Livv
Décisions

CA Lyon, 4e ch., 24 octobre 2019, n° 19/00554

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Tefal (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Seguy

Avocats :

Me Geistel, Me Leclerc

TGI Annecy, ch. corr., du 4 déc. 2015

4 décembre 2015

Faits et procédure :

Le 20 décembre 2013, l'avocat de la société TEFAL SAS, filiale du groupe SEB, déposait plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance d'Annecy contre personne non dénommée pour atteinte au secret des correspondances électroniques, accès et maintien frauduleux dans un système automatisé de données et recel de secret des correspondances. Le 30 décembre 2013, il joignait à cette plainte un procès-verbal de constat d'huissier daté du 23 décembre 2013.

Cette plainte énonçait les circonstances suivantes : des documents professionnels et confidentiels émanant de A , directeur des ressources humaines du site de la société TEFAL à Rumilly (Haute-Savoie) à savoir un courriel du 4 décembre 2013, sa pièce jointe constituée par un fichier excel titre "capteurs sociaux" contenant des annotations sur le "mode de fonctionnement de l"inspectrice du travail" sur les "courriers ou visites de l'inspectrice du travail", un courriel du 26 juillet 2013 titré "les nouvelles dit front" évoquant la situation de l'inspectrice du travail ainsi que d'autres mails émis ou reçus par celui-ci avaient fait l'objet de publications.

La plainte citait en particulier les publications intervenues :

- le 3 décembre 2013 (à 8h09) sur le compte Facebook "facebook.com/inspectiondutravair titré : "'contre la casse de l'inspection du travail non à la réforme Sapin",

- le 12 décembre 2013 sur le site internet "cnt-tas.org" du syndicat Confédération Nationale du Travail et des Affaires sociales sous le titre : "le responsable de l'unité territoriale de Haute-Savoie passe l'inspectrice du travail à la casserole Tefal ?" ; dans cet article il était indiqué que le secrétariat d'une inspectrice du travail avait reçu le mail suivant d'une personne ayant gardé l'anonymat : "je suis en possession de certains documents hyper confidentiels prouvant que vous avez été victime de pression psychologique je sais que le groupe SB et la société TEFAL ont exercé via des personnes du MEDEF une pression sur votre responsable M. D. afin qu'il vous fasse taire. Je sais qu'une personne des RG dont je connais te. nom et le prénom a participé à ça" ;

- le 12 décembre 2013 à la une du journal " l'Humanité : "révélations Tefal veut briser une inspectrice du travail la direction de l'entreprise a fait pression sur le directeur départemental du travail pour écarter une inspectrice trop curieuse elle mettait en cause la gestion du site de Rumilly l'Humanité s'est procuré des documents accablants", "Tefal a mis hors jeu une inspectrice du travail".

Il était indiqué que d'autres médias, dont le site "Mediapart" le 3 février 2014, avaient ensuite continué à publier ces documents.

Le 30 décembre 2013, le parquet d'Annecy confiait l'affaire pour enquête à la gendarmerie.

En janvier 2014, la plaignante faisait procéder en présence d'un huissier de justice à la saisie de l'ensemble des disques durs des administrateurs réseaux de la SAS TEFAL.

L'examen de leur contenu était confié par la plaignante à son expert particulier, la société LEXSI, dans le cadre d'un audit de l'intégrité des postes. Ces investigations mettaient en évidence une manipulation effectuée par un administrateur réseau de l'entreprise, M , salarié de la société TEFAL, ayant porté précisément sur certains des documents qui avaient été publiés. Il était relevé en particulier qu'un fichier "capteurs sociaux septembre 2013" avait transité par son poste informatique et son téléphone professioiuiel.

L'enquête :

Selon la synthèse de l'enquête de la gendarmerie de Chambéry, elle avait confirmé que'M. avait, depuis un serveur de la société, récupéré dans la base de données informatiques des ressources humaines, des fichiers, des mails et leurs pièces jointes, les avait ensuite transmis à P , inspectrice du travail à l'unité territoriale de Haute-Savoie, sur son adresse mail professionnelle, puis que cette dernière avait transmis ces documents à des organisations syndicales.

Le 10 février 2014, R , responsable de la sécurité des systèmes informatiques du groupe SEB, confirmait aux enquêteurs que, lors des premières vérifications et recherches par mots clés sur les mails ou sur les historiques internet, un échange concernant les faits litigieux avait mis en évidence un administrateur réseau, M

Il informait les enquêteurs, le 28 février 2014, que l'expertise LEXSI avait donné un résultat mettant en cause M : "il a manipulé les fichiers "capteurs sociaux septembre 2013 xls" et "capteurs sociaux septembre 2013 xls", fichier ouvert depuis le bureau de l'intéressé depuis un dossier " private " enregistré sur support amovible.

Les 10 février 2014 et 12 mars 2014, A ,expliquait aux enquêteurs que les documents qui avaient "fuite" étaient destinés au président de la société TEFAL ainsi qu'aux DRU du groupe SEB,'I et G

Il faisait remarquer que l'inspectrice du travail P avait remis en cause ou critiqué l'accord d'entreprise sur la réduction du temps de travail conclu en 2000.

M précisait aussi que M , salarié depuis 1994 dans l'entreprise TEFAL, était administrateur réseau, en charge des différents comptes informatiques permettant l'accès aux services de messagerie ainsi que des systèmes informatiques à usage professionnel de l'entreprise et que, dans le cadre de ses fonctions, il avait connaissance de 800 mots de passe de l'entreprise.

Le 7 avril 2014. D , expert en réseau informatique et sécurité pour le groupe SEB, confirmait aussi que M avait la possibilité de se connecter à une voie de contrôle d'administration, laquelle lui permettait d'avoir accès aux boîtes mail de l'entreprise, dont celle de A

Il faisait observer que M's'était connecté sur le site du journal "l'Humanité" le jour de la publication litigieuse, le 12 décembre 2013.

Le 10 avril 2014, M était entendu sous le régime de la garde à vue.

Il confirmait qu'il était administrateur système dans l'entreprise TEFAL, qu'il disposait de droits d'accès à tous les serveurs de fichiers ; s'il contestait toutefois disposer de droits d'accès aux boîtes mails, il reconnaissait avoir récupéré les fichiers litigieux, Il contestait les avoir publiés.

Il expliquait qu'il était en conflit avec sa hiérarchie à propos du paiement d'heures supplémentaires réalisées depuis mats 2013, qu'il avait engagé une procédure prud'homale et que c'était dans ce contexte que, le 16 octobre 2013, lors d'une intervention dans le local ressources humaines, il avait trouvé dans une imprimante un document faisant état d'un projet de licenciement le concernant. Il l'avait conservé et il en citait d'ailleurs le contenu devant le tribunal correctionnel : "CR réunion du 8/10/2013 cas de M : décision de le licencier il n'y a aucun motif pour le licencier s'il va au prud'homme le risque maximum est de lui payer 30 mois de salaire creuser la piste de la mobilité lui fixer des objectifs inatténiables'".

C'était dans ce contexte, selon sa version, qu'en novembre 2013 il avait décidé de compulser les serveurs de fichiers "RUM17NT" parmi les serveurs abritant les documents partagés de la société, à la recherche d'autres documents susceptibles de le concerner. Il s'était introduit dans le répertoire du service des ressources humaines et avait découvert un document intitulé "capteurs sociaux septembre 2013" sur lequel figuraient les noms de P et du supérieur hiérarchique de cette dernière, D , ainsi que des éléments les concernant.

Il avait pris une capture écran de ce document depuis son poste informatique puis l'avait transférée sur la carte SD de son téléphone portable professionnel avant de l'effacer de son poste.

Ensuite, il avait informé l'inspectrice du travail P , d'une part, de sa découverte de documents laissant entendre que la direction de la société TEFAL exerçait sur elle des pressions par l'intermédiaire de son supérieur hiérarchique, d'autre part, de ce qu'il avait en sa possession les copies d'écran de ces documents et pouvait les lui transmettre sur sa boîte mail personnelle. Il précisait avoir appris par un délégué syndical que celte inspectrice du travail était en arrêt maladie suite à des pressions subies et il déclarait aux enquêteurs : "je savais que je n'avais plus rien à perdre, j'ai décidé de contacter l'inspectrice pour l'informer de ce qui se passait à son encontre".

