CA Chambéry, 1re ch., 26 septembre 2023, n° 22/01733
CHAMBÉRY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
BNP Paribas Lease Group (SA)
Défendeur :
Etablissements Henri Cheval (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Real del Sarte, Mme Reaidy
Avocats :
Selarl Bollonjeon, Selarl Roulot, Drouot, Associes, Selarl Lexavoue Grenoble - Chambery, Selarl Polder Avocats
Faits et procédure
La société Etablissements Henri Cheval exerçait une activité de vente, entretien et réparation de matériel agricole et de véhicules neufs ou d'occasion. Dans le cadre de son activité elle concluait un contrat cadre de distribution sélective avec la société Kubota Europe et une commande de divers matériels sous réserve de propriété était passée pour un montant total de 565 033,43 euros. La société Kubota Europe émettait à l'encontre de la société Etablissements Henri Cheval un total de 40 factures correspondant à la livraison de ce matériel.
Suivant convention du 13 mai 2016, la société Kubota Europe cédait à la société BNP Paribas Lease Group l'ensemble des factures émises au nom de la société Etablissements Henri Cheval.
Par jugement du 19 mars 2018, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère plaçait la société Etablissements Henri Cheval sous sauvegarde et désignait M. [N] comme administrateur judiciaire et M. [N] comme mandataire judiciaire.
La société BNP Paribas Lease Group déclarait sa créance au passif entre les mains du mandataire judiciaire et la procédure de sauvegarde était convertie en redressement judiciaire par jugement du 13 juin 2018, l'administrateur et le mandataire judiciaire étant reconduits dans leurs fonctions.
La société BNP Paribas Lease Group revendiquait auprès de l'administrateur judiciaire les biens visés par les factures et à défaut, elle sollicitait le versement du prix de revente. Par courrier du 9 juillet 2018, l'administrateur judiciaire indiquait à la société BNP Paribas Lease Group que sa demande en revendication était recevable tant sur la forme que sur le fond et l'administrateur judiciaire acquiesçait à la demande au titre du tracteur portant le numéro de châssis 98225 et objet de la facture FA 92543444.
En date du 3 août 2018, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère adoptait un plan de cession de la société Etablissements Henri Cheval.
La société BNP Paribas Lease Group saisissait par voie de requête le juge-commissaire afin de faire droit à l'intégralité de sa demande de revendication des biens listés bénéficiant d'une clause de réserve de propriété, cette revendication emportant demande de restitution. Elle demandait à défaut le reversement du prix de revente desdits biens.
Sur requête de l'administrateur judiciaire, le juge commissaire désignait le 23 septembre 2018 la société [I]-Dutel (SCP), commissaire-priseur, pour établir l'analyse des matériels et pièces détachées de la société Kubota Europe bénéficiant de la clause de réserve de propriété.
Par ordonnance du 20 décembre 2018, le juge commissaire du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère faisait partiellement droit à la demande de la société BNP Paribas Lease Group :
- Donnait acte au crédit agricole sud Rhône Alpes et à la Caisse d'épargne Loire Drome Ardèche, créanciers gagistes, de ce qu'ils n'entendaient plus exercer leur droit de gage sur les biens revendiqués ;
- Constatait que la société Bnp Paribas Lease Group justifiait de son droit de propriété sur les marchandises livrées à la société Etablissements Henri Cheval ;
- Prenait acte de ce que M. [N] avait partiellement acquiescé à la demande de la société BNP Paribas Lease Group au titre de 2 tracteurs à restituer (numéro de châssis 30484 et 98677) et du prix de 3 matériels vendus pendant la période d'observation ;
- Déboutait la société [N] et la société [N], en leur qualité respective de liquidatrice judiciaire et d'administrateur judiciaire de la société Etablissements Henri Cheval de leur demande de remboursement des acomptes réglés à la société BNP Paribas Lease Group par ladite société au titre des tracteurs n° 30484 et n° 98677 à hauteur de 23 122 euros ;
- Disait que la société BNP Paribas Lease Group était bien fondée à demander le reversement à son profit du prix de vente des biens vendus pendant la période d'observation à due concurrence de sa créance soit 45 467,46 euros ;
En conséquence,
- Ordonnait la restitution à la société BNP Paribas Lease Group des deux tracteurs portant les numéros de châssis 30484 et 98677, objets des factures n° FA 92543440 et FA 92543443 ;
- Ordonnait le règlement de la somme de 45 467,46 euros au profit de la société BNP Paribas Lease Group par la société [N] agissant par M. [N] au titre du prix cumulé de revente des biens « espaces verts » et des deux tracteurs n° de châssis 52187 et 98225 ;
Y ajoutant,
- Déboutait la société BNP Paribas Lease Group de sa demande en revendication au titre des autres biens revendiqués à savoir les 8 autres tracteurs et le petit outillage (pièces de rechange, accessoires divers'), faute d'établir l'existence en nature desdits biens au jour de l'ouverture de la procédure ;
- Déboutait la société BNP Paribas Lease Group de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, comme étant infondée.
La société BNP Paribas Lease Group formait opposition contre cette ordonnance.
Par jugement du 13 novembre 2019, le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère :
- Déclarait l'opposition forme recevable mais infondée ;
- Rejetait les demandes de la société BNP Paribas Lease Group ;
- Rejetait son opposition ;
- Liquidait les dépens et condamnait l'opposante à leur paiement.
Par déclaration au greffe en date du 12 décembre 2019, la société BNP Paribas Lease Group interjetait appel de ce jugement en ce qu'il :
- Rejetait ses demandes concernant la restitution de huit tracteurs et du petit outillage ;
- Rejetait son opposition ;
- Mettait à sa charge les dépens.
Par arrêt du 8 octobre 2020, la cour d'appel de Grenoble :
- Confirmait le jugement entrepris en ce qu'il avait confirmé les termes de l'ordonnance du juge-commissaire du 12 décembre 2018 ayant :
- pris acte que le Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes et la Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche, créanciers gagistes, n'entendaient plus exercer leur droit de gage sur les biens revendiqués ;
- ordonné la restitution des deux tracteurs portant les numéros de châssis 30484 et 98677, objets des factures n° FA 92543440 et FA 92543443 ;
- débouté la société Etablissements Henri Cheval, ainsi que le liquidatrice judiciaire et l'administrateur judiciaire de leur demande visant à la voir condamnée à rembourser la somme de 23 122,86 euros au titre des châssis n°30484 et n°98677 ;
- dit qu'elle était bien fondée à demander le reversement à son profit du prix de vente des biens vendus pendant la période d'observation pour 45 467,46 euros ;
- condamné la société Etablissements Henri Cheval, l'administrateur et le mandataire judiciaires de celle-ci, à lui payer 45 467,46 euros au titre du prix cumulé de revente des biens « espaces verts » et des châssis numéros 52187 et 98225 ;
- Infirmait pour le surplus le jugement déféré et statuant à nouveau ;
- Ordonnait la restitution des petits matériels livrés par la société Kubota Europe à la société Etablissements Henri Cheval ainsi que les huit tracteurs dont les références sont les suivantes : châssis n° 53405 au titre de la facture 92600800 ; châssis n° 52318 au titre de la facture 92587798 ; châssis n° 52310 au titre de la facture 92587799 ; châssis n° 30531 au titre de la facture 92565326 ;châssis n° 54029 au titre de la facture 92575897 ; châssis n° 52187 au titre de la facture 92543441 ; châssis n° 50100 au titre de la facture 92542852 ; châssis n° 30352 au titre de la facture 92542071 ;
- Confirmait le jugement déféré en ses autres dispositions ;
- Condamnait, en cas de revente de ces biens, la société Etablissements Henri Cheval à payer à la société Bnp Paribas Lease Group, le prix de revente de ces biens perçus ou à percevoir postérieurement au jugement déclaratif de la société Etablissements Henri Cheval et ce, dans la limite de 414 739,50 euros ;
- Condamnait la société [N] ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société Etablissements Henri Cheval, à payer à la société Bnp Paribas Lease Group la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamnait la société [N] ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société Etablissements Henri Cheval aux dépens, dont distraction au profit de la société Dauphin-Mihajlovic (SELARL), prise en la personne de Mme Dauphin, avocate.
Un pourvoi en cassation était formé par la société [N] aux motifs que la cour d'appel de Grenoble avait renversé la charge de la charge de la preuve et qu'elle s'était contredite à double titre dans cet arrêt.
Par un arrêt du 14 septembre 2022, la chambre commerciale, financière et économique de la cour de cassation cassait et annulait en toutes ses disposition l'arrêt rendu le 8 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble et remettait l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoyait devant la cour d'appel de Chambéry, considérant que la cour avait inversé la charge de la preuve.
Par déclaration au greffe en date du 4 octobre 2022, la société BNP Paribas Lease Group saisissait la cour d'appel de Chambéry désigné comme cour de renvoi.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures en date du 9 mars 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique et signifiées à la société Etablissements Henri Cheval par actes d'huissier en date du 14 mars 2023, la société BNP Paribas Lease Group demandait à la cour de :
- Déclarer la société BNP Paribas Lease Group recevable en sa déclaration de saisine de la Cour de céans et en son appel ;
- Débouter toute partie de ses éventuelles contestations, fins et conclusions en ce qu'elles seraient dirigées à l'encontre des demandes formulées par la société BNP Paribas Lease Group ;
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a confirmé les termes de l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Romans-sur-Isère du 20 décembre 2018, ayant elle-même :
- pris acte que le Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes et la Caisse d'Epargne Loire Drôme Ardèche, créanciers gagistes, n'entendaient plus exercer leur droit de gage sur les biens revendiqués ;
- ordonné la restitution des deux tracteurs portant les numéros de châssis 30484 et 98677, objets des factures n° FA 92543440 et FA 92543443 ;
- débouté la société Etablissements Henri Cheval, ainsi que le liquidatrice judiciaire et l'administrateur judiciaire de leur demande visant à la voir condamnée à rembourser la somme de 23 122,86 euros au titre des châssis n°30484 et n°98677 ;
- dit qu'elle était bien fondée à demander le reversement à son profit du prix de vente des biens vendus pendant la période d'observation pour 45 467,46 euros ;
- condamné la société Etablissements Henri Cheval, l'administrateur et le mandataire judiciaires de celle-ci, à lui payer 45 467,46 euros au titre du prix cumulé de revente des biens « espaces verts » et des châssis numéros 52187 et 98225 ;
- Infirmer, pour le surplus, le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Romans-sur-Isère le 13 novembre 2019 en qu'il a rejeté les demandes formulées par la société BNP Paribas Lease Group au titre des autres biens revendiqués ;
Et statuant à nouveau,
- Ordonner la restitution du surplus des biens objets de la présente demande en revendication formulée par la société BNP Paribas Lease Group, à savoir :
- Les 8 tracteurs dont les références sont les suivantes : châssis n° 53405 au titre de la facture 92600800 ; châssis n° 52318 au titre de la facture 92587798 ; châssis n° 52310 au titre de la facture 92587799 ; châssis n° 30531 au titre de la facture 92565326 ;châssis n° 54029 au titre de la facture 92575897 ; châssis n° 52187 au titre de la facture 92543441 ; châssis n° 50100 au titre de la facture 92542852 ; châssis n° 30352 au titre de la facture 92542071 châssis n° 30352 au titre de la facture 92542071
- les petits matériels.
En cas de revente des 8 autres tracteurs et des petits matériels,
- Condamner solidairement la société Etablissements Henri Cheval et la société [N], prise en la personne de M. [N] en sa qualité de liquidatrice judiciaire de celle-ci, à payer à la société BNP Paribas Lease Group le prix de revente desdits biens perçus ou à percevoir postérieurement au jugement déclaratif de la société Etablissements Henri Cheval et ce, dans la limite de 414 739,50 euros ;
En tout état de cause,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- Dire qu'il serait particulièrement inéquitable de laisser à la charge de la société BNP Paribas Lease Group qu'elle a été contrainte d'engager afin d'assurer la défense de ses intérêts ;
En conséquence,
- Condamner solidairement la société Etablissements Henri Cheval et la société [N], prise en la personne de M. [N] en sa qualité de liquidatrice judiciaire de celle-ci, à payer à la société BNP Paribas Lease Group la somme de 10 000 euros, outre tous dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de Mme Audrey Bollonjeon, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société BNP Paribas Lease Group faisait valoir notamment que :
La clause de réserve de propriété dont elle se prévaut était bien valide ;
Sur les autres biens revendiqués à hauteur de 414 739, 50 euros, la société Etablissements Henri Cheval n'avait fourni aucune information ni justificatif au sujet des autres biens revendiqués or, seule cette dernière et / ou les organes de sa procédure collective étaient en mesure de fournir ces informations ;
L'inventaire réalisé par le commissaire-priseur les 5 et 6 avril 2018 était sommaire et inexploitable, incomplet et non fiable si bien que la société BNP Paribas Lease Group était placée dans l'impossibilité matérielle d'obtenir la restitution des biens correspondants qu'elle revendiquait à bon droit.
Par dernières écritures en date du 24 janvier 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société les Etablissements Henri Cheval, sollicitait de la cour de :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la société [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société Etablissements Henri Cheval, de voir condamner la société BNP Paribas Lease Group à lui restituer les acomptes versés au titre des tracteurs portant les numéros de châssis 30484 et 98677, soit la somme de 22 344,60 euros ;
En conséquence,
- Condamner la société BNP Paribas Lease Group à restituer à la société [N], ès qualités, les acomptes versés au titre des tracteurs portant les numéros de châssis 30484 et 98677, soit la somme de 22 344,60 euros ;
- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,
Y ajoutant,
- Condamner la société BNP Paribas Lease Group à payer à la société [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société Établissements Henri Cheval, une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société BNP Paribas Lease Group aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses prétentions, la société [N] faisait valoir notamment que :
La validité de la clause de réserve de propriété et la recevabilité de l'action en revendication de la société BNP Paribas Lease Group n'étaient pas contestées ;
Les tracteurs portant le numéro de châssis 98677 et 30484 étaient bien dans les stocks de la société les Etablissements Henri Cheval au jour de l'ouverture de la procédure de sauvegarde ;
Lors de l'acquisition de deux tracteurs portant le numéro de châssis 30484 et 98677, la société Établissements Henri Cheval avait versé des acomptes au bénéfice de la BNP Paribas Lease Group, à défaut pour cette dernière de prouver la valeur résiduelle des tracteurs, elle était tenue de restituer à la société [N] les avances perçues pour un montant total de 16 945,04 euros et 5 399,56 euros
L'inventaire dressé par le commissaire-priseur avait bien permis d'identifier les créanciers bénéficiant d'une clause de réserve de propriété conformément à l'article L. 622-6 du code de commerce et avait permis à la société BNP Paribas Lease Group d'exercer cette clause de réserve de propriété sur des petits matériels et deux tracteurs.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 20 mars 2023 clôturait l'instruction de la procédure.
L'affaire était plaidée à l'audience du 23 mai 2023.
MOTIFS
La cour d'appel de Chambéry, après cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble en date du 8 octobre 2020, se trouve saisie :
- dans les limites de l'appel principal interjeté le 12 septembre 2019 par la société Bnp Paribas Lease Group dirigé contre la société les Etablissements Henri Cheval et la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société les Etablissements Henri Cheval, sollicitant l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Romans en date du 8 octobre 2018 en ce qu'elle avait été déboutée de son opposition formée contre l'ordonnance du juge-commissaire rendue le 12 décembre 2018 ayant rejeté sa demande relative à la restitution de huit tracteurs agricoles et de petit outillage pour un montant total de 414 739,50 euros et condamnée aux dépens de l'instance ;
- dans les limites de l'appel incident de la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire, qui sollicitait l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait rejeté sa demande de condamnation de la société Bnp Paribas Lease Group à lui restituer la somme de 22 344,60 euros correspondant aux acomptes versés au titre de deux tracteurs restitués.
Les autres points tranchés initialement par le juge commissaire dans sa décision soumise au tribunal de commerce ne font pas ou ne font plus débat.
I - Sur la restitution sollicitée par la société Bnp Paribas Lease Group de huit tracteurs, de petit matériel et de pièces détachées pour une valeur totale de 414 739,50 euros
Aux termes de l'article L624-16 alinéa 2 du code de commerce, 'Peuvent également être revendiqués, s'ils se retrouvent en nature au moment de l'ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété. Cette clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit au plus tard au moment de la livraison. Elle peut l'être dans un écrit régissant un ensemble d'opérations commerciales convenues entre les parties'.
Selon une jurisprudence constante (voir nota cass 11-7-2006 pourvoi n°05-13103 ; com 1er décembre 2009 pourvoi 08-13187), il appartient, au revendiquant, en matière de revendication, d'apporter la preuve que le bien revendiqué se trouvait, à l'ouverture de la procédure collective, entre les mains du débiteur.
Selon l'article L 622-6 alinéa 1er du code précité, 'Dès l'ouverture de la procédure, il est dressé un inventaire du patrimoine du débiteur qui constitue le gage de ses créanciers professionnels ainsi que des garanties qui le grèvent. Cet inventaire, remis à l'administrateur et au mandataire judiciaire, est complété par le débiteur par la mention des biens qu'il détient susceptibles d'être revendiqués par un tiers. Le débiteur entrepreneur y fait en outre figurer les biens détenus dans le cadre de l'activité à raison de laquelle la procédure a été ouverte qui sont compris dans un autre de ses patrimoines et dont il est susceptible de demander la reprise dans les conditions prévues par l'article L. 624-19".
L'inventaire obligatoire fait présumer la présence ou non des biens revendiqués dans la société débitrice au jour de l'ouverture de la procédure collective et dès lors que le bien revendiqué ne figure pas sur cet inventaire, il appartient au revendiquant d'apporter la preuve contraire (cass com pourvoi n°14-25.999). Ainsi, en l'absence d'inventaire ou en présence d'un inventaire incomplet, sommaire ou inexploitable, celui-ci ne peut jouer son rôle probatoire et il appartient à l'organe compétent de la procédure collective d'apporter la preuve que les biens revendiqués n'existaient plus en nature au jour du jugement d'ouverture (cass com 25 octobre 2017 pourvoi n°16-22.083).
En l'espèce, la société Bnp Paribas Lease Group estime que cet inventaire est incomplet et inexploitable, de sorte que la liquidatrice judiciaire doit prouver que les biens encore revendiqués n'existaient plus en nature au jour du jugement d'ouverture ou qu'ils ont été revendus et payés avant cette ouverture, à l'inverse de la position de la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire.
Le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde en date du 19 mars 2018 a désigné Me [I], commissaire priseur pour établir l'inventaire du patrimoine de la société les Etablissements Henri Cheval. Cet inventaire a été établi les 5 et 6 avril 2018 et a été déposé au greffe du tribunal de commerce le 27 avril 2018. Un autre inventaire a été établi 13 juin 2018 au moment de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Enfin, un complément d'inventaire a été sollicité par l'administrateur judiciaire, ordonné le 23 septembre 2018.
S'agissant des tracteurs,
Il est certain qu'une erreur avait été commise par l'administrateur judiciaire et par la société les Etablissements Henri Cheval :
- au sujet du tracteur châssis 98225 puisque l'un avait acquiescé à la restitution le 9 juillet 2018, l'autre avait soutenu que le tracteur avait été vendu avant ouverture de la procédure collective, alors qu'en réalité, ce tracteur ne se trouvait plus dans le stock au 9 juillet car il avait été vendu le 14 juin 2018 et réglé le 27 juillet 2018 pendant la procédure,
- au sujet de deux tracteurs châssis 30484 et 98677 qui se trouvaient effectivement dans le stock mais pour lesquels l'administrateur judiciaire n'avait pas acquiescé à la restitution en juillet 2018.
Il est certain également que le tracteur précité châssis 30484 immatriculé ES 049 TW était dans le stock, figurait dans l'inventaire du 13 juin 2018 mais pas dans celui des 5 et 6 avril 2018.
Mais ces erreurs, au demeurant réparées puisque ces tracteurs ont été restitués, ne permettent pas de déduire que l'inventaire établi par le commissaire priseur en date des 5 et 6 avril 2018 était incomplet s'agissant de ces éléments. En effet, cet inventaire de 23 pages, reprend de façon détaillée notamment tous les véhicules et engins agricoles alors en possession de la société les Etablissements Henri Cheval tels que des tracteurs, girobroyeurs, tronçonneuses, tondeuses, fendeuses, débroussailleurs, endaîneurs.... Il ne peut donc être considéré comme incomplet et le rapprochement entre le listing précis du matériel vendu par la société Kubota revendiqué par la société BNP Paribas Lease Group et cet inventaire démontre que les huit tracteurs revendiqués n'y figurent pas. Or, la société BNP n'apporte pas la preuve que le matériel était encore dans le stock ou qu'il a été vendu après l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
En conséquence, c'est à bon droit que les premiers juges ont débouté la société BNP Paribas Lease Group de sa demande en revendication portant sur huit tracteurs agricoles, châssis 53405-52318-52310-30531-54029-52187-50100-30352.
S'agissant des petits matériels, pièces de rechange et accessoires,
Comme déjà souligné, le listing du matériel vendu et revendiqué par la société BNP Paribas Lease Group est détaillé et précis de sorte qu'il peut être comparé sans difficulté à un inventaire du même type. Cependant, le commissaire priseur a indiqué dans son inventaire d'avril à deux reprises pour le magasin page 14, 'pièces détachées d'engins agricoles, accessoires et petits matériels de travaux principalement agricoles et huiles de marque New Holland, Kuhn, Symta, Berthoud, Kubota, Fournial, King Tony, etc : inventaire informatisé sur support papier ayant fait l'objet d'un sonsage à disposition à l'étude. L'important sondage ne révèle que peu d'erreur' et pour l'atelier page 15, 'inventaire de stock informatisé sur support papier ayant fait l'objet d'un sondage à disposition à l'étude. Le sondage a porté sur les valeurs unitaires les plus fortes et n'a révélé aucun écart'.
Il n'existe en réalité aucun inventaire des petits matériels, pièces de rechange et accessoires et l'inventaire informatique sur support papier auquel il est fait allusion n'est pas annexé à l'inventaire prescrit en cas d'ouverture de procédure collective. Il n'est pas même fourni aux débats par la liquidatrice de sorte qu'il n'est pas possible par une comparaison de savoir si les pièces revendiquées sont présentes ou absentes. Par ailleurs, le commissaire priseur lui-même, assisté du directeur commercial de la société les Etablissements Henri Cheval (M. [R]), a pu écrire au liquidatrice le 25 septembre 2018 un courrier dans lequel il disait notamment : ' la société BNP Paribas Lease Group a revendiqué notamment 580 références ou lignes se rapportant à des pièces détachées ou fournitures diverses figurant dans 218 pages d'inventaire de stock remises par la société les Etablissements Henri Cheval lors des inventaires effectués sur les trois sites de l'entreprise... à titre indicatif, ces 218 pages d'inventaire de pièces détachées regroupent environ 10 400 références différentes, toutes marques confondues. Ces petites pièces détachées revendiquées par la société BNP Paribas Lease Group n'ont pas pu être identifiées' concluant qu'il s'était attaché avec M. [R] à identifier les matériels agricoles et 'espaces verts' portés sur les 19 pages de la société BNP Paribas Lease Group. Ainsi, il est démontré que l'inventaire établi par le commissaire priseur, à supposer même qu'il soit accompagné d'un listing du stock de la société, ce qui n'est pas le cas, n'est pas de nature à permettre un rapprochement avec les pièces revendiquées soit pour identifier leur présence ou au contraire pour l'exclure.
Il convient donc de constater que sur ces pièces, l'inventaire n'est pas exploitable, étant ajouté que contrairement aux prescriptions de l'article R 622-4 du code de commerce, le listing des biens établi par le débiteur n'a pas été annexé à l'inventaire ni déposé au greffe du tribunal et que le commissaire priseur n'a pas explicité le sondage auquel il dit s'être livré à partir de ce listing. Il importe peu que ces petits outillages regroupent 10 400 références puisqu'à tout le moins, le référencement aurait dû être fait par fournisseur pour une meilleure gestion. et le référencement des pièces de chaque fournisseur aurait permis de faire un rapprochement utile, de sorte que l'insuffisance de l'inventaire ne peut être considérée comme relevant d'une impossibilité matérielle.
En conséquence, dès lors que le liquidatrice, en l'absence d'un inventaire exploitable sur ces biens, n'établit pas qu'ils ne se trouvaient plus en nature au sein de la société les Etablissements Henri Cheval au moment de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, le jugement entrepris sera infirmé et il sera ordonné la restitution du petit matériel et en cas de revente, la société les Etablissements Henri Cheval sera condamnée à restituer le prix perçu ou à percevoir, dans la limite de 44 547,06 euros, la valeur de ces biens ne faisant l'objet d'aucune contestation.
II - Sur la restitution sollicitée par la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire au titre des acomptes versés à hauteur de 23 122 euros sur deux tracteurs restitués
L'action en revendication avec clause de réserve de propriété, définie comme une action tendant à la reconnaissance du droit de propriété, aux fins d'opposabilité à la procédure collective, n'est donc pas une action en résolution du contrat de vente qui serait de nature à permettre à restituer au débiteur les acomptes déjà versés sur le prix de vente. Dès lors, le prêteur, subrogé dans la sûreté constituée par la propriété réservée, n'est tenu de restituer les sommes déjà reçus en exécution du contrat de prêt que dans la mesure où la valeur du bien restitué excède le montant des sommes qui lui restent encore due (cass com 8 janvier 2002 pourvio 98-10.691).
Les deux tracteurs restitués, châssis 30484 et 98677 ont été vendus respectivement au montant de 100 173.26 euros et 26 977,83 euros. Pour le premier, un acompte total de 196 945,04 euros a été versé par la débitrice, pour le second, cet acompte a été de 5 399,56 euros. Ainsi, sur le tracteur châssis 30484, la créance restant due est de 83 228.22 euros et sur le tracteur châssis 98677, la créance restant due est de 21 598,27 euros.
La société Bnp Paribas Lease Group soutient que la somme de la valeur résiduelle de ces deux tracteurs et du montant des acomptes déjà perçus, reste supérieure à chaque créance restante due. Elle justifie de la valeur résiduelle du tracteur châssis 30484 d'un montant de 63 600 euros et du tracteur châssis 98677 d'un montant de 15 100 euros par la production de la cote Simo de 2018, sous réserve d'un état conforme et d'une absence de dégradation depuis le jugement d'ouverture, cette cote, créée en 1971 pour servir de base aux transactions entre professionnels, étant actualisée deux fois par an par une commission rassemblant 28 professionnels de l'occasion reconnus par leurs pairs et des représentants de chacun des constructeurs.
La selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire, ne produit aucune autre cotation ou élément de nature à remettre en cause les valeurs argus de la cote simo 2018 des deux tracteurs concernés et même s'il était considéré que ces valeurs argus cote Simo devaient être revues un peu à la hausse, il demeurerait une différence entre le montant de la créance encore due et la valeur résiduelle retenue, puisque avec la cote Simo, cette différence est de 19 628 euros pour le premier tracteur et 6 500 euros pour le second. En outre, la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire n'évoque pas des options ou des caractéristiques susceptibles de constituer un coefficient de majoration.
En conséquence, c'est à bon droit que le juge-commissaire avait rejeté la demande de la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire tendant au remboursement des acomptes versés sur ces deux tracteurs, ordonnance non infirmée par le jugement dont appel.
III - Sur les mesures accessoires
Succombant principalement, la société Bnp Paribas Lease Group sera tenue aux dépens d'appel.
L'équité commande de faire droit à la demande d'indemnité procédurale de la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société les Etablissements Henri Cheval à hauteur de 4 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société BNP Paribas Lease Group de sa demande en revendication des petits matériels livrés par la société Kubota,
Statuant de ce chef d'infirmation,
Ordonne la restitution des petits matériels livrés par la société Kibota Europe à la société les Etablissements Henri Cheval faisant l'objet de la demande en restitution,
Condamne, en cas de revente de ces biens, la société les Etablissements Henri Cheval à payer à la société BNP Paribas Lease Group le prix de revente de ces biens perçus ou à percevoir postérieurement au jugement déclaratif et ce dans la limite de 44 547,06 euros,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Y ajoutant,
Condamne la société Bnp Paribas Lease Group aux dépens de l'instance d'appel,
Condamne la société Bnp Paribas Lease Group à payer à la selarl [N], ès qualités de liquidatrice judiciaire de la société les Etablissements Henri Cheval la somme de 4 000 euros au titre de l'indemnité procédurale.