Cass. com., 23 novembre 2010, n° 09-70.859
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Attendu selon l'arrêt attaqué, rendu sur contredit, que la société Warner Bros Entertainment, titulaire de différentes marques figuratives représentant des personnages de fantaisie ainsi que des droits d'auteur sur ces personnages, a consenti à la société Warner Bros Entertainment France le droit d'en concéder des licences pour l'Europe ; que par contrat du 24 octobre 2006, cette dernière a accordé une licence exclusive à la société Groupe Editor international et à ses filiales (le groupe Editor) ; que la société Warner Bros Entertainment France ayant résilié le contrat, le groupe Editor l'a assignée devant le tribunal de commerce de Paris aux fins notamment de voir dire que le contrat de licence devait continuer à produire ses effets jusqu'à son terme, subsidiairement en nullité de certaines clauses du contrat applicables en cas de résiliation anticipée ainsi qu'en paiement de diverses sommes ; que la société Warner Bros Entertainment France et la société Warner Bros Entertainment, intervenue volontairement (les sociétés Warner) ont soulevé une exception d'incompétence au profit du tribunal de grande instance de Paris ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :
Attendu que les sociétés Warner soulèvent l'irrecevabilité du pourvoi formé par le groupe Editor, motif pris de ce qu'un arrêt rendu sur contredit de compétence ne mettant pas fin à l'instance au fond, n'est pas susceptible de pourvoi en cassation ;
Mais attendu que s'étant bornée à trancher la question de compétence, sans évoquer le fond , la cour d'appel qui a renvoyé l'examen du litige devant le tribunal de grande instance, a mis fin à l'instance devant elle ; que le pourvoi est donc recevable ;
Et sur le moyen unique pris en ses deuxième et quatrième branches :
Vu les articles L. 331-1 et L. 716-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Attendu que pour accueillir l'exception d'incompétence, l'arrêt retient que l'assignation introductive d'instance tend notamment à faire dire que le contrat de licence doit continuer à poursuivre ses effets et que la compétence des juridictions commerciales est exclue en matière de marques et de propriété littéraire et artistique même lorsque n'est invoquée par le demandeur qu'une responsabilité contractuelle de droit commun ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si les prétentions du Groupe Editor portaient sur l'application de dispositions relevant du droit des marques ou du droit d'auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Warner Bros Entertainment France et Warner Bros Entertainment aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer aux sociétés Groupe Editor international, Groupe Editor et à la société Tropico Diffusion la somme globale de 2 500 euros.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille dix.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Foussard, avocat aux Conseils pour les sociétés Groupe Editor International, Groupe Editor et Tropico diffusion.
L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a accueilli l'exception d'incompétence, infirmé le jugement frappé de contredit et renvoyé l'affaire devant le Tribunal de grande instance de PARIS ;
AUX MOTIFS QUE « l'assignation introductive d'instance, qui détermine la compétence, tendait notamment, comme il a été rappelé dans les faits constants, à faire dire notamment que le contrat de licence doit continuer à poursuivre ses effets ; que selon l'article L.715-3 du Code de la propriété intellectuelle, « les actions civiles et les demandes relatives aux marques sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance lorsqu'elles portent à la fois sur une question de marque et sur une question connexe de concurrence déloyale » ; que l'article L.331-1 du même code prévoit que « toutes les contestations relatives à l'application de la première partie du présent code (la propriété littéraire et artistique) sont exclusivement portées devant les tribunaux de grande instance » ; que ces textes excluent en conséquence la compétence des juridictions commerciales en ces matières même lorsque n'est invoquée par le demandeur qu'une « responsabilité contractuelle de droit commun » (
) » (arrêt, p. 3 in fine et p. 4, § 1, 2 et 3) ;
ALORS QUE, premièrement, la compétence du tribunal de grande instance, telle que définie à l'article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle, liée à la nature des règles applicables, suppose que le juge soit appelé à se prononcer sur le bien fondé de la demande par application des règles relevant du droit des marques ; qu'il était dès lors exclu que la compétence du tribunal de commerce soit écartée, au profit de la compétence du tribunal de grande instance, au motif que la demande tendait à ce que le contrat de licence poursuive ses effets ou au motif qu'il importait peu que seule « une responsabilité contractuelle de droit commun » soit invoquée par le demandeur, dès lors que les demandes, selon les propres constatations de l'arrêt attaqué, ne postulaient pas la mise en oeuvre de règles relevant du droit des marques ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de l'article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS QUE, deuxièmement et en tout cas, faute d'avoir recherché au regard de quelles règles, relevant du droit des marques, le bien fondé des demandes devait être apprécié, l'arrêt attaqué doit être à tout le moins censuré pour défaut de base légale au regard de l'article L.716-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
ALORS QUE, troisièmement, la compétence du tribunal de grande instance, telle que fixée par l'article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, liée à la nature des règles applicables, suppose que le juge soit appelé à se prononcer sur le bien fondé de la demande par application de règles relevant de la propriété littéraire et artistique ; qu'en constatant que la demande visait à ce que le contrat de licence continue de produire ses effets et qu'il importait peu que le demandeur se borne à invoquer « une responsabilité contractuelle de droit commun », révélant par là que seules les règles du droit contractuel, à l'exclusion des règles du droit de la propriétaire littéraire ou artistique, étaient en cause, les juges du fond ont violé l'article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle ;
Et ALORS QUE, quatrièmement et en toute hypothèse, faute d'avoir identifié les règles du droit de la propriété littéraire et artistique que le juge était appelé à mettre en oeuvre pour apprécier le bien fondéde la demande, les juges du fond ont à tout le moins exposé leur décision à la censure pour défaut de base légale au regard de l'article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle.