Cass. com., 6 mai 2003, n° 00-13.927
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 janvier 2000), que, par lettre du 14 août 1995, la Socotec a reçu mission de "la Compagnie Bleue", représentée par M. X..., d'assurer le contrôle technique d'une opération de remise en état de 3 000 m2 sous la voûte du CNIT ; que la Socotec, ayant adressé deux factures demeurées impayées à la société Compagnie Bleue Cherche-Midi, l'a assignée en paiement ; que celle-ci a prétendu que le véritable débiteur était la société Compagnie BSF, en liquidation judiciaire ;
Attendu que la société Compagnie Bleue Cherche-Midi reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de la créance détenue par la Socotec sur la SA Compagnie BSF au titre d'un échange de correspondances des 27 juillet et 14 août 1995, désignant cette société sous le nom commercial de Compagnie Bleue CNIT Paris-La Défense, alors, selon le moyen :
1 / qu'un tiers ne peut être tenu d'exécuter un contrat au titre de la théorie de l'apparence que si le cocontractant pouvait légitimement croire à l'engagement de ce tiers ; que c'est à la date de cet engagement que s'apprécie la croyance légitime ; qu'il en découle qu'une société ne peut être obligée à ce titre par des engagements souscrits en dehors d'elle avant même sa création envers des cocontractants ignorant son existence présente ou future ; qu'en déclarant "inopérante au regard de l'apparence" la circonstance que la société Compagnie Bleue Cherche-Midi n'ait pas été constituée ni immatriculée lors de la conclusion du contrat sans retenir aucun élément dont il résulterait que la Socotec aurait pu avoir connaissance de sa future existence et croire que c'est cette future société qui s'engageait par le contrat, la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil ;
2 / que si un tiers peut être engagé sur le fondement de la théorie de l'apparence, c'est à la condition que la croyance du contractant aux pouvoirs de son cocontractant soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances l'autorisaient à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ;
qu'en se fondant sur le simple fait que la Socotec avait cru "que les engagements pris par MM. X... et Y... au nom de la Compagnie Bleue étaient assumés par la Compagnie Bleue Cherche-Midi" sans caractériser les circonstances qui auraient dispensé la Socotec de s'informer sur l'existence même de la Compagnie Bleue avec laquelle elle traitait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et suivants du Code civil ;
3 / qu'en toute occurrence, une société commerciale n'est tenue des engagements pris en son nom avant son immatriculation que si, après cette immatriculation, elle reprend les engagements souscrits ;
que la Socotec, informée de ce qu'elle ne traitait qu'avec une société en cours de formation, la société BSF n'ayant été elle-même "constituée que le 4 octobre 1995, soit postérieurement à la conclusion du contrat passé avec la Socotec", ne pouvait donc disposer d'un droit sur cette société qu'en cas de reprise des engagements ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer la Compagnie Bleue Cherche-Midi tenue d'un engagement dont elle ne constate ni qu'il ait été repris par la société BSF ni qu'il ait été repris par la Compagnie Bleue Cherche-Midi, sans méconnaître l'article 5 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Mais attendu que l'arrêt, après avoir constaté qu'aucune des deux sociétés en cause n'existait lors de la formation du contrat, relève que le nom de Compagnie Bleue dont la marque n'avait pas encore été concédée, figure sur la lettre du 14 août 1995 qui ne porte qu'en caractères minuscules la mention BSF CNIT Paris-La Défense 92 0533, et que le siège de la société BSF n'est pas indiqué ; qu'il relève encore que MM. X... et Y... sont intervenus sur le chantier en qualité de représentants de la Compagnie Bleue ; qu'il relève enfin que les administrateurs de la Compagnie Bleue Cherche-Midi sont les mêmes que ceux de la société BSF, qui a la même activité ; qu'il retient que les dirigeants ont entretenu la confusion entre les deux sociétés, confortée par l'intervention de l'architecte et le silence de M. X... à réception des rapports et factures erronés ; qu'il conclut que les deux sociétés se sont comportées comme une seule et même société ; qu'il souligne que cette apparence du maître de l'ouvrage était commune à la totalité des intervenants sur le chantier ; qu'ayant ainsi caractérisé la croyance de la Socotec en un mandat de la société Compagnie Bleue Cherche-Midi et les circonstances la justifiant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de faire la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.