Il ajoutait que, quelques jours plus tard, depuis une adresse mail qu'il avait créée pour l'occasion auprès du fournisseur d'accès La Poste, il avait envoyé un mail à P, dont il avait trouvé l'adresse mail professionnelle sur le site internet de l'inspection du travail

Selon ses déclarations, P lui avait transmis en réponse son adresse mail personnelle et, en retour, il lui avait envoyé les documents en pièce jointe M précisait aussi qu'il avait refusé de communiquer son identité à P alors que celle-ci voulait la connaître et qu'elle lui avait dit pouvoir éventuellement "le protéger" ; il expliquait plus généralement qu'ils avaient communiqué par mail sans jamais se rencontrer ni se téléphoner. Il apprenait par la suite par plusieurs collègues qu'un article paru dans le journal "l'Humanité" faisait état de ces documents. Il n'avait pas imaginé que P allait tout diffuser à la presse : en lui envoyant ces documents, son intention à lui était de l'aider alors qu'elle était en arrêt maladie pour pression psychologique.

M était licencié pour faute lourde par lettre du 24 avril 2014, aux motifs notamment de son accession à des données confidentielles et de la captation sans autorisation, de ces données, en violation de la charte informatique et du code éthique de la société, de sa manipulation des "capteurs sociaux" de septembre 2013 et d'un courrier du médecin du travail le Dr H . Selon les indications données à la cour lors de l'audience, le conseil des prud'hommes qu'il avait sais avait consacré l'existence d'une faute grave.

Le 24 juin 2014, P, entendue sous le régime de la garde à vue rappelait que depuis janvier 2012 elle était inspectrice du travail sur un secteur qui comprenait le site TEFAL. Elle évoquait les difficultés qu'elle avait rencontrées avec son supérieur, D, directeur régional adjoint de l'unité territoriale de la DIRECCTE de la Haute-Savoie, à propos du temps de travail et de la rémunération des heures supplémentaires dans l'entreprise TEFAL : elle considérait en effet que les accords d'entreprise n'étaient pas valides et elle avait demandé à la société TEFAL de se mettre en conformité avec la législation. Elle avait pris attache avec le DRII et les syndicats dont la CGC pour demander qu'un accord soit négocié à droit constant "avant qu(elle) aille plus loin dans (son) action". Le 4 avril 2013, la société TEFAL avait demandé qu'elle révise sa position ce qu'elle avait refusé. Le 18 avril 2013 D s'était alors entretenu avec elle pendant deux heures et ri demi.

P s'estimait victime d'un harcèlement moral destiné, selon elle, à la faire changer de mode de relation avec la société TEFAL. D'après elle, D lui reprochait une trop grande rigidité dans ses contrôles et exerçait sur elle une pression psychologique dans le but qu'elle révise sa position : "en résumé il m'a menacée et critiquée il m'a reproché d'être trop légaliste ou rigoureuse il m'a demandé de revenir sur la position... il m'a dit en gros je suis en fin de carrière je n'ai rien à craindre ce qui n'est pas votre cas j'ai demandé si c'était une menace il m'a dit de le prendre comme je le voulais".

Après cet entretien, le 19 avril 2013, elle avait été placée en arrêt de travail pendant un mois et demi pour harcèlement moral et trouble anxio dépressif ; elle avait repris son poste pendant un mois et demi avant d'être à nouveau placée en arrêt de travail, de mi-juin 2013 jusqu'au 4 novembre 2013, date de sa reprise à temps part iel thérapeutique (80%).

C'était dans ce contexte que fin octobre 2013, le 16 octobre 20 13 précisera-t-elle dans le procès-verbal n°06 14 02 de juin 2014 qu'elle avait rédigé, un mail était arrivé dans sa boîte professionnelle (dont elle précisera dans ce procès-verbal qu'il datait du 15 octobre 2013). Il émanait d'une perso nne dont elle ignorait l'identité, qui lui écrivait qu'elle avait des documents prouvant que TEFAL avait une implication dans sa situation actuelle. Sa secrétaire qui relevait sa boîte mail professionnelle pendant son absence pour maladie avait transféré sur sa boîte personnelle ce mail que sa secrétaire trouvait "bizarre". P laissait entendre qu'elle-même avait ultérieurement détruit ce mail.

Elle avait ensuite contacté l'expéditeur du message électronique afin qu'il lui envoie ces documents ; celui-ci les lui avait adressés. Il s'agissait des "capteurs sociaux" de janvier à avril 2013 sur fichier excel correspondant au fichier montre par les enquêteurs, d'un mail entre dirigeants évoquant son arrêt de travail, d'un mail du médecin du travail de l'entreprise TEFAL, le Dr H, alertant sur les risques psychosociaux, des mails entre A et son directeur dans lesquels ils se congratulaient, dans lesquels D remerciait son correspondant d'avoir fait entrer un stagiaire à sa demande, d'un mail entre A et Mme R , RH à Rumilly, expliquant qu'ils avaient dialogué avec un responsable du syndicat patronal l'Union de la métallurgie et qu'ils avaient évoqué le fait de faire changer de section l'inspectrice du travail.

P expliquait aux enquêteurs qu'elle avait transmis par lettre adressée au Conseil National de l'Inspection du Travail (CNIT) une version papier de tous ces documents puis un additif par message électronique, pour dénoncer une atteinte à son indépendance et qu'elle en avait transmis une copie aux syndicats SNU, CGT, CNT de la Haute-Savoie et de la région ainsi qu'aux syndicats FO, CFDT, UNSA et SUD. Elle disait qu'un article du code du travail "prévoit cela". Sa lettre de saisine du CNIT était du 29 novembre 2013 et ses mails aux syndicats des 3 et 9 décembre 2013.

Les enquêteurs relevaient à cette occasion qu'elle avait disposé des documents extraits par M dans les archives électroniques de l'entreprise TEFAL, dont le contenu des mails de A , que le premier mail avait été envoyé aux organisations syndicales le 3 décembre 2013, date des premières diffusions sur internet en particulier celle sur le compte Facebook d'un syndicat de l'inspection du travail.

P faisait observer qu'elle avait relevé par procès-verbal une infraction commise par L (président de la SAS TEFAL) et A pour obstacle à ses fonctions ainsi qu'une infraction commise par le responsable pénal de cette société pour entrave au CHSCT.

Le procès verbal n°06-14-02 du 20 juin 2014 pour entrave à l'exercice des fonctions d'un inspecteur du travail qu'elle produisait en défense devant le tribunal de grande instance et devant cette cour, porte le double constat, d'une part, de l'illégalité de l'accord d'aménagement de la durée du travail du 29 décembre 2000 de la société TEFAL et, d'autre part, de pressions exercées par la société TEFAL relayées par le responsable d'unité territoriale D

Lors de son audition par les enquêteurs, P contestait en revanche avoir diffusé ces documents sur internet : si elle avait vu le message publié sur le compte Facebook, les articles publiés par Mediapart, France 3, l'Humanité, elle ne savait pas qui avait fait ces diffusions.

Elle se justifiait dans ces termes : pour elle il s'agissait d'un "problème qui vient de TEFAL puisque c'est eux qui ont commis des infractions à l'origine pour ma part j'ai juste fait mon travail... la personne qui a dénoncé ces délits ne devrait pas être poursuivie il s'agit de quelqu'un qui est lanceur d'alerte et devrait être protégé".

Le 30 juin 2014. D était entendu par les enquêteurs. Il expliquait qu'il était en responsabilité dans le département de la Haute-Savoie depuis 2005 et que P était sous sa direction depuis le 1er décembre 2011 , Il faisait valoir que, vers mars ou avril 2012, il avait eu des retours émanant de certaines sociétés selon lesquels la façon de faire de P était un peu trop autoritaire et qu'au mois d'octobre 2012, il avait reçu un premier signalement venant de l'entreprise TEFAL, relayé par A selon lequel P avait déclaré que l'accord sur le temps de travail passé en 2000 était "nul et non avenu" puisque non conforme au droit. Il précisait que lui-même considérait la mise en conformité de l'accord comme quasiment impossible. Début avril 2013, la direction de TEFAL avait souhaité le rencontrer à ce sujet. Sur ce point, le directeur tenait à souligner qu'il était normal qu'il ait des contacts réguliers avec cette grosse entreprise de la région afin notamment d'être en mesure de renseigner le préfet sur la situation locale de l'emploi.

