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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 14 septembre 2023, n° 21/06700

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

Danfoss (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Gautron-Audic, Mme Meurant

Avocats :

Me Ndao, Me Tastet, Me Dumeau, Me Ducoin, Me Augagneur

T. com. Versailles, 1re ch., du 6 oct. 2…

6 octobre 2021

EXPOSE DU LITIGE

La société Danfoss indique être spécialisée dans la conception, la production, la commercialisation de composants et de solutions pour la réfrigération et le conditionnement de l'air, le chauffage et la gestion de l'eau.

M. [U] est agent commercial.

Par contrat d'agent commercial du 6 janvier 2015, la société Danfoss a confié la représentation exclusive de ses produits à M.[U] sur un secteur géographique de sept départements.

Le 1er juin 2016, les parties ont conclu un nouveau contrat annulant et remplaçant le précédent.

Par courrier du 29 avril 2020, la société Danfoss a résilié le contrat d'agent commercial pour faute grave de M. [U].

Par courrier du 22 mai 2020, M.[U] a indiqué ne pas être opposé à une séparation mais a réclamé, outre l'indemnité de préavis, une indemnité compensatrice de deux ans de commission.

Par courrier du 2 juin 2020, la société Danfoss a maintenu sa position quant à la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave.

Par acte d'huissier du 10 novembre 2020, M. [U] a fait assigner la société Danfoss devant le tribunal de commerce de Versailles.

Par jugement du 6 octobre 2021, le tribunal de commerce de Versailles a :

- débouté M. [U] de toutes ses demandes ;

- condamné M. [U] à payer à la société Danfoss la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [U] aux dépens dont frais de greffe s'élevant à la somme de 73,22 €.

Par déclaration du 8 novembre 2021, M. [U] a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 3 février 2023, M. [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 6 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Versailles en toutes ses dispositions,

En conséquence, et statuant de nouveau :

A titre principal :

- juger irrégulière la rupture pour faute grave par la société Danfoss, du contrat d'agent commercial de M. [U],

- condamner la société Danfoss à payer à M. [U] la somme de 7.874,70 € au titre du rappel des commissions 2020 et 2021 (sachant que le montant des commissions de 2019 est de 3.937,35 €),

- condamner par provision la société Danfoss à payer à M. [U] la somme de 3.937,35 € au titre des commissions dues pour l'année 2022,

A titre subsidiaire :

- juger infondée et abusive la rupture pour faute grave par la société Danfoss, du contrat d'agent commercial de M. [U],

- condamner la société Danfoss à payer à M. [U] les sommes suivantes :

1.172,56 € au titre de l'indemnité de préavis (9.380,46 € : 24 mois = 390,8525 € x 3 mois = 1.172,56 €)

9.380,46 € au titre de l'indemnité compensatrice (sachant que le montant des commissions 2018 est de 5.443,11 € et celui de 2019 de 3.937,35 €)

En tout état de cause :

- dire et juger que la société Danfoss a manqué à son obligation de loyauté, et en conséquence la condamner à payer à M. [U] la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

- condamner la société Danfoss à payer à M. [U], la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner en tous les frais et dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me N'Dao.

Par dernières conclusions notifiées le 1er mars 2023, la société Danfoss demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Versailles en date du 6 octobre 2021 en ce qu'il a :

- débouté M. [U] de toutes ses demandes,

- condamné M. [U] à payer à la société Danfoss la somme de 1.500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [U] aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 73.22 €,

A titre subsidiaire,

- juger que M. [U] a commis une faute grave justifiant à ses torts exclusifs la rupture du contrat d'agent commercial conclu le 6 janvier 2015 par la société Danfoss,

- juger qu'il n'y a pas lieu au versement de l'indemnité de fin de contrat visée à l'article L.134-12 du code de commerce, ni au paiement d'une indemnité de préavis,

- débouter par conséquent M. [U] de l'ensemble de ses demandes,

- rejeter l'intégralité des demandes, fins et prétentions de M. [U] à l'encontre de la société Danfoss,

Subsidiairement,

- juger que l'indemnité de fin de contrat sollicitée par M. [U] si par extraordinaire ses prétentions étaient accueillies par la cour, ne pourrait être que de 10.811 € et l'indemnité de préavis de 2.702,75 €,

En tout état de cause

- condamner M. [U] à payer à la société Danfoss la somme totale de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mars 2023.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la régularité de la rupture du contrat d'agent commercial

M. [U] soutient que la société Danfoss a, par courrier du 29 avril 2020, résilié le contrat d'agent commercial sans mise en demeure préalable, et sans viser le contrat d'agent commercial du 1er juin 2016, en faisant référence à un contrat du 2 mai 2016 inexistant. Il en déduit que le contrat d'agent commercial du 1er juin 2016 n'a pas été résilié.

