CA Rennes, 3e ch. com., 21 mars 2023, n° 21/01014
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
KGP (SAS)
Défendeur :
KG Crédit France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Contamine
Conseillers :
Mme Clément, Mme Jeorger-Le Gac
Avocats :
Me Benbrahim, Me de La Taste, Me Bommelaer
FAITS ET PROCEDURE :
La société KGP est une holding, détenue par M. [Z] et M. [K] [T], chacun pour 50%.
La société KG Crédit France était détenue à 95% par la société KGP et 5% par M. [D] et [K] [T] et Mme [H] épouse [T].
La société KG Crédit France contrôlait la société KG Crédit.
M. [K] [T] était président de ces trois sociétés par actions simplifiées.
Le 12 décembre 2016, par l'adoption de trois résolutions, l'assemblée générale extraordinaire de la société KG Crédit France a décidé d'une augmentation de son capital pour 244.900 euros au titre d'un apport en nature par M. [K] [T] de la marque KG Crédit et de la plateforme internet correspondante. La participation de la société KGP dans la société KG Crédit France est ainsi passée de 95% à 0,039%.
Le 31 mars 2017, en sa qualité d'associé à 50% de la société KGP, M.[Z] a assigné MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit et la société KPG en annulation de la décision de M. [K] [T], président de la société KGP, de consentir à l'augmentation de capital de la filiale KG Crédit France à son profit par création des actions numérotées 101 à 245.000, en annulation du procès verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 12 décembre 2016 et de l'augmentation de capital et en paiement au profit de la société KPG de dommages-intérêts correspondant au montant du bénéfice de KG Crédit France pour 1'exercice 2016 ainsi que tout dividende perçu depuis l'augmentation de capital jusqu'à l'annulation de celle-ci.
Le 31 août 2017, la société KPG a été placée en liquidation judiciaire, M. [O] étant désigné liquidateur. M. [Z] a assigné en intervention la société KPG, prise depuis en la personne de son liquidateur, M.[O].
Par jugement du 12 février 2021, le tribunal de commerce de Nantes a :
- Dit et jugé l'action ut singuli engagée par M. [T] irrecevable,
- Constaté la régularité de l'augmentation de capital de 244.900 euros de la société KG Crédit France votée à l'issue de l'assemblée générale extraordinaire du 12 décembre 2016,
- Débouté M. [Z] de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions,
- Débouté MM. [K] et [D] [T] et Mme [H] de leur demande d'indemnité pour préjudice moral,
- Condamné M. [Z] à payer à MM. [K] et [D] [T] et Mme [H] la somme de 1.500 euros chacun au visa de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [Z] a interjeté appel le 12 février 2021.
Les dernières conclusions de M. [Z] antérieures à l'ordonnance de clôture sont en date du 14 décembre 2022. Les dernières conclusions de MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France antérieures à l'ordonnance de clôture sont en date du 14 décembre 2022.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 décembre 2022 à 9h30. Il y a lieu de rejeter les conclusions au fond déposée par M. [Z] le 15 décembre 2022 à 10h45 et par MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France le 30 décembre 2022.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. [Z] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement,
- Rejeter et en tout écarter des débats les pièces des intimés n°2, 3, 4, 5 , 6, 7, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 18, 19,
- Prononcer la nullité de l'augmentation de capital du 12 décembre 2016 de la société KG Crédit France,
- Condamner solidairement et en tout cas in solidum MM. [K] et [D] [T] Mme [H] à payer à M. [Z] la somme de 331.650,00 euros à titre de dommages-intérêts,
- Condamner solidairement et en tout cas in solidum MM. [K] et [D] [T] Mme [H] à payer à M. [Z] la somme de l5.000 euros pour préjudice moral,
- Condamner solidairement et en tout cas in solidum MM. [K] et [D] [T] Mme [H] à payer à M. [Z] la somme de 5.000 euros chacun,
- Débouter les intimés de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- Les condamner aux entiers dépens d'appel el de première instance.
MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France demandent à la cour de :
- Juger irrecevables les demandes nouvelles formulées par M. [Z] en cause d'appel,
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement, sauf en ce qu'il a débouté MM. [K] et [D] [T] et Mme [H] de leurs demandes de dommages et intérêts,
En conséquence :
- Condamner M. [Z] à régler à MM. [K] et [D] [T] et Mme [H], chacun, une somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts,
Y ajoutant et en tout état de cause :
- Débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner M. [Z] à régler à MM. [K] et [D] [T] et Mme [H], chacun, une somme de 8.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [Z] aux entiers dépens de l'instance.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur le rejet de certaines pièces des débats :
M. [N] [Z], avocat de profession, fait valoir que les pièces 2, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 12, 13, 14,15, 16, 18 et 19 de la production de MM. [K] et [D] [T] Mme [H] et la société KG Crédit France constituerait une atteinte au secret des correspondances entre un avocat et son client, la société KG Crédit.
Cette demande, qui a trait à la procédure suivie devant la cour d'appel, n'est pas nouvelle en cause d'appel.
Les correspondances d'un avocat avec son client sont couvertes par le secret :
Article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :
En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.
M. [Z] justifie que la société KG Crédit était son client.
Les pièces n°2, 3, 6, 7 et 19 de la production de de MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France sont des correspondances entre M. [Z], avocat, et son client, la société KG Crédit.
La société KG Crédit n'est pas en la cause devant la cour et il n'est pas justifié qu'elle ait renoncé antérieurement à se prévaloir du secret attaché à ces correspondances.
Il y a lieu de rejeter ces pièces des débats.
La pièce n°4 est une correspondance adressée à un tiers, la pièce n°5 est une lettre officielle, les pièces n°10, 12, 14, 15 sont des attestations. La pièce n°13 est le transfert à des tiers par M. [K] [T], président de la société KG Crédit, d'un courriel que lui avait adressé M. [Z]. Par ce transfert, la société KG Crédit, en la personne de son dirigeant, à renoncé à se prévaloir du secret des correspondances attaché à ce courriel de son avocat.
Les pièces n°16 et 18 sont des statuts de sociétés.
Il n'y a donc pas lieu de rejeter ces pièces des débats.
En tout état de cause, l'examen de ces pièces n'est pas nécessaire à la solution du litige.
Sur la recevabilité de la demande d'annulation des délibérations en ce qu'elle serait nouvelle en appel :
En appel, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux à l'appui des prétentions qu'elles avaient présentées en première instance :
Article 563 du code de procédure civile :
Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.
Si elles ne peuvent pas, en principe, présenter des demandes nouvelles, le texte prévoit une exception lorsque celles-ci tendent à faire écarter les prétentions adverses :
Article 564
A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Il résulte du jugement que devant le tribunal de commerce, en l'état de ses dernières prétentions, M. [Z] demandait notamment l'annulation de l'augmentation de capital, l'annulation du procès verbal du 12 décembre 2016 de la société KG Crédit France et l'annulation des actions numérotées 101 à 245.000.
Il faisait valoir en ce sens que l'augmentation de capital de la société KG Crédit France du 12 décembre 2016 était nulle car la société KGP n'avait jamais été consultée pour donner son accord à une telle opération qui aurait été refusée puisque la participation dans KG Crédit France constituait la totalité de l'actif de la société KGP.
En réponse sur ce point, MM. [K] et [D] [T], Mme [T] et la société KG Crédit France faisaient valoir que l'action ut singuli n'avait pas pour objet d'obtenir la nullité d'une décision d'assemblée générale.
Il apparaît ainsi que la demande d'annulation des délibérations litigieuses du 12 décembre 2016 avait déjà été demandée, et débattue, en première instance. M. [Z] est libre de modifier en appel le fondement de cette demande.
Cette demande n'est pas nouvelle en appel.