Lorsque les enquêteurs lui donnaient connaissance des déclarations que leur avait faites P , il les critiquait en ces termes : "imprécision et approximation". Il confirmait qu'il avait reçu P le 19 avril 2013 et qu'ensuite l'inspectrice du travail avait été en arrêt maladie mais il contestait que lors de cet entretien P avait été menacée et il invoquait le compte rendu rédigé par la directrice adjointe qui avait assisté à cet entretien. Il s'interrogeait sur la raison pour laquelle P n'avait pas transmis les éléments litigieux soit directement au procureur soit au ministère. Il relevait que les procès-verbaux dressés par P à ['encontre de la société TEFAL avait été transmis plus de neuf mois après la date à laquelle l'intéressée avait eu connaissance d'informations qu'elle considérait comme compromettantes à son égard. Il s'expliquait sur l'affectation dans l'entreprise TEFAL du stagiaire prénommé X , élève d'une école d'ingénieur et neveu de la marraine de sa fille ; il avait appelé les sociétés locales ENTREMONT et TEFAL. La première avait proposé un stage mais en Bretagne, la seconde un stage sur RUMILLY, lieu que le jeune avait choisi pour des raisons de proximité.

Plus généralement, D s'estimait intimement convaincu qu'il n'y aurait pas eu d'" affaire TEFAL" en dehors du contexte de la réforme dite "ministère fort" et que la CNT locale, les syndicats régionaux et nationaux avaient instrumentalisé cette affaire. Le 22 juillet 2014, le Conseil National de l'Inspection du Travail, que P avait saisi au visa de l'article D.8121-2 du code du travail par lettre du 29 novembre 2013 complétée le 9 décembre 2013, "suite à des actes de nature à porter directement et personnellement atteinte aux conditions d'exercice de (sa) mission", émettait après instruction un avis au terme duquel il considérait notamment que : "dans l'affaire en cause, tant l'entreprise que l'organisation patronale qu'elle a sollicitée ont cherché à porter atteinte à ces exigences (d'indépendance de l'inspection du travail) en tentant d'obtenir de l'administration (préfet) et du responsable hiérarchique le changement d'affectation de l'inspectrice et par là même la cessation de l'action de contrôle à l'égard de l'entreprise... Même si ces pressions n'ont pas été suivies d'effet il est regrettable que, dès lors qu'elles ont été rendues publiques, aucune intervention publique des autorités administratives ou de l'autorité centrale de l'inspection du travail ne soit venue les condamner et rappeler les principes de droit interne et international qui garantissent l'indépendance de l'inspection du travail, qu'il s'agisse tant des règles relatives à la mobilité géographique des inspecteurs du travail que de leur protection contre les influences extérieures indues". Il considérait également que l'intervention du responsable d'UT avait pu donner à l'inspectrice le senti ment qu'il était porté atteinte à son indépendance et à sa libre décision, que l'entretien professionnel ne répondait pas à des conditions normales, que le responsable d'UT avait reproché à tort un contrôle inopiné, que les griefs de l'entreprise mettant en cause l'impartialité de l'inspectrice du travail accusée d'avoir fait preuve d'acharnement à son encontre étaient dépourvus de fondement.

Procédure devant le tribunal correctionnel d'Annecy :

M était poursuivi devant cette juridiction pour répondre : - d'atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique, - d'accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, - de maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, au titre de ces faits et pour la période du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2013.

P était prévenue dans les termes rappelés en exergue.

A l'audience du 16 octobre 2015 du tribunal correctionnel d'ANNECY, M expliquait notamment ; "pour moi en ayant ces documents et sachant que cette personne était en maladie je me suis dit que s'il lui arrivait quelque chose c'était de la non-assistance à personne en danger".

P expliquait à propos du contexte qu'elle considérait que l'accord conclu en 2000 dans la société TEFAL était invalide, qu'à l'origine, elle avait demandé à rencontrer la directrice adjointe de l'unité territoriale, que D était arrivé et avait perdu son sang froid. Selon elle, il voulait qu'elle soit ''plus dans la compromission face aux grandes entreprises de la région" et qu'elle adapte ses méthodes à la taille de l'entreprise.

La prévenue expliquait que cet entretien s'était mal termine, que D l'avait convoquée le 19 avril 2013 et qu'ensuite elle avait été placée en arrêt de travail. Sur ce point, elle expliquait qu'elle avait souscrit une déclaration d'accident de service mais qu'elle avait ensuite appris "qu'elle n'avait pas été traitée".

Elle avait évoqué la question de la réception des documents litigieux avec sa directrice adjointe mais celle-ci ne l'avait pas crue.

P considérait que "ces documents pouvaient constater des délits d'entrave au CHSCT et à l'inspection du travail",

Elle affirmait qu'elle "ne savai(t) pas qu'ils avaient été acquis frauduleusement " et "ne savai(t) pas qui (les lui) transmettait ", déclarant au tribunal correctionnel : "j'ai pas connaissance de l'origine frauduleuse, je ne me suis pas posé la question de savoir s'ils avaient été obtenus frauduleusement, ils contenaient des éléments suides malversations dans l'entreprise", "je savais que l'expéditeur était dans la société TEFAL, j'ai pensé à quelqu'un de la direction " "Pour moi c'était un lanceur d'alerte ". Elle n'avait aucune idée de la manière dont il avait obtenu les documents.

Interrogée sur la diffusion de ces documents, elle répondait : "je ne suis pas responsable des faits des syndicats, moi je n'ai pas transmis "en extérieur", j'ai transmis au CNIT le 2 décembre par lettre puis le. 3 décembre par mail ". Elle justifiait ainsi son comportement : Je les ai utilisés pour réhabiliter ma fonction d'inspectrice du travail" : elle avait transmis ces documents aux syndicats "pour qu'ils me défendent".

Le tribunal correctionnel entendait comme témoins :

R, inspecteur du travail dans les Yvelines, qui s'exprimait sur ses relations avec D

B, inspecteur du travail et membre du syndicat SUD, qui avait aidé P à la demande de cette dernière, en avril 2013,

T, directeur général adjoint du travail dans le département de la Basse-Normandie.

Le représentant du ministère public requérait contre P une amende de 5 000 euros éventuellement assortie du sursis, précisait que la non inscription de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire était envisageable.

Par jugement entrepris du 4 décembre 2015, statuant sur l'action publique, le tribunal correctionnel d'Annecy déclarait les deux prévenus coupables des faits respectivement reprochés cl les condamnait chacun au paiement d'une amende délictuelle de 3.500 euros entièrement assortie du sursis.

Statuant sur l'action civile, il recevait les cinq constitutions de parties civiles, déclarait P responsable avec M du préjudice qu'elles avaient subi et prononçait leur condamnation solidaire à leur payer, à chacune, les sommes d'un euro de dommages-intérêts et de 2.500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

Pour motiver sa décision de condamnation à l'égard de P, le tribunal correctionnel considérait que l'élément intentionnel du recel était caractérisé dès lors qu'elle ne pouvait ignorer, tant par le contenu des mails que par l'identité des destinataires, qu'ils avaient été obtenus sans l'accord des titulaires de boîtes de messagerie d'autant plus qu'il s'agissait d'envoi anonyme. Il relevait qu'elle avait utilisé ces documents.

S'agissant de la violation du secret professionnel, les premiers juges relevaient qu'à la date de son audition par les services de la gendarmerie, P n'avait pas saisi le parquet d'un constat des infractions qu'elle aurait relevées à la lecture de ces documents, que la large diffusion litigieuse ne s'apparentait pas à l'exercice des droits de la défense ce d'autant qu'elle avait exercé ceux-ci en saisissant le CNIT, qu'elle avait fait le choix délibéré de communiquer des documents secrets. Le tribunal correctionnel relevait que le statut de lanceur d'alerte au sens de l'article L.1132-3-3 du code du travail avait été créé postérieurement, que les documents n'avaient pas été obtenus dans le cadre de l'exercice de ses fonctions, n'avaient pas été utilisés pour le strict exercice de sa défense, il n'était pas établi qu'ils constituaient un crime ou un délit.

Procédure devant la cour d'appel de Chambéry (audience du 14 septembre 2016 décision du 16 novembre 2016).

Le 8 décembre 2015, P interjetait appel principal du jugement en date du 4 décembre 2015, précisant que son appel portait sur le dispositif civil et pénal.

M avait également interjeté appel. Le 8 décembre 2015, le ministère public interjetait appel incident de la même décision.

P évoquait la demande de son supérieur, en avril 2013, de revenu sur sa position au sujet de l'accord collectif de l'entreprise TEFAL, qualifiait leur entrevue de très violente verbalement . Elle expliquait qu'elle avait été placée en arrêt de travail le lundi suivant, avait repris son poste et terminé le contrôle de l'entreprise TEFAL puis avait fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail.