Il ajoute que la société Danfoss n'a pas adressé de courrier préalable, comme prévu à l'article 9.4 du contrat au titre de la résiliation pour faute.

Il en déduit que le contrat d'agent commercial du 1er juin 2016 entre les parties est toujours en cours, et que la société Danfoss a manqué à ses obligations à son égard, la coupure illégitime de son accès à l'outil de gestion informatique l'empêchant de déterminer le chiffre d'affaires réalisé en 2020 et 2021 pour la société Danfoss, et le contraignant à présenter ses demandes au vu des résultats 2019.

La société Danfoss soutient que la date de contrat figurant sur le courrier de résiliation est affectée d'une erreur matérielle, ce que M. [U] n'avait jamais soulevé jusqu'à la procédure d'appel.

Elle ajoute avoir rappelé à de nombreuses reprises à M. [U] de respecter ses obligations contractuelles, demandes auxquelles l'intéressé ne s'est pas conformé.

*****

M. [U] soutient que la résiliation intervenue est irrégulière, au vu de la date du contrat qui y figure. Il est exact que le courrier de rupture du contrat d'agent commercial, adressé le 29 avril 2020 à M. [U], fait état d'une date de conclusion dudit contrat du 2 mai 2016. Il en est de même du courrier adressé par la société Danfoss à M. [U] le 2 juin 2020.

Aucun contrat n'ayant été conclu entre les parties le 2 mai 2016, l'indication de cette date, à la place de celle du 1er juin 2016, constitue manifestement une indication erronée.

Néanmoins, il ressort tant du courrier du 22 mai 2020 de M. [U] que de celui du 28 juillet 2020 de son conseil, que M. [U] avait compris que le courrier en cause portait sur la résiliation du contrat d'agent commercial conclu le 1er juin 2016.

Il résulte de ce qui précède que l'indication de la date du 2 mai 2016 dans le courrier de résiliation constitue une erreur matérielle qui n'a pas fait grief à M. [U], lequel a parfaitement compris qu'il s'agissait d'un courrier de résiliation du contrat d'agent commercial le liant à la société Danfoss.

Pour autant, l'article 9.4 du contrat intitulé 'Résiliation pour faute' stipule :

'Le Mandant pourra mettre fin au Contrat sans tenir compte du préavis prévu à l'Article 9.1 ci-dessus au cas où l'Agent ne respecterait pas l'une quelconque des obligations lui incombant aux termes du Contrat. Dans ce cas, la résiliation interviendra de plein droit dans un délai de dix (10) jours après notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception mettant en demeure l'Agent de se conformer à ses obligations et restée sans effet au terme dudit délai'.

Or, la société Danfoss ne justifie pas avoir adressé un quelconque courrier de mise en demeure RAR à M. [U], conformément à l'article 9.4, l'invitant à se conformer à ses obligations.

La société Danfoss ne peut prendre argument de courriels qu'elle lui a adressés précédemment qui révéleraient ses manquements contractuels, pour se dispenser d'une telle mise en demeure contractuellement prévue.

En conséquence, la résiliation effectuée par la société Danfoss n'a pas respecté les dispositions contractuelles, et est irrégulière.

Sur les demandes de M. [U]

M. [U] sollicite à titre principal la condamnation de la société Danfoss au paiement de 7.874,70 € au titre du rappel des commissions des années 2020 et 2021, et de 3.977,35 € au titre d'une provision sur les commissions de l'année 2022.

Il demande à titre subsidiaire le paiement d'une indemnité de préavis de 1.172,56 €, celui d'une indemnité compensatrice de 9.380,46 €, outre la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.

La société Danfoss fait état de l'inexactitude des données sur lesquelles se fonde M. [U], qui ne pourrait tout au plus obtenir au titre de ces commissions que 8.466 € au titre de l'indemnité de fin de contrat et de 1.058,25 € au titre de l'indemnité de préavis. Elle ajoute que ne peuvent être cumulés l'indemnité compensatrice de fin de contrat et d'éventuels dommages intérêts en raison de la rupture de celui-ci. Elle relève que M. [U] n'établit pas le caractère abusif de la rupture, de sorte que sa demande doit être rejetée.