Sur la prescription de la demande d'annulation :
[K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France font valoir que l'action en annulation des délibérations serait prescrite pour avoir été engagée plus de trois années après leur adoption :
Article L. 235-9 du code de commerce :
Les actions en nullité de la société ou d'actes et délibérations postérieurs à sa constitution se prescrivent par trois ans à compter du jour où la nullité est encourue, sous réserve de la forclusion prévue à l'article L. 235-6.
Toutefois, l'action en nullité d'une fusion ou d'une scission de sociétés se prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre du commerce et des sociétés rendue nécessaire par l'opération.
L'action en nullité fondée sur l'article L. 225-149-3 se prescrit par trois mois à compter de la date de l'assemblée générale suivant la décision d'augmentation de capital.
M. [Z] a présenté une demande d'annulation de ces délibérations dans l'assignation qu'il a fait délivrer le 31 mars 2017. Comme il a été vu supra, il résulte des mentions du jugement que cette demande avait été réitérée devant cette juridiction lors de l'audience de plaidoirie du 12 octobre 2020. Il n'est pas justifié que M. [Z] avait renoncé à cette demande.
La demande d'annulation a été présentée moins de trois années après la délibération en cause et l'action de M. [Z] sur ce point n'est donc pas prescrite.
Sur le bien fondé de la demande d'annulation de la délibération du 12 décembre 2016 :
Sur l'absence de majorité suffisante :
Devant la cour, M. [Z] fonde sa demande d'annulation des délibérations du 12 décembre 2016 sur les dispositions de l'article L. 225-10 du code de commerce :
Article L. 225-10 :
Lorsque l'assemblée délibère sur l'approbation d'un apport en nature ou l'octroi d'un avantage particulier, les actions de l'apporteur ou du bénéficiaire ne sont pas prises en compte pour le calcul de la majorité.
L'apporteur ou le bénéficiaire n'a voix délibérative ni pour lui-même ni comme mandataire.
Ces dispositions constituent une exception au principe du droit de vote attaché à la détention de parts sociales. Elles doivent être interprétées de façon restrictive.
L'article 19 des statuts de la société KG Crédit France prévoit que les décisions des associés concernant une augmentation de capital doivent être prises à la majorité renforcée des associés représentant les ¿ des voix. Il prévoit qu'en principe, chaque associé participe personnellement au vote mais qu'il peut cependant désigner un mandataire.
Le procès verbal de l'assemblée générale extraordinaire du 12 décembre 2016 mentionne qu'étaient présents M. [K] [T], une action, M. [D] [T], 2 actions, Mme [H], 2 actions et la société KGP, représentée par M. [K] [T], 95 actions. Tous les actionnaires étaient donc présents.
Pour ce qui concerne le quorum d'actionnaires réuni, les délibérations de l'assemblée générale extraordinaire étaient donc régulières.
Le dirigeant social d'une société détient un pouvoir de représentation de la société, d'origine légale. Les dispositions spécifiques du code civil régissant le mandat n'ont pas vocation à s'appliquer dans les rapports entre la société et son dirigeant.
M. [K] [T] était présent ès noms, mais également en qualité de représentant légal de la société KPG. Il n'avait pas reçu mandat de représenter cette société et n'avait pas à en recevoir pour la représenter. Il ne doit pas être considéré comme ayant été le mandataire de la société KGP mais comme son représentant légal. Il pouvait donc participer au vote en cette qualité, distincte de celle qu'il avait ès noms et de celle qu'il aurait pu avoir, par exemple, s'il avait reçu mandat de représenter un autre actionnaire lors de l'assemblée générale extraordinaire.
Le procès verbal ajoute que M. [K] [T], apporteur en nature de l'augmentation de capital objet de la présente assemblée générale, ne prendra pas part au vote des trois premières résolutions, conformément aux dispositions des articles L. 225-10 et L. 225-47 du code de commerce.
Il apparaît ainsi que M. [K] [T], ès noms, n'a pas pris part au vote de ces résolutions.
