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Décisions

CA Grenoble, ch. soc., 19 janvier 2009, n° 08/01648

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Fabemi Gestion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gallice

Conseillers :

M. Seguy, Mme Jacob

Avocats :

Me Gourret, Me Lenzi

Cons. Prud’h. Montélimar, du 10 mars 200…

10 mars 2008

C... A... a été engagé en 1990 en qualité de cariste par la société FABEMI, où il est devenu responsable de production.

A la suite d'un accident du travail, le statut de travailleur handicapé lui a été reconnu et il a été reclassé dans la société FABEMI GESTION à compter du 1er octobre 2003 au poste d'agent chargé de la vidéo-surveillance des sites exploités par la société à Donzère, à savoir les usines des éoliennes et du pont-double.

Le 2 août 2006, il aurait signé une lettre de démission, ce que l'employeur conteste. Ce même jour, il a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable fixé au 9 août 2006, qui aurait été annulé (ce qui également contesté par l'employeur), puis a été licencié le 14 août 2006 pour faute grave.

Il lui a été reproché d'avoir fait pression sur Claude B..., exploitant de l'entreprise P.C.L. SÉCURITÉ chargée du gardiennage physique des sites de la société FABEMI ENVIRONNEMENT, pour lui extorquer des fonds.

L'employeur estimait dans la lettre de licenciement que ce comportement nuisait à la respectabilité de l'entreprise et portait atteinte à la confiance absolue et à l'intégrité attendue du salarié, compte tenu de ses fonctions.

À la suite de la plainte déposée par la société FABEMI contre C... A..., le salarié a fait l'objet d'un rappel à la loi pour corruption passive le 6 février 2007 par le délégué du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence.

C... A... a contesté cette mesure de licenciement devant le conseil de prud'hommes de Montélimar, saisi le 12 septembre 2006 et réclamé accessoirement des majorations de salaire pour 409 heures de travail le dimanche ainsi qu'une indemnité pour non-respect du temps de repos minimal journalier.

Par jugement du 10 mars 2008 notifié le 19 mars 2008, il a été débouté de l'ensemble de ses demandes et condamné aux dépens.

C... A... a relevé appel le 11 avril 2008.

Il demande à la cour d'infirmer cette décision, de condamner son ancien employeur à lui verser :

- dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif à l'inobservation du délai de 2 jours pour préparer l'entretien préalable : 3.453,81 ¿,

- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50.000 euros,

- salaire de la mise à pied du 2 au 17 août : 2.711,95 euros,

- indemnité conventionnelle de licenciement : 11.397,77 euros,

- indemnité compensatrice de préavis : 10.361,61 euros plus les congés payés afférents,

- majoration des heures de nuit effectuées le dimanche depuis 2004 et dommages-intérêts pour non-respect du temps de repos minimal journalier : respectivement 5.391,33 euros et 3.500 euros,

- indemnité pour frais irrépétibles : 3.000 euros.

Il prétend que la décision de le licencier avait déjà été prise le 11 août 2006, moins de deux jours après l'entretien préalable, compte tenu des termes de la plainte déposée par le DG de la société FABEMI, Michel D..., qui disposait selon le salarié d'un mandat apparent pour exercer le pouvoir disciplinaire.

Sur le fond, il estime avoir été manipulé par Claude B.... Il reconnaît que lui-même était intervenu afin que l'entreprise PCL se voie à nouveau confier la surveillance du site des éoliennes alors qu'il avait été mis fin en 2005 à un précédent contrat de surveillance avec elle, mais il soutient que c'était M. B... qui lui avait proposé de l'argent et que lui-même avait fini par accepter de sa part 150 ou 300 euros.

Il fait valoir que le simple rappel à la loi n'était pas revêtu de l'autorité de la chose jugée ; il conteste avoir avoué commis une infraction, rappelle que le délit de corruption prévu à l'article L.152-6 du code du travail avait été abrogé par la loi du 4 juillet 2005, fait valoir que C. B... avait filmé et enregistré leur rencontre à leur insu, ce qui constituait un moyen de preuve déloyal que ne pouvait reprendre l'employeur pour son propre compte et que la perte de confiance ne constituait pas une cause de licenciement pour faute grave.

Il invoque la disproportion de la sanction avec son ancienneté et la difficulté pour lui, travailleur handicapé classé en catégorie B, de retrouver un emploi.

A propos des heures majorées, il invoque l'exécution d'un travail certains dimanches entre 20h et 3h et estime pouvoir prétendre aux majorations conventionnelles prévues en pareil cas. Il invoque par ailleurs des manquements de l'employeur à l'obligation légale de permettre au salarié de bénéficier d'un repos quotidien d'au moins 11 h consécutives.

La société FABEMI GESTION demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter le salarié de toutes ses prétentions et de le condamner à verser une indemnité pour ses frais irrépétibles.

Sur la procédure, elle fait valoir que les déclarations de son directeur général, M D..., qui ne représentait pas la société vis-à-vis des tiers, qui avait exprimé une simple opinion personnelle, étaient dépourvus de conséquence sur la relation de travail dès lors que la lettre de licenciement avait été signée par le président de la société, Jean Pierre BEDEL, seul détenteur du pouvoir disciplinaire dans l'entreprise.

Sur le fond, elle rappelle que C... A... occupait un poste de confiance, constituait en quelque sorte les 'yeux' de l'entreprise, qu'il n'avait pas contesté les faits devant le conseil de prud'hommes, que le procès-verbal de synthèse de l'enquête de Gendarmerie démontrait que C... A... avait insisté fortement auprès de Claude B... pour souligner que c'était grâce à lui qu'il avait obtenu le nouveau contrat et que Ph. A... lui avait demandé 'de lui faire une proposition'.

La société intimée fait observer que même l'acceptation d'une 'récompense' ne pouvait être acceptée, compte tenu des fonctions de l'appelant.

Elle fait aussi valoir, sur la légalité des moyens de preuve, que cette dernière ne résultait pas de l'enregistrement contesté mais de l'enquête de police judiciaire.

Sur les heures de nuit et le repos, elle répond que l'article de la convention collective invoqué par le salarié n'était pas applicable au cas présent dès lors que C... A... travaillait habituellement de nuit, ce qui était prévu par son contrat, que c'était lui qui fixait ses plannings, que la surveillance qu'il exerçait était aléatoire et non pas continue 24h sur 24, que l'employeur ne fixait pas la répartition hebdomadaire de son travail et que les plannings horaires produits par le salarié, pièces nouvelles en cause d'appel, n'avaient jamais été visées par l'employeur.

Sur quoi :

- sur la majoration des heures effectuées le dimanche et les temps de repos pour les années 2004, 2005 et 2006 :

Attendu qu'à l'occasion du reclassement de C... A... au poste d'agent vidéo-surveillance coefficient 185 de la convention collective nationale du 22 avril 1955, étendue, des ouvriers des industries des carrières et matériaux, dont il n'est pas contesté qu'elle s'applique à l'entreprise, un avenant au contrat de travail a été signé le 30 septembre 2003 entre les parties ;

Qu'il prévoyait que l'horaire hebdomadaire de travail de l'intéressé était de 39 h 'réparti en fonction de ... (l') activité (du salarié) dans la société, y compris les nuits, week-end et jours fériés', ce qu'a relevé le conseil de prud'hommes, étant ajouté que cet avenant fixait un horaire de travail hebdomadaire de 39 h mais prévoyait curieusement une rémunération mensuelle de base de 1.913 euros pour 151,67 h correspondant à un horaire hebdomadaire de 35 h ;

Que toutefois les bulletins de salaire mentionnent le paiement de ce salaire de base pour 151,67 h mais aussi le paiement, en sus, d'une rémunération pour 'heures normales majorées' et pour 'heures supplémentaires à 25%', pour aboutir à un nombre mensuel d'heures travaillées et rémunérées de 169 h + 8,66 heures supplémentaires par mois, soit un horaire effectif moyen payé de 41 heures hebdomadaires ;

Attendu qu'il résulte des explications fournies par les parties que, si C... A... était chargé d'assurer la surveillance de tous les sites du groupe FABEMI équipés d'un système de vidéo surveillance, ce contrôle n'était pas exercé de manière ininterrompue par une équipe, mais de façon aléatoire par C... A... ;

Attendu que le salarié produit ses plannings sur la période, où sont détaillés journellement sa position (congé, repos ou travail), ses heures d'arrivée et de départ ainsi que les totaux hebdomadaires et d'où il résulte que son temps de travail effectif hebdomadaire était généralement de 39 h ;

Attendu qu'en application des articles D.212-17 et D. 212-21 recodifiés aux articles D. 3171-1 et suivants, D. 3171-8 et suivants du code du travail, l'employeur est tenu de décompter individuellement et de contrôler le temps de travail des salariés qui ne sont pas occupés par un même horaire collectif, ce qui était précisément le cas de C... A...;

Que l'employeur fait valoir qu'aucun représentant de la société n'avait contresigné les fiches produites par la partie adverse ;

Mais que ce même employeur ne communique aucun décompte du temps de travail effectué par ce salarié au cours de la période en litige, en dépit des obligations incombant à la société, et produit encore moins d'éventuels documents de nature à remettre en cause l'exactitude des éléments produits par l'appelant ;

Qu'au demeurant, la société ne conteste pas l'exactitude matérielle des plannings mais invoque la liberté du salarié dans l'organisation et la répartition de son temps de travail et conteste le caractère non habituel, au sens des dispositions collectives applicables à l'entreprise, des heures de travail le dimanche et de nuit ;

Attendu qu'en application de l'article 12 de la convention collective déjà citée par les premiers juges :

'Les heures de travail effectuées le jour du repos hebdomadaire et les jours fériés, exceptionnellement pour exécuter un travail urgent, ou temporairement pour faire face à un surcroît d'activité, bénéficieront d'une majoration d'incommodité de 100%, comprenant les majorations pour heures supplémentaires.

Au cas où les heures prévues à l'alinéa précédent ne comprendraient pas de majorations pour heures supplémentaires, elles ne sont majorées que de 75%.

Lorsque l'horaire habituel de travail ne comporte pas de travail de nuit, les heures effectuées entre 22 heures et 6 heures - exceptionnellement pour exécuter un travail urgent, ou temporairement afin de faire face à un surcroît d'activité - bénéficieront d'une majoration d'incommodité de 100% comprenant les majorations pour heures supplémentaires' ;

Attendu que les décomptes du salarié font apparaître que C... A... était régulièrement amené à travailler environ trois dimanches par mois de 20h jusqu'à 03h du matin le lundi suivant ;

Qu'en conséquence, son horaire habituel comprenait un travail réalisé le jour du repos dominical et aussi en grande partie, ce jour là, pendant la période de travail de nuit (21h-6h) ;

Que sa situation ne relevait donc pas des cas prévus aux dispositions conventionnelles invoquées, qui s'appliquent aux travaux effectués à titre exceptionnel le jour normalement consacré au repos hebdomadaire, ce qu'a jugé à bon droit le conseil de prud'hommes ;

Attendu que par ailleurs, il ne remplissait pas les conditions prévues par l'article L. 213-2 du code du travail pour être qualifié de travailleur de nuit, qualification légale qu'il ne revendique d'ailleurs pas ;

Qu'au surplus, C... A... ne soutient pas n'avoir pas bénéficié d'une contrepartie à ce travail de nuit, soit sous forme de repos supplémentaire soit sous forme de contre-partie financière ; qu'il y a lieu de relever qu'il a été payé habituellement pour 41 heures de travail hebdomadaire alors que son propre listing fait apparaître une durée de travail hebdomadaire habituelle de seulement 39 heures ;

Attendu qu'en revanche, l'examen des mêmes plannings fait apparaître qu'après certaines nuits de travail jusqu'à 3h, il avait repris son poste le même jour dès 12h00 donc sans avoir bénéficié des 11heures de repos consécutives prévues à l'article L.220-1 du code du travail (18 manquements en 2004, 27 en 2005, 17 en 2006), sans que l'employeur justifie de circonstances dérogatoires ou du versement d'une contrepartie ;

Que le jugement sera donc infirmé sur ce point et qu'il sera alloué à C... A... une indemnité de 3.500 euros ;

- sur le licenciement :

Attendu que la cour estime nécessaire de disposer de l'entier dossier de la procédure pénale ayant concerné C... A... avant de se prononcer sur cette partie du litige ; qu'il sera donc sursis à statuer sur les demandes en rapport ;

PAR CES MOTIFS

la Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté C... A... de sa demande pour les heures de travail effectuées le dimanche et déboute en conséquence C... A... de ce chef de prétention ;

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté C... A... de sa demande d'indemnisation au titre du non respect par l'employeur du temps de repos quotidien ;

Statuant à nouveau, condamne la société FABEMI GESTION à verser de ce chef à C... A... une indemnité de 3.500 euros ;

Sursoit à statuer sur les autres demandes de C... A... afin que soit produit aux débats le dossier de la procédure pénale ayant concerné C... A..., dont la cour demande la communication par le procureur de la République près le TGI de Valence ;

Dit que les parties seront à nouveau convoquées à la première audience utile dès réception de ces éléments ;

Réserve les dépens.

Prononcé publiquement ce jour par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile.