruption active étant indifférente ; qu'une condamnation des prévenus ne ferait en conséquence nullement obstacle à la relaxe de Mitsuhiro B... si les débats ultérieurs établissaient que les faits de corruption active émanant de la société DOH lui étaient imputés à tort ; que, de surcroît, les prévenus n'ont aucun titre à se plaindre du pré-jugement dont leur co-prévenu serait l'objet ; qu'en ordonnant la disjonction des poursuites contre Mitsuhiro B..., la Cour n'a nullement porté atteinte aux droits des prévenus et n'a méconnu ni les exigences d'un tribunal impartial ni celles d'un procès équitable telles qu'elles sont définies par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen ;
" alors que toute personne a droit à se que sa cause soit entendue équitablement ; que, notamment, le prévenu a le droit de faire auditionner des témoins ; qu'à ce titre, le prévenu doit avoir la faculté de faire auditionner un de ses co-prévenus dès lors que ce dernier peut éclairer la Cour sur l'existence des éléments constitutifs du délit ; qu'au cas d'espèce, il résulte de l'arrêt attaqué que les juges du fond ont décidé, en raison de son état de santé, de disjoindre l'instance à l'encontre de Mitsuhiro B... ; qu'à cet égard, ils ont estimé que cette mesure était une mesure de pure administration judiciaire qui ne pouvait nullement porter atteinte aux droits de la défense ; qu'en statuant ainsi, les juges du fond ont violé les textes susvisés " ;
Attendu que, pour ordonner la disjonction des poursuites à l'égard de Mitsuhiro B..., hospitalisé à Tokyo, et rejeter la demande de renvoi de l'affaire présentée notamment par l'avocat de Jean E..., la juridiction du second degré retient que le premier a toujours contesté l'infraction de corruption active qui lui est imputée et mis hors de cause les personnes auxquelles la participation à une telle manoeuvre est reprochée ; qu'il en est résulté une concordance entre les dénégations de Mitsuhiro B... et de Jean E..., au terme d'une information au cours de laquelle chacun a pu faire valoir son point de vue et faire poser aux autres toutes les questions qui lui paraissaient utiles à sa défense ;
que les juges ajoutent que tous les prévenus avaient comparu et ont répondu aux questions qui leur étaient posées et qu'ainsi la disjonction devant la cour d'appel ne leur fait pas grief ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 178 ancien du Code pénal, de l'article 432-11 du Code pénal, ensemble les articles 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean E... coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis, à 1 million de francs d'amende et à cinq ans de privation des droits civiques, civils et de famille ;
" alors que le juge correctionnel ne peut statuer que sur les faits qui lui sont déférés pour le titre de poursuite ; qu'au cas d'espèce, et aux termes de l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris du 1er juillet 1996, Jean E... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour s'être à Papeete, de décembre 1990 à mars 1991, rendu coupable de trafic d'influence ;
qu'en condamnant Jean E... pour s'être rendu coupable de trafic d'influence à Papeete et à San Francisco, les juges du fond ont excédé les limites de leur saisine et ont violé les textes susvisés " ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, contrairement à ce qui est allégué, la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable de trafic d'influence dans les termes mêmes de l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris ;
Que, dès lors, le moyen manque en fait ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 178 ancien du Code pénal, des articles 111-4 et 432-11 du Code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean E... coupable des faits qui lui étaient reprochés et, en répression, l'a condamné à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis, à 1 million de francs d'amende et à cinq ans de privation des droits civiques, civils et de famille ;
" aux motifs que l'ensemble des documents recueillis au cours de l'enquête montre qu'il était tenu par les dirigeants de DOH comme un intermédiaire essentiel pour la réussite de leur projet et il importe peu que ce pouvoir ait été réel ou supposé ; que s'il est exact qu'à l'analyse, il est établi que ses fonctions de président de l'assemblée territoriale ne lui conféraient aucune possibilité juridique d'accorder les autorisations nécessaires à la réussite du projet, il reste qu'il apparaissait clairement aux promoteurs de l'opération que celle-ci ne pouvait prospérer sans sa participation active ; qu'au-delà de son accord de principe, ils attendaient de lui un rôle actif de vaincre la résistance des opposants au projet, population locale, église et du Maire de Moorea dont les convictions sur l'opération étaient fluctuantes ; qu'ils rémunéraient un engagement et une activité allant au-delà de celle d'un homme politique qui défend ses convictions sur un projet : celle d'un président d'assemblée territoriale qui influe quotidiennement sur les orientations locales ; que, notamment, il était espéré qu'il puisse, par divers arguments, dont la proposition d'une place sur la liste des candidatures, modifier l'attitude de Pierre Y..., maire de Moorea, qui, après avoir été favorable au projet, avait évolué dans un sens défavorable qui paraissait s'expliquer plus par des considérations de politique locale que par un examen impartial de la qualité du projet ; qu'au cours de l'information et des débats, Jean E... s'est présenté comme complètement extérieur à toutes manoeuvres, conforté en cela par les déclarations de Hiti F..., qui, tout en reconnaissant sa propre participation et son acceptation de fond, n'a pas craint d'affirmer, de manière contradictoire, qu'il avait été approché par les dirigeants de DOH aussi à raison de sa proximité avec Jean E..., mais que, néanmoins, il n'en avait pas parlé à celui-ci ; que s'il prétend avoir limité ses rencontres avec les dirigeants de DOH à une rencontre protocolaire, il ne peut cependant expliquer les raisons de la procuration établie en faveur de Pierre X... pour que celui-ci le représente pour une prise de participation dans le capital social de DOH international, projet non abouti mais qui établit l'existence de liens plus étroits que ce qu'il reconnaît ; qu'il est formellement mis en cause par Pierre X... et même présenté par ce dernier comme l'un des personnages centraux dans la mesure où, à l'issue d'âpres discussions, il a été le bénéficiaire de la plus forte somme, qu'il a imposé la présence de son homme de confiance Hiti F... et a fixé les modalités de remise des fonds ; qu'en ce qui le concerne certains éléments matériels de la procédure viennent donner au crédit aux accusations de Pierre X... ; qu'il aurait reçu 300 000 dollars soit 1, 5 million de francs ;