Elle évoquait à nouveau ses envois au CNT et aux syndicats. Elle déclarait qu'à la lecture des documents litigieux elle avait eu "un choc" et avait "compris l'ampleur de ce qui se passait dans (son) dos" "hors toute déontologie".

P soulignait que sa confiance envers son administration et envers son directeur régional était altérée car ils n'avaient pas donné suite à sa demande de reconnaissance de son arrêt de travail comme étant consécutif à un accident de service.

Elle déclarait à nouveau qu'elle n'était pas à l'origine de la publication des documents dans la presse et faisait observer qu'elle n'était pas syndiquée. Interrogée sur ce qu'elle savait de l'origine de ces documents, elle répondait qu'elle s'était demandée qui les envoyait anonymement, qu'elle avait pensé qu'ils émanaient d'une secrétaire ou d'un cadre haut placé, qu'elle n'imaginait pas qu'ils provenaient d'un administrateur de réseau informatique. Elle considérait qu'elle ne disposait d'"aucun indice pour savoir s'ils étaient volés ".

Interrogée sur le délai de 6 mois pour rédiger un procès-verbal d'obstacle, elle répondait qu'elle avait commencé sa rédaction en janvier ou février 2014 et l'avait terminée en juin 2014, ce qu'elle considérait comme un "délai raisonnable".

A , partie civile, déclarait qu'il avait averti P que son intervention allait provoquer un conflit social lourd, raison pour laquelle il avait avisé les renseignements généraux de la situation.

La cour d'appel entendait comme témoins le directeur du travail R et le contrôleur du travail L

Le représentant du ministère public requérait la confirmation du jugement.

Par arrêt du 16 novembre 2016, la cour d'appel de Chambéry confirmait le jugement en ses dispositions pénales, sauf partiellement s'agissant de M, relaxé des poursuites pour accès frauduleux dans un système de traitement automatise de données et en ses dispositions civiles.

Procédure devant la COUR DE CASSATION :

P et M s'étaient pourvu en cassation. M s'était désisté de son pourvoi, ce dont le président de la chambre criminelle lui avait donné acte par ordonnance du 24 février 2017.

Par arrêt du 17 octobre 2018, la chambre criminelle de la Cour de Cassation annulait partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry en raison de la nécessité d'un nouvel examen de l'affaire au regard des dispositions plus favorables de l'article 7 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 ayant institué, à compter du 11 décembre 2016, une nouvelle cause d'irresponsabilité pénale au bénéfice de la personne ayant, dans certaines conditions, porté atteinte à un secret protégé par la loi (article 122-9 du code pénal).

L'annulation était limitée aux dispositions de l'arrêt concernant P les autres dispositions étant expressément maintenues.

Procédure devant la cour d'appel de renvoi :

L'affaire a été appelée à l'audience du 9 mai 2019 de la 4ème chambre correctionnelle de la cour d'appel de Lyon puis renvoyée à celle du 12 septembre 2019.

P, qui acceptait de comparaître volontairement, y maintenait sa contestation de la culpabilité, Elle expliquait que le premier message anonyme avait été reçu peu avant sa reprise du travail, qu'il ne contenait pas de documents, qu'en revanche le suivant, arrivé sur sa boîte personnelle, les contenait. Cet envoi avait été suivi d'un autre le 26 ou le 27 novembre 2013. Elle confirmait que les documents parus dans les médias correspondaient bien à ces documents, dont les "capteurs sociaux". Elle estimait qu'elle était dans l'exercice de ses fonctions lorsqu'elle avait échange depuis sa boîte mail personnelle avec cet informateur anonyme, qu'elle considérait comme un lanceur d'alerte.

P expliquait qu'elle ne faisait confiance ni à sa supérieure L qui avait assisté à l'entretien houleux avec D, ni à sa hiérarchie régionale ou nationale. Elle expliquait que, si elle n'avait pas immédiatement rédigé un procès-verbal d'obstacle, c'était parce qu'elle avait privilégié la procédure de saisine du CNIT avec l'aide de deux syndicalistes. Elle considérait que les syndicats auxquels elle avait adressé la copie de sa saisine du CNIT étaient "ceux de son ministère" et que, pour elle, ils "faisaient partie de son ministère". Elle contestait à nouveau avoir divulgué à la presse les documents litigieux. Elle soulignait que le CNIT avait bien considéré qu'elle avait subi des pressions et qu'elle avait gagné le recours contentieux qu'elle avait exercé contre le rejet de sa demande de reconnaissance de son arrêt de travail comme consécutif à un accident imputable au service.

L'avocat des parties civiles reprenait oralement ses conclusions déposées à l'audience au terme desquelles il demande à la cour de constater que P ne satisfait pas aux conditions prévues à l'article 122-9 du code pénal pour bénéficier de l'irresponsabilité pénale du lanceur d'alerte, de confirmer les dispositions civiles du jugement et, ajoutant, de condamner P à verser aux parties civiles une indemnité de 6.000 euros par application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.

L'avocat général requérait la confirmation du jugement sur la culpabilité et la peine 

Les avocats des prévenus étaient entendus en leur plaidoirie pour la défense de P et reprenaient oralement leurs conclusions sur l'action publique et sur l'action civile déposées le 12 septembre 2019, au terme desquelles ils demandaient à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de renvoyer leur cliente de l'ensemble des poursuites, de constater l'irrecevabilité des demandes formulées par les cinq parties civiles à son encontre et de les débouter intégralement de leurs demandes.

La prévenue avait la parole en dernier pour sa défense

Sur quoi

P a été citée par acte remis au parquet général. La cour lui donne acte de ce qu'elle accepte de comparaître volontairement

Interjetés dans les formes et délais prévus par la loi, les appels sont recevables.

Sur l'action publique

- 1) sur le recel

La prévenue plaide qu'elle ne doit pas être déclarée coupable de cette infraction dès lors qu'il s'agissait d'un délit de conséquence et que l'auteur de l'interception des documents litigieux qui les lui avait procurés, M , bénéficiait de la protection désormais accordée aux lanceurs d'alerte et réunissait l'ensemble des critères requis par la loi du 9 décembre 2016, dont les dispositions plus favorables sont d'application immédiate.

Elle indique, à cet égard :

- que les faits dont M avait eu connaissance étaient bien constitutifs d'un délit à savoir l'obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail au sens de l'article L.8114-1 du code du travail ou constitutifs d'une menace grave pour l'intérêt général au sens de cette loi, à savoir l'atteinte à la protection des salariés dont l'inspection du travail est garante,

- que l'intéressé avait agi de manière désintéressée, de bonne foi et de manière proportionnée en adressant un signalement à une inspectrice du travail, qu'il laissait libre de l'appréciation et de la suite à donner à son signalement,

- que l'intéressé n'avait pu effectuer ce signalement en utilisant un canal interne à l'entreprise au sens de la procédure instituée à l'article 8 de la loi de 2016, dans la mesure où il constatait précisément que sa direction était en collusion avec la hiérarchie de l'inspection du travail ainsi qu'avec le MEDEF, le préfet, les renseignements généraux et qu'il avait donc légitimement privilégié un signalement direct à une autorité administrative au sens de la même disposition de procédure, à savoir un membre de l'inspection du travail, ce d'autant qu'il dénonçait précisément une entrave à la mission d'un membre de cette administration.

- que les informations transmises étaient authentiques comme l'avait finalement

- que la divulgation n'était pas de nature à causer un préjudice considérable à l'employeur, face aux exigences de l'intérêt public,

- qu'il risquait des poursuites pénales et une peine d'emprisonnement

P conteste par ailleurs l'élément intentionnel de l'infraction en faisant valoir :

- qu'il était habituel pour un inspecteur du travail d'être contacté par des salarié; préférant conserver l'anonymat pour éviter les représailles de leur employeur,

- que ni la nature des documents ni les circonstances de leur envoi n'établissaient qu'elle avait conscience de recevoir des éléments provenant d'un délit.

Les parties civiles estiment, d'une part que, dans la mesure où l'auteur de l'infraction principale d'atteinte au secret des correspondances émises par voit électronique avait été définitivement reconnu coupable de ce délit, le receleur ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article 122-9 du code pénal et estiment d'autre part, que la situation de l'auteur de l'infraction principale ne pouvait être réexaminée au regard de la loi nouvelle, dès lorsqu'il s'était désisté de son pourvoi que sa condamnation était passée en force de chose jugée et que l'annulation prononcée par la Cour de Cassation était limitée aux seules dispositions concernant P.

Elles considèrent subsidiairement que M ne pouvait bénéficier de la cause d'irresponsabilité du lanceur d'alerte dans la mesure où il n'avait pas agi dans l'intérêt général mais expressément pour "protéger" P, où il n'avait pas agi de manière nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêt: en cause, ni conformément à la procédure de signalement puisqu'il n'avait pas adressé ['information à son supérieur hiérarchique et ne s'était pas non plus adressé à une autorité administrative en ayant envoyé l'information sur la boîte mail personnelle de F

- (a) sur l'élément matériel de l'infraction de recel

Les documents litigieux étaient constitués des fichiers intitulés "capteurs sociaux" de janvier à octobre 2013 de la société TEFAL, recensant des événements relatif aux relations sociales dans l'entreprise, évoquant la visite et le comportement de l'inspectrice du travail, évoquant un plan d'action éventuel à mettre en oeuvre à son égard, évoquant l'information communiquée sur cette question à un fonctionnaire des renseignements généraux, évoquant l'entretien qu'un représentant de la société TEFAL avait eu avec le directeur départemental du travail D' dont la société TEFAL "attend(ait) de voir si son action porte ses fruits''

A, directeur des ressources humaines du site TEFAL de Rumilly, expliquait que les "capteurs sociaux" constituaient "une veille sociale de tous le événements relatifs aux relations sociales au sens large dans l'entreprise, avec un identification des faits, leurs degrés de risque et potentiellement les plans d'action associés".

Ces documents étaient aussi constitués de messages électroniques adressés par A le 26 juillet 2013 à sa direction (L président de la SAS TEFAL et G, DRH de SEB) en leur recommandant d'être "extrêmement vigilant" à l'égard de l'inspectrice du travail.

Il s'agissait d'un message adressé par'A à R le 28 mars 2013 sur un éventuel changement de la section attribuée à cette inspectrice du travail afin que la société TEFAL ne soit plus comprise dans son périmètre d'attribution, d'une lettre du médecin du travail sur les risques psychosociaux dans cette entreprise (message du 30 avril 2013 entre le docteur H et A).

Il s'agissait aussi de mails échangés entre D et A sur l'accueil du stagiaire X

La lecture de ces documents démontre, à elle seule et sans équivoque, qu'il s'agissait de documents internes à l'entreprise TEFAL, notamment de correspondances privées échangées dans un cercle très restreint de hauts cadres à l'occasion de leur activité professionnelle, de notes et rapports périodiques destinés aux organes dirigeants de l'entreprise, portant sur le climat social de l'entreprise sur les difficultés contemporaines de gestion des ressources humaines. Le contenu de ces rapports étant à l'évidence particulièrement sensible et confidentiel dès lors qu'il touchait à la gouvernance de l'entreprise.

Ces documents, échangés entre rédacteur et destinataires par voie électronique sur des canaux de transmission électronique internes l'entreprise, sur des boîtes mail professionnelles, étaient destinés à rester secrets en dehors de ce cercle très restreint.

Ces documents étaient donc couverts par le secret des correspondances

M a été déclaré coupable de violation du secret de ces correspondances par décision devenue définitive ; il n'avait pas contesté avoir intercepté et détourné ces correspondances en s'introduisant dans un répertoire ou un système automatisé de données de l'entreprise, à la faveur de ses habilitations comme administrateur réseau, qu'il avait détournées de leurs fins.

P ne conteste pas et n'avait jamais contesté avoir détenu puis avoir adressé au CNIT ainsi qu'à sept organisations syndicales ces documents issus de la société TEFAL et dont l'enquête avait démontré qu'ils lui avaient été transmis par M

- (b) sur l'élément intentionnel du délit de recel

Comme l'avaient exactement apprécié les premiers juges, il résultait du contenu même de ces documents et des circonstances de leur remise à P la preuve que celle-ci n'ignorait pas leur origine frauduleuse

En effet, elle ne pouvait que constater, à la lecture de ces pièces, qu'il s'agissait de correspondances et de documents de travail certes à caractère professionnel mai: strictement privés et secrets.

Connaissant la société TEFAL et son personnel précisément en raison des fonctions d'inspectrice du travail qu'elle exerçait depuis plus de dix-huit mois dans cette entreprise de son secteur d'attributions, P était parfaitement en mesure de connaître les fonctions et la position hiérarchique exacte des hauts cadres et des responsables concernés par ces échanges et en tout cas était en mesure de percevoir immédiatement et d'apprécier le caractère extrêmement confidentiel du contenu de ces messages.

Vu leur contenu, vu leurs expéditeurs et leurs destinataires, ils ne pouvaient avoir été obtenus que de manière frauduleuse, sans l'accord de ceux-ci.

Les circonstances mêmes dans lesquelles ces messages avaient été portés à la connaissance de P étaient aussi de nature à la convaincre de leur origine frauduleuse : ils avaient été annexés à une série de mails anonymes ne précisant même pas que l'expéditeur était un salarié de l'entreprise TEFAL puisque, selon la citation que la prévenue faisait de ces messages d'accompagnement dans son PV de constat du 19 avril 2013 clôturé le 20 juin 2014 (messages qu'elle affirme n'avoir ensuite pas conservés), l'expéditeur précisait seulement qu'il était "lui-même victime de pression psychologique de la part de (son) employeur" mais sans qu'il identifie cet employeur.

La volonté et la détermination de ce même expéditeur à ne pas révéler son identité était constante pour P puisque, selon les propres explications de cette dernière, il n'avait pas répondu aux demandes qu'elle lui avait faites de lui révéler son identité et puisque P avait admis qu'elle n'avait connu l'identité de l'expéditeur qu'à l'occasion de l'enquête et des poursuites pénales.

Ces documents lui avaient été adressés sur une boîte mail personnelle ( @yahoo.fr) et non sur sa boîte professionnelle ([email protected]) pourtant relevée par sa secrétaire. P indiquait qu'elle avait ensuite supprimé et effacé les messages après avoir téléchargé ou enregistré les pièces jointes. Rapprochée du contenu confidentiel de ces documents, la clandestinité dont la prévenue s'était entourée en communiquant son adresse personnelle à l'expéditeur pour lui permettre de lui envoyer les documents sur une boîte personnelle et non pas sur l'adresse professionnelle au moyen de laquelle il l'avait initialement contactée, en acceptant de recevoir ces documents par une source qui voulait rester anonyme, démontre que P avait conscience de l'origine frauduleuse des documents litigieux.

La preuve des éléments constitutifs du délit est donc établie

- (c) sur l'incidence de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 appliquée à M auteur de l'infraction d'origine :

L'article 122-9 du code pénal issu de cette loi dispose que "N'est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. "

En application

- de l'article 6 de cette même loi

" un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre" ;

- de l'article 8 : "I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un réfèrent désigné par celui-ci.

En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels.

En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent 1 dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.

II. - En cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages-irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés au deuxième alinéa du I. Il peut être rendu public.

III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.

IV. - Toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte."

Ces dispositions, plus favorables et d'application immédiate, introduisent en droit pénal un fait justificatif de nature à exonérer son bénéficiaire de toute responsabilité pénale.

Il s'agit d'un fait justificatif réel et donc de nature, s'il est établi, à faire disparaître l'infraction.

Au cas présent, l'infraction d'origine a été consacrée par une décision devenue définitive à l'égard de M

Au demeurant, celui-ci ne pouvait bénéficier du fait justificatif tiré du statut du lanceur d'alerte parce qu'il n'en remplissait pas toutes les conditions cumulatives

En exergue la cour rappelle qu'il n'avait pas publié les documents litigieux ni même cherche à les rendre public, Il les avait seulement communiqués à un tiers. Il avait déclaré sur ce point lors de son audition par les enquêteurs : "jamais je n'aurai pensé que cette inspectrice allait tout diffuser dans la presse, si c'est elle qui Ta fait. Je n'ai cela que pour l'aider".

En premier heu, M ne s'était pas conformé à la procédure instituée par la loi invoquée puisqu'il n'avait pas utilisé préalablement un canal interne à l'entreprise, au sens de l'article S. S'il estimait que son supérieur hiérarchique direct ou indirect, que le directeur des ressources humaines de la société TEFAL, voire même que les DRH de SEB et du groupe SEB et le président de la SAS TEFAL étaient impliqués dans les faits qu'il entendait dénoncer, il pouvait encore s'adresser à un degré hiérarchique supérieur, la direction du groupe SEB dont la société TEFAL est une filiale.

surabondamment, en admettant que M aurait été légitimement empêché d'utiliser la voie interne compte tenu de la nature des faits dénoncés impliquant sa hiérarchie, il ne peut être considéré comme ayant utilisé une voie externe et comme ayant saisi une autorité administrative, au sens de la loi.