*****

M. [U] sollicite que l'irrégularité de rupture soit constatée, mais ne demande pas dans le dispositif de ses conclusions de constater sa nullité.

Si l'irrégularité de cette rupture empêche la société Danfoss d'invoquer le comportement fautif qu'aurait selon elle eu M. [U], il n'est pour autant pas contestable que cette rupture est intervenue et que la société Danfoss a mis un terme au contrat d'agent commercial de M. [U], la cour observant que dans ses dernières conclusions il indique (page 7) 'par lettre RAR en datée (sic) du 29 avril 2020, la société Danfoss a rompu le contrat de M. [G] [U] en invoquant une faute grave''.

Dès lors, il ne peut être fait droit aux demandes principales de M. [U] consécutives à l'irrégularité de la rupture qui portent sur un rappel au titre des commissions 2020 et 2021, et une provision au titre des commissions dues pour l'année 2022.

S'agissant de la demande subsidiaire de M. [U] tendant au paiement d'une indemnité de préavis de trois mois, la cour observe que l'article 9.1 du contrat prévoit qu'il peut être résilié sous réserve de respecter un préavis dont la durée est, en l'espèce, de trois mois.

M. [U] indique que les commissions qu'il a perçues se sont élevées à 5.442,11 € en 2018, et à 3.937,35 € en 2019 ces montants retenus étant hors-taxes, en versant des pièces de nature à en justifier, alors que la société Danfoss soutient que ces commissions se sont élevées à 4.582 € en 2018 et 3.884 € en 2019, sans verser de pièces à l'appui de ses dires.

En conséquence, le montant revendiqué par M. [U] au titre de deux années de commission sera retenu, soit 9.380,46 €, et l'indemnité de préavis, correspondant à 3 mois de commissions, sera fixée au vu de ces montants à 1.172,56 €.

S'agissant de l'indemnité compensatrice de fin de mandat, l'article 9.2 du contrat renvoie à l'article L. 134-12 du code de commerce, qui la prévoit expressément.

Si la société Danfoss conteste le montant sollicité par M. [U], elle ne conteste pas l'assertion de celui-ci selon lequel il est légitime à solliciter deux années de commissions.

En conséquence, la société Danfoss sera condamnée à ce titre au paiement de la somme de 9.380,46 €.

S'agissant des dommages-intérêts, M. [U] est légitime à solliciter un tel versement, en sus de l'indemnité compensatrice de fin de contrat, contrairement aux dires de la société Danfoss.

Cependant, M. [U] reproche à la société Danfoss, à l'appui de sa demande, d'avoir détourné la clientèle, de ne pas lui avoir permis de bénéficier des mêmes tarifs que ceux pratiqués directement par la société Danfoss, d'avoir un comportement obscur et de manquer de transparence.

Ces reproches n'apparaissent pas établis au vu des pièces versées par l'appelant ; s'agissant notamment du détournement de clients, M. [U] dénonce les agissements de la société Danfoss concernant le client Rexel, mais ne produit qu'un de ses propres courriels pour en justifier, ainsi qu'un message de ce client qui ne permet pas de retenir un tel comportement fautif de la société Danfoss. Il en est de même des autres griefs invoqués par M. [U], de sorte qu'il ne sera pas fait droit à sa demande d'octroi de dommages-intérêts, ses griefs à l'encontre de la société Danfoss - notamment le manque de loyauté de celle-ci - apparaissant insuffisamment établis.

Sur les autres demandes

Au vu de la décision, le jugement sera infirmé s'agissant de la condamnation de M. [U] au paiement des dépens et frais irrépétibles de 1ère instance.

Succombant au principal, la société Danfoss sera condamnée au paiement des dépens de 1ère instance et d'appel, ainsi qu'au versement à M. [U] d'une somme de 3.000 € à M. [U], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déclare irrégulière la rupture pour faute grave par la société Danfoss, du contrat d'agent commercial de M. [U],

Condamne la société Danfoss à payer à M. [U] les sommes de 1.172,56 € au titre de l'indemnité de préavis et de 9.380,46 € au titre de l'indemnité compensatrice,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société Danfoss à payer à M. [U], la somme de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Danfoss en tous les frais et dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me N'Dao.