Les trois résolutions en cause concernaient l'augmentation de capital. Elles ont chacune été adoptées à l'unanimité des associés participant au vote, M. [K] [T], ès noms, en étant exclu.
Il apparaît ainsi qu'elles ont été adoptées à la majorité des deux tiers au moins des voix exprimées et, en outre, à la majorité renforcée des associés représentant les ¿ des voix exigée par les statuts de la société.
En tout état de cause, à supposer qu'il faille retenir que M. [K] [T] n'a participé à ce vote ni ès noms ni en sa qualité de représentant légal de la société KPG, le vote n'en demeurerait pas mois régulier pour avoir été adopté à la majorité des ¿ des voix.
Il y a lieu de rejeter la demande d'annulation des trois délibérations litigieuses formées à ce titre.
Sur la fraude :
M. [Z] fait également valoir que les délibérations litigieuses seraient nulles pour avoir été adoptées en fraude de ses droits.
L'augmentation de capital a eu pour effet de réduire les droits de la société KPG dans la société KG Crédit France. Il s'agit d'un effet commun à la plupart des augmentations de capital : les actionnaires en place voient leurs droits dans la société réduits, sauf à participer à l'augmentation de capital.
Cette augmentation de capital s'est traduite par l'apport d'une œuvre dont l'existence et la valeur ne sont pas remises en discussion. La marque KG Crédit a été déposée le 17 août 2013 par M. [T], la plateforme KG Crédit étant déposée auprès de l'Agence pour la protection des programmes le 10 novembre 2016. Le commissaire aux apports a retenu que la valeur de l'apport retenue pour 244.900 euros n'était pas surévaluée.
En l'absence de cet apport, la société KG Crédit aurait dû payer des redevances au titulaire de la marque et déposant de la plateforme pour pouvoir les exploiter. L'apport en capital n'a pas eu pour effet d'appauvrir la société KG Crédit mais de modifier les conditions de son exploitation.
Il n'est ainsi pas établi que l'augmentation de capital ait été réalisée en fraude des droits de la société KG, et donc des droits de M. [Z] associé pour moitié de cette dernière.
Il y a également lieu de rejeter la demande d'annulation des délibérations litigieuses du 12 décembre 2016 fondée sur une fraude.
La demande d'annulation des délibérations en cause étant rejetée, les demandes d'indemnisation formées par M. [Z] comme conséquence de ces annulations sont non fondées.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par M. [Z] au titre de sa mise en cause personnelle :
M. [Z] fait valoir que les écritures de ses adversaires l'aurait décrit comme une personne ayant entendu profiter du travail de M. [K] [T], voire de le déposséder de son rêve.
Il apparaît que les écritures des parties n'ont pas dépassé ce qui est nécessaire à l'exposé de leurs prétentions. Elles ne comportent pas de mention attentatoire à la réputation ou à l'honneur.
Cette demande d'indemnisation présentée par M. [Z] sera rejetée.
Sur l'indemnisation du caractère abusif de la procédure :
Il n'est pas établi que M. [Z] ait agi en justice dans un but autre que celui de faire valoir ses droits. La demande de paiement de dommages-intérêts formée par MM. [K] et [D] [T], Mme [H] et la société KG Crédit France à ce titre sera rejetée.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [Z] aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées en appel au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Déclare irrecevables les conclusions au fond déposées par M. [Z] le 15 décembre 2022 à 10h45 et par MM. [K] et [D] [T] Mme [H] et la société KG Crédit France le 30 décembre 2022,
- Rejette des débats les pièces n°2, 3, 6, 7 et 19 de la production de de MM. [K] et [D] [T] Mme [H] et la société KG Crédit France qui sont des correspondances entre M. [Z], avocat, et son client, la société KG Crédit,
- Rejette la demande tendant à faire déclarer certaines demandes formées par M. [Z] irrecevables comme nouvelles en appel,
- Confirme le jugement,
Y ajoutant :
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne M. [Z] aux dépens d'appel.