Certes, d'une part, le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein des personnes morales de droit public ou de droit privé ou des administrations de l'Etat n'interdit pas l'anonymat puisqu'il exige seul cm ent de F auteur du signalement qu'il fournisse les éléments permettant le cas échéant un échange avec lui et, d'autre part, la convention des Nations Unies contre la corruption, du 31 octobre 2003, permet le signalement d'infraction sous couvert de l'anonymat.

Toutefois il est constaté que l'intéressé avait tenu à adresser les documents en cause à P non pas sur une boîte mail professionnelle mais sur une boîte personnelle. Dans le message du 15 octobre 2013, que P évoquait clairement dans son procès-verbal lui-même déjà cité, c'était l'expéditeur lui-même qui lui avait demandé de lui communiquer une autre adresse mail que son adresse professionnelle ou une adresse mail anonyme.

Or cette précaution ne peut être mise sur le compte de la recherche de l'anonymat puisque la source ne s'était pas identifiée et utilisait elle-même une boîte mail dédiée.

M n'avait donc pas saisi une autorité administrative mais une personne privée.

D'ailleurs, sa volonté, exprimée lors de son audition par les services d'enquête, était d'aider à titre personnel P dont il déclarait savoir qu'elle était en arrêt maladie pour pression psychologique.

En second lieu, il ne peut être considéré que M avait agi de manière désintéressée au sens de la loi dont l'application est invoquée. A la lueur des travaux parlementaires (notamment l'intervention du rapporteur devant la commission des lois de l'Assemblée nationale le 21 septembre 2016 et le rapport devant le Sénat) la volonté du législateur est de réserver le statut à celui qui effectue une démarche dans l'intérêt général. En adressant ces documents à Laura F , M avait, en réalité, poursuivi un but exclusivement personnel dans le cadre d'un conflit qu'il l'opposait à son employeur la société TEFAL à laquelle il reprochait d'exercer des pressions psychologiques à son égard, de rejeter ou d'ignorer ses revendications en matière d'heures supplémentaires, de chercher à le licencier abusivement. Même s'il avait déclaré ne pas vouloir nuire à la société TEFAL à laquelle il "devait tout", sa démarche s'analyse en fait comme une stratégie de représailles et une défense d'intérêts personnels.

La prévenue n'est donc pas fondée à soutenir que l'infraction d'origine aurait disparu.

- 2) sur la violation du secret professionnel :

L'article 226-13 du code pénal prévoit que la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui est dépositaire, soit par état soit par profession, soit à raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

P estime que les informations et documents litigieux n'entraient pas dans le champ d'application du secret professionnel des inspecteurs du travail, tel que défini par les dispositions légales et conventionnelles, à savoir les articles :

- 15 de la convention n° 81 de l'OIT de 1947 et L. 8113-10 du code du travail (obligation limitée aux secrets de fabrication ou de commerce, aux procédés d'exploitation, aux sources des plaintes adressées),

- 26 de la loi du 13 juillet 1983 relative au statut des fonctionnaires qui institue une simple obligation de discrétion professionnelle,

- L. 6361-5 du code du travail inséré dans une section relativement uniquement au contrôle des dépenses de formation continue,

F fait également valoir que la communication des informations et documents aux syndicats "du ministère du travail" était intervenue dans le cadre de la préparation de sa défense suite à son éviction, orchestrée selon elle de concert par sa direction et une entreprise privée ; elle fait valoir, subsidiairement, qu'elle se trouvait dans un des cas où la loi imposait ou autorisait la révélation du secret professionnel, au sens de l'article 226-14 du code pénal.

Les informations à caractère secret au sens de l'article 226-13 du code pénal ne sont toutefois pas restreintes aux secrets de fabrication ou de commerce, aux procédés d'exploitation, aux sources des plaintes adressées ni aux dépenses de formation continue.

L'article 26 de la loi n°83-634 du 1983 dispose que les fonctionnaires sont tenus au secret professionnel dans le cadre des règles instituées dans le code pénal.

Les premiers juges ont exactement rappelé que, pour l'inspecteur du travail, le secret professionnel a pour objet, dans l'intérêt des personnes, de garantir la sécurité des confidences recueillies et de protéger les informations à caractère secret auxquelles il a eu accès.

Les correspondances électron mues confidentielles et les données internes de la société TEFAL, précédemment évoquées et énoncées dans la prévention, constituaient précisément des informations à caractère secret. P devait respecter ce secret.

Il a déjà été relevé que P ne conteste pas et n'avait jamais contesté avoir adressé entre les 3 décembre 2013 et 9 décembre 2013 ces documents issus de la société TEFAL et dont l'enquête avait démontré qu'ils lui avaient été transmis par M , à sept organisations syndicales qu'elle avait détaillées dans son audition par les enquêteurs, à savoir les organisations syndicales de Haute-Savoie et de la région CNT, SNU et CGT, et également les syndicats FO, CFDT, UNSA et SUD. Elle ne s'était pas bornée à informer ces organisations syndicales de la saisine du CNIT mais leur avait envoyé les pièces litigieuses.

Cette divulgation publique d'informations à caractère secret ne lui était pas imposée par la loi et n'était pas autorisée au sens de l'article 226-14 du code pénal. Si P considérait que les informations litigieuses faisaient état de la commission d'un délit pénal, les dispositions des articles 40 du code de procédure pénale, L.8112-1 et L.8113-7 du code du travail lui permettaient, et devaient même l'inciter, respectivement à porter ces informations à la connaissance du ministère public et à les relever par procès-verbal . Or l'intéressée avait employé cette voie procédurale légale et réglementaire quatre mois après la divulgation litigieuse. L'intéressée ne saurait donc prétendre, en tout cas de manière opérante, qu'elle était déchargée de toute obligation de secret au regard de la nature des informations contenues dans les documents litigieux, alors que son statut d'inspectrice du travail lui permettait de partager ce secret avec l'autorité judiciaire.

Cette divulgation publique d'informations à caractère secret n'était pas non plus légitimée par les nécessités de l'exercice des droits de sa défense dès lors que P avait, au moment de cette révélation, saisi le conseil national de l'inspection du travail de ce qu'elle considérait, au vu des mêmes documents litigieux qu'elle avait divulgués à des syndicats, comme une atteinte à son indépendance dans ses fonctions d'inspectrice du travail et comme une collusion entre sa hiérarchie et une entreprise privée et dès qu'elle n'était pas partie poursuivante ou partie poursuivie dans une procédure quelconque.

Ce Conseil, dont les attributions sont de veiller à ce que les missions des agents de contrôle de l'inspection du travail soient exercées dans les conditions garanties par deux conventions de l'Organisation Internationale du Travail et par le code du travail, la défendait contre l'attaque dont elle s'estimait victime.

Le CNIT est composé d'un conseiller d'État, d'un conseiller à la Cour de cassation, d'un inspecteur général des affaires sociales, d'un directeur régional des entreprises de la concurrence de la consommation du travail et de l'emploi, d'un inspecteur du travail et d'un contrôleur du travail.

Le fait qu'une partie de ces membres soit susceptible d'appartenir à des syndicats professionnels ne permet pas de considérer que P pouvait, sans commettre l'infraction reprochée, diffuser librement les documents litigieux à ce qu'elle qualifie de "principaux syndicats de son ministère", syndicats dont il n'est d'ailleurs pas démontré qu'ils avaient tous un membre ou un représentant au CNIT. Si les représentants de syndicats qui siègent au CNIT devaient avoir accès à ces informations, ce n'était que dans le cadre de leur participation à cette instance, par l'intermédiaire du Conseil lui-même et non pas par une voie extérieure,

Cette révélation n'avait pas été limitée au syndicat professionnel (Confédération nationale du travail) auquel appartenait F B et G qu'elle avait consultés le 15 novembre 2013 (sa pièce n°5) pour recueillir leur avis sur l'opportunité de saisir le CNIT. Mais cette révélation avait été faite sciemment à d'autres syndicats auxquels rien n'indique que P aurait confié sa défense ou aurait demandé de l'assister dans le cadre d'une procédure contentieuse fondée sur ces mêmes informations.

La circonstance qu'il s'agirait des "principaux syndicats de son ministère" est sans emport dès lors que ces syndicats ne sauraient être considérés comme une autorité administrative au sens de l'article 8 de la loi et dès lors qu'ils sont juridiquement totalement autonomes de toute administration centrale ou territoriale. Même si ces syndicats ont pour adhérents des fonctionnaires, agents et personnels du ministère du travail en charge de la défense du personnel de l'inspection du travail, ils ne peuvent être considérés comme appartenant à une administration où à un ordre professionnel et ne constituent pas un organe de recours administratif.