qu'il est établi qu'il a encaissé le 15 mars 1991 un chèque d'un million de francs pacifiques provenant du compte de Hiti F... à la banque SOCREDO de Papeete ; que, pour justifier cette somme, il l'a présenté comme la participation de celui-ci à la campagne électorale comme il était demandé à tous les candidats, mais Hiti F... ne figurait pas sur les listes électorales ; que, comme il l'a été indiqué précédemment, ce dernier n'a pas été non plus en mesure de donner d'explications sérieuses et vérifiables sur la destination des fonds en numéraire retirés de son compte et de celui de Pierre X... concomitamment aux dépôts ; qu'en outre, les éléments de l'information ont montré que Jean E..., s'il avait une situation financière personnelle saine, avait cependant un train de vie supérieur à ses revenus officiels, et spécialement dans la mesure où il faisait preuve à l'égard de sa maîtresse Euliette Z..., épouse D..., d'une particulière générosité ; que le prévenu a tenté pendant longtemps de dissimuler l'existence de cette liaison ;
que s'il a ultérieurement justifié son attitude par un motif de discrétion familiale compréhensible, l'enquête a cependant montré que cette situation était notoire, au moins dans son entourage professionnel direct en raison de l'emploi occupé à l'Assemblée territoriale par son amie et des avantages de carrières dont elle avait bénéficié ; que l'intéressée a admis avoir reçu de lui environ 4 millions de francs qui lui ont permis d'acquérir deux voitures, deux maisons et deux terrains ; que tout en reconnaissant ces versements, Jean E... en a limité le montant à 2 millions de francs ; que, pour justifier ses ressources, le prévenu a, au cours de l'information, soutenu que ces fonds provenaient de sommes déposées en numéraire dans le coffre de son bureau et qui avaient été collectées plusieurs années auparavant pour la création d'un grand fond social ; que, devant la Cour, il a indiqué qu'il avait bénéficié de la générosité de ses amis ; qu'aucune de ses explications qui font appel à des mouvements de fonds anonymes et occultes n'apparaît crédible ; que la connaissance préalable de l'origine des fonds et leur perception par Jean E... en échange de son influence sont donc établis par la procédure et c'est à bon droit que les premiers juges l'ont déclaré coupable du délit de trafic d'influence prévu et puni par l'article 178 ancien du Code pénal au moment des faits et aujourd'hui par l'article 432-11 nouveau du Code pénal ;
" alors que, premièrement, aux termes d'une jurisprudence constante, le trafic d'influence suppose que le fonctionnaire, bénéficiaire des dons, soit considéré ou se présente comme un intermédiaire dont l'influence, réelle ou supposée, et de nature à faire obtenir un avantage ou une décision favorable d'une autorité publique ou d'une administration ; qu'à cet égard, les juges du fond doivent constater la qualité de l'autorité sur laquelle l'influence est censée s'exercer ; que, par ailleurs, l'autorité doit être compétente pour accorder l'avantage sollicité ; qu'au cas d'espèce, en énonçant, pour déclarer Jean E... coupable, que celui-ci avait joué de son influence pour convaincre la population locale, l'église et le maire de Moorea dont les convictions sur l'opération étaient défavorables, alors que ces différentes " autorités " n'avaient aucun pouvoir sur les décisions à prendre, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
" et alors que, deuxièmement, et en tout cas, les textes d'incrimination sont d'interprétation stricte ; qu'à cet égard, l'article 178 ancien du Code pénal, devenu aujourd'hui l'article 432-11 du Code pénal, punit seulement une influence qui serait de nature à faire obtenir un avantage ou une décision favorable d'une autorité publique ou d'une administration compétente ; qu'au cas d'espèce, en statuant comme ils l'ont fait, c'est-à-dire en condamnant Jean E... pour avoir exercé une influence sur la population locale, l'église et le maire de Moorea " autorités " qui n'avaient aucun pouvoir de décision, les juges du fond ont, en tout état de cause, violé les textes susvisés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Mitsuhiro B..., directeur de la société DOH KK Tokyo, appartenant au groupe japonais DOH, ayant projeté d'implanter sur l'île de Moorea, en Polynésie française, un complexe touristique comprenant un golf et un hôtel, a remis des fonds à Jean E..., président de l'Assemblée territoriale afin qu'il intervienne, notamment, auprès du maire de Moorea, pour obtenir plus rapidement les autorisations nécessaires à la réalisation du projet ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de trafic d'influence, la juridiction du second degré retient notamment que les dirigeants de DOH attendaient de Jean E..., influant quotidiennement sur les orientations locales en sa qualité de président de l'Assemblée territoriale, qu'il parvienne à faire changer d'attitude Pierre Y..., maire de Moorea qui, après avoir été favorable au projet, avait évolué dans un sens défavorable qui paraissait s'expliquer davantage par des considérations de politique locale que par un examen impartial de la qualité du projet ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où il résulte que l'influence de Jean E... s'est exercée sur le maire de Mooréa, autorité publique, dont l'avis, même s'il ne liait pas le Gouvernement quant à la délivrance du permis de construire, pouvait être considéré comme déterminant, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.