P leur avait remis en libre accès et sans aucune restriction les informations et documents litigieux, lesquels n'avaient pas manqué d'être encore plus largement publiés cette fois dans les médias dans les jours qui avaient suivi.

En les divulguant volontairement pendant la période de prévention à sept organisations syndicales, P avait bien commis l'infraction poursuivie.

Les éléments constitutifs de la seconde infraction reprochée à l'intéressée sont donc établis.

3) sur le bénéfice du statut de lanceur d'alerte

P estime qu'en tout état de cause ci le doit bénéficier, pour ces deux délits, de l'irresponsabilité pénale instituée par la loi du 9 décembre 2016 au profit des lanceurs d'alerte dans la mesure où :

- les faits qu'elle avait révélés cl dont elle avait eu personnellement connaissance étaient constitutifs d'un délit (le délit d'obstacle) ou pour le moins d'une menace grave pour l'intérêt général, au regard des moyens déjà invoqués en ce qui concerne

M , ce d'autant que, selon elle, les faits démontraient la détermination de la société TEFAL à stopper le contrôle dont cette entreprise faisait l'objet,

- ces informations étaient authentiques, au regard de la décision du CNIT

- elle était de bonne foi et désintéressée, c'est à dire financièrement désintéressée et elle n'attendait aucun bénéfice personnel de cette divulgation,

- au demeurant, la protection accordée au lanceur d'alerte ne saurait être restreinte à la divulgation d'information concernant exclusivement des tiers, ce qui, selon elle ne correspondait pas à l'esprit de la loi,

- elle avait privilégié la voie administrative en saisissant le CNIT plutôt qu'une dénonciation au ministère public, dans le but de défendre en priorité les intérêts de sa profession et plutôt que d'obtenir une sanction pénale et une sanction civile dan: le cadre d'une constitution de partie civile contre la société TEFAL, ce qui illustrai selon elle son désintéressement.

- elle ne s'était pas adressée aux syndicats de la société TEFAL mais aux principale: organisations syndicales du ministère du travail en charge de la défense du personnel de l'inspection du travail et auxquelles elle avait transmis la copie de sa saisine du CNIT pour l'assister dans sa défense, après avoir sollicité deux syndicalistes de la Confération Nationale du Travail pour préparer son recour: devant le CNIT

- l'alerte portant sur la collusion entre un industriel français de premier plan et un fonctionnaire d'Etat pour mettre un terme au contrôle de l'inspection du travail était nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause,

- elle avait respecté les procédures de signalement en s'adressant directement au CNIT, qu'elle qualifie tour à tour d'"autorité administrative", d'" instance consultative indépendante" puisque son supérieur hiérarchique avait précisément voulu entraver son action et puisqu'elle se serait donc mise en danger si elle s'était adressée à lui.

Les parties civiles considèrent que F ne réunit pas les conditions requises pour bénéficier du statut de lanceuse d'alerte en ce que :

- les informations divulguées n'étaient pas susceptibles de constituer un crime ou un délit, une violation d'un engagement international ou une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général, dès lors qu'aucune infraction n'avait finalement été relevée à l'encontre de la société TEFAL ou ses salariés.

- la mise en cause n'avait pas eu personnellement connaissance des informations litigieuses mais les avait reçues d'une source restée anonyme,

- elle n'avait pas respecté les procédures de signalement prévues par la loi et, en particulier, n'avait pas saisi ses supérieurs ni le procureur de la République,

- la divulgation à sept organisations syndicales n'était ni nécessaire ni proportionnée et P n'avait pas poursuivi un but d'intérêt général.

Le bénéfice de cette cause d'irresponsabilité, d'interprétation stricte est subordonnée à la réunion de critères cumulatifs :

- la divulgation doit nécessairement porter sur un secret protégé par la loi,

- la divulgation doit être nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause,

- les procédures de signalement définies par la loi doivent avoir été respectées,

- la personne doit répondre aux critères de définition du lanceur d'alerte.

Au cas présent, la procédure de signalement n'avait pas été respectée par P fonctionnaire d'une administration d'Etat, elle devait d'abord porter le signalement de l'alerte à son supérieur hiérarchique direct ou indirect.

La prévenue explique qu'elle n'avait pas effectué le signalement auprès de son supérieur hiérarchique direct. le responsable d'unité territoriale D ou son adjointe, L , dans la mesure où le premier était lui-même impliqué dans les faits qu'elle entendait signaler, où la seconde était restée inerte. Elle explique qu'elle n'avait pas non plus effectué un signalement au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi parce que celui-ci n'avait pas pris en compte sa demande de reconnaissance de l'origine professionnelle de son arrêt de travail.

La circonstance que ['intéressée entendait alerter précisément sur une collusion entre, d'une part, son supérieur et, d'autre part, une entreprise du secteur qui lui avait été attribué et qu'elle entendait, plus généralement, lancer une alerte sur une atteinte à son indépendance consécutive au comportement imputé à son supérieur territorial, pouvait effectivement la conduire à ne pas se confier à l'intéressé.

Mais celte même circonstance ne pouvait la dispenser de passer outre cette première étape. Elle n'était pas dans l'impossibilité manifeste d'agir autrement alors qu'elle pouvait saisir le directeur régional voir le directeur général du travail, autorité centrale du système d'inspection du travail, qui n'était pas mis en cause dans les faits dénoncés.

L'article 8 de la loi de 2016 énonce expressément que le procédé de la divulgation publique est à utiliser en dernier ressort à défaut de traitement par l'autorité judiciaire, l'autorité administrative ou les ordres professionnels dans un délai de trois mois. Il s'en déduit que le lanceur d'alerte doit respecter une procédure graduée.

Dès lors, même en admettant que les circonstances qu'elle invoque, à savoir une implication supposée de sa hiérarchie, aient pu conduire P à penser qu'il n'était pas raisonnable de s'attendre à ce que la procédure interne fonctionne correctement étant donné la nature du problème dénoncé, elle n'était pas dispensée de l'étape suivante, c'est à dire de la voie externe.

Il n'y avait en l'espèce aucun danger grave et imminent ni la présence d'un risque de dommages irréversibles au sens de l'article 8-11 de la loi de 2016. En effet, si elle dénonçait une atteinte au principe de l'indépendance des inspecteurs du travail, il résulte du PV cosigné le 15 mai 2015 par elle et trois autres inspecteurs du travail de l'UT de la Haute-Savoie de la DIRECCTE (pièce 23 du dossier de la prévenue) que le contrôle ayant débuté le 6 novembre 2014 portant sur la durée du travail au sein de la société TEFAL à Rumilly s'était poursuivi. Dans son avis du 10 juillet 2014 (pièce n°19 de la prévenue), le conseil national de l'inspection du travail relevait que les pressions de l'entreprise et d'une organisation patronale sur l'administration et sur le responsable hiérarchique pour obtenir le changement d'affectation de l'inspectrice et par, la même, la cessation de l'action de contrôle à l'égard de l'entreprise n'avaient "pas été suivies d'effet". Il apparaît par ailleurs que l'inspectrice du travail avait attendu plusieurs mois avant de rédiger et de clôturer un procès-verbal d'obstacle.

P fait valoir qu'elle avait privilégié la saisine du CNIT à celle du parquet compétent. Même en considérant que sa saisine du CNIT, le 29 novembre 2013, pouvait constituer l'envoi d'un signalement à une autorité administrative au sens de l'article 8 déjà cité, alors que cet organe ne constituait pas une telle autorité mais seulement une instance consultative indépendante, P n'avait pas attendu, pour rendre public le signalement, ni la décision de ce conseil, ni l'expiration du délai de traitement de trois mois ni même l'expiration d'un délai raisonnable. En effet, cette publication par envoi des documents à des membres de la société civile, au cas présent divers syndicats, était intervenue entre le 3 et le 9 décembre 2013 en tous cas au plus tard le 31 décembre 2013 soit quelques semaines seulement après qu'elle avait été elle-même en possession le 26 novembre 2013 de l'ensemble des documents objets de l'alerte.

Pourtant, si ce fonctionnaire, inspecteur du travail en exercice, estimait que ce qu'il avait constaté selon lui dans le cadre ses fonctions et que ce qu'il avait cru nécessaire de révéler ou de signaler publiquement constituait un délit, plus particulièrement une infraction au droit du travail à savoir le délit d'obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail, il avait à sa disposition, avant de recourir en dernier ressort à la procédure litigieuse :

- la procédure en quelque sorte de droit commun prévue à l'article 40 du code de procédure pénale, à laquelle tout fonctionnaire est d'ailleurs tenu, qui prévoit que le fonctionnaire qui dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes oui y sont relatifs.

- de la procédure résultant des dispositions combinées des articles L.8112-1 et L.8113-7 du code du travail permettant aux agents de contrôle de ['inspection du travail de constater par procès-verbal les infractions dans le cadre de leur mission de veiller à l'application des dispositions du code du travail.

Elle n'était pas dans un cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement qu'en procédant à une divulgation au public, même si ce public était composé uniquement des membres de la société civile que sont les syndicats professionnels.

Dans la mesure ou la source était anonyme, P devait précisément s'entourer de précautions particulières avant de rendre public l'objet de l'alerte, ne serait-ce que pour s'assurer que les documents transmis n'étaient pas forgés de toute pièce. Les précautions à prendre consistaient soit à enquêter elle-même comme ses attributions professionnelles le lui permettaient soit à saisir le parquet pour qu'il procède à des investigations, soit à attendre le résultat de l'instruction que le CNIT allait entreprendre. Si, comme elle le fait valoir, ce Conseil avait finalement reconnu comme exactes les informations contenues dans les documents litigieux, ce n'avait été qu'à l'issue d'investigations et de vérifications qu'il avait entreprises.

P n'avait pas mis au jour ces faits elle-même.

Elle avait été destinataire d'un signalement effectué par un tiers qui en revendiquait la découverte. Il ne peut être considéré qu'elle avait des motifs raisonnables de les croire véridiques, au moment où elle avait procédé à leur divulgation dès lors qu'elle n'avait pas découvert personnellement les documents, que ceux-ci lui avaient été transmis par une source restée anonyme et que surtout elle n'avait pas entrepris des vérifications ou des investigations pour s'assurer de leur authenticité.

A la date de la prévention, elle n'avait pas encore enquêté sur ces faits, ni cherche à en vérifier personnellement la véracité ; elle s'était seulement limitée à publier des faits dont c'était un tiers qui avait eu la primeur de la connaissance. D'ailleurs, dans son audition par les enquêteurs, P disait que le lanceur d'alerte, c'était ce tiers. Ce n'était que dans le procès-verbal déjà cité du 19 avril 2014 (clôturé le 20 juin 2014), donc près de quatre mois après la divulgation litigieuse, qu'elle avait entamé la rédaction d'un procès-verbal de constatations.

Par ailleurs, P ne répondait pas à l'ensemble des critères du lanceur d'alerte.

Il ne peut être considéré qu'elle avait agi de manière désintéressée au sens de l'article 6 déjà cité. Certes elle dénonçait une atteinte au principe de l'indépendance des inspecteurs du travail mais elle était victime directe du trouble qu'elle entendait dénoncer. Elle ne dénonçait pas d'autres faits, distincts de ceux la concernant personnellement, susceptibles de constituer une menace ou un préjudice grave pour l'intérêt général.

Même si finalement les quatre observations émises par le CNIT dans son avis 13-0003 déjà cité du 10 juillet 2014 étaient favorables à P, la divulgation à laquelle elle avait procédé antérieurement s'inscrivait dans la procédure qu'elle avait personnellement mise en oeuvre pour tenter de régler le conflit qui l'opposait à son directeur d'unité territoriale, sur un fond de défiance dont le CNIT avait d'ailleurs relevé le caractère réciproque,

L'objet de l'alerte concernait sa situation personnelle et ses rapports conflictuels avec sa direction.

Comme M, elle recherchait un intérêt personnel.

La cour juge en conséquence que P ne relève pas de la cause d'irresponsabilité pénale afférente au statut général du lanceur d'alerte au sens de l'article 122-4 du code pénal.

Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur la culpabilité.

Sur la peine :

Par application des articles 130-1, 132-1, 132-19 du code pénal afin d'assurer la protection de la société, prévenir la commission de nouvelles infractions et restaurer l'équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions d'abord de sanctionner l'auteur de l'infraction, ensuite de favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion ; toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. Dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de F infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que sa situation matérielle, familiale et sociale.

P est âgée de 40 ans ; elle en avait 34 à la date des faits. Elle est inspectrice du travail, a été titularisée en mars 2008, a exercé ces fonctions à Besançon, Bourg-en-Bresse puis Annecy. Après les faits elle est restée dans cette unité territoriale jusqu'en novembre 2014. Elle a ensuite exercé les mêmes fonctions à Lyon puis à partir de juillet 2017 en Guadeloupe. Ses ressources mensuelles sont de 4.000 euros. Elle précise que son époux est au chômage. Le couple a un enfant à charge.

Le bulletin n° 1 de son casier judiciaire est néant. Elle est accessible au sursis.

Dans les circonstances relatées ci avant et en s'étant affranchie de toutes les règles d'enquête et les pratiques professionnelles qui s'appliquent à tout inspecteur du travail, en ayant recelé sciemment ces correspondances électroniques et ces données internes à la société TEFAL qu'elle savait provenir d'un délit et en ayant révélé une information à caractère secret dont elle était dépositaire par son état ou sa profession de fonctionnaire de l'inspection du travail, P, dont le statut d'indépendance professionnelle a pour corollaire le respect du secret professionnel et des procédures d'enquête et de constatation, avait eu un comportement non seulement précipité mais encore totalement inapproprié.

Il convient toutefois de tenir compte pour l'appréciation de la nature et du quantum de la peine à prononcer, non seulement de son absence de tout antécédent judiciaire, de sa situation de ressources et de charges mais aussi, du contexte dans lequel elle se trouvait. Ceiui-ci était marqué par les mauvaises relations professionnelles entretenues avec sa hiérarchie directe, mauvaises relations dont cette même hiérarchie était elle-même partiellement responsable comme le CNIT l'avait relevé

La peine d'avertissement de 3.500 euros d'amende, entièrement assortie du sursis est proportionnée et adaptée. Elle sera confirmée.

Afin de ne pas obérer l'avenir professionnel de l'intéressée, il sera fait droit à sa demande d'exclusion de la mention de cette condamnation au bulletin n°2 de son casier judiciaire.

Sur l'action civile

La société TEFAL SAS personne morale, L, président de cette société, A, directeur des ressources humaines de cette société G et T directeurs des ressources humaines de la société mère SEB, expéditeurs ou destinataires selon les cas des correspondance; destinées à rester secrètes et qui avaient été dévoilées sans leur consentement avaient bien personnellement souffert d'un dommage directement causé par le: infractions dont P et M étaient les auteurs.

Leur action civile était donc recevable et fondée. Le jugement sera donc confirme en ce qu'il a condamné P prise solidairement avec M à payer la somme de 1 euro à chacune des parties civiles dans les limites de leurs demandes respectives

Il serait inéquitable de laisser à la charge des mêmes parties civiles leurs frais de défense. La somme arbitrée par les premiers juges sera confirmée mais compte tenu de son montant, il sera ajouté une condamnation de P à leur verse par application de l'article 475-1 du code de procédure pénale en cause d'appel une somme limitée à 1000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de toutes les parties, en ma matière correctionnelle, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Reçoit les appels de la prévenue et du ministère public,

Dit n'y avoir lieu d'accorder à P pour les délits reprochés le bénéfice de la cause d'irresponsabilité pénale afférente au statut général du lanceur d'alerte institué par l'article 122-4 du code pénal.

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sur Faction publique et sur l'action civile,

Dit que l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code Pénal a été donné par le Président à la condamnée dans la mesure de sa présence effective à l'audience où le présent arrêt est prononcé,

Exclut la mention de cette condamnation au bulletin n°2 du casier judiciaire de P

Ajoutant

Condamne P à verser à la société TEFAL SAS, à L à A, à G et T, parties civiles, la somme globale de 1 000 euros par application en cause d'appel de l'article 475-1 du code de procédure pénale

Dit que la condamnée sera tenue au paiement du droit fixe de procédure d'appel

Dit que dans la mesure de la présence effective de la condamnée au prononcé de la décision, le président l'a avisée de ce que si elle s'acquitte du montant de la procédure, auquel elle est tenue, dans un délai d'un mois à compter de ce jour, ce montant est diminué de 20 %, ce paiement ne faisant pas obstacle à l'exercice des

Le tout par application des articles visés à la prévention et des articles 485, 509 512, 513, 514, 515, 707-2 du Code de procédure pénale et 1018 A du Code général des impôts.